Suite à l’une des rares actions collectives des chefs d’Etat africains consistant à lever l’embargo occidental qui pesait sur le Chef d’Etat Libyen, Mouammar Kadhafi, ce dernier a repris les objectifs des pères fondateurs de l’unité africaine, et a relancé en septembre 1999 en Libye (Syrte), la création des Etats-Unis d’Afrique. Les chefs d’Etat africains ont préféré édulcorer les objectifs en créant une version moins ambitieuse : l’Union africaine.
Les fondements de la création de l’Union africaine reposaient alors plus sur une approche “donnant-donnant” que sur la volonté de “solutionner” de manière constructive les problèmes communs des populations africaines. Lorsque les chefs d’Etats africains ont finalement adopté en juillet 2000 à Lomé, Togo l’acte constitutif d’une Union africaine puis créé formellement l’UA en décembre 2002 à Durban, Afrique du Sud avec le NEPAD (Nouveau partenariat économique pour le Développement de l’Afrique) comme programme économique, plus d’un Africain ont cru qu’une nouvelle ère s’ouvrait pour l’Afrique.
Aujourd’hui le bilan est plutôt mitigé avec une responsabilité sans faute pour la Commission de l’UA et une responsabilité lourde pour les chefs d’Etat africains. Il ne faut pas s’étonner que face à cet éternel recommencement et d’espoir déçu du côté des populations, le sommet d’Accra soit quasi-exclusivement consacré à faire avancer l’unité africaine en traitant un peu plus sérieusement des Etats-Unis d’Afrique. La solution passe pourtant par une période transitoire et un constat sans complaisance sur le positionnement réaliste de la crédibilité des chefs d’Etat africains dans le monde.
1. La perpétuation de l’auto-neutralisation de l’UA
Les dirigeants africains ont en fait tronqué le O de OUA [1] pour lancer, avec fanfare, une institution dite UA avec des contradictions internes et des divergences fondamentales sur leur stratégie et leur conception de l’Unité africaine. Entre d’une part, la volonté de faire disparaître l’intangibilité des frontières et faire fi des nationalismes étroits, créateurs de pauvreté, d’injustice et d’impunité et d’autre part, le besoin de se contenter du statu quo ou s’aligner sur les positions des pays occidentaux téléguidant l’avenir de l’Afrique vers une pauvreté soutenable, des démocraties usurpées pour que le continent uni ne vienne pas gêner ou ralentir leur propre développement, l’UA s’est graduellement auto-neutralisée en refusant d’asseoir un leadership fonctionnel.
Ainsi, le vrai pouvoir n’a pas changé et appartient aux Chefs d’Etat ou à leurs représentants, ces derniers n’osant pas souvent faire de vagues pour conserver leurs postes ou plaire à ceux qui détiennent les cordons de la bourse ou le pouvoir de coercition légale. Les dirigeants africains usent, parfois abusent, du pouvoir financier et militaire ou l’utilisent comme une véritable capacité de nuisance et de neutralisation des initiatives africaines ne correspondant pas au formatage occidental du consensus de Washington ou au traditionalisme obsolète africain. Certains responsables vont jusqu’à faire du zèle en se donnant comme mission non sollicitée par les pays riches de « neutraliser » les Africains partout où ils peuvent prendre des décisions à partir du moment où ils ou elles travaillent pour l’amélioration du bien-être des populations africaines.
