La mutation des risques
Oscillant entre coma et retour précaire à la vie depuis plusieurs années dans un centre hospitalier marocain, Edith Lucie Bongo Ondimba, fille de Denis Sassou Nguesso Président du Congo, femme d’Omar Bongo Ondimba, Président du Gabon, n’est apparemment pas sortie du coma le 6 février 2009 malgré le déplacement précipité au Maroc de ses deux parents accompagnés de la famille proche. Les rumeurs de décès n’ont pas été confirmées à ce jour. Ce drame familial ne manquera pas d’affecter la politique de ces deux pays. Le maintien ou pas au pouvoir de ces deux chefs d’Etat va dépendre plus de leur capacité à museler la démocratie que de celle à distribuer une partie des richesses vers les classes moyennes et pauvres. Il est vrai qu’au Gabon la croissance de l’économie devrait se situer, avec les conséquences de la crise financière, entre 2 % et 3 % pour 2009 et 2010, ce qui limite les marges de manœuvres en cas de crises sociales importantes. La solution passe donc par une refondation des partages de responsabilités sur des bases qui pourraient ne plus se faire de manière unilatérale.
1. La précarisation de la stabilité
Au demeurant, le Président gabonais estime être l’objet d’un acharnement d’une campagne de dénigrement orchestrée de l’extérieur, relayée de l’intérieur sur fond de crise sociale. Les relations franco-gabonaises sont en ajustement asymétrique alors que le Gabon diversifie ses partenaires au point que les exportations gabonaises s’orientent en priorité pour 32,4% vers les Etats-Unis, 15,6 % vers la Chine, 9,3 % vers la France et 6 % vers la Malaisie et le reliquat de 36,7 % réparti sur le reste du monde. Le remaniement ministériel du 14 janvier 2009 a reconduit l’ancienne équipe tout en augmentant les membres du Gouvernement de 43 à 49 membres, reconduisant par la même occasion le Premier ministre gabonais Jean Eyéghé Ndong, en poste depuis 2006. Ainsi, le sentiment “d’insatisfaction et de mécontentement” exprimé par le Président gabonais à l’endroit de son “gouvernement de mission” et de son administration n’a apparemment pas été suivi d’effets puisque le décret présidentiel nommant le nouveau gouvernement est simplement venu constater la sévère critique de l’action gouvernementale. Il y a malgré tout une volonté d’aller vers un “gouvernement d’ouverture” qui permet à l’opposition d’“avoir son espace d’expression”. Il n’y a donc pas d’alternance possible dans ces conditions puisqu’il est surtout question de mettre les compétences disponibles au service de l’action du pouvoir en place sans remettre en cause une stratégie de développement. Aussi la nouvelle feuille de route du Gouvernement ne pourra vraisemblablement pas être mise en cause avant les prochaines élections législatives (mandat de 5 ans) de 2011 ou présidentielles (mandat de sept ans) de 2012. Les modifications de la Constitution du pays permettent au Président de se présenter indéfiniment.
Un premier risque réside dans une vacance de poste imprévue du doyen des Présidents africains, au pouvoir depuis plus de 40 ans. Les informations sur la santé du Président n’ont jamais été confirmées mais les changements au sommet de la hiérarchie militaire et de la police au profit de Ali Bongo Ondimba, fils du Président, actuellement reconduit comme ministre de la Défense, permettent de supputer une stratégie d’alternance familiale, ce d’autant plus que la présence de longue date de plusieurs centaines d’éléments de l’armée française à Libreville est de nature à neutraliser les velléités d’une opposition désunie et ne représentant que 14 sièges sur les 120 de l’Assemblée nationale gabonaise. Il faut avoir le courage de reconnaître qu’à la différence d’autres pays et grâce à une gestion patrimoniale et une distribution fondée sur un équilibre ethnique, la démocratie conviviale a fonctionné avec succès assurant paix, sécurité et le bien-être d’une partie de la population.
Un deuxième risque pourrait émerger tant de la division à l’intérieur du parti présidentiel, le Parti démocratique Gabonais, suite à des mécontentements de certains corps de métiers et d’une partie de la population qui subit de plein fouet les défaillances de gouvernance et risque d’être gravement touchée par les conséquences de la crise financière notamment dans les secteurs où la demande mondiale se contractera durablement. Il s’agit principalement des secteurs non-pétroliers notamment l’exportation de bois, le précieux “okoumé” ainsi que tout le secteur des minerais. Il y a deux paradoxes au Gabon : la croissance du Produit intérieur brut (PIB) hors pétrole est plus élevée en moyenne que la croissance du PIB réel et la croissance du PIB réel par habitant risque en 2009 de continuer son érosion structurelle (voir tableau ci-dessous) tout en restant au-dessus de celle de la Guinée équatoriale et largement au-dessus des autres pays de la communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEMAC).
