La Conférence de Copenhague a donné des résultats plus que décevants pour l’Afrique. Cela n’a rien d’étonnant puisque les priorités données par les dirigeants africains eux-mêmes à ce dossier au cours des deux dernières décennies ne souffrent d’aucune réalité tangible. L’énergie solaire, les énergies renouvelables, la protection de l’écosystème forestier, les politiques de recyclage des déchets, la lutte contre les déchets toxiques, etc. n’ont pas été des priorités dans les arbitrages budgétaires des Etats africains. Toutefois, les dirigeants africains se sont donné le mot pour parler d’une même voix, malgré la défection de quelques chefs d’Etat d’Afrique centrale qui ont choisi de s’aligner sur la voix de la France et de conformer leur position de principe à celle d’une certaine « néo-françafrique ».
1. Protection de l’environnement : entre indifférence et irresponsabilité
Pour les dirigeants africains, parler d’une même voix à Copenhague pour demander aux « pollueurs » de payer, c’est oublier que cela signifie une ponction fiscale sur les contribuables des pays pollueurs. En définitive, il s’agit de transférer des sommes d’argent à des dirigeants africains pour qu’ils en fassent un usage « inconnu ». Ces derniers n’ont pas à proprement parlé une réputation d’exemplarité, d’éthique et de solidarité dans la gestion des fonds publics internationaux ou bilatéraux au service de leur population respective. Les dirigeants africains semblent donc plus prolixes quand il s’agit d’aller rappeler quelques injustices liées à l’histoire de l’industrialisation et de la productivité dans les pays riches au point d’oublier le niveau d’indifférence et parfois d’irresponsabilité qu’ils ont accordé à l’environnement et ses conséquences sur les populations africaines par le passé. Lorsqu’on s’appesantit sur les conséquences des diverses formes de pollution environnementale sur la santé dans les zones rurales africaines, le bilan est désastreux. On y meurt tant de la pauvreté que des conséquences de l’absence de salubrité publique, ce qui rappelle la défaillance tant du secteur privé que du secteur public. Personne ne peut oublier le choix fait par certains pays de troquer des sommes importantes en catimini contre l’enfouissement de déchets toxiques occidentaux en Afrique, avec les conséquences néfastes et durables sur des populations désinformées.
L’industrialisation africaine se résume à passer par pertes et profits les conséquences des externalités négatives sur les populations et sur l’environnement. En fait, le ministère en charge de l’environnement en Afrique demeure souvent le parent pauvre et ignoré des budgets gouvernementaux. En conséquence, les dirigeants africains doivent changer leur comportement et diffuser les bonnes pratiques en usant des média pour atteindre le maximum d’Africains. Jeter n’importe où les pelures de la canne à sucre comme au demeurant ne pas revoir tout le système de ramassage et de recyclage des ordures relève de l’absence de responsabilité individuelle et collective de l’Africain. Apprendre à trier le contenu des poubelles et créer des emplois dans le retraitement des déchets apparaît comme une nouvelle opportunité que l’Afrique doit saisir. Le modèle illusoire encore vivace dans de nombreuses têtes que tout peut être acheté, y compris la préservation de l’environnement propre doit prendre fin. Cette conception du monde tend à déresponsabiliser et conduit chacun, sur le terrain, à attendre la solution d’ailleurs, principalement d’un Etat qui lui se désintéresse du sujet en s’alignant sur les priorités des pourvoyeurs d’aide lesquels préfèrent privilégier les problèmes de l’eau et moins ceux de l’assainissement[i]. C’est ainsi qu’en l’absence de demande expresse des populations africaines (notamment des femmes) du fait de non-dits et de « tabous », l’Afrique se retrouve en deuxième position des continents où la corrélation est très élevée entre d’une part, la défécation à l’air libre du fait d’un système sanitaire inexistant ou des toilettes défectueuses et les maladies comme la diarrhée des enfants, les infections parasitaires ou le Choléra[ii]. La prise de conscience collective, la responsabilité individuelle, l’éducation permanente et le respect mutuel du bien public, à fortiori quand il s’agit d’un bien public global sont des domaines où il y a lieu de mener une politique d’information en vue d’un changement de comportements tant des dirigeants africains que de l’Africain de la rue.
