Conseil de sécurité, Côte d’Ivoire et relation sino-africaine
Avec les résultats mitigés du combat pour la liberté et la démocratie de la communauté internationale en Afghanistan, en Irak, en Palestine et en Tchétchénie pour ne citer que les plus connus, le monde devrait faire le bilan des politiques et du mode de gouvernance utilisés pour “solutionner” ces crises. Sur un autre plan, les résultats sont tout aussi mitigés puisqu’il apparaît de plus en plus que dans les conflits de “basses tensions”, la communauté internationale, outre les joutes verbales et les menaces non suivies d’effet, conjugue, non sans modération, la gouvernance du statu quo qui perdure au Soudan, en Côte d’Ivoire, au Togo, au Zimbabwe et dans de nombreux pays où le déni de légitimité continue sous toutes ses formes à pousser les populations vers le désespoir dans une indifférence parfois bien explicable.
Le cycle infernal de l’information prend le dessus : on en parle, rien ne se fait vraiment, et presque tout le monde s’en désintéresse. En filigrane, c’est le refus de laisser les populations s’exprimer librement par le vote et sans pressions discrètes qu’il convient de revisiter en laissant aux vestiaires les “intérêts et les calculs géopolitiques” lesquels finissent par se neutraliser. Ces mystérieux calculs, censés organiser des “pré-carrés” visant principalement à faciliter l’accès aux matières premières des pays les moins influents ou à contrôler leur capacité productive par des méthodes légales (privatisations) ou illégales (corruption), finissent par créer le chaos au niveau des populations, au nom desquelles cette même communauté internationale estime avoir un droit légitime d’intervenir pour leur apporter un mieux-être.
En réalité, avec la montée de nouveaux pays émergents notamment ceux d’Asie dont la Chine, l’Inde, la République de Corée, etc., et la nomination d’un nouveau secrétaire général Ban Ki-Moon venant de cette région, la communauté internationale, qui fonctionnait plus sur le mode du rapport de force penchant en faveur du pays le plus influent, risque de changer graduellement. Le rapport de force penchera de plus en plus en faveur de la région la plus influente. Cela aura des conséquences incalculables sur la géopolitique et donc sur le mode de fonctionnement à venir du Conseil de sécurité. En fait, cela a déjà commencé.
1. Côte d’Ivoire : L’ONU se positionne à côté des “Constitutions” nationales
Au cours de sa 5561e séance [1], le Conseil de sécurité des Nations Unies a prorogé “pour un an la période de transition en Côte d’Ivoire” jusqu’au 31 octobre 2007, date butoir pour des “élections présidentielles et législatives libres, ouvertes, régulières et transparentes”. Cela fait suite d’ailleurs aux recommandations de l’Union africaine et à une remise en cause fondamentale des positions proposées par la France en informel. En effet, si parmi les 15 membres du Conseil de sécurité, les alliances de groupes régionaux n’avaient pas joué, ce texte corrigé, refondu, présenté par la France et adopté à l’unanimité par le Conseil de sécurité n’aurait pas vu le jour. En effet, auparavant, la simple menace d’un membre du Conseil de sécurité disposant du droit de veto d’en faire usage, contribuait systématiquement à “empêcher” les autres membres du Conseil de sécurité à une sorte de silence des cimetières. Cela illustre un des effets pervers de l’unilatéralisme qui fait qu’un pays à influence forte pouvait par des moyens de pressions souvent économiques, parfois militaires, amener les pays disposant de peu d’influence à s’abstenir de faire valoir leur position. Les pays sont donc tous souverains, mais certains sont plus souverains que d’autres. Avec la nouvelle géopolitique des régions, des nouvelles alliances se sont construites au sein du Conseil de sécurité. Les pays asiatiques disposant de plus de poids économique, les nouveaux pays émergents d’Amérique latine se rappelant qu’ils font bien partie du groupe dit des « 77 », ceci a conduit à une sorte de renouveau du principe du “non-alignement” sur le cas ivoirien.
