A la date du 12 février 2010, les élections présidentielles, programmées par le Président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) pour le 28 février 2010, viennent d’être reportées au 4 mars 2010 suite aux ultimes discussions entre le médiateur burkinabé Blaise Compaoré et le Président togolais Faure Gnassingbé[i]. Ce dernier semble prendre en compte les arguments avancés par la CENI et la plupart des partis pour un report de ces élections suite au constat général de la non-crédibilité de la liste électorale et l’absence de consensus entre les membres de la CENI sur cette liste. Si cette nouvelle date venait à être respectée, alors la campagne électorale devrait se dérouler entre le 16 février et le 2 mars 2010. Affirmer alors que tout le processus électoral doit se terminer au plus tard le 5 mars 2010 suppose que les recours et contestations sur les résultats qui seront proclamés ne pourront être pris en considération avec sérieux, sauf à être invalidés ou déclarés irrecevables.
En réalité, il existe une contestation sérieuse entre une majorité des membres et le Président de la CENI notamment sur la légalité, la fiabilité et la qualité de la liste électorale. La liste définitive n’est pas publiée, les bulletins de vote ne sont pas disponibles et de nombreuses autres irrégularités existent qui font ou vont faire l’objet de recours. Il y a donc bien une volonté de passage en force électorale puisque les recours ne pourront pas être traités. Tout ceci risque d’ouvrir la porte à des improvisations douloureuses pour le peuple togolais. En attendant, l’Union des Forces du changement (UFC) suspend sa participation à la CENI et pourrait envisager de la quitter si les corrections demandées ne sont pas apportées dans les meilleurs délais[ii]. Ce qu’il y a de sûr, les 4 jours supplémentaires de report de l’élection présidentielle ne permettront pas de résoudre l’ensemble de ces problèmes. Il risque d’y avoir une impasse. Les raisons font l’objet des dix (10) points mis en lumière ci-après.
1. La Tripolarisation du jeu politique au Togo
La campagne électorale décalée et prévue pour durer deux semaines se déroulera comme d’habitude avec des arrangements inopinés tant du côté du parti au pouvoir que du côté de la mouvance des partis appelant à un changement et une alternance sans un véritable programme commun. Il y a de fait une tripolarisation du paysage politique togolais avec sept (7) candidats retenus par la Cour constitutionnelle sur recommandation du Gouvernement et de la CENI. Il se répartissent en trois pôles que l’on peut classer comme suit :
1. Pôle 1: L’actuel chef de l’Etat, Faure Gnassingbé du Rassemblement du peuple togolais (RPT) qui tente d’arrimer à sa mouvance présidentielle les partis qui n’ont pas clairement opté pour soutenir sa candidature unique ;
2. Pôle 2 : Jean-Pierre Fabre, de l’Union des forces de changement (UFC) qui remplace in extremis Gilchrist Olympio, le fondateur et Président de l’UFC, devient, suite à des pourparlers de dernières minutes à Paris (9 février 2010), le candidat unique de ce pôle. Il a reçu le soutien de trois (3) personnalités de poids : Gabriel Messan Agbéyomé KODJO, le Président de l’Organisation pour bâtir dans l’union un Togo solidaire (OBUTS) et ancien premier-ministre du Togo, Kofi Yamgnane, candidat indépendant dont la candidature a été invalidée par le Gouvernement et la Cour constitutionnelle du Togo et François Boko[iii], ex-ministre de l’intérieur, actuellement réfugié en France et pris en étau par son obligation de réserve en contrepartie de sa sécurité dans le pays. Ce dernier est à l’origine de la convocation de la réunion de Paris. Cette nouvelle alliance par défaut s’intitule : le Front Républicain pour le Changement et l’Alternance et prône la candidature unique de Jean-Pierre Fabre avec Agbéyomé Kodjo comme directeur de campagne et Koffi Yamgnane dans le rôle de Porte-parole de l’alliance ;
3. Pôle 3 : il s’ agit des quatre (4) autres candidats à savoir :
- Mme Kafui ADJAMAGBO-JOHNSON, de la Convention démocratique des peuples africains (CDPA), la seule femme candidate à l’élection présidentielle ;
- Yawovi AGBOYIBO, du Comité d’action pour le renouveau (CAR) ;
- Bassabi KAGBARA, du Parti démocratique panafricain (PDP) ; et
- Jean Nicolas Messan LAWSON, du Parti du renouveau et de la rédemption (PRR).
