Le Bénin s’est forgé à l’international une solide réputation d’être devenu un pays où la démocratie est en marche. La réalité est bien différente. Les ressentiments commencent à se faire sentir et risque de se mutualiser si le gouvernement n’entame pas un véritable processus d’écoute. En minimisant le rôle des femmes au pouvoir, le Président semble s’aliéner ses véritables appuis dans un pays où les vulnérabilités économiques et politiques pourraient poser problème lors des prochaines élections présidentielles de 2011.
1. Le Président Yayi Béni minimise le rôle des femmes
Le Président Yayi Boni a procédé à un vaste remaniement ministériel le 22 octobre 2008. La part des femmes est passée de 26% dans l’ancien gouvernement à 13% dans le nouveau. Les six préfets nommés deux jours après sont des hommes. Rappelons tout de même que le nombre de femmes siégeant au parlement est passé en 1990 de 3 à 8 en 2007, 9 en 2008 alors que le Rwanda, avec 49 femmes au parlement en 2007, vient de passer au dessus de la barre de la parité en 2008. La grogne grandit au Bénin au point que l’ex-directrice de cabinet du Président Mathieu Kérékou, ancien Président béninois, estime que le Président béninois “ignore les affaires du genre” alors qu’il y a suffisamment de femmes qualifiées dans ce pays. Ce point est renforcé par la position d’Edith Gasana, la représentante résidente du programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), qui affirme que c’est justement dans ce domaine que le Bénin a le moins de chance d’atteindre les objectifs du millénaire pour le développement des Nations Unies en 2015 . L’ONU s’est fixé comme objectif de parvenir, entre autres, à la parité homme-femme au parlement, dans l’éducation et une meilleure égalité dans les revenus notamment en zone rurale dans 7 ans. Même la cour constitutionnelle qui a été dirigée par une femme vient de changer au profit d’un homme sous le régime du Dr. Yayi Boni. Bref, le changement annoncé semble effectivement oublier qu’en 2006, 49,6% de femmes composent la population béninoise.
En filigrane, c’est la lenteur à procéder à des réformes en profondeur qui semble poser problème et pourrait constituer un risque important lors des prochaines élections présidentielles, avec semble-t-il un nouveau système informatisé dont les vertus n’ont pas été probantes au Togo lors des élections présidentielles de 2005 et législatives de 2007. Les résultats dans ce pays voisin ont été simplement annoncés par le ministère de l’intérieur et les contestations classées sans suite.
2. Vulnérabilités économiques
Les vulnérabilités économiques restent importantes. Les réformes dans le secteur du coton, la fin du monopole dans les entreprises publiques dans les secteurs de la télécommunication et de l’électricité n’arrivent pas à prendre corps. Des améliorations commencent à apparaître dans le système judiciaire et dans l’organisation de la propriété foncière mais l’accès au crédit pour les petites et moyennes entreprises et l’augmentation des microcrédits et de la micro-finance restent embryonnaires. En effet, cette vulnérabilité a marqué les populations lors de la récente crise alimentaire qui a été suivie par la crise énergétique avec une hausse des prix sur les produits liés de près ou de loin au pétrole.
L’Afrique subsaharienne voit son produit intérieur brut autour de 6,8% en 2007 comprimé à 5,4% en 2008 et 5% en 2009 du fait de la crise financière. En comparaison, le Bénin a vu son PIB progresser avec une croissance réelle passant de 2,9% en 2005 à 3,8% en 2006 puis à 4,6% en 2007. Les prévisions pour 2008 et 2009 estimées respectivement à 5,1% et 5,7% par le FMI doivent être révisées à la baisse d’au moins un point. Pourtant, le Bénin reste le meilleur élève de la zone UEMOA (Union économique monétaire ouest-africaine) qui avait atteint 3,2% du PIB en 2007.