A ce nouveau jeu, les pays, même ceux disposant du droit de veto, peuvent se retrouver en minorité. C’est ainsi que l’une des premières propositions qui consistait à subordonner la “constitution ivoirienne” à une décision du Conseil de sécurité, a été rejetée par une majorité du Conseil de sécurité car si l’on poussait le raisonnement plus loin, une décision du Conseil de sécurité aurait plus de poids que la constitution chinoise ou la constitution américaine. Laquelle des deux puissances aurait d’ailleurs accepté de respecter une telle décision du Conseil de sécurité ? Mais voilà, lorsqu’il s’agit de l’Afrique, les relents coloniaux reviennent parfois à la surface. Les coalitions de groupes régionaux permettent donc de mettre fin à de tels agissements et de ramener les initiateurs de la résolution à plus de bon sens. Ainsi, le Conseil de sécurité et l’ONU collectivement sortent grandis de cette expérience tout en renforçant leur position sur l’ensemble des Etats membres qui verront là le retour aussi d’une certaine “neutralité de l’ONU”.
Lorsque ce même Conseil de sécurité clarifie le jeu en Côte d’Ivoire en précisant qu’un Premier ministre de transition doit se limiter à faire la transition et ne pas être candidat à des élections présidentielles, alors là encore, l’ONU sort grandie de cette opération en faisant preuve de bon sens. Faut-il rappeler que c’est cette solution qui a permis de réussir la transition en Haïti avec la finesse et la subtilité de l’ex-premier ministre haïtien, Gérard Latortue, un ancien des Nations Unies. Pourquoi est-ce que Haïti ne pourrait pas servir de modèle à la Côte d’Ivoire, au Togo et à bien d’autres pays ? Si ces points avaient été clarifiés et que certaines puissances occidentales n’avaient pas entretenu un flou artistique sur l’avenir de Charles Konan Banny, peut-être que le tandem Président/premier ministre à savoir Gbagbo/Banny n’aurait pas eu autant de difficulté pour fonctionner. Ainsi, l’ONU vient de démontrer qu’elle ne peut être instrumentalisée et servir de plate-forme pour faire avancer des positions bilatérales. Il faut malgré tout rappeler qu’il est question de retrouver la paix en Côte d’ivoire et pas nécessairement de choisir des dirigeants, même si l’un ne semble pas aller sans l’autre.
2. Des alliances entre groupes régionaux interdépendants
Cela ne fut possible que grâce encore aux alliances de groupes sur des bases régionales. Cela a permis de mettre en minorité les positions bilatérales au point où on peut se demander maintenant si la présence militaire française sous la casquette de l’ONU fait partie de la solution ou du problème en Côte d’Ivoire. Si cela devait passer au vote des 15 membres du Conseil de sécurité, le résultat risquerait de surprendre la France. En effet, le Conseil de sécurité gagnerait à ne pas envoyer des représentants ou des troupes militaires ressortissants de pays ayant une histoire coloniale mouvementée dans des pays qui n’ont pas encore réellement fait le deuil de la colonisation. Autrement dit, si les troupes militaires stationnées en Côte d’ivoire et opérant sous le mandat de l’ONU provenaient en majorité de l’Amérique latine ou de l’Asie qui n’ont pas d’antécédent colonial avec la Côte d’Ivoire, peut-être que cela aurait contribué grandement à alléger le nombre de problèmes ivoiriens. Il faut donc espérer que l’une des prochaines décisions de l’ONU et du Conseil de sécurité consistera à respecter scrupuleusement ce principe de « bonnes pratiques » afin de renouer avec son prestige d’antan.
