Loin des idées préconçues et des a-priori négatifs sur l’Afrique, loin des images négationnistes sur les calamités passées orchestrées contre les peuples africains, les responsables africains sont en train de préparer en silence des modifications structurelles des institutions africaines existantes pour faire face collectivement aux enjeux futurs.
Le défi reste le même : comment assurer un développement respectueux des populations sans que cela se fasse sur le dos de la justice sociale ? Les thèmes sont nombreux et on peut rappeler pêle-mêle quelques-uns : la citoyenneté africaine, la démocratie, le respect des droits humains, la sécurité, la justice sociale, , le développement des infrastructures, l’intégration régionale, la libre circulation effective des biens, des personnes et des capitaux sur le continent, l’environnement sanitaire, l’assurance sociale, l’éducation, le droit au logement, le droit à la propriété collective, la création d’emplois décents notamment pour les personnes sans qualification parmi les jeunes et les femmes, la culture de l’innovation, et bien sûr, tous les problèmes liés à la préservation de l’environnement et les conséquences du changement climatique sur le continent…
1. Pour un partenariat intelligent
En réalité, la plupart des économies africaines sauf exceptions comme l’Algérie, la Libye, l’Afrique du sud et la Tunisie sont souvent obligées de recourir à des solutions budgétaires qui supposent une intervention des bailleurs de fonds directement ou indirectement dans la gouvernance du pays. Il devient urgent de s’assurer que les lois de finance des États africains soient organisées en deux volets de manière à ce que les apports non prévisibles des bailleurs de fonds ne viennent pas perturber ou retarder le minimum que les États africains peuvent réaliser avec le peu de ressources dont ils disposent, à supposer que la corruption ne vienne pas entraver cette noble entreprise au service de la population.
L’avenir de l’Afrique passe alors par un partenariat intelligent et non limité aux partenaires traditionnels qui doivent aussi accepter la loi de la concurrence et de la compétition mondiale. En effet, il existe des partenaires qui ne sont intéressés que par la commercialisation des matières premières ou ressources africaines non transformées. D’autres, par contre, proposent de plus en plus de transformer sur place les ressources africaines, permettant ainsi de créer des emplois locaux décents et contribuant à une diffusion de l’indépendance économique au niveau africain. Les décideurs africains au même titre que les citoyens africains qui ont le privilège de pouvoir voter en toute transparence et sécurité devraient nécessairement privilégier le deuxième type de partenaires.
Le nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) après avoir été édulcoré en faisant la part belle à une approche libérale mal digérée se doit d’être mis à jour en tenant compte des contraintes de l’interdépendance. Seul le partenariat intelligent devrait alors être retenu. Il en est de même de la mise en œuvre des grandes stratégies proposées par l’Union africaine. En réalité, les objectifs affichés par les chefs d’État africains ne posent pas de problème majeur. La mise en œuvre et les moyens font souvent défaut.
Sur les moyens, il revient aux dirigeants africains eux-mêmes d’essayer de consacrer plus de ressources au service de leur population à partir des ressources que le pays a en propre. Sur la mise en œuvre, il y a un vrai problème car de nombreux décideurs sont des héritiers des méthodes et institutions issues de la colonisation et peinent à accepter un partage de responsabilité avec d’autres acteurs de la société civile, notamment les organisations à but lucratif considérées comme le secteur privé ou les organisations non gouvernementales, associations et autres coopératives formant les maillages de la stabilité sociale en Afrique. En effet, la relation est trop souvent de type conflictuel alors qu’il devrait s’agir d’un système d’autorégulation et de contrepouvoir avec des alternances naturelles en terme décisionnel. Le partenariat intelligent commence à l’intérieur des frontières africaines et s’arrête là où commence la prééminence de la défense des intérêts des plus influents aux dépens de ceux qui sont sans défense.
2. Habituer les populations à choisir leur chef démocratiquement
C’est aussi cette approche moyenâgeuse et “vieux jeux” consistant à vouloir tout faire sans impliquer les populations sauf pour venir adouber les décisions prises sans la participation des citoyens qui doit faire l’objet d’une modernisation accélérée. Le problème de fond est posé : l’Afrique peut-elle sérieusement prétendre avoir une voix écoutée dans le concert des nations si une partie assez importante de ses responsables continue de diriger sans véritable légitimité et que les décisions continuent à se prendre finalement sans un véritable mandat des citoyens africains ?
