Interview effectué par : Mr Yohanes AKOLI, Journaliste Focus Info Togo – Sortie dans ce journal
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Interviewé : Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, Directeur du groupe de réflexion, d’action et d’influence « Afrology »
1- Le Parlement togolais a adopté au mois d’août dernier une nouvelle loi portant sur la réglementation du système bancaire au Togo. Le point phare a été le fait que le capital social des banques et des établissements financiers est revu à hausse : de 1 à 3 milliards pour les banques et de 300 millions à 1 milliard FCFA pour les établissements financiers.
Questions : Quelle analyse faites-vous de cette mesure? Quel avantage cela revêt pour
notre système financier ou bien y a t-il une critique à formuler et des propositions à faire pour une meilleure applicabilité de cette loi ?
Réponses : Je pense qu’il s’agit d’une bonne mesure. En effet, avec la mondialisation, les petites structures bancaires n’ont aucun poids et peuvent même faire faillite, ce qui est préjudiciable pour les usagers. Par ailleurs, ces institutions financières de petites tailles (avec des fonds propres réduits) rencontrent d’énormes problèmes pour faire jouer un quelconque effet de levier au niveau global. Elles doivent donc être intégrées d’une manière ou d’une autre dans un réseau régional et global. Il est préférable que cela se fasse de manière programmée plutôt que par simple absorption ou fusions non sollicitées…
Par contre, il faut s’assurer que la distinction entre les “grandes institutions” financières qui veulent jouer sur le marché régional et international ne conduit pas à interdire les « petites institutions financières » qui agissent plus dans la microfinance ou dans les crédits relais. Il faut donc s’assurer que les petites structures financières ne viennent pas à disparaître à cause de cette mesure. Si cette mesure indirectement limite les facilités à la création de structures de microfinance, ce serait alors un recul puisqu’il est en fait question d’aller vers un système de type oligarchique où il n’y a pas de contrepouvoir ou des structures concurrentes afin de permettre une saine concurrence de fonctionner.
C’est une chose que le parlement adopte, c’est une autre que la loi soit promulguée, mise en œuvre et soit effectivement appliquée. Le délai ne dépend que du gouvernement.
Le fait que le capital social soit revu à la hausse permet de renforcer la crédibilité de ces institutions mais encore une fois, ne pas oublier de faciliter la création de structures financières dont le capital serait largement inférieur à 300 millions FCFA. Faut-il rappeler qu’en 2007, selon la Banque mondiale, la part de crédit offert par les institutions financières au niveau national au secteur privé n’a pas dépassé les 22 % du Produit intérieur brut, alors que la moyenne pour l’Afrique subsaharienne s’élevait à 80,6 % du PIB ? Le Togo n’est donc pas une économie qui repose véritablement sur le secteur privé comme moteur. Donc toutes lois qui iraient renforcer directement ou indirectement le rôle du secteur privé sont les bienvenues. Il importe de faire attention que cela ne devienne pas un renforcement des oligopoles qui auront vite fait d’empêcher la concurrence de jouer.
Au total, l’augmentation de capital devrait permettre d’éviter la fermeture de certaines banques et leur permettre ainsi d’être contrôlée par d’autres. Il faudra alors mener l’analyse de manière plus approfondie pour savoir qui sont les nouveaux propriétaires de ces institutions en faisant une relecture de la composition et des répartitions des pouvoirs dans les conseils d’administration. Si l’on devait s’apercevoir alors que la plupart des ces banques ne sont plus africaines, à fortiori togolaises, alors il faut craindre que les crédits et engagements qui seront octroyés n’aillent pas dans le sens du progrès et du développement du pays et de la sous-région. Enfin, avec la crise financière, la dérégulation et les possibilités d’échanges d’actifs toxiques, il faudra veiller que tout un système de régulation financière et bancaire soit mis en place et respecté scrupuleusement, sans parti pris pour des groupes politiquement influents. Cela évitera que la politique de recapitalisation souhaitée ne soit pas un leurre, avec des entrées au capital d’actifs toxiques. Le Togo n’ayant pas une réputation de bien protéger ses investisseurs compte tenu de manque de transparence, il y a lieu que le Parlement poursuive son travail de vigilance puisque c’est l’absence d’informations fiables et transparentes qui reste à la base des difficultés de gestion et de management, sans compter les interférences politiques. Avec une note de 2 sur 6, le Togo demeure un pays où la mise à disposition d’information fiable reste un parcours de combattant.
2. Toujours au sujet des banques, la Banque Mondiale vient d’accorder au Togo, une subvention de 5 milliards 346 millions de francs CFA soit 12 millions de dollars pour la réforme de notre système financier et la privatisation de la BTCI, de la BTD, de la BIA et de l’UTB.