Enfin, en ne tombant pas dans le piège de la hiérarchisation des cadres institutionnels notamment en poussant vers l’absurde l’idée que les décisions du Conseil de sécurité pourraient s’avérer être au-dessus des textes fondamentaux comme la Constitution d’un pays, l’ONU a parfaitement éviter de mettre de l’huile sur le feu de ceux qui croient encore au choc des civilisations. Il faut d’ailleurs noter que ces chocs de civilisations ne sont acceptés que par ceux là-même qui croient qu’ils en sortiront victorieux. Les déboires et le coût faramineux tant social, militaire qu’économique en Irak et ailleurs tendent à donner raison à la démarche plaidant en faveur d’un multilatéralisme rénové et d’une gouvernance par groupes régionaux. Le Conseil de sécurité a à juste titre choisi de se positionner à côté et non au-dessus de la Constitution ivoirienne. Car s’il devait en être autrement, la Constitution ivoirienne qui a fait l’objet d’un choix démocratique par les populations ivoiriennes serait subordonnée à un Conseil de sécurité dont la légitimité démocratique risque de poser problème.
En effet, l’élargissement du Conseil de sécurité n’a été jusqu’ici envisagé que d’un point de vue national. Il s’agissait en l’occurrence de rajouter des Etats ou de dénier le droit de veto à certains. Pourquoi ne ferait-on pas preuve d’un peu d’audace, d’imagination et d’originalité en institutionnalisant d’abord sous la forme informelle, puis plus tard sous la forme officielle, un Conseil de sécurité où les décisions se prendront uniquement avec des représentants de groupes régionaux. Cela correspondrait d’ailleurs à l’architecture des régions du monde telle qu’elle fonctionne aujourd’hui et mettrait systématiquement fin aux relents d’impérialisme et d’unilatéralisme de certains.
Il ne s’agit nullement de dogmatisme mais bien de pragmatisme. Les approches et les décisions basées sur des a priori faisant allégeance au culte de l’impérialisme, de l’unilatéralisme voire d’une « certaine colonisation qui a fait du bien », disparaîtront rapidement. Le blocage et la neutralisation du développement et de l’industrialisation de l’Afrique se faneront alors dans les marécages nauséabonds du mal-développement instrumentalisé, souvent avec la complicité de certains dirigeants africains, aveuglés par la ventrologie et le nombrilisme du pouvoir paternaliste et autocratique. Le peuple africain pourrait alors s’éveiller pour offrir à l’Afrique et au monde l’esprit de paix qui anime ce continent. Malheureusement, le mépris du peuple africain par de nombreux dirigeants africains se mesure à l’aune de leur capacité, en étroite complicité avec ceux du Nord qui, égoïstement, ne recherchent que leurs intérêts bien compris et à museler l’autodétermination de la société civile africaine. Mais cette dernière n’est plus prête à se laisser embrigader par des partis politiques d’opposition bien peu différents des partis ou des dirigeants au pouvoir en Afrique. La communauté internationale devra d’une manière ou d’une autre prendre en compte cette nouvelle donne dans le renouveau du multilatéralisme.
3. La gouvernance de l’interdépendance
Le Conseil de sécurité fonctionne donc en fait comme un organe de règlement des différents. Il faut donc à l’instar de ce qui se fait à l’Organisation mondiale du commerce par la biais de l’organe des règlements des différents commerciaux, encourager toute sollicitation conjointe du Conseil de sécurité comme un recours en dernier ressort au niveau multilatéral. Il faut au préalable avoir épuisé les autres recours notamment à l’amiable, au niveau africain (régional et continental Afrique), avec des pairs avant de demander l’aval des Nations Unies. Mais le système peut rapidement être perverti si le Conseil de sécurité ne prend pas les garanties et les précautions d’usage pour éviter qu’un pays, aussi influent fusse-t-il, n’en profite pour utiliser le Conseil de sécurité pour faire passer des vues et des positions bilatérales.
Il va de soi que l’on assiste à une nouvelle phase de l’après-ordre bipolaire de la guerre froide qui a vu l’émergence des puissances pétrolières basées sur des ressources minérales et celles de nouveaux pays intermédiaires disposant d’une influence égale ou supérieure à celle de la superpuissance occidentale dès lors que ces pays arrivent à se coaliser. Personne ne cherche à faire front à l’unilatéralisme de la superpuissance américaine, pourtant les résultats mitigés des actions globales montées officiellement au nom de la liberté et de la démocratie et l’apport civilisationnel américain a laissé de nombreux observateurs sur leur faim. La “macdonaldination” du monde n’a pas eu lieu. Le jeu de la carotte et du bâton combinant supériorité et collaboration a fini par s’ébrécher par manque d’exemples de bonnes pratiques et souci d’équité et de respect des droits des faibles. Un nouveau système de la gouvernance globale et du partage du pouvoir mondial doit être collectivement réactivé.