Le partenariat intelligent ne peut donc faire l’économie de traiter avec le monde extérieur sans trouver une solution au partenariat entre acteurs locaux. Cette relation ne doit pas, sous couvert d’institutionnalisation, devenir une sorte de kermesse où les séminaires et autres réunions finissent par sortir des listes impressionnantes de recommandations non budgétisées qui s’apparentent à des vœux pieux sans responsables précis pour les mettre en œuvre. Il va falloir donc s’assurer que les Africains, à tous les niveaux, puissent arriver à établir des budgets sur des projets précis et apprendre à les mettre en œuvre sans avoir recours à l’approbation de certains intervenants extérieurs, lesquels n’apportent pas toujours une valeur ajoutée pour l’Afrique.
Le problème qui ressort en filigrane revient à trouver des modalités institutionnelles et fonctionnelles, dépouillées des interférences régulières des politiques, afin d’organiser dans la transparence une démocratie participative à l’échelle des régions et du continent. Cette démocratie participative ne pourra se faire sans une organisation collective. La solidarité entre les pauvres et la globalisation de la solidarité ne peut devenir synonymes de la politique étrangère de l’Afrique, elle-même réduite à aller quémander des subsides à l’extérieur comme seule alternative à la pauvreté. Il va falloir trouver un moyen d’avoir un programme et un mandat pour que les représentants des citoyens africains de tous bords (local, national, régional, continental et international) puissent disposer des moyens de leur politique. En réalité, les dirigeants politiques et économiques africains doivent se faire à l’idée qu’ils doivent accepter d’être “jugés” sur les résultats obtenus et d’être sanctionner démocratiquement sur le principe d’un mandat électoral qui reste à parfaire.
En effet, voilà où le bât blesse ! Très peu sont-ils ces Africains qui acceptent d’être jugés sur leur résultat ou de laisser des missions d’évaluation indépendantes attester de leur éthique. Dans le cadre du mécanisme africain d’évaluation des pairs accepté librement par les certains dirigeants africains, on assiste à des surprises. Suite aux publications des résultats des experts indépendants du NEPAD en charge d’évaluer la qualité de la gouvernance politique, économique et sociale d’un gouvernement africain, le poste du Ministre en charge du NEPAD a été supprimé. Est-il si difficile de se voir dans un miroir non grossissant en Afrique ?
Très peu sont-ils qui acceptent de démissionner pour permettre à l’Afrique d’avancer. Très nombreux sont-ils à refuser de quitter la religion de l’autocensure afin de préserver leurs intérêts alimentaires. Enfin très peu sont-ils à ne pas chercher systématiquement à dénaturer l’esprit des institutions et des lois pour satisfaire d’abord des intérêts bien compris entre “membres de clubs bien discrets”. A ce titre, les arrangements institutionnels en Afrique, y compris avec des changements, sont rarement suivis d’une véritable innovation en termes de pratiques. Les individus sont choisis en fonction souvent de leur autocensure [1] à innover et la culture du statu quo basé sur un principe du partenariat superstitieux consistant à s’organiser pour être bien avec tout le monde, on ne sait jamais ce que l’avenir réserve, quitte à s’éloigner de l’éthique ou à s’aligner avec le plus puissant du moment. C’est à l’aune de cet état de fait qu’il faut se poser les questions auxquelles les Chefs d’État africains devront répondre au cours de l’année 2007 :
- Les dirigeants africains cherchent-ils à faire évoluer l’Union africaine vers un gouvernement continental africain où les pratiques du passé seront privilégiées alors que les populations seront soigneusement exclues ?
- Peut-on en 2007 proposer un gouvernement africain sans un système de vote transparent ? L’évolution des institutions africaines est-elle strictement limitée aux options offertes par les principaux contributeurs de l’Union africaine (Nigeria, Algérie, Libye, Afrique du Sud…) ?