Le financement régulier, prévisible et programmable de l’Union africaine demeure le nœud du problème. Sans volonté réelle d’honorer le plan stratégique du Président de la Commission de l’Union africaine estimé autour de 650 millions de $ des Etats-Unis ($ US), soit 130 millions $ US par sous-région), les chefs d’Etat africains ont en fait simplement changé les terminologies de l’OUA, se sont alignés sur les structures de l’Union européenne sans affecter ni le budget, ni les transferts de pouvoir nécessaires au bon fonctionnement de l’UA. Ils ont surtout coupé net les ambitions légitimes d’Alpha Omar Konaré, un de leurs pairs qu’ils s’évertuent à limiter dans un rôle de Porte-parole chaque fois qu’ils en ont la possibilité. C’est méconnaitre et l’esprit et le contenu des textes de l’UA qui donnaient en fait un pouvoir d’initiative et une plus large autonomie au Président de la Commission. Dans la pratique, il suffit qu’un dirigeant important « oublie » d’envoyer les fonds pour financer le déplacement d’une délégation de l’Union africaine pour se rendre compte du niveau de dépendance et d’ingérence possible des Chefs d’Etat dans le fonctionnement de la Commission de l’UA. L’informalisation de l’autoneutralisation de l’UE est alors difficile à déceler.
2. Démocratie, éthique et budget de fonctionnement : une priorité seconde
Un exemple politique illustre le faux-semblant des politiciens africains. Lors de la crise d’alternance politique et de déficit démocratique au Togo (premier semestre 2005), les chefs d’Etat africains se sont comportés comme au temps de l’OUA, et ont désavoué le Président de la Commission de l’Union africaine qui préconisait en toute légalité l’intercession d’une tierce personne neutre pour proposer des solutions de sortie de crise. Les chefs d’Etat ont voulu témoigner de leurs muscles et rappeler que la Commission de l’UA ne devait être qu’un simple secrétariat, son Président un simple porte-parole… comme au temps de l’OUA.
Dans ces conditions, il est donc clair que l’avenir de l’UA au service de la société civile africaine [2] et de la Diaspora a du plomb dans l’aile. Ces derniers ne sont souvent intégrés dans les activités de l’UA, comme au demeurant des Etats africains, que de manière marginale afin de servir d’alibi et de faire valoir. Avec un budget de fonctionnement régulier autour de 50 millions de $ des Etats-Unis, l’UA n’est pas fondamentalement différente de l’OUA sauf que des pays du Nord ont vite compris l’importance de s’ingérer dans son mode de fonctionnement fragile pour mieux la neutraliser, y compris par l’intermédiaire de certains chefs d’Etat africains. Aussi, à côté du fonds général (contribution des Etats, recettes diverses dont des dons), il y a des fonds spécifiques, souvent des contributions volontaires qui sont mis à disposition pour améliorer ici et là le fonctionnement de l’institution ou justifier des opérations dites en partenariat. Ces “aides” ne peuvent être utilisées en priorité pour résoudre le problème des Africains mais pour mieux permettre à certains comme l’Union européenne d’avoir au moins une contrepartie en termes de structure opérationnelle. Il faudra unifier ces deux fonds pour éviter de voir l’UA être influencée de l’extérieur. L’aide occidentale dans la structuration de l’UA ou des Etats-Unis d’Afrique n’est pas neutre.
3. Une Gouvernance commune de l’UA
Avec le silence quasi-religieux des chefs d’Etat africains présents au G8 de Heiligendamm en Allemagne en juin 2007 et le renouvellement des promesses déjà faites des pays riches aux dirigeants africains, sans date butoir ni contraintes, il faut se demander si la présence de l’UA est nécessaire puisque l’essentiel des discussions étaient bilatérales dans un cadre faussement multilatéral. Le pouvoir de négociation de l’UA ne pourra évoluer que si les fonctions de la Commission de l’Union africaine sont fondues dans celles de la Conférence des Chefs d’Etats. Evolution ou Révolution ? Non, simple bon sens sinon il vaut mieux laisser tomber l’hypocrisie et considérer que les Chefs d’Etat africains ne s’intéressent qu’au rôle “honorifique” et “médiatique” que confère le titre de Président en exercice et réduisant celui de la Commission de l’UA à un simple porte-parole qui doit se faire “hara-kiri” pour répéter parfois des positions conceptuellement erronées et allant à l’encontre des intérêts des populations africaines..