4. Le “multilatéralisme efficace” : la fin de la domination occidentale sur l’Afrique ?
A force d’être les dindons de la farce dans toutes les alternatives du jeu mondial, les dirigeants africains, démocratiquement élus ou pas, ont fini par préférer tenter l’expérience chinoise. La Chine le leur rend bien en ne s’immisçant pas dans les affaires intérieures, avec tout ce que cela comporte comme ambiguïté. Quand la Chine se propose de doubler l’aide au développement sans conditionnalité tout en cherchant avec les gouvernements les plus sérieux de procéder à une approche “gagnant-gagnant” en termes de commerce, on ne peut qu’y souscrire. Malheureusement, trop de pays africains croient qu’ils sortiront gagnants en allant à ce nouveau partenariat de manière isolée comme par le passé avec les pays occidentaux. Ils semblent oublier que pendant ce temps les accords de partenariat économiques (APE) avec l’Union européenne doivent être négocier avec un volet sur les capacités productives sinon la fin brutale des accords de Cotonou et de Lomé, avec l’introduction des APE, risque de déchirer de nombreux filets sociaux.
En réalité, la relation de coopération n’est pas “sino-africaine” malgré tous les efforts que déploient l’Union africaine et le NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique) pour des actions collectives. Elle est « sino-pays africain pris individuellement » alors que la Chine avance sur la base d’une cartographie bien planifiée de conquête graduelle mais rapide des accès aux matières premières. Elle ne s’accommode d’ailleurs pas des principes démocratiques, de l’éthique et des atteintes multiples à la préservation de l’environnement.
La Chine est donc bien un partenaire mais non un modèle. La Chine risque d’usurper la place de nombreux pays occidentaux incapables de concurrencer de nombreux pays émergents notamment la Chine. Mais sans un travail interne des dirigeants africains, publics et privés, sous la forme de l’interdépendance africaine et des stratégies d’accompagnement modulaires et structurées de l’arrivée chinoise en Afrique, la partie de l’Afrique où les dirigeants sont peu scrupuleux risque, par le jeu de l’endettement et les soldes de balances de paiements déficitaires avec la Chine, de devenir une propriété chinoise à terme. Il n’est pas étonnant que les pays occidentaux ne soient pas très « contents ».
Il ne sera plus vraiment nécessaire de concentrer davantage de puissance entre les mains d’une seule puissance occidentale comme par le passé. Au contraire, il va falloir organiser la gouvernance de l’interdépendance [2]. Il ne s’agit bien sûr pas du “multilatéralisme affirmatif” qui se ferait sans mandat de l’ONU [3]. Il ne s’agit pas non plus de promouvoir des doctrines surfant sur le paradigme des “actions préventives unilatérales passant outre l’ONU” et propagées sans modération par l’ex-secrétaire d’Etat américain en charge des relations internationales, Madeleine Albright. Les résultats et le bilan de telles démarches sur le mieux-être des populations dans les régions ou pays concernés sont plus que mitigés. Il est plus question de voir une Afrique s’organiser collectivement sur des dossiers concrets en ne faisant pas l’impasse sur le sort des populations ou en signant des accords avec les nouvelles puissances régionales sur le dos des populations. La Chine gagnerait à demander des études d’impact de ses conquêtes économiques et commerciales sur les populations africaines. Elle risque rapidement de s’apercevoir qu’elle commence à prendre une part important dans l’augmentation du chômage et surtout de l’accélération de l’immigration notamment dans les pays où elle a pénétré sans que des mesures d’accompagnement n’aient été mises en place.
