Lors des dernières assemblées générales de la Banque mondiale et du FMI (septembre 2005), le nouveau président de la Banque africaine de développement (BAD), M. Donald Kaberuka, ancien ministre de l’économie et des finances du Rwanda, a estimé que la flambée des prix du pétrole risquait d’avoir un impact négatif sur la capacité de certaines économies à atteindre les objectifs du millénaire du développement. Des facilités d’ajustements pour résister au choc pétrolier devraient être proposés à court terme. Sur le long terme, tout le débat a tourné autour de la capacité des pays riches comme des pays africains à tenir leurs engagements.
M. D. Kaberuka a indiqué que le pacte de « responsabilité mutuelle » entre les dirigeants africains et ceux des pays industrialisés ne peut fonctionner qu’à trois conditions :
- “que la communauté internationale respecte ses engagements de Gleneagles et de la Commission pour l’Afrique,
- que le round de Hongkong sur les accords commerciaux de Doha fonctionne à présent, et
- que les gouvernements africains continuent à faire des progrès dans les domaines de la gouvernance, de la gestion économique et du renforcement des capacités”.
1. Organiser la capacité productive africaine en attendant la réalisation des promesses du G8
En filigrane, une grande partie de l’Afrique rencontre des difficultés pour organiser son développement à partir de ressources non génératrices d’endettement constituées de flux privés et publics y compris les dons. Ainsi, la part de l’aide publique au développement dans la part des ressources nettes totales allant vers les pays en développement s’est élevée à 12,73 % en 2003, soit 29,1 milliards de $ EU. Cette part est de 25, 38 %, soit 1,6 milliards de $ EU pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient et de 63,43 % pour l’Afrique subsaharienne, soit 22,9 milliards de $ EU[1].
Le problème n’est pas simplement du ressort des finances mais bien de la capacité des économies africaines à réorganiser leurs capacités productives dans le cadre d’une mise à niveau au niveau sous-régional et sectoriel qui permet de faire front collectivement à la concurrence extérieure. Avec des moyens aussi limités et une corruption, impulsée d’ailleurs, qui gangrène l’Afrique, comment moderniser et adapter le système de sécurité sociale, d’éducation et de santé pour soutenir la compétitivité économique et la cohésion sociale d’un pays ? Le propre du système libéral auquel a fait allégeance le nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) repose sur une économie ouverte structurée pour rester en permanence compétitive. Cela suppose une capacité du capital humain africain à maîtriser la flexibilité et l’adaptabilité notamment aux niveaux de la mise à disposition de compétences et des métiers.
L’entrée de la Chine à l’Organisation mondiale du Commerce a changé les règles du commerce mondial et des stratégies de gestion des affaires pour les entreprises souhaitant investir en Chine comme ailleurs. En effet, avec la capacité par exemple de mettre sur le marché une motocyclette autour de 200 $ EU (166 Euros) contre une concurrence autour de 700 $ EU, des pays consommateurs comme l’Afrique ne doivent pas croire qu’il faille simplement consommer. Il faut nécessairement prendre conscience que cette réussite chinoise est due à une maîtrise d’un système de production modulaire des composants basés sur des réseaux de fournisseurs locaux. Ceux-ci opèrent sur un mode de complémentarité et de flexibilité, y compris celle de la main-d’œuvre, qui n’exclut pas des interactions productives entre des centres de recherche et développement et des structures spécialisées dans la distribution sous la forme d’un maillage au niveau de l’économie de proximité. C’est donc tout le processus de production dans les segments des chaînes de valeur qu’il convient de revoir en Afrique. Le soi-disant avantage comparatif de la main d’œuvre moins chère africaine ne tient pas devant la concurrence internationale compte tenu des coûts de transaction trop importants, du niveau et de la rareté des expertises et des compétences disponibles. L’approche géostratégique du positionnement de l’Afrique doit nécessairement débuter au niveau sous-régional et continental avec l’aide de la Diaspora. A défaut, l’Afrique devra continuer à « quémander » des ajustements de court terme chaque fois qu’elle devra faire face à des crises conjoncturelles qu’elles soient actuellement dues à la hausse du pétrole ou à des famines ici et là, et dont la responsabilité incombe de moins en moins aux intempéries. Une alliance stratégique avec la Chine et les pays asiatiques s’impose donc, avec une priorité donnée aux opérateurs privés et à la Diaspora.