Q : Quelle est votre lecture de cette subvention de la Banque mondiale et que pensez-vous de la privatisation de nos quatre importantes banques du Togo? Cette privatisation apporterait-elle une valeur ajoutée à notre système financier quand on a souvenance du bilan chaotique des privatisations des entreprises publiques togolaises effectuées par le passé?
R : Personne ne peut refuser une subvention d’une institution financière. Reste à savoir quelle en est la véritable contrepartie car la Banque mondiale a un conseil d’administration qui a des intérêts dans les orientations des politiques financières dans nos pays. La privatisation dans le contexte togolais reste la seule issue possible mais rien n’empêche d’envisager la mutualisation et de faire entrer au capital un nombre plus important et plus large de la population togolaise. Cela permettrait alors une gestion peut-être plus transparente.
S’il s’agit effectivement de réformer les banques, alors, il y a lieu de se concentrer sur trois problèmes principaux :
- solder le plus rapidement possible la dette intérieure afin que les entreprises du secteur privé ou public n’aient plus d’arriérés de paiements alors qu’elles ont effectuées un travail ou un service… Une partie de la subvention devrait servir aussi à la relance des petites et moyennes entreprises togolaises qui subissent les premières les conséquences d’une crise dont elles ne sont pas responsables ;
- réorganiser ou renforcer le système de contrôle et de régulation monétaire et financier national comme au demeurant au niveau sous-régional. Cela permettra d’éviter les malversations qui ont eu lieu à la BEAC (voir mon papier sur le sujet sur http://fr.amaizo.info/2009/09/16/encore-un-scandale-a-la-beac-personne-ne-porte-plainte/) et
- retrouver les chemins de profit fondé sur le financement de l’économie réelle et plus particulièrement les capacités productives au Togo.
Sur la privatisation, il faut se demander si cette décision est bien démocratique. En effet, ce n’est pas parce que les privatisations de la BTCI, de la BTD, de la BIA et de l’UTB sont à l’ordre du jour sur la base de résultats comptables peu glorieux qu’il faut croire que la privatisation sera la panacée. En soi, la gestion privée est préférable à la gestion publique mais, dans le cas du Togo, il faut simplement se demander s’il y a de la place pour toutes ses institutions et s’il ne faut pas les spécialiser. Par exemple, le Togo n’a pas de “factoring” ou “affacturage” alors que la plupart des problèmes de nos commerçants et industriels nécessite une nouvelle approche dans ce domaine. La société nationale d’investissement, indispensable pour soutenir le développement, a disparu du paysage bancaire togolais pour mauvaise gestion.
La privatisation en soi n’est qu’un instrument de travail neutre.
- S’il s’agit de transférer la propriété de ces banques à d’autres et que cela doit jouer contre le peuple togolais, notamment en empêchant le financement du développement du secteur privé et des capacités productives du pays, alors, la privatisation n’est pas la décision la plus idoine.
- S’il s’agit au contraire d’aller vers une forme de spécialisation et renforcement des ressources propres pour permettre un plus grand accès au crédit aux populations entrepreneuriales, alors, la privatisation sera considérée à postériori comme une bonne solution.
Je rappelle que la privatisation n’est qu’une technique parmi tant d’autres pour modifier une gestion déficiente en une gestion efficace. Il ne faudrait pas que cela se fasse aux dépens des populations togolaises, lesquelles en tant que clients permettent à ces banques de fonctionner mais ne retirent rien en retour sous forme d’une amélioration des conditions d’accès au crédit par exemple.
Tout va dépendre de qui sont ceux qui vont s’accaparer ces institutions et pour quoi faire ?
3- Les Etats d’Amérique Latine sont en train de s’organiser pour créer une Banque du Sud.
Q : Que pensez-vous de la “Banque du Sud”, qu’Hugo Chavez le président vénézuélien et d’autres chefs d’Etat de l’Amérique latine ont voulu créer? Quelles doivent-être ses missions et prérogatives vis-à-vis de la Banque mondiale et du FMI?
R : La Banque du Sud a du mal à démarrer, mais c’est une des meilleures décisions entre les pays du Sud depuis belle lurette. C’est donc une bonne décision vers le contrôle des pays du sud de leur devenir. Il faut noter la volonté affichée et mise en œuvre des chefs d’Etat d’Amérique du sud, avec Hugo Chavez comme tête de pont. Tout ce qui va dans le sens d’une prise de conscience d’une solidarité et d’une souveraineté monétaire, financière et économique pour les pays du Sud est une bonne chose.