2. Le maintien au pouvoir plus important que le changement climatique
Les pratiques et comportements d’antan auront du mal à évoluer avec ceux-là mêmes qui n’ont jamais cru à l’impact « englobant » des externalités environnementales sur tous les aspects de la vie, mais aussi sur leur maintien au pouvoir. Car il s’agit bien de cela. Pas de menaces directes pour la conservation du pouvoir à court et long-terme, alors pas d’action d’envergure nécessaire pour faire avancer localement les gestes qui « sauvent la planète », comme planter un arbre régulièrement, organiser les ressources renouvelables, passer du gaspillage au recyclage, etc. Avec des acteurs qui ne voient dans la fiscalité liée à l’environnement que des formes de « rentrée à peu de frais d’argent frais », l’Afrique de la décade 2010-2019 ne peut prendre le risque de recourir aux mêmes politiciens et d’en attendre des résultats différents de ce qu’ils ont fait par le passé. En effet, l’impression laissée par les dirigeants africains pris collectivement est que leur préoccupation première demeure la conservation de leur pouvoir (politique ou autre). Ce pouvoir qu’il ait été acquis avec ou sans démocratie usurpée, est très souvent obtenu avec l’appui direct ou indirect de l’armée et des puissances occidentales. Ce troc politique reflète la main mise sur une Afrique toujours considérée comme une variable d’ajustement. De nombreux dirigeants africains voient « rouges » lorsqu’un sujet tend à réveiller un soupçon quelconque sur des formes mêmes « imaginaires » de remise en cause du pouvoir. Des solutions palliatives sont alors mises en place et permettent de « désamorcer » ou « neutraliser » le sujet par rapport à la priorité numéro un : ne pas perdre le pouvoir.
Les véritables perdants de cette aventure sont les populations. Les conséquences palpables en Afrique depuis bien 50 ans sont regroupées en trois grandes catégories :
- un mal-développement généralisé,
- une neutralisation de l’industrialisation intelligente du continent, et
- une absence de la diffusion du pouvoir d’achat.
Bien sûr qu’il y a eu des progrès si l’on se réfère à quelques statistiques sociales. Mais quand on meurt en grand nombre dans les campagnes africaines des suites de maladies bénignes non traitées par manque de dispensaires ou que les populations ne peuvent sortir moins de 2 euros (1700 FCFA) pour l’achat de quelques médicaments génériques, alors la maladie de l’indifférence des dirigeants est en train de se propager.
Au plan de leur politique intérieure, certains dirigeants se contentent d’organiser un système de dépendance fondé sur le clientélisme et en contrepartie, des capacités de nuisance tentaculaires pour ceux qui échapperaient au maillage politico-économique. Du coup, il est bien difficile d’être indépendant, encore moins d’avoir une position différente, voire alternative à ceux qui tiennent le pouvoir, en Afrique. La complicité de nombreux chefs coutumiers ou de rois traditionnels n’est pas à exclure, tant l’appât du gain facile et rapide peut faire des ravages en zones « désalphabétisées ». Les résistances existent pourtant et s’organisent plus sur une base de la clandestinité afin d’éviter les infiltrations nombreuses et les délations diffamations parfois au sein de la même famille.
3. Diaspora : l’argent sans l’expertise et l’innovation n’est que chimère
Toute réforme ou toute modification des comportements et des pratiques en Afrique, tout retour vers plus de responsabilités individuelles et collectives supposent non seulement des alternatives, mais des acteurs dynamiques les mettant en œuvre. En ne reconnaissant dans sa Diaspora qu’une source facile de financement de la pauvreté familiale, l’Afrique s’est privée au cours des dernières décades d’un vecteur puissant de l’innovation et des alternatives. En freinant des initiatives locales qui n’ont aucunement pour objet de menacer le pouvoir en place ou même simplement de leur faire ombrage, les dirigeants africains se retrouvent isolés face aux conséquences des actes et arbitrages posés en termes de gouvernances passées.