Avec les problèmes financiers grandissants et sans le dire tout haut, les Chefs d’Etat ont tendance à écouter de plus en plus celui ou celle d’entre eux qui peut “assurer” financièrement les besoins chroniques de financement de l’UA, au point où la démocratie, les droits de l’homme et l’impunité n’ont plus d’importance. Ainsi, il n’y a plus lieu de poser la question s’il faut ou pas un Gouvernement de l’Union africaine avec un Président. C’est une évidence ! On se demande pourquoi cela n’est pas intervenu plus tôt malgré les nombreux amendements au traité constitutionnel de l’UA déposés par plusieurs pays dont principalement la Libye. Il s’agit plutôt de savoir si l’UA servira encore à quelque chose dans le futur si le consensus n’est pas atteint pour la création d’un gouvernement continental lors du sommet de l’UA qui démarre le 25 juin à Accra, Ghana.
Avec les nombreuses erreurs d’arbitrage des politiciens africains, ces derniers devraient faire preuve d’un “mea culpa” officiel devant la société civile africaine. La meilleure preuve pour cela et qui permettrait vraiment de croire à un vrai changement de mentalité et de culture en Afrique serait que le Président du futur Gouvernement africain soit originaire de la société civile africaine y compris de la Diaspora. Les peuples ne veulent plus de ces politiciens qui ne comprennent rien souvent au problème quotidien des peuples car vivant dans un monde aseptisé, climatisé avec des passe-droits pour leurs ayant-droits qui ignorent souvent allègrement les populations. Cette indifférence tend à s’agrandir dans le contexte de la mondialisation accélérée. Mais qui peut convaincre les chefs d’Etat africains si ces derniers ne s’inscrivent pas dans une logique de responsabilité sociale et organisation de la cohésion sociale par le respect de l’Etat de droit ?
4. Afrique : vers un partenariat intelligent entre dirigeants et population
En conséquence, les slogans d’intégration régionale, d’unité africaine, d’Etats-Unis d’Afrique doivent être laissés aux vestiaires au cours d’une période transitoire car ils recèlent ou révèlent des guerres intestines de leadership entre chefs d’Etats. Il faut au contraire aller vers un Partenariat Intelligent entre les dirigeants africains et leur population respective, entre les représentants régulièrement élus et le monde extérieur, entre le monde de l’entreprise et celui des acteurs qui veulent réaliser des choses en Afrique de manière professionnelle et éthique pour l’Afrique et non pas avec ceux qui veulent prendre les richesses d’Afrique pour les faire fructifier à l’extérieur du continent.
Bref, comment ramener l’UA à favoriser l’esprit de liberté et d’indépendance des ancêtres, l’esprit de création de valeurs ajoutées en Afrique au service de la population ? Comment forger une culture prônant le développement des innovations dans les capacités productives au lieu de la valorisation de l’usurpation patrimoniale ? Comment enfin créer des emplois et valoriser l’esprit d’entreprise inscrite dans la culture africaine ? Comment respecter le droit des électeurs africains en allant vers une démocratie participative et directe sans usurpation avalisée par les puissances occidentales ?
Sans les repères communs fondés sur une création de richesses qui précède l’esprit de solidarité, sans un Président indépendant et un futur Gouvernement africain émanant principalement de la société civile, l’avenir de l’Union africaine restera compromis. En effet, malheureusement, et c’est triste à écrire, les politiciens africains résolvent d’abord leur problème urgent avant de résoudre celui de leurs populations, quant ils s’en soucient.
L’Union africaine ne peut plus servir de faire valoir où l’initiative effective des responsables est autocensurée au point de scléroser la structure de l’UA. Après avoir tronqué le O et sans avoir pu mettre en exergue le U de l’OUA, on peut se demander si les politiciens africains n’utilisent pas l’Afrique et la pauvreté, comme au demeurant les nombreux apprentis-sorciers du développement venant du Nord, comme un fond de commerce qu’il convient de transformer en rente de situation. La vigilance de ceux qui croient encore au réveil, peut-être brutal, d’une population jeune et laissée pour compte dans l’indifférence générale, doit maintenant se concrétiser si les Chefs d’Etat d’une autre époque acceptent de laisser une nouvelle génération de dirigeants africains accéder au pouvoir. Oui, le problème de l’UA, c’est aussi un problème de conflit de génération. Il y a des chefs d’Etats qui résonnent comme dans les années 1960 alors que nous sommes en 2007 avec des visions sur 2015.
