Promettre, promettre et promettre…
Incapable d’aider véritablement les Africains à atteindre les objectifs du Millénaire des Nations Unies, notamment le volet portant sur la réduction de la pauvreté, l’ensemble des pays des riches regroupés sous le G 8 semble dévoiler petit à petit son véritable objectif géostratégique caché justement sous les promesses de réduction de la pauvreté et du discours répétitif et fastidieux sur le développement. En ne mettant pas à disposition de manière ciblée des fonds d’appui (financement), une équipe multidiciplinaire composée à égalité de représentants de pays riches et de pays moins riches tenant compte de la parité homme-femme, le G 8 ne pourra mettre en œuvre ses nombreuses promesses que selon un agenda à géométrie variable, avec en filigrane la promotion en priorité des exportations des produits, des services et des experts des pays riches. Les objectifs stratégiques ne changent pas.
Il s’agit entre autres :
1. d’accéder facilement, si possible avec l’appui des dirigeants locaux, aux multiples matières premières du sol et du sous-sol, essentiellement le pétrole, les minerais et les produits agricoles et halieutiques ;
2. de s’assurer que les prix consentis pour le paiement de cet échange soient les plus bas quitte à utiliser des procédures de protectionnisme en amont et en aval pour mieux faire croire à une libre concurrence sur un marché global ;
3. d’affiner le contrôle sur les structures décisionnelles sous forme de maillage et cooptation des relais locaux pour neutraliser les changements intempestifs et imprévisibles de certains leaders africains démocratiquement élus ou pas, légitimes ou pas, quant à leur loyauté dans la poursuite de la défense des intérêts exogènes aux dépens des intérêts des populations locales.
En réalité, les atermoiements décisionnels de certains dirigeants africains s’expliquent au regard des promesses non tenues des dirigeants du G 8. A Cologne en 1999, le G 8 a promis d’annuler la dette des pays les plus endettés. Force est de constater aujourd’hui malgré des efforts louables de promesses nouvelles lors du G 8 de 2005 à Gleneagles que l’on fait du surplace. En effet, réduire légèrement une partie du remboursement des intérêts de la dette africaine des pays pauvres et faire preuve d’amnésie sur le remboursement du capital de cette même dette équivaut en fait à gérer le statu quo.
Les nouvelles normes de la diplomatie occidentale et les « zin-zins » de la pauvreté
Au plan du commerce, offrir de réduire les subventions agricoles pour éviter l’échec annoncé de la 6e conférence de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) prévue à Hong Kong en décembre 2005 relève de plus en plus d’un jeu de poker menteur où le bluff fait office de « carré d’as ». En réalité, au delà des réductions « micrométriques » que vont faire les Etats-Unis et l’Union européenne sur la réduction de leur protectionnisme au plan agricole, il faut s’attendre à ce que de nouvelles conditionnalités imposées à l’Afrique, discrètement ou pas, émergent. Par exemple, des pays riches commencent à démarcher certains pays africains sur un plan bilatéral pour leur interdire purement et simplement de les poursuivre devant l’organe de règlement des différends de l’OMC en cas d’entrave grave aux règles du commerce. La capacité d’influence des pays africains étant ce qu’elle est, il faut s’attendre à ce que beaucoup de pays africains optent pour le silence afin d’éviter les mesures de rétorsion qui peuvent conduire à une perte de leur pouvoir, souvent par une opération télécommandée de déstabilisation.
Si l’Arabie saoudite décide de devenir le 149e membre de l’OMC après des années de mise à niveau de son industrie pétrolière en direction d’une maîtrise de la chaîne de valeur pétrochimique, c’est que ce pays aura besoin d’écouler ses futurs excédents sur le marché global. La période de protection qui a permis de mettre à niveau ce secteur ne peut être occultée. Comment l’Afrique qui n’a pas encore réussi sa mise à niveau de ses capacités productives, qui n’a pas suffisamment mis l’accent sur la promotion des compétences, des métiers, des contenus technologiques à des fins d’amélioration de la compétitivité et de la performance peut tenir face à l’invasion annoncée de produits de qualité à des prix compétitifs en provenance des pays riches et de plus en plus en provenance de l’Asie, la Chine en particulier ? Les ministres africains en charge du commerce et de l’industrie gagneraient à avoir une stratégie commune, régionale et sectorielle basée sur une partenariat public-privé permettant d’offrir des solutions en priorité à leur population respective.