II n’empêche que si les détenteurs de savoir et de diplômes sont des candidats potentiels à l’immigration, c’est aussi que le peu de poste disponibles localement sont accaparés par les oligarchies du pouvoir. Lorsque médiocrité, pouvoir et incompétence font bon ménage, cela permet à des experts coopérants d’occuper des fonctions décisionnelles avec des passeports diplomatiques africains, certains en profitant d’ailleurs pour fuir leur condamnation en métropole. Cette bourgeoisie de la médiocrité ne s’intéresse pas à l’accumulation, l’agglomération du savoir et des compétences. Au contraire, ils s’en méfient au point d’humilier les vrais détenteurs du savoir et du savoir-faire en les poussant à accepter les conditions de soumission au système, voire d’intégration du système ou alors de s’exclure, parfois sous la menace des armes blanches. On ne peut donc parler d’identité nationale en oubliant de rappeler l’origine des migrations. Toutefois, une négociation d’égal à égal sur un système de migration circulaire pourrait peut-être permettre de retrouver des réflexes d’organisation du consensus sur le sujet sensible de la migration, de la Diaspora et de l’emploi décent.
4. Conservation du pouvoir et élections frauduleuses : les couples militaro-civils
Paradoxalement, les promesses évasives des pays pollueurs de contribuer -lorsque les poules auront des dents- à un fond de 100 milliards de $US ne sont en fait qu’un refus diplomatique à l’adresse des dirigeants Africains qui parlent d’une seule et même voix sans enclencher véritablement un travail de fond avec les populations locales sur la préservation de l’environnement. Paradoxalement, l’échec de Copenhague sonne comme une exhortation de la communauté internationale aux dirigeants africains à changer leurs comportements envers les populations africaines. En vérité, c’est bien l’absence de confiance envers les dirigeants africains qui émerge à postériori de la Conférence de Copenhague.
L’absence de légitimité réelle en politique de plus en légion en Afrique, la banalisation de l’usurpation du pouvoir politique et économique par les militaires ou des civils, ces derniers travaillant souvent directement on indirectement pour les militaires, faussent les enjeux démocratiques. Il suffit de suivre de près les élections en terre francophone africaine du Togo, de la Côte d’Ivoire, du Burkina Faso, de la Guinée et de Madagascar en 2010 pour retrouver certainement les pratiques d’antan. Justement parce que la seule stratégie qui vaille pour les couples militaro-civils au pouvoir en Afrique est bien la conservation du pouvoir à tous les prix. Les méthodes utilisées sont si subtiles et nombreuses qu’il suffit d’en citer quelques unes pour se convaincre de la difficulté d’asseoir la démocratie en Afrique sans une assistance divine. Voici quelques unes des techniques les plus connues :
- des listes électorales frauduleuses ou incomplètes qui n’empêchent pas le nombre de votants d’être parfois supérieur au nombre total sur la liste ;
- l’usurpation des urnes par des systèmes informatiques dolosifs permettant de rejeter le comptage manuel avec des représentants des partis en présence comme témoins et des observateurs indépendants y compris ceux de la Diaspora ;
- le rôle trop souvent ambigu des observateurs internationaux et africains empêchés d’annoncer ce qu’ils ont observé quant ils ne déclarent pas par « automatisme » et « ventrologie » que tout s’est bien déroulé ;
- des commissions électorales dites « indépendantes » ou des cours constitutionnelles faisant preuve d’amnésie lorsqu’il s’agit d’annoncer la vérité des urnes et procéder au recomptage en présence de tous les protagonistes ;
- des populations condamnées au silence des cimetières, parfois dans le vrai sens du terme, si elles veulent retrouver leur poste de travail une fois les élections de façade terminées ;
- une communauté internationale, africaine et sous-régionale incapable[iii] de donner des leçons de démocratie par l’exemple et se contentant d’être si véhémente à condamner et si peu convaincante lorsqu’il s’agit de passer à l’acte pour faire recompter manuellement les votes des citoyens africains, faire respecter la constitution des pays ;
- une menace d’intervention de puissance étrangère prétextant la défense et la protection de ressortissants nationaux qui sont en réalité rarement inquiétés ;
- des puissances occidentales ou asiatiques qui font de l’interventionnisme pour s’accaparer des richesses du sol et du sous-sol mais sont incapables d’enlever des militaires putschistes qui n’utilisent leurs armes que contre leurs propres concitoyens en tout non-respect des droits humains les plus élémentaires…
Alors, quel crédit accorder à la notion de « démocratie » dans ces conditions ? Pourquoi se faire massacrer au nom d’une démocratie occidentale qui, ici vante les formes, ailleurs condamne au fond, mais varie régulièrement à l’aune des intérêts des puissances occidentales et de leurs alliés par défaut. Ceux qui veulent conserver à tous prix le pouvoir en Afrique sans pour autant faire progresser le bien-être des populations ont bien compris ce jeu mortel de vases communicants où le seul perdant est systématiquement la population, notamment la partie la plus vulnérable et faible en termes de pouvoir de négociation.