Gabon, Produit intérieur brut 1997-2008 | |||||||
1997-2002 | 2003 | 2004 | 2005 | 2006 | 2007 | 2008* | |
Croissance du PIB réel (en %) | 0,0 | 2,4 | 1,1 | 3,0 | 1,2 | 5,6 | 4,2 |
Croissance du PIB réel hors pétrole (en %) | 2,4 | 0,9 | 2,3 | 4,3 | 4,9 | 6,4 | 4,7 |
Croissance du PIB réel par habitant (en %) | -2,4 | -0,1 | -1,4 | 0,5 | -1,3 | 3,0 | 2,6 |
Croissance du PIB réel par habitant (en $US aux prix de 2000 et taux de change de 2000) | 4.475 | 4.097 | 4.040 | 4.061 | 4.009 | 4.128 | 4.237 |
CEMAC, Produit intérieur brut 1997-2008 | |||||||
Croissance du PIB réel (en %) | 6,0 | 5,3 | 11,5 | 4,6 | 1,6 | 4,0 | 5,5 |
Croissance du PIB réel hors pétrole (en %) | 9,1 | 4,7 | 6,0 | 7,7 | 5,2 | 10,2 | 8,4 |
Croissance du PIB réel par habitant (en %) | 2,8 | 1,7 | 8,5 | 1,9 | -1,0 | 1,3 | 2,9 |
Croissance du PIB réel par habitant (en $US aux prix de 2000 et taux de change de 2000) | 708 | 738 | 779 | 791 | 785 | 795 | 818 |
* Les estimations du FMI en 2008 sont à revoir à la baisse puisqu’elles n’intègrent pas la crise financière intervenue en fin d’année et surtout les conséquences en Afrique sous la forme de crise économique et sociale ainsi qu’une restriction des demandes des produits à l’exportation du Gabon. Au cours de 2009, il faut compter une chute entre 1 à 2,5 % de croissance par rapport aux prévisions de 2008.
Source: IMF, WEO, October 2008, pp. 108-110 |
Une simple comparaison entre les prix exprimés par habitant entre le Gabon et la zone CEMAC permet de saisir les inégalités non visibles. Toutefois, cette inégalité semble se cristalliser par le biais de revendications corporatistes au Gabon même et la démocratie conviviale qui combine cooptation et répression au sein des oppositions politiques risque de ne pas fonctionner au plan social, notamment dans le secteur des mines et de la gestion des métiers liés à la forêt. 2009 sera une année décisive dans la capacité du Gouvernement à gérer les conséquences de la crise financière.
2. L’auto-démocratie ou l’impossible redistribution effective des richesses engrangées
Malgré les satisfécits du FMI sur les progrès du Gabon quant au respect des remboursements des crédits de 12-18 mois pris dans le cadre des arrangements “Stand-by”, le Gabon n’arrive pas à réellement à faire partager à une grande majorité de sa population, les fruits de la croissance et les recettes de la manne pétrolière, minières et forestières. La réalité est tout autre comme en témoignent les manifestations pacifiques du début du mois, entre autres, des employés municipaux, rapidement stoppées par la police. Les plaintes étaient unanimes à dénoncer les dysfonctionnements des responsables de l’Administration et une corruption institutionnalisée qui ont pour conséquences que les cotisations des salariés ne reviennent pas sous la forme de prestations notamment les allocations familiales, les allocations prénatales, le paiement des retraites, l’assurance-santé et qui font que, par exemple, des personnes ayant cotisé n’ont pas accès aux soins de santé ou à leur retraite. Plus grave et curieux, aucune juridiction n’a été saisie en tant que telle pour trouver une solution à ce problème et c’est au chef de l’Etat que les manifestations s’adressent directement. Il y a manifestement un vrai problème de transparence, d’efficacité dans la gestion administrative et budgétaire et une impunité notoire favorisant les explosions épisodiques qui se résolvent au cas par cas et uniquement par la saisine du premier personnage de l’Etat. Ce dernier, pour avoir laissé développer tout un système de parrainage et de cooptation fondé sur des dons sous forme de silences (autocensure de la critique), se retrouve piégé dans des formes modernes africaines de contre-dons où les structures de la hiérarchie administration se “font” justice directement en se servant là où l’argent est disponible.