2. Bipolarisation au Togo et société de défiance
Avec des élections à un tour de scrutin, l’enjeu des élections au Togo, consiste à réussir la bipolarisation du jeu politique, encore faut-il mettre en veilleuse la propension naturelle du pouvoir à structurer la fraude électorale [iii] pour la rendre acceptable par les communautés internationales et africaines. Cette exercice périlleux n’est pas neutre car cela a conduit depuis quatre décennies la gouvernance togolaise à produire une société de défiance. Une des conséquences directes, outre une certaine culture de la délation qui empêche l’accumulation des valeurs ajoutées entre Togolais, est qu’avant les élections, la transparence est sacrifiée au profit d’alliances de circonstances selon les postes que chacun des protagonistes souhaite occuper dans un futur gouvernement.
Aussi, ceux qui ont la franchise de se positionner clairement avant les élections présidentielles prochaines comme le nouveau Front Républicain pour le Changement et l’Alternance, contribuent à structurer et clarifier la bipolarisation. Néanmoins, les quatre candidats qui constituent le 3e pôle très hétéroclite peuvent décider de l’avenir du Togo en s’alliant à l’un ou l’autre des pôles 1 ou 2. En effet, la notion non démocratique de “candidature unique” n’est pas le privilège des partis d’opposition. Sans le dire et tout en s’assurant subtilement des instruments de “rabattage” et de “mobilisation”, la mouvance présidentielle est en train de légitimer sa candidature unique puisque le pôle 3 n’a d’autre choix, du fait des élections à un tour, que de choisir entre les pôles 1 ou 2. Il va de soi que les éléments de la tractation sont principalement les postes, les moyens financiers et alimentaires et accessoirement l’intérêt de la population togolaise. Il s’agit de “real politik”. La population togolaise elle-même n’est pas à absoudre dans cette logique puisque la vente au rabais et la distribution des sacs de riz made in China dans les villages togolais vont bon train ces dernières semaines[iv], instaurant un véritable dysfonctionnement du marché, ce qui fâchent de nombreuses commerçantes honnêtes.
C’est donc au cours de ces négociations pour s’adjuger des meilleures positions dans l’après-élections présidentielles que les égo, l’argent, les postes négociés peuvent prendre le dessus sur les intérêts supérieurs de la Nation. Mais avec l’expérience antérieure de ce genre de tractations il est facile de comprendre que certains des protagonistes peuvent avoir des “exigences” extraordinairement ambitieuses au point de justifier leur refus de s’allier au pôle qui prône l’alternance et le changement et choisir de perpétuer le système existant en cautionnant les approches palliatives non sans réclamer furtivement ou ouvertement la valeur monétaire qui permet le vagabondage entre les pôles 1 et 2. Au demeurant, l’unité du pôle 3 et sa capacité à faire jeu égal avec les pôles 1 ou 2 n’est pas crédible aujourd’hui. Ce n’est pas une raison pour croire que se priver de leur apport sera sans conséquences sur le scrutin. Par ailleurs, les contraindre par défaut ou par la force ou l’argent à rejoindre les rangs des pôles 1 ou 2 n’est pas la solution. Il y a lieu de négocier en ayant comme objectif l’intérêt de la population togolaise.
3. Réformes-subterfuges et Armée togolaise
Il est vrai que des réformes ont été menées au Togo sous la présidence de Faure Gnassingbé comme celle de la Cour constitutionnelle du Togo. Suite à des pressions étrangères, le pouvoir togolais a fini par accepter d’alléger les conditions d’éligibilité des candidats à la Présidence togolaise. Mais à quoi servent de telles réformes si par des subterfuges juridiques, illégaux et d’ingérence du pouvoir exécutif, cela permet d’éliminer sans élections des candidats comme Gilchrist Olympio de l’UFC ou Koffi Yamgnane de Sursaut Togo.