- La notion d’élection pour désigner une équipe au sommet de l’Afrique doit-elle demeurer proscrite ? Même les dirigeants des institutions sous-régionales ne sont pas choisis sur la base d’un système de « choix libre ». Il s’agit en réalité de la sacro-sainte règle du « choix politique », surtout si la communauté internationale accepte le principe de céder sur le principe de la subsidiarité en se cachant derrière la formule bien commode : « L’Afrique aux Africains » alors que la réalité est tout autre…
Ne pas habituer les populations à choisir librement leur chef rappelle encore une certaine pratique du consensus mou entre de nombreux décideurs africains. Pourtant, il est difficile de ne pas « gâter le marché » si l’on souhaite réellement faire des progrès sur la légitimité et la qualité des représentants des populations africaines ? Il va de soi qu’une personnalité refusant la vassalité ne plaît pas toujours outre-mer. Pourtant c’est parmi celles-ci que les intérêts des populations et l’utilisation rationnelle des budgets nationaux sont le plus efficacement utilisés au service de l’ensemble de la population. Plusieurs bailleurs de fonds le savent bien et se les approprient pour gérer localement leurs fonds et projets mais se gardent bien de les promouvoir pour gérer le pays. On ne sait jamais, cela pourrait irrémédiablement se retourner contre la défense de leurs intérêts dans le pays africain.
Une certaine communauté internationale et certains décideurs africains rendent un bien mauvais service à l’Afrique en n’habituant pas les populations africaines à choisir leur chef démocratiquement, sans tricherie ou usurpation des résultats.
3. Vers un chef de l’unité africaine
Un exemple non homogène de peuples, de cultures et de langues, organisé sur la base de frontières et institutions souvent héritées de la colonisation ou calquée sur celle de l’ex-métropole, fait que l’Afrique des 53 États n’arrive pas encore à prendre conscience des enjeux collectifs pour vraiment accepter de s’organiser sérieusement en réseaux d’interdépendance économique sur certains sujets clés. C’est ainsi que les 46 chefs d’État et de Gouvernement qui se sont rendus en Chine n’ont obtenu collectivement que “la construction d’une salle de conférence pour l’Union africaine”. Pourquoi pas un hôpital continental mettant en commun les médecines traditionnelles séculaires de la Chine et de la l’Afrique ? C’est aussi cela le partenariat intelligent. Eh bien non ! Rendre service à la population africaine en priorité n’apparaît pas vraiment comme la priorité des priorités. Il vaut mieux en discuter dans une salle de conférence dont l’essentiel des matériaux et des emplois ne seront pas africains.
Le modèle post-colonial de l’État nation imposé de l’extérieur a fait distendre la notion de citoyenneté africaine et celle concomitante de la délégation démocratique et alternative du pouvoir. Sans transparence, les décisions dites politiques et centralisées finissent, avec le temps, par ne plus cacher la réalité de l’absence d’efficience dans les faits. Seul l’autoritarisme semble prévaloir avec des populations qui adhèrent à l’autocensure pour “survivre”[2]. Un tel paradigme ne peut constituer l’avenir de l’Afrique où justice sociale rimera avec développement.
Les démarches de déconstruction et de reconstruction de la citoyenneté africaine ne doivent pas faire l’impasse sur le rôle de la Diaspora africaine. Il convient donc d’éviter de poursuivre dans la tradition des mauvaises pratiques en choisissant un Président (e) autocrate de l’Afrique qui soit peu intéressé à accepter une alternance démocratique à ce poste. Il faut aussi faire preuve d’originalité en cessant de croire que seul un ex-chef d’État peut occuper la fonction d’un futur chef de l’unité africaine. Encore des critères de sélections à l’Africaine qui n’ont pas prouvé leur efficacité par le passé. Il faut un peu d’audace et d’innovation et ne pas hésiter à s’affranchir des pressions des chefs d’État lorsque les agents qu’ils ont placés sont l’auteur de corruption caractérisée…
En réalité, le rêve panafricain est né à l’extérieur et est souvent promu de l’extérieur. Lorsque les valeurs de l’unité viennent à être défendues plus par un Président du Venezuela ou du Brésil en Afrique lors du sommet de l’Union africaine à Banjul en juillet 2006, on se demande si quelque chose ne tourne pas rond. En effet, les volontés de façade de nombreux dirigeants africains ne peuvent plus résister au poids des luttes profondes d’émancipation des peuples d’Amérique latine et des Caraïbes ou d’Asie au service de leur peuple. Il est difficile d’en dire autant en Afrique. Les populations les plus pauvres et les moins influentes et paradoxalement aussi la Diaspora africaine forment l’essentiel des populations les moins bien représentées et les moins bien servis. Au plan de la production et du commerce, ceux à qui l’on crée le plus de difficultés se retrouvent paradoxalement dans le secteur privé africain. Au niveau de l’innovation, ce sont les chercheurs et autres inventeurs ou innovateurs qui font l’objet de la “chasse aux sorcières” ou des “laissés pour compte”. Ceux qui veulent par leur propre moyen transférer un bien, une technologie, une connaissance ou un savoir-faire dans leur pays d’origine se retrouvent souvent bloqués par le poids des traditions, des politiques ou de l’incompréhension de la douane africaine. Les règles sont toujours les mêmes. L’État préfère ponctionner immédiatement quitte à oublier les avantages collatéraux des effets en cascade et à long terme sur le développement du pays, des transferts d’effets de levier du développement que constituent le savoir et ses attributs technologiques et d’organisation.
