Les pauvres ne peuvent réformer les Nations Unies. Malgré tous les efforts de Jean Ping, le Chef de la diplomatie gabonaise qui a présidé la 59e session de l’Organisation des Nations Unies, Les Etats-Unis n’ont pas fait preuve de flexibilité, mais les autres membres du Conseil de Sécurité, qu’ils soient permanents ou non permanents[1] , n’ont pas fait mieux. Le paradoxe est que l’élargissement du Conseil de sécurité ne pourra pas se faire sans les Africains. Ou plutôt si ! Il suffit que les Africains continuent à aller en ordre dispersé dans l’arène internationale, au lieu de laisser la Commission de l’Union africaine, soutenue par des experts indépendants africains y compris ceux de la Diaspora, aider à trouver des consensus et des positions africaines.
La nouvelle position africaine doit nécessairement rencontrer la non-objection des pays du G4, candidats à l’adhésion au Conseil de Sécurité : Japon, Inde, Brésil, Allemagne. Mais il ne faut pas sous-estimer le travail d’influence de l’Inde, du Pakistan, de l’Italie… qui pourraient aider les pays Africains à ne plus faire des propositions dites “africaines” ne tenant pas compte de la géopolitique et de la géoéconomique mondiales. L’Afrique est-elle incapable de s’unir[2] pour aider à la réforme des Nations Unies ?
Une solution serait d’y aller en deux temps : élargissement avec au moins deux pays africains sans droit de veto, avec en filigrane l’objectif d’atteindre le chiffre cinq comme le nombre des régions africaines selon la définition de l’Union africaine. Mais voilà, cette définition n’est pas valable outre-mer, et surtout pas à Washington. L’Afrique est perçue plus comme deux grandes régions : Afrique du Nord et Afrique subsaharienne. Si l’Afrique accepte temporairement cette position des pays riches, elle risque de mieux s’organiser collectivement, et surtout d’éviter, à l’instar de certains pays francophones, de faire des propositions de dernière minute qui décrédibilisent l’ensemble des propositions des Africains. Plus tard, il sera possible de tenter de faire entrer plusieurs pays africains au conseil de sécurité. Mais si le rêve des Etats-Unis d’Afrique devient réalité, il faudra certainement reconsidérer cette position, en tenant compte d’autres considérations que le nombre de pays ou le poids économique.
L’organisation des Nations Unies (ONU) a fêté ses 60 ans lors du sommet des chefs d’État et de gouvernement du monde qui s’est tenu à New York du 14 au 16 septembre 2005. Les pays disposant du droit de veto au Conseil de sécurité n’ont pas du tout accepté que l’Afrique use de son droit « d’ingérence humanitaire » pour lui permettre d’influencer les décisions de ce même Conseil. En fait, l’Afrique voulait simplement introduire un peu de justice, de démocratie et de fraternité au sein de l’ONU. Lorsque chaque pays parmi les cinq du Conseil de Sécurité peut, en toute liberté, opposer son droit de veto à 191 pays représentés à l’Assemblée générale des Nations Unies, où est la démocratie ? Où est la transparence ? Où est la solidarité ? Quid de l’aide au développement qui ne développe pas mais enrichit quelques oligarchies servant de courroies de transmission aux intérêts des grandes puissances contrôlant l’Afrique.
Bien sûr, si les pays africains pouvaient collectivement offrir une meilleure image du respect des droits humains, de la pratique de la démocratie et de la bonne gouvernance dans leurs pays respectifs, peut-être qu’ils seraient mieux écoutés par ceux-là mêmes du Conseil de Sécurité qui refusent toute responsabilité à l’égard des populations des pays pauvres. L’Afrique n’est donc pas libre de s’exprimer au plan de la gouvernance mondiale. Elle n’est pas libre d’ailleurs de choisir à quelle sauce la globalisation de l’éradication des pauvres, confondue allègrement avec l’éradication de la pauvreté, est en train d’organiser le déni d’exister, le déni de l’autodétermination au plan mondial à l’Afrique. Malédiction, fatalité ? Non, simple diplomatie du statu quo !
Cette diplomatie ne peut que faire perdurer le mode de gouvernance prévalant ici et là en Afrique et qui conduit à un doublement des indicateurs de la pauvreté. Souvent, les organisations bilatérales et internationales dites de développement les plus influentes en Afrique passent le plus clair de leur temps à faire oublier aux Africains, et par des Africains, leur capacité intrinsèque à s’organiser pour créer de la richesse. En versant dans cette stratégie, plusieurs des dirigeants africains se sont éloignés des préoccupations de leur population respective. L’économie et la politique de proximité sont fréquemment synonyme de déni de droit quant il ne s’agit pas de répression. Mais pourquoi tout ce blocage ?
En réalité, l’Afrique est en train de démarrer une nouvelle phase de décolonisation économique avec l’Union africaine. Elle ne s’y est pas préparée et doit vaincre les résistances internes comme externes. Il faut savoir que toute augmentation de la liberté des pauvres s’accompagne d’une régression exponentielle des prédations directes ou indirectes des agents publics ou opérateurs privés nationaux et multinationaux qui ont mal assimilé le capitalisme et le libéralisme. En effet, refuser aux pauvres d’augmenter son droit à la santé, à l’éducation, au logement, à un travail décent, à la paix et à un environnement prévisible sur le plan légal et institutionnel revient à faire preuve d’un déni des droits des pauvres.
En contrepartie, il ne fallait pas s’étonner de la résistance farouche des mêmes Africains lorsque les pays riches insistaient à l’ONU pour faire passer en force le « droit à l’ingérence humanitaire » à sens unique. Heureusement l’Afrique a résisté collectivement. La réduction des droits et de la souveraineté des peuples les moins influents vient de subir, une fois de plus, les coups de boutoirs d’une forme nouvelle d’unilatéralisme des cinq membres du Conseil de Sécurité. Il suffit alors d’inonder les médias et les ondes des « bonnes actions » marginales des pays riches en Afrique pour que la bonne conscience des pays riches soit sauve. Paradoxalement, un véritable changement viendra aussi de la prise de conscience des contribuables des pays riches, lesquels commencent à s’impatienter que toutes ces années de travail de l’ONU à coup d’aides au développement n’offrent pas plus de résultats aux plans humains et économiques. Bref, pour reprendre le discours officiel, les résultats pour l’Afrique lors du 60e anniversaire de l’ONU sont donc mitigés. Personne n’est responsable ? Nous sommes tous responsables !
1er octobre 2005
Par Yves Ekoué Amaïzo,
Auteur et Économiste à l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI). Il s’exprime ici à titre personnel.
1. Les membres permanents du Conseil de Sécurité sont : Chine, Etats-Unis, Fédération Russe, France, Royaume Uni ; Les États non-permanents sont : Algérie, Argentine, Bénin, Brésil, Danemark, Grèce, Japon, Philippines, Roumanie, Tanzanie.
2. Yves Ekoué Amaïzo (sous la coordination de), L’Afrique est-elle incapable de s’unir ? Lever l’intangibilité des frontières et opter pour un passeport commun, avec une préface de Joseph Ki-Zerbo, collection « interdépendance africaine », éditions l’Harmattan, Paris, 2002.