Oui, il y a eu réforme et les forces armées togolaises (FAT) ont été dotées d’un statut. Mais les FAT n’ont pas acquises le statut de FATR, à savoir : Forces armées togolaises et républicaines. En réalité, ces dernières ont été en définitive celles qui ont décidé de soutenir l’actuel Président du Togo malgré les nombreuses irrégularités, les morts et les violences perpétrées lors des élections de 2005. La question reste donc posée de savoir : qu’est-ce qui pourrait amener l’armée togolaise à devenir une armée républicaine afin de se consacrer principalement à des tâches d’infrastructure et de logistique tout en préservant l’éthique et le respect du citoyen togolais ? Les FAT peuvent-elles adouber une nouvelle fraude électorale et se contenter de vivre en vase clos avec comme seule ambition celle de tirer sur la population togolaise et d’empêcher une autre gouvernance économique, sociale et culturelle d’émerger au Togo ? Si l’armée bénéficie de privilèges, parfois exorbitants, au point d’être payée alors que d’autres fonctionnaires ne le sont pas, ceux d’entre les militaires et plus largement la police et la gendarmerie qui profitent de ces privilèges devraient s’interroger sur les principes d’organisation d’une société de confiance notamment en révisant les notions d’égalité des droits de tous les citoyens dans une République et la propension d’une société de défiance à servir de terreau pour des explosions sociales en devenir ?
Bref, les FAT sont aussi responsables de leur choix et sont invitées à s’interroger sur la nécessité ou non de reconduire, avec ou sans fraude, leur candidat à la tête du Togo. Car ce choix offrira l’occasion aux populations togolaises y compris la Diaspora d’être fières de disposer d’une armée républicaine intéressée à la cause du développement. Ce sera l’occasion historique de justifier une amnistie nationale, voire internationale pour les actes du passé. Quel que soit le soutien financier, en armes et en avantages divers, qui aurait pu avoir été offert à quelques éléments non-républicains des FAT, les Togolais et Togolaises, dans leur grande majorité, demeurent attachés à une armée républicaine et défendront ceux de l’armée qui n’ont pas retourné leurs armes contre leurs concitoyens. Paradoxalement, dans un système où prévaut la démocratie palliative et de façade légitimée par la communauté internationale notamment l’Union européenne et la France, c’est bien l’armée qui, en dernier ressort, sollicite et valide le Président de la République qui reste le chef des armées.
4. Togo : bilan économique alarmant entre 2005 et 2010
La collusion entre les grands dignitaires des FAT et certains dirigeants de la communauté internationale a abouti aux choix actuels lesquels, sur le plan économique, ont enfoncé le Togo dans une gouvernance sans marge budgétaire, ce qui a rendu le pays de plus en plus dépensier et de plus en plus dépendant entre 2005 et 2010. Il suffit de rappeler que pendant les cinq années de gouvernance économique de Faure Gnassingbé au Togo, le solde budgétaire du Togo sans les dons a chuté passant respectivement de -4,6 % du produit intérieur brut (PIB) à -6,4 %. Cette situation reste négative malgré l’apport des dons extérieurs et est passée de -3,5 % à -3,7 % du PIB[v]. La réalité est que pour équilibrer son solde budgétaire, plus de 50 % du budget du Togo provient de l’aide extérieure, ce qui rend le Togo tributaire des conditionnalités des donateurs, qu’ils soient privés ou publics. En réalité, cette politique, si elle devait perdurer, conduirait le Togo à céder des biens et des actifs, ce qui fait dire à certains que la politique du Togo contribue à “vendre le Togo” par petits bouts, sans que la population, ni l’armée ne s’en rendent compte.