Il est donc préférable de se rapprocher de la position intéressante du Président français Jacques Chirac qui, le 26 octobre 2006, dans le grand amphithéâtre de la prestigieuse université de Pékin (Beida) et devant un parterre d’étudiants chinois, a exalté à propos de la crise de la Corée du Nord, les vertus “d’un multilatéralisme efficace. Ne rien faire nous priverait de toute influence, de toute crédibilité et de toute légitimité. Ce serait encourager la tentation de l’unilatéralisme, dont chacun a pu mesurer les conséquences et les impasses”[4]. Les Africains s’accommoderont bien d’une telle position de la France sur les relations entre la France et les pays francophones d’Afrique si elle devait faire l’objet d’une mise en œuvre concrète.
En réalité, le renouveau du multilatéralisme est une remise en cause de la supériorité de l’Occident et de ses valeurs comme normes intégrationnistes dans le processus de la mondialisation. Le “reste” du monde à la recherche de son autodétermination n’a pas été convaincu par les résultats mitigés de l’interventionnisme unilatéraliste occidental.
L’émergence des pays asiatiques sur le devant de la scène internationale peut constituer une chance pour l’Afrique pour s’attaquer avec plus de neutralité aux problèmes intercivilisationnels que pose l’interdépendance. La partie occidentale du monde qui reste « bloquée et décalée » sur le système de la dépendance risque d’être rapidement dépassée. L’universalisme occidental a d’ailleurs conduit à l’intolérance d’une partie de l’Islam. Elle a permis l’affirmation de soi des pays asiatiques. L’attrait pour la culture occidentale s’estompe et risque d’aller de pair avec la fin d’une forme d’impérialisme. Le double langage qui sied à une certaine diplomatie, y compris celle de l’ONU, devrait aussi s’estomper avec l’arrivée d’une culture asiatique à la tête des Nations Unies. Cela est dû principalement au fait que les sociétés asiatiques ont pu se libérer du joug militaire et culturel occidental sans pour autant fermer la porte à la diplomatie, à des relations cordiales et de transfert de technologie et de savoir-faire. Sur le plan économique, les sociétés asiatiques non seulement arrivent à rivaliser mais dépassent dans certains cas l’Occident sur son propre terrain, celui de la compétitivité au point où le marché libre, tant prôné par les pays riches occidentaux, est en passe de devenir un libre marché négocié.
5. Chine-Afrique : de l’angélisme collectif de certains dirigeants africains
Les dirigeants africains en continuant à faire de l’angélisme oublient d’organiser aujourd’hui stratégiquement les capacités productives africaines afin de donner des emplois et du bien-être aux Africains de demain. Ils risquent encore de rater le coche en croyant que le doublement de l’aide chinoise va résoudre leur problème structurel consistant à refuser de s’organiser collectivement au niveau sectoriel et à laisser le secteur dynamique et créateur d’emplois structurer l’économie. Il va de soi que sans des leviers tels que la diffusion de la technologie, un environnement propice à l’entrepreneuriat et un accès facile et simple au crédit, il sera difficile pour les entrepreneurs africains de s’arrimer aux méthodes de travail des pays émergents. La Chine démontrerait sa volonté réelle de soutenir les entrepreneurs africains et l’industrialisation de l’Afrique en mettant en place des lignes de crédit et des systèmes d’assurances et de réassurances spéciales (y compris le micro-crédit et la micro-garantie) pour soutenir l’accès au crédit et les mesures d’accompagnement pour faire d’entrepreneurs africains ingénieux, de vrais partenaires d’affaires, structurés en réseaux d’entreprises et agissant comme l’une des courroies du système segmenté de la production mondiale.