5. Clientélisme, banalisation de l’indifférence
Il ne reste plus pour les autocrates africains qu’à mettre le budget nécessaire au niveau des médias et de la communication pour maintenir sous leur férule une large majorité des responsables africains pris dans le piège du clientélisme, tant la ventrologie et le besoin de survie finissent par reprendre leurs droits. Cette espèce de neutralisation de l’espérance, cette forme de réforme avec ceux là-mêmes qui empêchent la réforme de s’opérer fonde ses ressorts sur la banalisation de l’indifférence.
L’inanité d’une telle espérance doit être établie à partir des résultats des 50 dernières années où les Africains placés aux commandes de l’Etat et parfois des structures décisionnelles privées, se concertent, se coalisent en toute non-transparence, pour conduire l’Afrique vers un destin qui n’est pas le sien : celui de soumettre l’Afrique comme les Africains aux jougs des puissances extérieures par l’incapacité d’organiser l’unité des Africains et de tenir les engagements faits ensemble.
L’illusion est d’autant plus forte qu’une nouvelle génération au pouvoir tend à faire croire que les technocrates sont « techniquement » neutres, alors que souvent ces derniers peuvent servir de courroies de transmission et d’approfondissement d’un système de perpétuation d’une Afrique coincée dans un corset de contraintes, toutes ayant pour objectifs de faire passer les priorités de populations africaines en priorité seconde. Entre fatalité et banalisation de l’indifférence de nombreux dirigeants africains, c’est bien une culture de l’individualisme, aux antipodes de la solidarité africaine, qui est en train de prendre corps durablement en limitant la liberté et la démocratie à sa portion la plus congrue.
Avec une utilisation subtile et abusive du vieil alibi de l’Africain complexé par l’état apparent de sous-développement non sollicité, il n’est plus surprenant de voir des Africains commencer à s’interroger sur le rôle effectif des dirigeants africains après 50 ans d’indépendance juridique. Sont-ils co-responsables des nombreuses crises récurrentes en Afrique afin de mieux profiter de la misère que cela provoque pour conserver le pouvoir et satisfaire des intérêts étrangers ou leurs succédanés locaux ? Peut-être !