Le réveil des consciences n’est possible que si la parole est librement donnée à des expertises indépendantes. Mais là encore, le Togo, malgré des progrès récents sur la liberté de parole, ne présente aucune garantie tant pour l’individu que pour les investisseurs. Il n’est d’ailleurs pas étonnant qu’avec une politique du “vivre au-dessus de ses moyens” et donc à crédit, la politique des cadeaux (riz vendue à perte ou crédit non remboursable après les élections en cas de victoire, etc.), la dette extérieure du Togo envers ses créanciers officiels soit passée de 10,3 % du PIB en 2005 à l’arrivée de Faure Gnassingbé pour atteindre 53,2 % du PIB en 2009 avec une pointe de 84,1 % en 2006 et des estimations pour 2010 autour de 29,9 % du PIB si les créanciers décident d’effacer une partie de la dette[vi]. Les Togolais doivent donc sanctionner ou pas la politique économique menée depuis cinq ans et voir si leur pouvoir d’achat s’est amélioré substantiellement depuis 5 ans. L’électeur togolais doit pouvoir identifier qui pourra constituer une équipe crédible, dans le pôle 1, 2 ou 3, et pourra raisonnablement avoir des chances d’améliorer ce pouvoir d’achat dans les cinq ans à venir et au-delà. Car se tromper de Président et son équipe, c’est aussi condamner les générations présentes et futures à payer la dette de ceux qui obtiennent des crédits aujourd’hui, poussent les remboursements à plus tard (10 ans ou plus) et ne se soucient de faire du populisme qu’à la veille des élections présidentielles. Le devoir de mémoire s’impose et, à défaut, une réflexion sur l’amélioration ou non du pouvoir d’achat et des conditions sanitaires et hygiéniques au Togo s’avère indispensable avant de voter, s’il n’y a pas fraudes électorales.
Entre 2005 et 2010, la balance commerciale du Togo est apparue structurellement déficitaire passant de -3,9 % du PIB à -15,9 et le solde des comptes courant extérieur avec les dons reçus est passé de +7,8 % à -8,2 %[vii]. Il y a donc un mauvais bilan économico-social qui grâce à des prêts octroyés par les institutions d’appui de la communauté internationale avec des périodes de grâce de plusieurs années, empêche tout simplement le processus électoral transparent de fonctionner. Les électeurs togolais, même en sans l’apport de la Diaspora, sont privés d’une liberté fondamentale, celle de faire “rendre compte au pouvoir exécutif et à son gouvernement” des conséquences des politiques et arbitrages économiques sur le citoyen togolais. La résultante de tout ceci est qu’il est difficile de croire les différents médias d’Etat, ceux qui sont à la solde de l’Etat ou encore ceux qui travaillent pour cet Etat contre des sommes d’argent importantes et qui clament haut et fort que le bilan économique au Togo est positif.
Il n’en est rien.
Il suffit de rappeler que la croissance réelle du PIB (revenu national) estimée pour 2010 est estimée à 2,6 % alors que la moyenne de l’Afrique subsaharienne à 4,1 %, celle de la zone franc à 3,6 % et celle de l’Union économique monétaire ouest-africaine (UEMOA) à 3,9 %. Le Togo n’est pas un bon élève dans la sous-région et a perdu son rôle d’influence sous-régionale avec en filigrane l’absence d’effets d’entraînements tangibles. Quel que soit le candidat choisi, les forces armées togolaises doivent nécessairement réfléchir à la place du Togo d’ici 2020 et faire le choix, soit de laisser le Togo à la traîne de sa sous-région et de l’Afrique, soit de retrouver les fondements d’une société de confiance, fondement d’un dynamisme refondateur du Togo.
5. La “candidature commune” est préférable à la “candidature unique”
Il s’agit moins de faire le choix entre une “candidature unique” tant dans le pôle 1 que dans le pôle 2 que de trouver une “candidature commune” surtout après des élections présidentielles où l’on ne peut exclure ni la fraude électronique, ni l’annonce unilatérale de la victoire du candidat du pouvoir par l’Administration ou de la Cour constitutionnelle malgré des recours en annulation qui ne manqueront pas de pleuvoir. En référence aux élections présidentielles du Togo en 2005 et la récente approche expérimentée au Gabon lors des élections présidentielles du 30 août 2010, le monde a assisté impuissant quelques semaines plus tard à l’irrecevabilité de tous les recours en annulation formulés par la Cour constitutionnelle gabonaise . Avec des institutions qui font un usage dolosif de leur prérogative, il y a lieu de s’interroger sur la pérennisation d’un tel système et surtout sa capacité à organiser une société de confiance dans le long terme.