Le chef d’un futur exécutif africain serait plus efficace s’il pouvait émerger de la société civile tout en disposant de plusieurs années de lutte démocratique au service des populations africaines.
4. Les priorités d’un Président de l’Afrique
Cinq défis majeurs doivent figurer sur la feuille de route d’un Président de l’Afrique :
- Ré-organiser un processus de paix à partir de projets économiques acceptés par les belligérants et promouvoir la justice sociale ;
- Mettre en place un processus démocratique et de « votation » permettant de faire émerger la voix des peuples africains sur la scène internationale comme une, indivisible et légitime ;
- Proposer une véritable politique garantissant un avenir pour les populations africaines, fondée sur une croissance économique partagée et respectueuse de l’environnement ;
- Réajuster les politiques de coopération inter-régionale pour retrouver un dynamisme nouveau entre, d’une part l’Afrique et d’autre part, les régions en développement comme l’Amérique latine ou l’Asie sans oublier les partenaires traditionnels ; et
- Réorganiser la solidarité de la communauté culturelle africaine en assurant la réalité de la citoyenneté africaine avec la délivrance d’un passeport commun y compris aux membres de la Diaspora.
Cela ne pourra pas se faire sans une révision de l’acte constitutif de l’Union africaine. En effet, il s’agira de focaliser plus sur les interdépendances africaines et répondre à une question simple que se pose tout citoyen africain : que m’apporte l’Union africaine et les institutions sous-régionales au quotidien et en termes de sécurisation de l’avenir [3]? Sans l’introduction d’innovation institutionnelle doublée de personnalités innovantes, rien ne pourra démarrer en profondeur. De plus, l’Afrique doit reconnaître ses propres erreurs (passées et présentes) et s’assurer désormais de promouvoir ses capacités productives dans le cadre d’une économie agglomérée sans laquelle la création de richesses durable n’est que leurre.
5. Créer une Fondation de l’Unité africaine pour les ex-dirigeants africains
Le rôle des anciens chefs d’État ou anciens dirigeants devrait pouvoir aussi faire l’objet d’une proposition pour éviter qu’une des rares portes de sortie pour ces personnalités demeure les institutions de l’Union africaine. En effet, pourquoi ne pas penser à une Fondation de l’Unité africaine où les ex-dirigeants africains qui ne se sont pas affranchis de l’éthique et des droits humains, pourraient alors démontrer qu’ils ont toujours « voulu » travailler au service de leur population ? Ils pourront alors être chargés d’aller identifier et transférer les technologies et savoir-faire indispensables pour la mise à niveau du système productif africain à des fins de création d’emplois décents. Ils mériteront ainsi la confiance des Africains par leurs actes de bravoures tardifs.
Cela permettra éventuellement de trouver des vrais « avocats » africains pour assurer une stabilité énergétique en Afrique et veiller à construire les bases et fondements d’une économie pérenne en privilégiant des domaines comme l’accès à l’eau, l’énergie renouvelable, la biotechnologie, les technologies de la communication, les techniques de réduction de la pénibilité du travail, etc. Cela n’empêchera d’ailleurs pas de réfléchir sur la flexibilité du temps du travail et la refonte d’un système éducatif qui forme encore trop de chômeurs et des rétifs à l’esprit d’entreprise. Il va de soi que l’objectif est de promouvoir l’égalité des chances tout en suggérant des idées sur une organisation africaine de la protection et de la sécurité sociale. En effet, le blocage de l’Afrique s’opère de plus en plus souvent par le fait que les détenteurs du pouvoir ne souhaitent plus céder et faire jouer leur droit à la retraite… Du coup, la relève n’est pas préparée et semble parfois être considérée comme une “imposture” alors que c’est justement lors de ces transitions de générations que l’Afrique “avance” de manière structurée et unie.