5. Unité, sécurité et paix au Soudan ?
Lorsque l’UA a demandé avec insistance d’équiper et de former des troupes militaires africaines, les pays du Nord ont clairement refusé, mais la presse occidentale s’est lancée dans une désinformation qui rappelle celle pratiquée dans les pays soviétiques. Avec la ténacité de la diplomatie du nouveau secrétaire général de l’ONU, Mr. Ban Ki Moon, du Représentant spécial congolais de l’UA et ONU au Soudan, Mr. Rodolphe Adada, et face à une forme d’indifférence généralisée sous couvert d’un brouhaha médiatique qui finit par faire oublier le triste sort des populations déplacées, massacrées et laissées pour compte, une forme hybride de troupes africaines et internationales est en train de se mettre en place au Darfour. Encore faut-il se pencher sur la mission dite de paix qui leur seront confiée… et ne pas transformer les pressions conjointes sur les autorités soudanaises en simple unilatéralisme occidental.
Sur ce plan, il faut reconnaître que le travail de la Commission de l’UA est une réussite et a permis à l’Occident de comprendre que les armées africaines ne peuvent pas être dirigées par un non-Africain et qu’aider signifie aussi équiper et former des troupes africaines au service de la paix en Afrique. Les médias non-neutres occidentaux devraient arrêter de se moquer de l’état de pauvreté et de dénuement des militaires de la paix africaine. Car, c’est un travail exemplaire que font les militaires africains qui se sont dédiés à la paix en Afrique et tentent de jouer leur rôle au Soudan. Il faut absolument empêcher que la post-colonie politicienne vienne encore retarder l’appui nécessaire à l’UA pour que des troupes hybrides puissent enfin arrêter les massacres au Soudan. Là encore, ce sont des politiciens qui refusent de faire du partenariat intelligent avec les populations en refusant de les écouter au motif qu’elles n’ont pas de « pouvoir de coercition » et qu’elles sont pauvres. Pauvres politiciens…
Le respect de la souveraineté du Soudan, l’apport du nouvel allié discret que constitue la Chine ont conduit l’UA, au cas par cas, à faire valoir les positions africaines, qui dans l’ensemble manquent singulièrement d’unité [3]. Kwame N’Krumah, Ex-Président du Ghana ou Haïlé Selassié, Ex-Roi d’Ethiopie, expliquaient en 1963 que “l’Afrique devait parler d’une seule voix” pour s’imposer sur la scène internationale. Aujourd’hui que ce soit sur les propositions sur la vision africaine du Conseil de Sécurité, sur les Accords de Partenariat Economiques de l’Union européenne, sur la bonne gouvernance économique ou politique, sur les problèmes environnementaux et de changement climatiques, sur la part budgétaire devant être consacrée à la santé ou à l’éducation, sur les problèmes liant les migrations et le co-développement (liste non exhaustive), l’Union africaine, telle qu’elle fonctionne aujourd’hui avec une commission qui “propose” et des chefs d’Etat qui “disposent”, est une institution qui semble servir principalement les intérêts des gouvernements tout en donnant l’impression qu’elle peut faire quelque chose pour les populations africaines.
La réalité est que ce manque d’unité profonde crée l’irresponsabilité collective. En effet, qui est responsable pour les morts au Soudan, surtout ceux qui sont morts du fait de discussions interminables parce que le pays occidentaux impliquées ne souhaitaient pas former les militaires africains et avaient des intérêts bilatéraux à préserver, intérêts bien plus importants que le sort des populations soudanaise ou des régions frontalières ?