Aussi malgré de nombreux appels du peuple togolais, de la Diaspora, des responsables de partis politiques et des personnalités privées d’élections, c’est le principe de la candidature unique qui semble avoir été retenu par le pôle 1 et le pôle 2. Cette approche ne semble pas favoriser l’adhésion claire et franche des personnalités classées dans le pôle 3 composé d’individualités indépendantes et hétéroclites. C’est en fait une approche obsolète de la politique que d’exiger une candidature unique. Le parti au pouvoir (Pôle 1) l’a toujours imposé en usant des moyens qui lui sont propres (argent, pouvoir, postes, intimidations, nuisances, éviction de candidats dans des conditions douteuses, etc.). Il est dommage que le Pôle 2 notamment l’Union des Forces du changement n’ait pas compris que cette approche a régulièrement conduit les membres du Pôle 3 à monnayer et négocier leur position dans la gestion de l’Etat. En fait, le pôle 3, quelles que soient les personnalités qui y figuraient dans le passé, a fini par estimer qu’il était dans son intérêt de rejoindre le pôle 1, plutôt volontairement que de manière forcée. Cela signifie que les offres faites par le pôle 2 et plus particulièrement le concept de “candidature unique” ou les slogans consistant à dire qu’il faille rejoindre l’UFC comme seule alternative pour réussir l’alternance ne sont pas convaincants. Cet argumentaire a servi de repoussoir dans le passé. D’autres partis ou mouvements politiques ont eux aussi menés des luttes et des campagnes pour l’alternance selon leurs moyens et souhaitent négocier leur place dans une coalition de candidature commune et non dans un espace de candidature unique. Encore faut-il que les règles du jeu soient posées et que le processus de négociation soit transparent et démocratique quant au choix des personnalités dites “communes”.
Bref, la différence entre la candidature commune et la candidature unique est que la dernière limite l’ouverture à quelques partis, ce qui manifestement ne suffit pas pour réussir l’alternance au Togo. La candidature unique ne permet pas à ceux qui forment le pôle 3 des “non-alignés” de donner un mandat à celui étant désigné comme un candidat unique. Ainsi, au lieu d’agréger les expériences, les compétences et les forces, la candidature unique a pour effet plus d’organiser des agglomérations autour du pôle 2. Il y a donc lieu rapidement de convertir la notion de “candidature unique” en “candidature commune” facilitant ainsi des négociations sérieuses afin de ne pas pousser les membres du pôle 3 à prendre des décisions qui n’iront pas dans l’intérêt des populations togolaises. La candidature commune permet aussi aux forces armées togolaises républicaines (FATR) de trouver des interlocuteurs avec lesquels discuter pour faire valoir sa position et s’assurer que celle-ci sera prise en compte. Enfin, la candidature commune devrait refléter de manière plus équilibrée la diversité des programmes politiques des partis s’inscrivant dans cette logique. Ce n’est qu’à cette condition que l’armée togolaise [iii] pourrait éventuellement faire un choix différent de celui effectué en 2005 avec les conséquences sanglantes que l’on connaît et les impunités qui s’en sont suivies.
6. Illégalité de la convocation du corps électoral par le pouvoir exécutif togolais
Malgré les multiples tentatives de la part des partis d’opposition, il n’y a pas eu d’accord entre les partis d’opposition et le pouvoir togolais à Ouagadougou le 9 février 2010 sur le report de la présidentielle[viii]. Pourtant, un décret présidentiel du Président Faure Gnassingbé, celui qui officie pour l’ex-parti unique, le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT), a permis la convocation du corps électoral togolais en toute illégalité. Comment peut-on convoquer des élections lorsque la liste électorale a été avalisée uniquement par le Président de la CENI sans consensus avec les autres membres de la CENI ? La liste électorale togolaise fait l’objet de contestations de nature à empêcher, d’une part des électeurs togolais de voter, et d’autre part à des non-électeurs de voter par procuration non certifiée.