D’ailleurs l’Afrique n’est pas en reste avec, au niveau de l’Union africaine, la création en cours de la Banque africaine d’investissement (proposée pour être établie en Libye/Tripoli), le Fond monétaire africain (pour le Cameroun/Yaoundé) et la Banque centrale africaine (Nigeria/Abuja). La seule différence est que nos cousins d’Amérique latine semblent plus déterminés et ont pour la plupart moins de liens induits en termes de dépendance économique avec les ex-pays colonisateurs. Il n’y a pas d’Hugo Chavez en Afrique…
Les fonctions de toutes ces institutions financières sont déterminantes. La Banque du Sud souhaite se consacrer au développement des infrastructures, ce qui, à terme, va contribuer à réduire les coûts de transaction… Les gouvernements peuvent chacun contribuer puisque les ressources sont disponibles et une utilisation plus judicieuse des fruits de la croissance est faite au service des populations. C’est ce qui fait problème en Afrique où lorsque les dirigeants africains parlent de travailler pour l’Afrique, cela ne signifie pas nécessairement que c’est pour les populations africaines.
En Afrique pour le moment, les 53 Etats de l’Union africaine tergiversent et mettent la charrue avant les bœufs. On crée des structures sans clarifier ce qu’elles vont faire et surtout qui va payer. En effet, une banque du sud en Afrique n’est en fait qu’une banque de la solidarité… Peu d’Etats africains sont pour l’instant prêts à contribuer sans demander une contrepartie sous forme de conditionnalités ou d’allégeance. Comme personne ne veut dépendre d’une autre en Afrique, la plupart préfère alors céder cette souveraineté monétaire à l’extérieur, souvent c’est le FMI ou les institutions financières non-africaines.
Il faut donc, pour l’Afrique, commencer avec quelques Etats volontaires et disposant d’un solde positif en termes de réserves internationales, de compte courant et de balance des paiements, etc. Il y a au moins 11 pays en Afrique que j’ai pu répertorier et indiquer à l’Association des banques centrales africaines. Cette recommandation a été classée sans suite pour le moment. Mais comme les contraintes externes ne sont pas à négliger, cela prendra plus de temps pour la mettre en œuvre en Afrique puisque, comme chacun le sait, certains gouverneurs de nos banques centrales africaines, dépendant plus des recommandations du FMI ou de la puissance de tutelle que des Etats africains, vont résister à l’avènement de toute structure indépendante dans le secteur bancaire. Ces mêmes Gouverneurs de nos Banques africaines n’ont rien trouver de mieux comme solution pour faire avancer le continent vers la monnaie commune africaine que de confier la création de la monnaie unique africaine à la Banque centrale européenne. De là à faire de l’Afrique, une zone Euro à l’instar de la zone FCFA, il y a un pas qu’il y a lieu de ne pas franchir, et la vigilance s’impose. Ainsi, en termes d’appropriation par les Africains, on peut faire mieux. Voici là encore un exemple concret de manque de confiance aux Africains pour faire une simple étude de faisabilité.
Par rapport à la Banque mondiale, il s’agit surtout de réaliser ce que cette dernière n’a pas fait ou a contribué à retarder. L’infrastructure est un bon créneau où il y a du travail pour tout le monde. Il n’y a donc en principe pas d’opposition avec la Banque mondiale.
Vis-à-vis du FMI, il faut savoir si la Banque du Sud, comme au demeurant le Fond monétaire africain, devrait à terme avoir aussi un rôle de soutien aux balances de paiements des pays… Si les financements peuvent se trouver au niveau sous-régional, il n’y aura plus lieu d’aller au FMI que dans les cas extrêmes. Le FMI retrouvera sa véritable fonction et ne devrait intervenir qu’en dernier ressort et non de manière intempestive dans toutes les économies africaines, sans pouvoir réellement anticiper les crises financières. Auquel cas, il y a un vrai problème d’organisation de sa souveraineté et de sa solidarité monétaires… le FMI n’a pas vraiment joué ce rôle ni en Amérique Latine, ni en Afrique, ni en Asie. Le problème, c’est bien les Africains eux-mêmes. Tant qu’ils croiront que la solution viendra d’ailleurs, et oublieront que le FMI et la Banque mondiale ont un conseil d’administration qui a pour objet de faire du profit d’abord, et de protéger les intérêts des pays majoritaires au conseil, alors il ne faut pas s’étonner des retards accumulés… Cela ne relève plus de l’exploitation mais bien de l’ignorance, ou pire de l’irresponsabilité. D’ailleurs, c’est la déresponsabilisation qui est promue ici et là, ce qui n’est pas sans corrélation avec les mauvaises performances de certaines banques togolaises.
Donc la banque du Sud doit être perçue comme une nouvelle forme de concurrence qui se met en place avec des gouvernements sérieux et volontaires, déterminer à servir leur peuple et préparer l’avenir pour parachever l’indépendance économique et financière. Il faut espérer que le même sérieux et les mêmes énergies en termes de volonté viendront sur le continent africain par contagion… C’est une maladie qui ne tue pas. YEA.