La réalité est tout autre. L’Afrique est condamnée à accepter les promesses et les engagements des pays riches. L’annulation en fanfare par les ministres des finances du G7, puis par les chefs d’Etat du G8 à Gleneagles (11 juin 2005) de la dette de quelques 18 pays pauvres dont 14 africains annoncés reste limitée à la dette multilatérale auprès du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement. Le montant est estimé à environ 40 milliards de $ EU alors que selon le classement « pays les moins avancés » (PMA) de la CNUCED, le montant à annuler serait de 145 milliards de $ EU et selon le classement « pays à revenus faibles et intermédiaires » de la Banque mondiale, 2 500 milliards de $ EU dont près de 10 % pour les seuls pays d’Afrique subsaharienne. La dette due aux banques de développement sous-régionales telles que la Banque ouest africaine de développement a été oubliée.
Après les annonces, l’ambiguïté reprend ses droits. On est loin de l’annulation totale des dettes de tous les pays pauvres. L’annulation risque de s’étaler sur plusieurs années et chaque pays semble déterminé à gérer le dossier en fonction de son budget national, tout en se réservant le droit de ne pas honorer temporairement ses engagements en cas de difficulté budgétaire conjoncturelle. Alors, face à cette incapacité à honorer immédiatement ses engagements, la communauté internationale se réfugie dans l’initiative PPTE (pays pauvres très endettés) de la Banque mondiale lancée par le G7 à Lyon en 1996 et renforcée au sommet de Cologne en 1999. Il s’agit principalement de ramener le poids de la dette des pays choisis, excluant soigneusement les pays à revenus intermédiaires, à un niveau « supportable » si ces derniers mettent en œuvre les conditionnalités économiques sous les fourches caudines du FMI. Sans l’aval du FMI, pas de réduction de dettes dans les autres instances comme le bilatéral ou le club de Londres (dettes commerciales).
Que vaut donc une promesse d’annulation de dette de 40 milliards qui risque, pour certains pays, de n’engager que ceux qui veulent bien croire aux promesses ou alors de ne devenir réalité que progressivement d’ici 2015 alors que l’ensemble du poids de la dette globale continue à produire de la dette récurrente, sur la base des effets pervers et collatéraux des taux d’intérêts usuriers. Il ne s’agit peut-être plus de dette mais véritablement d’un système de dépendance et d’allégeance. En effet, faut-il se réjouir de l’annonce récente du gouvernement belge qui offre une contribution (prêts et dons) au Gouvernement burundais pour payer quelques mois d’arriérés de salaires ? Ceci n’est d’ailleurs pas spécifique à la Belgique mais à l’ensemble des pays ex-colonisateurs qui marquent ainsi de leurs empreintes, leurs influences sur le droit à l’autodétermination des peuples africains.
Dans la pratique, il s’agit pour les pays riches de payer à la place des pays pauvres une dette due à l’Agence internationale pour le développement, une des agences du groupe de la Banque mondiale qui prête à long terme (40 ans ou plus) et à des taux concessionnels. Il faut savoir que les États-unis ne souhaitent pas s’engager au-delà de trois ans et que leur contribution au sein de l’AID est passée de 20 % à 12 % lors des dernières contributions de 2005. La part des pays européens est passée de 42 % à 57 %[2]. En réalité, ces derniers risquent de supporter seuls le poids de leur engagement. A l’intérieur de l’Europe, il faut savoir que les pays scandinaves et certains petits pays riches comme l’Autriche, la Belgique et les Pays-Bas se retrouvent à payer la part du lion et ont déjà indiqué leurs désaccords sur un système qui les met à contribution bien plus que d’autres. C’est dans cette nébuleuse de promesses difficilement tenables compte tenu des projections de croissance économiques des pays européens qu’il faut s’atteler à trouver des voies de sortie pour l’Afrique.
Il est question d’organiser son indépendance économique en ordonnançant judicieusement les voies et moyens d’accéder directement aux marchés libres des capitaux et à identifier toutes les opportunités de création de richesses au lieu de perdre du temps à organiser la bureaucratie autour de la réduction de la pauvreté.