Des observateurs européens au nombre de 46 sont arrivés au Togo au début février 2010 suite à une requête du Gouvernement togolais datée du 16 septembre 2009. Le chef de la Mission d’observation, José Manuel Garcia-Margallo y Marfil, a précisé “qu’il n’y aura pas des engagements, des déclarations ou jugements politiques que lors de la Déclaration préliminaire qui sera faite deux jours après les élections” et a rappelé que ses termes de références ne permettent pas à “la Mission d’observation électorale de l’Union européenne de se prononcer sur le processus en cours” avant la présentation de sa Déclaration préliminaire, elle-même suivie deux mois plus tard par un “rapport final “analytique et détaillé”[ix].Aussi, le principe est clair : les observateurs européens ne font que suivre le déroulement des élections et ne peuvent influer sur la modification éventuelle des irrégularités. Cela ne peut que remettre en cause l’utilité même de ces observateurs qui ne peuvent définitivement donner leurs points de vue qu’au minimum deux (2) mois après la proclamation des résultats des élections. Les observations ne servent en fait que de recommandations pour l’Union européenne pour les prochaines échéances électorales. Il faut croire que les recommandations de l’Union européenne à partir des observations des présidentielles de 2005 au Togo qui a constaté l’inversion des résultats et donc une modification de la vérité des urnes n’ont pas nécessairement conduit à mettre en cause la légitimité de l’exécutif togolais. Il est aussi prévu une délégation du Parlement européen deux jours avant la date retenue pour le scrutin présidentiel mais les termes de référence de cette mission ne sont pas connus à ce jour.
Aussi, les délais prévus de manière unilatérale par le pouvoir togolais pour les contestations du processus électoral et réduits à quelques jours condamnent les recours éventuels des candidats ou de la société civile togolaise à ne servir que de “faire valoir” ou de “justificatifs” pour témoigner d’un processus électoral palliatif. Si c’est seulement deux mois après que l’Union européenne pourra se prononcer sur le processus électoral à partir des rapports de ses observateurs, et si, entretemps, cette même Union européenne avec en tête la France légitime les résultats prononcés, alors une fois encore, un processus dolosif en droit aura avalisé une démocratie représentative palliative et un processus électoral de façade.
En guise d’exemple, le Secrétaire général du Rassemblement du peuple togolais (RPT), le parti au pouvoir, a rappelé que “tout le processus électoral doit prendre fin au plus tard le 5 mars 2010”[x]. Autrement dit, toute contestation qui est prévue et acceptée par la loi électorale togolaise peut avoir lieu, mais rien ne préjuge de sa recevabilité, encore moins de sa prise en compte au cas où ces contestations se révéleraient n’être que des entorses graves au point d’invalider tout le processus électoral. Comme il n’est pas possible de faire appel des décisions de la Cour constitutionnelle togolaise, il est clair qu’il y a là une invitation non écrite d’amener cette Cour à se déclarer incompétente ou alors à déclarer irrecevable l’ensemble des recours qui pourraient gêner le pouvoir en place en cas de fraude. Les partis d’opposition, pris dans le jeu du “qui gagne, perd” en ont accepté le principe par défaut depuis l’“accord politique global” de Ouagadougou (7 au 19 août 2006) qui ne sont en fait que le prolongement lointain de la décision unilatérale du feu Président Mitterrand et son premier Ministre, Edouard Balladur en 1993.