Au regard des critères internationaux comme les indicateurs de “Doing Business” de la Société financière internationale ou ceux portant sur la compétitivité globale du “Global Competitiveness Index”, le Bénin est classé parmi les 20 derniers pays en 2007. En effet, l’environnement des affaires et la gouvernance demeurent un vrai challenge puisque le pays a reculé en passant de 157 en 2008 à 169 en 2009. Paradoxalement, sous le régime du Président actuel du Bénin, il faut 410 jours pour obtenir des autorités administratives licences et permis divers alors qu’il ne faut que 271 jours en Afrique subsaharienne. Cette dégradation augmente substantiellement le coût des affaires au Bénin et semble indiquer une augmentation de la corruption. Il faut près de 4 ans, largement au dessus des 3,4 ans en Afrique subsaharienne, pour solder ses comptes en cas de fermeture d’une entreprise au Bénin. Sur ce plan aussi, le Bénin a reculé de 21 points en 2009 par rapport à son classement de 2008.
D’après l’organisation Transparency International, le Bénin a été classé 96 sur 180 pays en 2008 avec un index sur la perception de la corruption en Afrique de 3,1 qui révèle une amélioration par rapport à 2007 avec un classement de 118 sur 179 pays et un index de 2,7. L’amélioration est réelle mais ne fait pas pour autant disparaître le risque commercial.
L’institut national de la statistique et de l’analyse économique du Bénin a estimé que le déficit commercial va continuer à s’aggraver en 2008 avec une augmentation de 7,2% par rapport à 2007 pour totaliser -261,1 milliards de FCFA, alors qu’il n’était “que” de -161,5 % en 2005. Le Bénin vivrait-il au dessus de ses moyens? Certainement comme en témoigne la distribution des importations.
Avec 45,4 % du total des importations du Bénin en 2007 provenant de la Chine, le Bénin n’a pas encore compensé son solde commercial négatif (-7 %) avec ce pays. Le Bénin exporte 38,3 % vers la Chine. Les importations de la France ne sont plus que de 8,3% en 2007, soit plus de cinq fois mois qu’entre le Bénin et la Chine. C’est ce changement stratégique qui risque d’avoir un impact sur les relations privilégiées avec la France et l’Union européenne dans les 10 ans à venir. La double dépendance du Bénin vis-à-vis des produits alimentaires avec 32,5% d’importation en 2007 et 16,6% pour les produits pétroliers témoigne de la vulnérabilité de ce pays face à des crises externes. En réalité, ce pays qui a doublé son PIB entre 1995 et 2006 passant respectivement de 2 à 4,7 milliards de $US peine à mettre l’accent sur le développement des capacités productives et l’industrialisation avec une valeur ajoutée manufacturière, légèrement en baisse passant au cours de cette même période de 9 % à 8 % du PIB alors qu’il faudrait un niveau d’environ 17% pour entraîner une meilleure robustesse de l’économie.
Progressivement le Bénin s’installe dans une forme d’économie de réexportation avec près de 41,2 % composant ses principales exportations en 2006, ce qui a pour effet de renforcer la part des services à 48,4% dans la composition du PIB alors que l’agriculture, malgré les 37,1 % dans le PIB ne progresse que très lentement sur le plan de la productivité. Le Bénin pourrait perdre une partie de la manne financière provenant des Béninois de l’extérieur. Cette Diaspora envoyait déjà plus de 173 millions de $US en 2006 pour mitiger les effets de la pauvreté sur une grande partie de la population. Avec la crise financière et la récession en gestation en Occident avec comme conséquence directe une progression du chômage, les effets collatéraux de la crise financière sur la Diaspora risquent de se faire sentir avec acuité au cours de 2009 au Bénin.
3. Vulnérabilité politique
En perdant sa majorité à l’Assemblée nationale au début de 2008, le Président béninois voit son programme ambitieux de réformes être rediscuté, amendé et donc retardé par les partis d’opposition. Ne disposant pas vraiment d’un parti politique, il est obligé de courtiser de nombreux responsables politiques pour tenter de se constituer une majorité. En gouvernant par décret en attendant de reconstituer sa majorité au parlement, il risque de laisser transparaître les désagréments d’un régime présidentiel à moins que le parlement ne décide de voter pour censurer ces pratiques du “passage en force” qui deviennent de plus en plus courantes comme mode de gouvernance.