Après des relations plutôt politiques dans les années 1980, la Chine a réunit les dirigeants de 48 pays africains à Pékin, du vendredi 3 au dimanche 5 novembre 2006 dans un sommet considéré comme un « événement historique » par le président chinois lui-même, Hu Jintao. Le programme d’action pour les trois années à venir entre l’Afrique et la Chine (2007-2009) verra les commerciaux sino-africains atteindre un taux de 41%, soit 25,58 milliards de dollars. Les 50 milliards sont prévus pour 2007. L’approvisionnement de la Chine en pétrole en provenance d’Afrique a atteint 45% en 2005 alors qu’elle n’était que de 27 % du total de sa consommation de pétrole en 1999. La Chine est de fait le deuxième importateur de pétrole d’Afrique, après les Etats-Unis. Officiellement équilibrés sur papier, ces échanges sont déséquilibrés dans la structure. Les échanges portent sur des matières premières non transformées contre des produits manufacturés chinois. La valeur ajoutée se trouve dans les produits manufacturés. Les Chinois sont donc largement gagnants sur le long terme.
Si les dirigeants africains ne se décident pas à intégrer les capacités productives dans les négociations avec la Chine parce que la Chine n’émet aucunes conditionnalités sauf celle pour les Africains d’isoler encore plus Taiwan tout en ne s’immisçant pas dans leur domaine de “souveraineté”, alors l’Afrique risque rapidement de désenchanter. Les participations de la Banque populaire de Chine dans la Banque africaine de développement et dans la Banque ouest africaine de développement ne sont pas de nature à renverser cette tendance. Les dirigeants africains malgré tout leur “bougisme” restent malgré tout collectivement bien passifs dans ce partenariat d’un nouveau genre. En effet, le thème du sommet sino-africain était “amitié, paix, coopération et développement”. Il n’a pas été question de “démocratie, industrialisation, lutte contre pauvreté et droits humains et liberté”. Il faut espérer que cela sera prévu lors du prochain sommet ou fera l’objet d’amendements dans le programme d’action de 3 ans.
Bref, la Chine ne peut servir d’atelier mondial et ne pas aider l’Afrique à monter des segments ou des fragments de production sur le sol africain avec des Africains étant à même d’exporter vers la Chine, car c’est aussi de la cela qu’il s’agit quant la Chine parle d’une coopération “gagnant-gagnant”. A défaut, la Chine ne sera qu’un grand aspirateur des ressources non transformées africaines, augmentera son influence sur le continent africain et ses soutiens au niveau multilatéral. En contrepartie, l’Afrique d’en bas ne verra que chômage, une accentuation de l’esclavage moderne et surtout une perte effective de propriété avec son corollaire qu’est l’immigration vers l’Occident. Le renouveau du multilatéralisme est plus que d’actualité.
Par Yves Ekoué Amaïzo
Directeur du groupe de réflexion, d’action et d’influence « Afrology »
Economiste à l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI).
Il s’exprime ici à titre personnel.
Notes :
1. Voir la résolution 1721 (2006) adoptée à l’unanimité des 15 membres du Conseil des Nations Unies (5561e séance – après-midi) : communiqué de presse du Conseil de sécurité des Nations Unies.
2. Yves Ekoué Amaïzo (sous la direction de), [intlink id=”173″ type=”post”]L’Afrique est-elle incapable de s’unir ? Lever l’intangibilité des frontières et opter pour un passeport commun[/intlink], l’Harmattan, Paris, 2002.
3. Coalition internationale contre la Guerre, voir aussi Christine Delphy, Catherine Lévy et Nils Andersson, « Généalogie de l’unilatéralisme », sur l’Internet : http://www.humanite.presse.fr/journal/2003-04-14/2003-04-14-370313
4. Correspondant du Monde à Pékin, « Jacques Chirac joue le multilatéralisme devant les étudiants chinois », in Le Monde, 27 octobre 2006, voir http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3216,36-828256,0.html?xtor=RSS-3224e
Lire aussi: Yves Ekoué Amaïzo (sous la direction de), [intlink id=”241″ type=”post”]L’union africaine freine-t-elle l’unité des Africains ?[/intlink]Retrouver la confiance entre les dirigeants et le peuple-citoyen, avec une préface de Aminata Traoré, collection “interdépendance africaine”, éditions Menaibuc, Paris, 2005.