Un tel système, s’il a perduré depuis plus de 40 ans, reste fragile et non pérenne. Lorsque des journalistes locaux osent alors porter des accusations sur la fille du Président pour des fonds détournés et que c’est la garde présidentielle qui “bat” littéralement le journaliste pour avoir fait son travail de journaliste, alors on nage dans la paranoïa où qui pose un œil critique (des journalistes en passant par les responsables d’organisations non gouvernementales et bien sûr les partis d’opposition) tombe sous le coup d’une loi non écrite : celle de la tolérance zéro non pas à la corruption mais aux accusations touchant la personne qui représente l’Etat et ses démembrements, donc le Président gabonais en personne. Lorsque des campagnes sont montées en France pour faire étalage des biens d’un seul Président africain, lorsque des plaintes sont déposées devant les tribunaux français sans analyse comparative avec les dirigeants occidentaux, il y a quelque part une volonté perverse de nuire à la réputation. Mais en réalité, la plupart de ces plaintes ont débouché sur des non-lieux en France et les “informateurs” locaux en subissent parfois les contrecoups sous forme d’emprisonnements passagers et d’intimidations diverses. C’est à ce titre que des responsables d’ONG tels Marc Ona Essangui, Georges Mpaga et Grégory Ngbwa Mintsa, des journalistes dont Gaston Asseko ou même des responsables de la sécurité, le gendarme Jean Poaty, ont été accusés d’incitation à la révolte par la diffusion de “propagande orale ou écrite” ont été finalement remis en liberté après quelques jours passés en prison. D’autres cas risquent de faire les frais de cette paranoïa.
Au final, tout est contenu dans la façon dont on définit la transparence, la libre-information et les limites des offenses au Chef d’Etat. En effet, si le gouvernement communiquait plus souvent et de manière moins feutrée, peut-être que les ONG ne seraient pas amenées à aller enquêter pour trouver les informations. Sur un autre plan, la définition de l’autocratie a vite été confondue avec l’auto-démocratie, une forme de soutien volontaire basée sur un soutien alimentaire, un système encore trop prisé dans les espaces où plus de 60 % de la population rencontrent des difficultés au plan de la liberté d’expression. La démocratie conviviale risque de conforter la présidence à vie et à défaut une forme moderne de succession familiale du pouvoir par une forme d’acclamation par défaut grâce à la neutralisation des alternatives par un système de cooptation ethnique et d’autocensure institutionnalisée et parfois télécommandée de l’extérieur. En réalité, c’est la solidarité gabonaise qui est mise à mal et les inégalités finissent toujours par donner les mêmes résultats: des explosions de mécontentement.
3. Une diversification économique non sans danger
Au plan économique et à côté des statistiques officielles plutôt peu flatteuses pour ce pays qui devrait être au niveau des Dubaï ou Singapour, la balance commerciale restera excédentaire en 2010 mais après un sérieux repli dû à la crise économique chutant de 6,3 milliards de $ US d’excédent en 2008 à 1,4 milliards de $ US en 2009, avant d’amorcer une reprise toute conditionnelle en 2010 vers 2,4 milliards de $ US. D’ici là, la structure des importations et des exportations, avec la concurrence active des pays asiatiques basant leur “relation personnelle avec les chefs d’Etat” africains sur la non-ingérence dans tout ce qui fâche notamment les droits humains, la bonne gouvernance et la démocratie, se sera modifiée au profit des Asiatiques. A ce jeu, les approches des sociétés occidentales risquent de devenir obsolètes plus rapidement que prévu.
Il convient de noter un nouveau phénomène qui revient en fait à vendre de manière subtile des parcelles du territoire gabonais et non les moindres. Il importe de rappeler brièvement l’accord relatif aux gisements de fer de Bélinga qui devait avoir comme contrepartie des infrastructures. En réalité, il s’agissait d’une vente d’une partie du territoire gabonais par l’Etat gabonais par l’intermédiaire d’une structure publique, la Compagnie minière de Belinga (COMIBEL), avec un capital de 10-15 % pour la partie gabonnaise et 85-90% pour la partie chinoise, représentée par la China Machinery and Equipment Import & Corporation (CMEC), laquelle a associé la Banque d’export-import de Chine pour faciliter les crédits fournisseurs et acheteurs. L’exonération fiscale concédée sur 25 ans porte autant sur l’exploitation (le chiffre d’affaires) que sur le rapatriement des bénéfices, des matériels importés et des avantages d’accès à d’autres ressources naturelles. Avec de tels contrats largement au-dessus de ceux offerts par les Nations Unies pour faire des projets de moins de 10 millions de $ US, il est clair que la concurrence chinoise sur le territoire gabonais va se faire sentir. Les groupes miniers français et occidentaux en général ne peuvent que compter sur les relations personnelles via les dirigeants politiques.