6. Vers un nouveau paradigme : stopper le « diviser pour régner » ou opter pour l’indifférence ?
Bien sûr, en filigrane, ce sont des luttes d’indépendance économique de l’Afrique qui se font sur le dos des populations africaines, comme au demeurant en Côte d’Ivoire. Un gouvernement commun de l’Union africaine devrait pouvoir permettre de réduire ces responsabilités collatérales, éviter les vies brisées et les morts anonymes partout sur le sol africain si les intérêts nationaux sont fondues dans ceux collectifs. Ainsi, pour atteindre l’objectif des Etats-Unis d’Afrique, les chefs d’Etat, mais l’ensemble des populations africaines devraient s’approprier le concept d’interdépendance africaine [4].
C’est ce changement culturel qui peut faire revenir en Afrique les avantages d’un vieux concept pratiqué avec succès au nord que constitue « l’union fait la force ». « Diviser pour régner » sur l’Afrique qui constitue l’alternative la plus prisée par les puissances agressives ne peut faire l’objet de négociation. Culturellement, certains dirigeants africains devront arrêter de croire qu’individuellement, ils seront, de manière pérenne, des « roitelets » dans un espace étranger prônant le « diviser pour régner ». Il vaut mieux rejoindre le train de l’interdépendance africaine qui constitue le paradigme de l’organisation de l’unité des nations et des populations africaines.
En réalité, ce qu’il convient d’améliorer c’est la volonté réelle et effective des chefs d’Etat sérieux d’aller vers des convergences chiffrées de leur objectif dans les sous-régions. Cela dépend souvent de la volonté du chef de file économique et politique de la sous-région. Ainsi, face aux thèses du fédéralisme ou du confédéralisme, la commission de l’UA autocensurée par les chefs d’Etat se contente de récuser une Union africaine des Etats que certains appelaient « syndicat des chefs d’Etat » sous l’OUA pour aller discrètement vers un outil de simple coopération entre les Etats.
On ne peut donc pas parler d’Union africaine si l’on évacue complètement la notion d’intégration effective au niveau des populations, même si elle doit commencer et se concrétiser au niveau sous-régional et régional. Malheureusement, pour les populations africaines, passer une frontière africaine et rouler sur les routes d’interconnexions africaines relève du parcours du bizutage… Entre les coupeurs de route et les douaniers corrompus et ignorant les textes signés par leurs Etats décrétant la libre circulation des biens et des personnes, le citoyen et la citoyenne africaine ont fini par se lasser. On est « fatigué » de la CEDEAO ou de l’UA entend-on trop souvent ici et là. L’écart entre les visions et déclarations des chefs d’Etat sous l’OUA et l’UA et la réalité du quotidien des populations reste important.
Avec la médiatisation contrôlée, il est parfois difficile de rappeler un chef d’Etat à l’ordre. Lors d’une de ses tournées au nord de son pays, même le Président béninois et son convoi se sont retrouvés face à des coupeurs de route, eux-mêmes les premiers surpris… Bref, c’est tout le problème de la sécurité des personnes et des biens qui est posée et ne peut plus se traiter uniquement au niveau national mais sous-régional. La sécurité en Afrique se fait de manière asymétrique, soit parce que l’on appartient à un réseau lié au pouvoir en place, soit que l’on s’est « blindé » quelque part dans les méandres des cultes africains… Rien de démocratique donc ! Si l’on ne « connaît personne et si l’on est sans argent et sans protection divine », alors on subit la loi du plus fort. Combien de temps cela doit-il durer encore ? Dans tous les cas de figures, un dossier comme la libre-circulation des biens et des personnes ne peut continuer simplement à dépendre de la bonne volonté des agents officiels ou informels d’un Etat africain non républicain sans que les populations ne puissent se plaindre au niveau d’une instance sous-régionale ou continentale. C’est toute la discussion sur la création de cour de justice supranationale indépendante qui est lancée, qui à terme devrait permettre même de juger la dette odieuse comme des chefs d’Etats corrompus ou convaincus de crimes contre leurs populations [5].
