Yves Ekoué Amaïzo, économiste à l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel, dirige Afrology, un groupe international de réflexion sur l’Afrique.
DE FILIPPIS Vittorio
Peut-on parler de l’émergence d’une société civile en Afrique ?
Certes, elle diffère d’un pays à l’autre, mais on la perçoit de plus en plus active. C’est sans doute la «fatigue de l’aide», comme disent les économistes, qui explique son émergence. Ils sont désormais minoritaires ceux qui, en Afrique, croient encore aux beaux discours des pays du Nord. La promesse des années 70, quand ceux-ci promettaient qu’ils consacreraient chaque année l’équivalent de 0,7 % de leur richesse à l’aide publique au développement des pays du Sud ne fait plus rêver personne. Et pour cause ! Nous n’atteignons pas 0,4 % aujourd’hui. En 2002, les pays réunis à Monterrey, au Mexique, ont promis qu’ils doubleraient leur aide. Le Sud attend toujours. Ces désillusions expliquent beaucoup cette volonté de prendre son destin en main.
Le secteur privé, notamment les entreprises, comblent-elles ce vide ?
De conférence en conférence, les politiques et quelques économistes expliquaient que le marché pouvait remplacer la solidarité internationale déclinante. Certes, il existe aujourd’hui des entreprises, notamment étrangères, qui en Afrique se soucient d’accès à l’eau, de santé, voire d’éducation. Mais ce sont des épiphénomènes.
Quel est le rôle des organisations internationales ?
Elles accompagnent le mouvement, et reconnaissent l’utilité de la société civile. Mais, paradoxalement, elles n’ont pas fait grand-chose pour favoriser son apparition. Prenons la Banque mondiale : elle a mis au point des programmes de réduction de la pauvreté. Mais si on regarde ce qui se passe au Mali, pays producteur de coton, elle y encourage surtout la production du coton comme simple matière première, et n’incite pas au développement d’une industrie du textile. Au final, sous l’effet des subventions aux producteurs de coton dans les pays riches, les cotonniers maliens se paupérisent. Les ONG, africaines et autres, sont devenues les avocats de pays comme le Mali.
La France favorise-t-elle les sociétés civiles en Afrique ?
Elle s’adapte. Il y a une évolution dans son paternalisme vis-à-vis d’une partie de l’Afrique. Mais encourager la société civile à prendre plus d’espace dans les débats et les actions aurait dû se traduire par une augmentation des moyens. Or l’Etat français ne fait pas grand-chose pour aider les ONG et associations africaines. Le budget annuel de l’ONG anglaise Oxfam est équivalent à celui des trois plus grosses ONG françaises. On retrouve les mêmes écarts avec les pays scandinaves. Cette situation reflète deux approches différentes. Celle, anglo-saxonne et scandinave, qui fait confiance au rôle croissant de la société civile. Et celle de la France, plus étatique. Elle aide des ONG, des associations, mais veut garder le contrôle. En outre, alors que les budgets augmentent des deux côtés, privé et public, dans les pays scandinaves, ils diminuent en France.