Rappelons qu’“il est loin le temps où, durant la guerre froide, les groupes français, très bien implantés en Afrique francophone, contrôlaient plus de la moitié des marchés au Gabon”. En effet, si avant 2007 le premier fournisseur du Gabon était la France avec 40 % de part de marché et réalisant plus de 50 % des exportations globales de ce pays sur le marché mondial, il faut se rendre à l’évidence en ce début de 2009 que les Etats-Unis et la Chine ont supplanté la France au Gabon pour ce qui est des exportations dès la fin de 2007. Le Gabon continue à importer massivement de France avec près de 28,3 % mais plus sur une base de relations politiques que sur une base de la compétitivité mondiale des produits. Une des conséquences inattendues sur le terrain est que pour conserver une certaine part de marché, certaines entreprises en sont arrivées à préférer faire de la sous-traitance avec les Chinois qui remportent les marchés. Le cas de la société Bolloré dans la construction d’un complexe immobilier dans lequel les employés de la filiale du Groupe, Gabon Mining Logistics, seront logés dans le cadre de l’exploitation de la mine Belinga et apporteront un soutien logistique aux entreprises adjudicataires de ces marchés est à relever. Il s’agissait d’ailleurs du premier partenariat “Gabon-Chine-France”. En contrepartie de l’exploitation à long terme du minerai, les entreprises chinoises ont en effet offert de construire des voies ferrées (plus de 200 km) et un pont en eaux profondes pour ce qui a été officiellement connu. Les entreprises françaises et occidentales ne sont plus concurrentielles sur de nombreux gros contrats notamment lorsqu’il s’agit arrangements concessionnels de long terme car il n’arrive pas à fournir la “logistique d’accompagnement financier” à la différence des pays comme la Chine.
Paradoxalement, tout ceci n’a pas eu pour effet de faire progresser la moralisation des pratiques économiques en Afrique et au Gabon et en particulier. Les liens privilégiés des chefs d’Etat africains francophones tant dans le secteur pétrolier que minier risquent invariablement de prendre d’autres formes et les remises de dettes effectuées sur des bases politiques au Gabon mais aussi au Congo voisin pourraient se négocier aux plus offrants dans le futur et conduire à une longévité plus écourtée des dirigeants africains dans leur poste, à moins que certaines entreprises françaises ne constatent qu’elles ont pu bénéficier, encore, de quelques faveurs. Le gré à gré ou les ententes sur les appels d’offres pourraient aussi ne plus fonctionner comme d’antan compte tenu des pratiques astucieuses des pays asiatiques qui ont ouvert le champ à des contrats dérégulés. Il s’agit de faire en sorte qu’il y ait deux contrats. L’un qui apparaît comme dolosif et officiel et l’autre officieux où se traitent les vrais transferts de richesse. Certains militaires africains l’ont bien compris et ne se contentent plus de leur solde améliorée et souhaitent apposer leur signature au bas de certains de ces contrats. Certains coups d’Etat deviennent alors des moyens d’accéder au partage des fruits de la richesse africaine.
La réalité est que les dégâts collatéraux sociaux et environnementaux peuvent occasionner de nouveaux schismes qui pourraient remettre en cause la démocratie conviviale.
Dr. Yves Ekoué Amaïzo
En tant que journaliste correspondant pour la Lettre Risques Internationaux, l’article suivants a fait l’objet de publication. Il s’agit d’une publication de Nord-Sud Expert (sur papier et en ligne et uniquement sur abonnement), voirwww.risques-internationaux.com. Cette publication est spécialisée dans l’analyse du “Risque-pays” des marchés émergents, c’est un bi-mensuel.
Notes :
EIU, Gabon Country Report January 2009, p. 15.
Pierre Eric Mbog Batassi, “Formation d’un nouveau gouvernement au Gabon : la liste des 49 membres”, in Afrik.com, voir <http://www.afrik.com/article16083.html>
Francis Laloupo, Interview exclusif d’Omar Bongo Ondimba : “Pourquoi cet acharnement contre le Gabon ?”, in Continental, n. 78, février 2009, pp. 20-25.
IMF, “Statement by an IMF Staff Mission to Gabon”, Press Release No. 08/326, ,
voir < http://www.imf.org/external/np/sec/pr/2008/pr08326.htm>
Anne-Valérie Hoh et Barbara Vignaux, “L’Afrique n’est plus l’eldorado des entreprises françaises”, in Le Monde diplomatique, 01 février 2006
Gabon Eco, “Gabon : Bolloré lance les travaux de Gabon Mining Logistics”, in GabonEco, 28 novembre 2008, voir <http://www.bdpgabon.org/articles/2008/11/28/gabon-bollore-lance-les-travaux-de-gabon-mining-logistics/>
La pollution d’Areva au Gabon pendant 38 ans n’a pas fait l’objet de solutions satisfaisantes, voir Louis Gaston Mathangoye Toundha, “Gabon : La pollution radioactive d’AREVA à Mounana refait surface” in <http://gaboneco.com/show_article.php?IDActu=8974>