Un futur Président de l’Afrique ne peut faire l’économie d’oublier le positionnement médiatique des Africains. Il se doit d’offrir une autre image positive, non falsifiée, de l’Afrique. Là, il est question de revoir toute la stratégie d’accès au système de télécommunication, de satellite, de diffusion, de production et de circulation libre de l’information, avec en filigrane la liberté des médias et la libre promotion des cultures africaines. C’est vers une véritable diffusion et construction de l’image de l’Africain d’aujourd’hui et de demain à laquelle il va falloir s’atteler.
6. Vers un gouvernement de l’interdépendance africaine
Les chefs d’État africains ne sont pas très unis sur la question du transfert de certaines compétences nationales vers un gouvernement continental. Beaucoup pensent plus à promouvoir une union lâche de groupes d’États au niveau régional… Bref, c’est tout le débat sur le fédéralisme et la confédération à l’Africaine. Au niveau du modèle, l’Union européenne reste un exemple et les expériences africaines (Tanzanie, Nigeria, Afrique du sud…) restent bien limitées pour servir de modèle au plan continental. Néanmoins, les vieux principes d’allégeance à celui qui est plus âgé ne doivent pas se faire aux dépens de l’immobilisme ou des choix rétrogrades.
Trop nombreuses sont les préoccupations de préséances et d’allégeances diverses entre les décideurs à tel point que nul ne semble vraiment intéressé, ni redevable devant un citoyen africain pour avoir refusé de transférer un pouvoir au niveau continental. Il n’y a rien qui s’oppose à ce que les citoyens africains soient convoqués sur la base d’un référendum libre et sécurisé pour fixer les contours d’une délégation de pouvoir qui sans eux risque de ne pas voir le jour rapidement. D’autres parties du monde sont en train de réfléchir à l’expérience d’organisation continentale.
7. Les États-Unis d’Amérique latine : une vraie volonté politique ?
Les pays d’Amérique latine sont de plus en plus déterminés à promouvoir une sorte d’États-Unis d’Amérique du sud comme le confirme la “Déclaration constitutive” datée du 8 décembre 2005 et qui a pour objet de fusionner la notion de nation-État[4] pour celle de région en prenant comme repère un volonté de fluidifier le commerce continental par le biais d’union douanière[5] effective. Les égoïsmes et protectionnismes de type nationaliste n’ont pas permis à ce jour de d’avancer rapidement. Pourtant, figurent au programme les dossiers comme justice sociale et développement pour tous, politiques communes énergétiques et organisation militaire sud-américaine intégrée doublée d’une force armée commune. A l’instar de l’Union africaine, cette communauté économique d’Amérique latine ne se conçoit pas sans un parlement commun, une monnaie commune, une citoyenneté sud-américaine et un passeport commun… Il n’y a pas de trop grande différence avec les objectifs africains. Sur le plan commercial, il s’agit en filigrane de trouver une alternative crédible et intermédiaire au projet plus large de libre-échange total sur l’ensemble de l’espace américain prôné par les États-Unis alors que la notion Eurafrique commerciale se limite pour le moment aux accords de partenariats économiques et quelques accords avec l’Afrique du nord. Pourtant, le volontarisme politique y est bien plus soutenu qu’en Afrique.
S l’on n’y prête pas attention et malgré le départ un peu tardif dans le processus de mise en place d’une unité continentale effective, les États-Unis d’Amérique latine risquent de voir le jour avant les États-Unis d’Afrique quel que soit le nom que cette espace régionale portera in fine. Le chemin de l’unité politique [6] se met en place avec des budgets assez consistant alors qu’en Afrique cette volonté politique et les allocations budgétaires restent malgré tout très parcellaires et peu programmables, selon l’humeur des dirigeants ou des découvertes pétrolières… L’Union européenne reste malgré tout le modèle au plan institutionnel.
Il n’est pas impossible qu’avec la volonté politique nouvelle et la volonté d’entraide économique et financière, le rêve de Simon Bolivar de créer les États-Unis d’Amérique latine lors du Congrès panaméricain de Panama en 1826-1827 ne prenne forme. Cela passe par une rationalisation des institutions régionales existantes et une forme de solidarité audacieuse, pas toujours désintéressée idéologiquement. Il n’empêche que les motivations tournent autour de la recherche de synergies en terme d’interdépendance qu’en terme d’unité. L’Afrique devrait en prendre note. Il n’empêche qu’il est plus facile de s’entendre à 12 qu’à 53 États. La stratégie est donc claire pour l’UA : les espaces sous-régionales africaines devront nécessairement servir de transition. Ce sont la capacité et la volonté effective d’organisation des interdépendances entre ces espaces régionaux qui détermineront rapidement ou pas un réel avènement de l’Unité africaine. La réalité reste tributaire des apports financiers et des délégations réelles de pouvoir. Le peuple souverain pourrait guider les dirigeants africains si des questions, engageant l’avenir commun, sont soumis au référendum au moins au niveau des parlements africains en attendant que cela se fasse directement avec les populations. En élargissant les perspectives, la vision futuriste doit rester présente à l’esprit.