Alors qu’au plan mondial, l’unilatéralisme américain et la suprématie européenne sont largement contestés par les nouvelles puissances émergentes d’Asie et d’Amérique latine, les dirigeants africains n’ont toujours pas encore de stratégie collective africaine vis-à-vis des puissances comme les Etats-Unis, l’Union européenne, la Chine, l’Inde et le Brésil. Trop de dirigeants, trop soucieux de leurs carrières et de leur notabilité, refusent de sortir des « sentiers battus » de la diplomatie dilatoire où les décisions et résolutions se suivent et ne sont pas mises en œuvre. Il suffit de lire les décisions de l’Union africaine, des communautés économiques régionales ou même des Etats pour confirmer les écarts entre les « paroles » et les « actes », tout en distinguant soigneusement entre les démarches clientélistes et les initiatives au service du mieux-être des populations. L’indifférence se répand aussi parce qu’il n’y a pas de contrepouvoir digne de ce nom malgré l’importance et l’engagement de nombreuses structures de la société civile. Alors que faire pour que 2010-2019 ressemble à une renaissance de l’Afrique ? Reconstruire une société de confiance et acceptant de mettre fin la médiocrité. Le faire pacifiquement permettra une accélération des mutations de l’Afrique. Le réaliser par des contestations dans la rue risque de ne pas donner les résultats escomptés du fait des dérives imprévisibles. La vérité des urnes devient le point de départ d’un renouveau d’une société de confiance en Afrique. Les élections de 2010 en Afrique sont donc cruciales et détermineront la trajectoire de l’Afrique au cours de cette décade.
Mutation ou perpétuation du statu quo ?
6. Indifférence et servir les populations : opter pour le solidarisme contractuel
Une grande majorité des décisions en Afrique ne sont pas prises pour servir en priorité les populations africaines mais bien pour conserver les pouvoirs et les postes. Les services au peuple ne sont rendus qu’accessoirement. Cette erreur stratégique africaine, en opération depuis plus de 50 ans, ne peut servir de mode opératoire pour la décade 2010-2019. Les exemples du Cap Vert, de l’Ile Maurice, du Ghana et du Rwanda, ouvrant la voie vers des formes alternatives et dynamiques de la démocratie et de la prospérité partagée, méritent d’être rappelés comme des initiatives prometteuses. Pour le Rwanda, il y a lieu d’attendre l’effectivité d’un véritable système rendant possible les alternances politiques pacifiques.
La transparence, l’augmentation du pouvoir d’achat, le volontarisme au service des populations, l’augmentation du rôle des femmes dans les structures décisionnelles, la légitimité fondée sur la vérité des urnes constituent les fondements de la construction d’une société de confiance. Cette architecture démocratique et la montée des contre-pouvoirs locaux tendent à servir de fondement à une économie alternative reposant sur le solidarisme contractuel.
Dans l’attente de cette mutation des responsabilités individuelles et collectives, il y a lieu de noter que les dirigeants africains, en catimini, sont en train de tomber dans le piège d’un autre mouvement spéculatif mondial fondé sur la « ruée sur les terres africaines[iv] ». Que des espaces africains soient vendus, mis en location pour des durées de 49 ans à 99 ans sans l’avis des populations et que les produits émanant de ces espaces ne soient destinés en priorité et souvent en totalité qu’à des populations non africaines sauf le partage des bénéfices qui se fait avec les dirigeants africains, il y a lieu d’ouvrir un vrai débat, voire un référendum national, voire africain. Au lieu de faire comme une partie des Suisses qui croient limiter l’expansionnisme musulman[v] par une « votation » bloquant la construction de minarets dans leurs cantons, les Africains gagneraient à interpeller les dirigeants africains sur les décisions déjà prises de mettre une partie de leur territoire national sous la coupe de firmes étrangères, qui n’y voient d’ailleurs qu’une simple annexion « économique ». A défaut, il n’est pas impossible que d’ici 2019, un cinquième du territoire africain n’appartienne plus à l’Afrique. Certains africains des zones rurales risquent de se faire expulser comme de vulgaires « clandestins » sur des propriétés privées que les dirigeants d’aujourd’hui auront, en catimini et en toute non-transparence, cédées contre des promesses d’infrastructure et d’argent frais. Il devient urgent aujourd’hui, si le référendum ne peut avoir lieu, que les dirigeants africains, face à leur responsabilité individuelle, annoncent librement tous les contrats en cours ou déjà signés avec les montants réellement transférés et les résultats réellement attendus. Au cas où ces résultats ne seront pas au rendez-vous, il y a lieu de proposer des sanctions qui engagent la responsabilité de gouvernants qui auront alors vendu l’Afrique contre des contreparties personnelles.