7. Vers une Charte de l’interdépendance africaine
La résistance des politiciens africains dépassés par la mondialisation ne doit pas faire écran. Un gouvernement d’union africaine avec un Président africain apparaît comme non contradictoire à la vision des Etats-Unis d’Afrique. Sept actions prioritaires sont pourtant nécessaires pour soutenir une refondation de l’Union africaine qui passe par une prise de conscience du rôle de l’Afrique et des arbitrages décisionnels des dirigeants africains dans un espace de concurrence mondialisé. Dans cette phase de transition qui s’ouvre, c’est d’interdépendance africaine dont ont besoin les populations. Il conviendra :
1. d’adopter un nouveau paradigme et une phase de transition intitulée : interdépendance africaine (10-15 ans) avec une acceptation officielle par les Chefs d’Etat d’un rôle accru de la société civile africaine et la Diaspora dans les décisions et les arbitrages, ceci en respectant la parité homme-femme; une Charte de l’interdépendance africaine devra être rédigée et adoptée par référendum continental par tous les Africains y compris ceux de la Diaspora et servira de feuille de route opérationnelle vers la création des Etats d’Unis d’Afrique ou son équivalent ;
2. de choisir au moins trois secteurs/dossiers par catégories (politique, économique, culture, santé, infrastructure, éducation, social, agriculture, droits humains, information, médiation, sécurité, migration) où les compétences seront transférées à plus de 70 % vers les structures opérationnelles supranationales (sous-régions et continental) avec le budget (ou une source de financement pérenne) ;
3. de constituer un Gouvernement de l’Interdépendance africaine avec un Président ou Présidente issue de la société civile africaine ou de la Diaspora indépendante ;
4. de décentraliser le NEPAD et le NEPAD Business Group au niveau sous-régional et national pour soutenir le développement des capacités productives africaines avec une priorité pour la coopération Sud-Sud à des fins de création d’emplois décents et locaux ;
5. d’informatiser et mettre en réseau électronique le mode de fonctionnement des principaux organes africains de souveraineté (parlement africain, institutions financières, cour de justice, etc.) ;
6. de créer une monnaie africaine de compensation (monnaie de compte) transitoire basée sur un panier de monnaie avec une priorité pour les monnaies des pays avec lesquels l’Afrique entretient un commerce intelligent tout en poursuivant les convergences monétaires ;
7. de mettre en réseau en Afrique des organisations de défense des droits humains, de l’information, de justice, etc. puis les transformer en une Union des Peuples africains avec des objectifs d’élargissement conduisant vers une Union des Peuples panafricains.
17 juin 2007
Par Yves Ekoué Amaïzo
Directeur du Think Tank du groupe de réflexion, d’action et d’influence « Afrology »
Economiste à l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI).
Il s’exprime ici à titre personnel.
Notes :
1. Yves Ekoué Amaïzo, « De l’OUA à l’Union africaine », in Revue Afrique Contemporaine, la Documentation française, trimestriel n. 197, janv.-mars 2001, pp. 97-107.
2. Yves Ekoué Amaïzo, « La société civile africaine : les chemins de la démocratie participative, in Revue Agir, Revue générale de Stratégie, « Sociétés et pouvoirs », n. 30, mars 2007, pp. 85-98.
3. Yves Ekoué Amaïzo (sous la coordination), L’Afrique est-elle incapable de s’unir ? Lever l’intangibilité des frontières et opter pour un passeport commun, préface de Prof. Joseph Ki-Zerbo, collection « interdépendance africaine », éditions l’Harmattan, Paris, 2002.
4. Yves Ekoué Amaïzo, De la dépendance à l’interdépendance : une chance pour l’Afrique, collection « interdépendance africaine », éditions l’Harmattan, Paris, 1998.
5. Yves Ekoué Amaïzo (sous la direction de), L’Union africaine freine-t-elle l’unité des Africains ? Retrouver la confiance entre les dirigeants et le peuple-citoyen, préface d’Aminata Traoré, collection « interdépendance africaine », éditions Menaibuc, Paris, 2005.