8. Eurafrique : fiction ou future réalité ?
Si l’Union européenne sert de modèle tant pour l’Afrique que l’Amérique du sud, si le mimétisme institutionnel se poursuit, si les Accords de partenariat économique remodelé avec un système productif qui permet à l’Afrique de mieux préparer sa capacité à assurer une compétition « équitable », alors la notion bien lointaine d’un espace Eurafrique n’est pas une hypothèse d’école. Il est possible alors de s’interroger par exemple sur comment les problèmes des migrations seront traitées ? N’est-ce pas l’Afrique qui risque alors de voir un nombre impressionnant d’Européens migrer vers l’Afrique où se concentreront à terme l’essentiel de l’emploi car les ateliers mondiaux de production de masse sont actuellement l’apanage de l’Asie, mais d’ici 30-40 ans, l’Afrique offrira un cadre plus propice en termes d’environnement des affaires et les délocalisations risquent de se compter par milliers. Les stratégies chinoises en tiennent compte pour assurer des contrats de long terme en terme d’approvisionnement en matière première en provenance du continent africain.
Pour que les Accords de partenariat économique (APE) de l’Union européenne ait des chances de trouver un consensus avec l’ensemble des groupes régionaux africains, il va falloir absolument revoir l’approche basée exclusivement sur les échanges commerciaux, par définition inégale pour organiser une montée en phase progressive d’un système productif et de distribution efficient à partir de l’Afrique et avec des Africains. Un système où l’essentiel des besoins des Africains sera couvert par les excédents des produits de l’Union européenne pose problème. Le NON de certaines institutions sous-régionales indépendantes en Afrique de l’est et australe à la mouture actuelle l’APE témoigne des appréhensions africaines. Il n’est plus question pour l’Afrique, même au niveau de régions, de servir comme économie tampon à des fins d’ajustements de la production excédentaire des pays du nord ou d’ailleurs.
En filigrane, on s’aperçoit qu’il y a manifestement un réel refus de transfert de connaissance, de technologie et de savoir-faire voire même d’organisation de la stabilité politique, base de tout développement. Si ce défi n’est pas relevé, il n’est pas impossible que l’essentiel des capacités productives africaines soient laminées en peu de temps. Les conséquences fâcheuses sur l’emploi et la réduction de la pauvreté et la prolifération de zones de non-droit [7] et d’insécurité en Afrique peuvent se révéler importantes. Sans cette coordination continentale des intérêts supérieurs de l’Afrique, il n’est pas impossible que qu’une grande partie du continent se mue en une grande zone de non-droit où les approches parcellaires finiront par neutraliser les initiatives éthiques pour un développement soutenable.
9. Un gouvernement continental : assurer un siège au conseil de sécurité ?
Justement, la grande majorité des dossiers qui vont au conseil de sécurité concerne directement l’Afrique, mais cette dernière ne figure pas au conseil de sécurité. De nombreuses propositions ont été faites pour réformer les Nations Unies mais aucune n’a vraiment offert à l’Afrique un siège avec un pouvoir de veto au conseil de sécurité. La proposition la plus crédible mais qui n’a pas été retenue semblait pencher pour 2 sièges permanents sans droit de veto pour l’Afrique et éventuellement un troisième non permanent bien que la proposition africaine ait suggéré 2 sièges permanents avec droit de veto et 5 membres non-permanents [8]. Les cinq membres permanents du conseil de sécurité à savoir la Chine, les États-Unis, la France, la Grande Bretagne et la Russie n’en n’ont pas voulu. Comment accepter qu’il y ait un conseil de sécurité avec des membres en “première classe” et d’autres en “classe économique”.