Les terres africaines ne sont pas à vendre. Pourtant, c’est dans ce secteur que les dirigeants africains oublient paradoxalement de parler d’une seule voix en signant des contrats directement avec les firmes multinationales sans appel d’offres, sans obtenir l’aval des populations ou de leurs représentants parlementaires. Pourtant, des propositions existent[vi] à partir desquelles les dirigeants africains peuvent collectivement imposer des conditions aux investisseurs étrangers en faveur des populations. Il s’agit notamment de coupler le développement des infrastructures de bien-être locales avec une discrimination positive en faveur des populations locales pour au moins 50 % des productions, richesses ou valeurs ajoutées extraites des terres mises en concession ou vendues. Autrement, les Africains doivent profiter de la prospérité partagée.
7. La priorité du modèle de développement doit reposer sur le pouvoir d’achat
Ainsi, au-delà du changement climatique, c’est bien le modèle de développement que doit se choisir l’Afrique pour les prochaines décades qui est en jeu. Le mimétisme du modèle historique de l’industrialisation des pays riches n’est plus possible. Le modèle fondé sur l’expansion rapide, productiviste aliénant le travailleur et saccageant l’environnement sans d’ailleurs permettre une amélioration du pouvoir d’achat de l’Africain moyen n’est plus à conseiller. Ce ne sont pas les faiblesses et les pièges de l’aide au développement[vii] qui viendront améliorer ce pouvoir d’achat. C’est bien la prise de conscience et la mise en œuvre méthodique et systématique du développement des capacités et des capabilités productives qui sortiront l’Afrique de l’illusion de la gouvernance du « tam-tam de la bouche », formule consacrée qui rappelle que de nombreux dirigeants africains finissent par se convaincre que le développement devient effectif dès le discours terminé…
L’indifférence interpelle tous les citoyens africains et pas seulement quelques dirigeants africains. Les Africains doivent reconsidérer leurs comportements, attitudes et pratiques afin de donner une chance à l’émergence d’une nouvelle économie alternative où la prospérité est partagée. YEA.
Notes :
[i] Maggie Black, « Le Tabou des excréments, péril sanitaire et écologique », in Le Monde Diplomatique, janvier 2010, pp. 14-15.
[ii] Organisation mondiale de la Santé, Bulletin de l’Organisation mondiale de la santé, vol. 87, 885-964, OMS, Genève, décembre 2009.
[iii] Yves Ekoué Amaïzo (sous la coordination de), L’Afrique est-elle incapable de s’unir ? Lever l’intangibilité des frontières et opter pour un passeport commun, avec une préface de Prof. Joseph Ki-Zerbo, collection « interdépendance africaine », éditions L’Harmattan, Paris, 2002, 664 pages.
[iv] Joan Baxter, « Ruée sur les terres africaines », in Le Monde Diplomatique, janvier 2010, p. 18.
[v] Patrick Haemi et Stéphane lathion (sous la dir. de), Les Minarets de la discorde. Eclairage sur un débat suisse et européen, Infolio, Paris, 2009.
[vi] Olivier de Schutter, « Large-scale land acquisitions and leases : A set of core principles and measures to address the human rights challenge », Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme, www2.ohchr.org
[vii] Glenn Hubbard and William Duggan, The Aid Trap, Columbia University Press, Columbia, USA, 2009
pipipi says
je viens de lire l’article de Mr Ekoué Amaizo “quelle Afrique pour 2010-2019: la banalisation de l’indifférence?”. et j’ai été très intéressée par les nombreuses problématiques soulevées dans et par son sujet. je suis étudiante en Master histoire européenne à l’université du Luxembourg et c’est dans le cadre de la rédaction de mon Mémoire dont je n’ai pas encore défini le sujet que je souhaite entrer en contact avec lui. Aussi, je vous serais infiniment reconnaissante de ma passer son adresse (e-mail, Tel si possible, etc.) merci.
nsom protais says
je viiens de lire cet interessant article et j’apprecie la maniere de penser de m. Ekoué j’aimerais toujours recevoir les documents de la sorte par mail merci