Directeur du groupe de réflexion, d’action et d’influence “Afrology”
Les accords de partenariat économiques (APE) entre les 27 pays de l’Union européenne (UE) et les 79 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) ne passent pas auprès d’une grande majorité des pays africains. Depuis le 1er janvier 2008, la dérogation de l’UE auprès de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) qui exonère les pays ACP de droits de douanes sur le territoire européen est virtuellement terminée.
35 pays ACP ont déjà accepté les APE dans l’état. Les institutions sous-régionales (CEDEAO, SADC) ont dit « non » malgré les signatures bilatérales en aparté de certains pays africains.
D’après le rapport sur le commerce 2008 de l’OMC, le commerce et la mondialisation n’ont ni assuré une plus grande prospérité, ni une plus grande stabilité dans les pays ACP, tous faiblement industrialisés. L’ouverture commerciale intégrale préconisée actuellement par l’OMC et les APE va faire perdre des recettes aux Etats africains.
L’ouverture inconditionnelle des marchés des pays ACP aux produits industriels et services de l’UE, une des exigences des pays riches à l’OMC, ne relève certainement pas de la solidarité mais bien de l’appropriation dolosive des marchés des pays ACP compte tenu du différentiel de développement industriel entre les Etats. Aussi, davantage de libéralisation du commerce ne signifie nullement qu’il y aura plus de croissance économique. Ce dogme doit passer aux oubliettes avant toutes propositions et initiatives portant sur une reconsidération des APE sur des bases équitables et de confiance.
Les accords de Yaoundé, Lomé et de Cotonou n’ont pas fondamentalement contribué à améliorer la part mondiale des échanges de l’Afrique avec le monde. Cet échange s’est inéluctablement réduit passant de 7,3% en 1948 à 3,1% en 2006. La part des pays ACP dans les exportations mondiales est passée de 1,9% en 1995 à 2,1% en 2005.
Malgré un engagement de l’UE en 2001 auprès des pays ACP de faire disparaître toutes les subventions accordées aux agriculteurs européens, l’UE décida unilatéralement en décembre 2007 de rétablir les subventions sur la viande porcine. Ainsi, le kilogramme de viande de porc congelée et subventionnée de l’UE se retrouve sur les marchés africains, camerounais en particulier, à un prix défiant toute concurrence, soit 1,70 Euro de moins que le prix de la viande fraîche locale. Ce dumping a lieu sur plusieurs produits, le poulet, le coton… Concurrence déloyale ? Non, dit l’UE par la voix de son Commissaire à l’Union européenne, Louis Michel qui, devant les parlementaires européens le 14 juillet 2008, affirma que « parfois, il faut vivre avec de telles contradictions… » et qu’en fait « il faut savoir trouver un équilibre entre les intérêts des paysans européens et ceux des pays en développement ». S’agit-il donc pour l’UE de contractualiser la contradiction inhérente aux APE, ceci au bénéfice exclusif de l’UE ? Peut-être ! Louis Michel reconnaît que les subventions agricoles européennes sont en contradiction avec les objectifs de réduction de la pauvreté prônés par les Nations Unies.
Paradoxalement, ce sont les mêmes chefs d’Etat africains repoussant la signature des APE qui refusent de mettre en œuvre le programme stratégique de développement des capacités productives signé par tous les chefs d’Etat africains en 2004. Tout consensus nouveau devrait peut-être reposer sur l’intégration de ces deux visions puisque les APE sont perçus comme neutralisant les productions locales.
Le rapport de Mme la députée Christiane Taubira adressé au Président français en juin 2008 pour servir de cadre d’harmonisation entre l’UE et les pays ACP rappelle, à l’instar du combat d’Aimé Césaire, que l’on ne peut fonder un partenariat équitable sur l’exploitation des autres, fussent-ils faiblement industrialisés. La prolongation exceptionnelle d’un partenariat basé sur la « non-réciprocité » pour les ACP reste d’actualité. Au lieu et place du libre-échange intégral, c’est justement maintenant que les préférences commerciales doivent être offertes aux pays ACP les moins industrialisés avec en accompagnement, le développement de leur capacité de production.
Des périodes de transitions et des mesures d’accompagnement seront nécessaires. En parallèle, l’Union pour la Méditerranée (UPM) constitue une forme nouvelle de l’émergence de la fragmentation du partenariat Nord-Sud.
L’UE doit prendre conscience que les propositions unilatérales et les négociations à sens unique basées sur des approches contradictoires, différentiées et modulées grâce aux « aides » bilatérales n’arrivent plus à convaincre les chefs d’Etat africains de sacrifier l’intérêt de leurs populations au profit des intérêts de l’UE. YEA.
OMC, « Rapport sur le commerce mondial 2008 : Le commerce à l’heure de la mondialisation », 15 juillet 2008
WTO, International Trade Statistics 2007, Geneva, 2007
Ministère fédéral de la Coopération économique et du développement allemand, Les accords de partenariat économiques entre les Etats ACP et l’Union européenne, thématique 176, BMZ, Berlin, page 4, voir http://www.bmz.de/en/service/infothek/fach/fr/thematique_176_pdf.pdf
David Cronin, “Développement: L’UE et les contradictions de sa politique agricole”, in Inter Press Service News Agency, 19 July 2008, http://ipsinternational.org/fr/_note.asp?idnews=4158
Laurane Provenzano, « Accords économiques UE-ACP : Christiane Taubira jette un pavé dans la mare », 2 juillet 2008, http://www.afrik.com/article14670.html; voir aussi Rapport de Christiane Taubira, Les accords de partenariat économique entre l’Union européenne et les pays ACP : Et si la politique se mêlait enfin des affaires du monde, Rapport à Monsieur le Président de la République.
Ministère des affaires étrangères et européennes, Union pour la Méditerranée ? http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/europe_828/union-europeenne-monde_13399/union-mediterranee_17975/index.html