A l’intérieur de l’Afrique, il est plus question d’aller vers une représentation de chacune des grands espaces régionaux. Cela explique pourquoi le chiffre de 5 représentants a souvent été évoqué même si dans la pratique c’est plutôt 3 qui semble retenir l’attention avec des candidats comme l’Egypte, le Nigeria et l’Afrique du sud et le Sénégal n’a pas dit son dernier mot. Au-delà des querelles, il est peut-être temps d’innover en ne réfléchissant plus sur une base nationale mais plutôt sur une base régionale avec des passerelles pour faire représenter en tant qu’observateur, des représentants de la société civile.
Toutes les approches qui ont échouées se sont limitées à ne réfléchir que sur le droit ou pas de posséder le veto et le nombre de siège pour représenter l’Afrique des États-Nations. Pourquoi ne pas réfléchir sur la base de “Région-Nation” ? Ne faut-il pas simplement revoir le principe même d’avoir une seule chambre dans le conseil de sécurité ? Ne faudrait-il pas en fait avoir deux “chambre” avec une hiérarchisation des dossiers et des possibilités de décisions en dernier ressort. Là encore, à force de rechercher les solutions alternatives dans un cercle fermé d’experts et de diplomates attachés à préserver le statu quo des formes institutionnelles, il est souvent difficile que des approches innovatrices soient formulées. En optant pour un nouveau type de conseil de sécurité qui aurait deux « chambres », une période de transition d’environ 8 ans pourrait s’ouvrir et verrait alors la notion de veto intrinsèquement lié à la notion d’État-nation tomber d’elle-même en désuétude du fait même d’un fonctionnement élargie de la première chambre du conseil de sécurité qui serait basée sur une représentions régionale des populations. La première chambre fonctionnerait sans droit de veto pour tous et forcera à organiser les interdépendances par des alliances. Cette chambre composée exclusivement de non-permanents sera élargie sur une base des représentations régionales dans le monde. La seconde chambre fonctionnerait plus pour assurer des décisions en dernier ressort avec droit de veto sur les questions non résolues par la première chambre.
L’avantage d’une telle approche est d’éviter d’organiser un gouvernement de l’Afrique puis de se doter dans la précipitation d’un Président de l’Unité africaine uniquement pour assurer un siège au conseil de sécurité en espérant ainsi obtenir le droit de veto. Il convient d’inventer un modèle de partenariat fondé sur l’interdépendance au niveau du conseil de sécurité des Nations Unies. La mise en œuvre effective d’une telle proposition ne devrait que gêner marginalement les grandes puissances disposant du droit de veto. Cela permettra à l’Afrique ainsi qu’à toutes les régions en développement de défendre de plus en plus chèrement leurs intérêts, leurs droits et pousser à honorer leurs obligations envers la communauté internationale. En termes de méthodologie, l’Afrique apportera, entre autres, sa culture de résolution des conflits et d’harmonisation des différends basée sur le besoin de la continuité de la cohésion sociale et des rapports de bon voisinage. Il va se soi qu’un futur président de l’Afrique sera d’autan plus légitime et respecté au plan local et global qu’il ou elle bénéficiera du vote positif de ses concitoyens africains.
Par Dr. Yves Ekoué Amaïzo
Economiste à l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI).
Il s’exprime ici au titre de Directeur du groupe de réflexion, d’action et d’influence « Afrology »
Notes :
1. Yves Ekoué Amaïzo (sous la direction de), La neutralité coupable. L’autocensure, un frein aux alternatives ?, éditions Menaibuc, collection « interdépendance africaine », à paraître en 2007.
2. Ibid
3. Yves Ekoué Amaïzo, De la dépendance à l’interdépendance. Mondialisation et marginalisation. Une chance pour l’Afrique, collection « interdépendance africaine », éditions l’Harmattan, Paris, 1998.
4. Et non pas État-nation importée de la colonisation…
5. Ronan Blaise, « Vers les États-Unis d’Amérique du sud ? », voir www.taurillon.org, 8 décembre 2006
6. Yves Ekoué Amaïzo (sous la coordination de), L’Afrique est-elle incapable de s’unir ? Lever l’intangibilité des frontières et opter pour un passeport commun, avec une préface de Joseph Ki-Zerbo », collection « interdépendance africaine », éditions l’Harmattan, Paris, 2002.
7. Bolya, Afrique, le maillon faible, éditions Le Serpent à Plumes, Paris, 2002.
8. Union africaine, « le consensus d’Elzulwini: la position commune africaine sur la réforme des Nations Unies », conseil exécutif, 7e session extraordinaire, 7-8 mars 2005, p. 12.