Que dire lorsque l’Union européenne se propose d’offrir une réduction dite substantielle de son « protectionnisme sur la banane importée » en passant d’une taxe de plus de 230 Euros par tonne à 170 Euros par tonne ? Applaudir, pas du tout ! L’OMC vient pour la deuxième fois consécutive de rejeter ces propositions, confirmant au passage le niveau particulièrement élevé du protectionnisme européen sur certains produits agricoles. Si les dirigeants africains savaient s’organiser collectivement pour mieux utiliser l’organe des règlements des différents de l’OMC comme un outil pratique pour réduire substantiellement les barrières tarifaires européennes et américaines imposées de manière unilatérale, les chances de sortir victorieux de la négociation contre les géants du libre-commerce seraient effectivement grandes. Malheureusement, cette stratégie suppose un esprit d’organisation collective, au minimum sectoriel, régional ou continental qui fait défaut. Pourquoi les dirigeants africains n’osent pas aller au bout de leur combat en faisant usage abondamment de l’organe des règlements des différents commerciaux de l’OMC à l’instar du Brésil du Président Lula qui a gagné contre les Etats-Unis sur le dossier des subventions américaines aux producteurs américains de coton ? Mystère ! A moins que la loi du plus fort ne neutralise les meilleures des initiatives des pays à influence faible. Pourtant, cette stratégie basée sur le professionnalisme permettra rapidement de stopper les négociations de couloir où les pays pauvres s’en sortent toujours comme des perdants, même si, sur un plan personnel, certains représentants de l’Etat se retrouvent avec des comptes en banques plus étoffés.
Au demeurant, cela ne doit aucunement occulter le fait que le « vrai faux Plan Marshall » que constitue la Commission pour l’Afrique lancée avec courage par Tony Blair, Gordon Brown, Bob Geldof et Bono, lesquels ont oublié au passage de nombreuses propositions de l’Union africaine et du NEPAD, n’a toujours pas de comité de mise en œuvre comprenant des représentants indépendants de l’Afrique. Il en est de même de la mise en œuvre du plan d’action pour l’Afrique du G 8 lancé en 2002 qui semble ne plus relever de l’actualité.
Les Leaders africains doivent nécessairement intégrer le « bluff » et les promesses non tenues, ainsi que les revirements inopinés de positions des pays riches basées sur un rapport de force défavorable aux pays africains, comme les nouvelles normes de la diplomatie occidentale en ce début de millénaire dit du développement. Faire l’impasse sur cette évolution, c’est être adepte de la forme perverse du rêve qu’est l’illusion. Les leaders africains doivent cesser de négocier des miettes (pour ce qui est des subventions agricoles) et du vent (pour ce qui est de la dette). Toute démarche non-concertée et non-collective ne peut que favoriser des réveils douloureux où l’essentiel des capacités productives aura subrepticement été transféré, à vil prix, à des prétendus interlocuteurs utilisant la réduction de la pauvreté comme un nouvel investissement géostratégique permettant de chloroformer les initiatives dynamisantes de ceux qui s’organisent pour remettre en cause le partenariat unilatéral où les Africains sont considérés comme des acteurs par défaut, quant ils ne sont pas purement et simplement des sujets. Les pays africains ne peuvent alors disposer d’un pouvoir de dissuasion que s’ils s’organisent collectivement et arrêtent de faire du nombrilisme sur des sujets qui dépassent les querelles intestines de notabilité et préséance entre personnalités dites très importantes (VIP – Very Important People).
Il appartient aux Africains de ne pas accorder aveuglément leur confiance aux nouveaux investisseurs institutionnels de la pauvreté, les fameux « zin-zins » de la pauvreté qui ne peuvent survivre et distribuer des dividendes à leurs actionnaires que si la pauvreté perdure. Pour permettre de faire évoluer la dynamique africaine, il devient urgent que les alternances au pouvoir soient respectées tant au niveau des pays, qu’au niveau des institutions africaines. Le fait de ne pas savoir à deux mois de l’échéance, qui sera le chef d’Etat africain qui prendra en charge les destinées de l’Union africaine pour une année est un signe annonciateur de la diplomatie à l’africaine qui nuit à la transparence et à la prévisibilité des actions. Les pays riches n’ont alors fait que s’aligner sur cette faiblesse de la diplomatie africaine pour promettre, promettre et promettre encore puisque les interlocuteurs africains n’offrent pas de « prévisibilité » sur les sujets dits sensibles et continuent à s’accrocher aux promesses faites par les pays riches aux précédents responsables africains.
Par Yves Ekoué Amaïzo
15 août 2005
Auteur et Economiste à l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI).
Il s’exprime ici à titre personnel.