En annonçant un référendum national pour le début de 2009, le Président pourrait tenter ainsi d’administrer un électrochoc risqué à un système politique béninois qui conçoit le Président comme un représentant du consensus national et moins comme un véritable chef. Le budget de ce référendum est critiqué et pourrait ne pas être voté. Par ailleurs, les nombreuses fraudes, irrégularités des résultats des élections locales et communales du 20 avril 2008 ont conduit à des annulations et à de nouvelles élections en mai 2008. De nouvelles irrégularités se sont reproduites et ont conduit à de nouvelles annulations et à des élections pour la 3e fois en septembre 2008, sans pour autant donner une majorité claire au Président. Ces nombreuses irrégularités ont entamé définitivement un état de grâce qui semblait être entretenu principalement par une presse internationale plus clémente face aux statistiques économiques. La réalité sur le terrain semble bien plus nuancée.
L’inflation prévue autour de 6,1 % au second trimestre de 2008 risque de s’accentuer du fait des crises internationales successives qui ont eu pour conséquence de renchérir les biens alimentaires, l’énergie et limiter l’accès au crédit pour l’entrepreneuriat. Il est vrai que les réductions passagères des taxes collectées au plus fort de la crise ne pourront vraisemblablement pas compenser les réductions de subventions sur les aliments de base, augmentant la grogne populaire et faisant le jeu des partis d’opposition. Le Bénin bénéficiant d’un commerce florissant, souvent illégal, avec le Nigéria pourrait accroître les risques d’impunité et d’insécurité et limiter les rentrées fiscales. Ainsi, le déficit du compte courant de -8 % du PIB en 2007 qui aurait dû s’améliorer en 2008 pour atteindre -6,8 % du PIB, risque d’être corrigé à la baisse et même reprendre sa détérioration en descendant en dessous des -8 % du PIB alors que le PIB réel risque de ralentir et passer en dessous des 5% pour 2008 et 2009.
Il convient de rajouter à cela que le Conseil National du Travail, le principal syndicat des travailleurs est persuadé que le Gouvernement fait la sourde oreille à ses revendications exprimées lors de la marche de mars 2008 dont entre autres : 25% d’augmentation du salaire minimum, suppression de la taxe sur la valeur ajoutée pour l’eau, l’électricité et les biens de premières nécessités. Les négociations semblent être au point mort et ne présagent rien de bon. Le changement de nombreuses personnalités du Gouvernement pourrait donner un peu de répit au Président avant que de nouvelles formes de contestation pour un nouveau changement ne voient le jour.
Le risque politique ne menace pas les institutions mais risque d’ouvrir la compétition pour la montée d’acteurs politiques et économiques vers la gouvernance du pays. Il reste donc bien un risque tout court.
Dr. Yves Ekoué Amaïzo
En tant que journaliste correspondant pour la Lettre Risques Internationaux, l’article suivants a fait l’objet de publication. Il s’agit d’une publication de Nord-Sud Expert (sur papier et en ligne et uniquement sur abonnement), voir www.risques-internationaux.com. Cette publication est spécialisée dans l’analyse du “Risque-pays” des marchés émergents, c’est un bi-mensuel.
Notes :
Voir la composition du nouveau gouvernement béninois: Organisation de la Presse africaine, 22 octobre2008, <http://appablog.wordpress.com/2008/10/22/benin-remaniement-ministeriel-221008-composition-du-nouveau-gouvernement-beninois/>
Ignace Fanou, “Benin: Women Left Out of New Govt”, InterPress Service, 8 November 2008, posted on AllAfrica <http://allafrica.com/stories/200811090008.html>
IMF, Press Release No. 08/139, June 16, 2008, http://www.imf.org/external/np/sec/pr/2008/pr08139.htm
IMF, Perspectives économiques de l’économie, Mise à jour, 6 novembre 2008,voir: http://www.imf.org/external/french/pubs/ft/weo/2008/update/03/pdf/1108f.pdf
IMF, Perspectives économiques de l’économie, octobre 2008.
IFC, Doing Business2009, http://www.doingbusiness.org/ExploreEconomies/?economyid=22
EIU, Benin Country report October 2008, p. 4.
Joachim Vokouma, “Crise financière: l’Afrique, victime collatérale”, in Le Continental, n. 75, novembre 2008, pp. 29-32.