2. Vers la création d’une Banque d’investissement africaine
Le Président de la BAD a constaté qu’il y avait duplication des rôles et que cela menait à une certaine inefficacité quant aux résultats sur le terrain. Rechercher une plus grande complémentarité dans leur travail entre les institutions financières est devenue une priorité. Selon M. Kaberuka, « il est important de savoir qui fait quoi et qui devrait faire quoi en matière de réduction de la pauvreté, d’analyse macroéconomique, de surveillance financière, d’infrastructure, etc.».
Dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 19 de l’acte constitutif de l’Union africaine (UA) sur l’établissement des institutions financières africaines à savoir : la banque d’investissement africaine (BAI), le Fonds monétaire africain (FMA) et la Banque centrale africaine (BCA), l’Union africaine, à la demande des Chefs d’État africains, a pris les devants. La question n’est plus de savoir s’il faut ou pas une institution ou des institutions financières pour appuyer le développement africain. La question est de savoir si l’Afrique doit continuer à dépendre des promesses des pays riches pour son développement et soumettre l’organisation de l’accès au crédit à des bailleurs de fonds qui n’ont pas toujours l’Afrique comme priorité sur leur agenda. L’Afrique risque d’attendre longtemps compte tenu des difficultés des pays riches à honorer leurs engagements. Au-delà, les institutions existantes semblent avoir « oublier » que l’essentiel du financement doit aller au secteur privé et si possible aux projets intégrateurs permettant de réduire les coûts de transaction, mais aussi à des structures existantes de microfinance ou facilitation pour accéder au crédit comme les institutions d’affacturage (factoring), de garanties, ou tout simplement de financement des structures productives en Afrique. En plus des efforts offerts par les guichets du secteur privé de la BAD ou le bras avancé de la Banque mondiale que constitue la Société financière internationale, il faut reconnaître que le secteur privé africain reste le parent pauvre de l’accès au crédit.
C’est ainsi que l’Union africaine a demandé à des experts indépendants (septembre 2005) de se pencher sur la création des dites institutions financières et de clarifier le rôle, le mandat, les sources de financement, les membres, la structure organisationnelle et les possibilités de coopération avec les institutions similaires[3]. Il faut louer les efforts de l’Union africaine, notamment ceux du Commissaire en charge des affaires économiques, Dr. Maxwell M. Mkwezalamba et son directeur des affaires économiques, Dr. René Kouassi N’Guettia pour le travail de concertation importante qui a conduit à une meilleure lisibilité et faisabilité de la mise en œuvre des visions des chefs d’Etats africains.
Sans préjuger de la décision finale, l’apport essentiel des experts pourrait se résumer à s’assurer que la gestion de l’une ou l’autre des institutions se fasse de manière indépendante des Etats. Pour ce qui est de la BAI, l’entrée au capital du secteur privé a fortement été recommandée, avec une attention particulière pour la mise à disposition de fonds spéciaux ou fonds d’affectation spéciaux qui permettraient à la Diaspora africaine ou des fonds oisifs de trouver un espace pour servir d’effets de levier au développement des projets intégrateurs de l’Union africaine et du NEPAD. Il est devenu clair qu’il est plus qu’opportun de créer la BAI. Certains chefs d’État comme le leader charismatique libyen Kadhafi pensent trouver là un moyen de faire avancer la cause de l’unité africaine en soutenant financièrement la création d’une telle institution dont la capitale administrative risque d’être à Syrte, en Libye.
En réalité, il s’agit en fait de bien préparer l’Afrique à affronter le 21e siècle en la dotant d’une institution continentale capable de servir de d’effet de levier pour créer de la richesse et non d’organiser la réduction de la pauvreté. Tout soutien de la part d’autres pays pétroliers notamment le Nigeria, la Guinée Équatoriale, le Gabon, et autres pays disposant de recettes excédentaires pour soutenir la création de la BAI sera le bienvenu. Il s’agit donc de bien d’un instrument supplémentaire pour soutenir d’avantage le secteur privé, notamment les petites et moyennes entreprises africaines travaillant tant dans la proximité qu’en co-traitance avec le monde extérieur. Bien sûr, sans environnement prévisible et favorable aux affaires, tous les efforts de complémentarité et d’appui divers resteront vains.
Quant au Fonds monétaire africain et à la banque centrale africaine, c’est tout le débat sur la monnaie unique africaine à terme qui est posé. Pour réussir, il est clair qu’il faut que l’Afrique prenne position sur le débat en cours au sein du G 8 à savoir:
- faut-il que le FMI recentre ses activités sur un rôle de gardien du système financier international et laisse à d’autres institutions le soin de veiller, au niveau des régions, à une bonne surveillance ? Cette position est soutenue en principe par les États-unis ;
- faut-il au contraire que le FMI reste une banque dite « universelle », prêteur en dernier ressort ? Qu’il continue à prêter aux pays pauvres structurellement déficitaires au niveau de leurs balances des paiements et disposant de réserves insuffisantes pour faire face à des chocs économiques ? La France, la Grande Bretagne par exemple, semblent pencher pour cette approche.
Compte tenu de la difficulté à tenir leurs promesses, les pays riches risquent à terme d’organiser malgré eux, l’assèchement des sources de financement des pays les plus pauvres. Face à cette éventualité, il ne reste à l’Afrique qu’à s’organiser collectivement pour trouver les voies et moyens d’organiser ses réserves, procéder à une bonne surveillance monétaire en organisant et respectant les convergences monétaires au niveau sous-régional, régional et continental[4]. Ainsi le mécanisme d’évaluation des pairs du NEPAD pourrait se spécialiser pour permettre justement un volet monétaire et financier de voir le jour. Le Fonds monétaire africain deviendrait alors le gardien du système financier africain en attendant de se fondre dans une banque centrale africaine qui se recroquevillerait sur sa véritable fonction de banque centrale (émission, refinancement et contrôle de l’inflation) et laisserait la fonction de développement à des banques secondaires. On éviterait ainsi les interférences politiques nuisibles à la construction de l’indépendance dans la gouvernance de la banque centrale africaine.
Les horizons de convergence étant plus éloignés (2020), il est fort probable que la volonté politique devrait contribuer à accélérer le temps. Bien sûr, le problème de fond reste le niveau des réserves et des ressources des pays africains. Ce sont les “riches” qui prêtent aux “pauvres”. Mais si les pays excédentaires africains acceptent de faire confiance aux futurs gestionnaires du FMA et de la BCA sur une base de l’impartialité et de l’indépendance des décisions basées sur des analyses macro-économiques ayant pour objet de prévenir et d’aider à sortir des crises conjoncturelles liées à des déficits des balances de paiements, les conditionnalités du FMA auront au moins l’avantage d’être comprises, et certainement acceptées par les dirigeants et populations africaines. Le FMA deviendrait à terme l’interlocuteur privilégié pour décider s’il faut affecter des fonds vers un pays. Aujourd’hui, c’est le FMI qui rempli cette fonction avec toutes les ambiguïtés et défenses des intérêts des pays riches que cela comporte. Bien sûr, nul ne remettra en cause de poursuivre des politiques drastiques de contrôle de l’inflation. Toutes les monnaies africaines seront amenées graduellement à passer par une unité de compte dont la valeur pourra varier à l’intérieur d’un “serpent monétaire régional puis continental” permettant des ajustements périodiques et graduels.
L’Afrique devrait bénéficier de l’appui du Directeur général du FMI, Mr. Rodrigo Rato, lequel reconnaît de plus en plus que le FMI “doit faire moins, mieux et se spécialiser sur les défis macroéconomiques globaux qui se profilent à l’horizon” [5].
Par Yves Ekoué Amaïzo,
Auteur et Economiste à l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI). Il s’exprime ici à titre personnel.
Notes :
1. World Bank, Global Development Finance 2004, p. xi.
2. Richard Hiault, « La dette des pays pauvres reste bien réelle », in Les Echos, 23-24 septembre 2005, p. 4.
3. Voir le site www. union-africaine.org
4. Voir Yves Ekoué Amaïzo, Vers une monnaie commune, voir www.afrology.com (economie)***********************
5. Rédaction Financial Times, “A vision for the IMF: Globalization is too broad to serve as an organizing principle” in Financial Times, 22 septembre 2005, p. 12.