7. Elections présidentielles au Togo en 1993 : une histoire qui se répète ?
Le 29 mai 1993[xi], sur instruction du feu Président français, François Mitterrand et son Premier ministre de l’époque Edouard Balladur, une délégation française conduite par le chef d’état-major de l’Armée française, l’amiral Lanxade, effectua une visite au Togo face à la crise électorale annoncée. Cette intervention permit, non pas le règlement de la crise, mais que le feu Président Gnassingbé Etienne Eyadéma décida le 2 juin 1993 de reporter unilatéralement les élections pour le 20 juin 1993. L’interventionnisme français et surtout les nombreuses critiques et menaces de la part de l’Allemagne et des Etats-Unis ont fait monter la pression. Pour éviter que cette pression ne se transforme en ingérence dans les affaires intérieures togolaises, la formule de la sous-traitance du processus électoral a été mise en place. Le 12 juin 1993, le Président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, après avoir reçu des instructions et consignes de Paris, se rendit à Lomé pour proposer au feu Président Etienne Gnassingbé Eyadéma, la mise en place d’une médiation entre la mouvance présidentielle et la mouvance des partis de l’opposition (plus connue sous COD II) avec le maintien du premier ministre de l’époque Joseph Koffigoh à la tête du Gouvernement togolais jusqu’aux prochaines élections. Bref, il fut bien question :
- d’une force majeure avec l’intervention de la communauté internationale et de la France,
- d’une bipolarisation des partis politiques togolais qui se fit sans précipitation,
- d’un report du scrutin présidentiel,
- de la constitution d’un Gouvernement de transition avec un Premier ministre aux pouvoirs élargis (sur papier).
Il y a lieu de se demander s’il y aura véritablement de grandes différences entre ce qui s’est passé en 1993 et les prochaines élections présidentielles fixées récemment au 4 mars 2010 au Togo. Aujourd’hui, il y a lieu de constater que :
- deux candidats à savoir Gilchrist Olympio de l’UFC et Koffi Yamgnane, candidat indépendant de “Sursaut Togo” ont été évincés avant la tenue des élections présidentielles de 2010 ;
- l’opposition ne s’est pas structurée à l’avance sur un programme commun, ni sur une candidature commune mais une partie a choisi, dans la précipitation, d’opter pour une candidature unique ;
- la communauté internationale et de la France en particulier ne formulent que des souhaits non suivi d’actes tangibles permettant de croire dans la transparence, le respect du choix des électeurs togolais et dans la crédibilité de la vérité des urnes ;
- le report de quatre (4) jours du scrutin présidentiel pourrait ouvrir la voie à d’autres reports.
Les similitudes sont telles qu’il est possible de s’attendre à de la fraude “acceptable” par la communauté internationale et la France suivie :
- d’une légitimation sans conviction d’un pouvoir de filiation dynastique ;
- de contestations suivis de recours qui risquent de ne pas aboutir ; et
- des tractations pour la gestion d’une période de transition pour calmer le jeu et organiser une répartition des pouvoirs sans tenir compte de la vérité des urnes.
Cette option n’est pas une hypothèse d’école si la communauté internationale décide de construire, discrètement ou pas, la légitimité d’une démocrature togolaise[xii], celle où fraude électorale se dilue dans la défense des intérêts bien compris. Cette forme d’interventionnisme a le mérite de ne rendre responsable uniquement les acteurs togolais, des errements démocratiques qui perdurent depuis quatre décennies au Togo. Le principe édicté à Ouagadougou (février 2010) par Solitoki Esso, le Secrétaire général du RPT que les “contestations conformément à la loi électorale peuvent se poursuivre jusqu’au scrutin” témoigne d’un refus de poser les actes de sérénité qui permettent de consolider une société de confiance au Togo. Le traitement des recours en annulation auprès de la Cour constitutionnelle après la proclamation unilatérales des résultats du scrutin électoral est une entorse au droit, ce qui dans un Etat de droit, devrait automatiquement entraîner l’invalidation des résultats des élections présidentielles. Mais, le Togo est-il un Etat de droit ?
8. Candidature commune rime avec Programme commun, et pourtant…
Sauf force majeure, il n’était pas dans l’intention du parti au pouvoir de modifier substantiellement un chronogramme électoral fixé d’avance unilatéralement. Il y a lieu de constater en apparence l’efficacité des techniques du pouvoir togolais et de son système de contrôle des cinq principaux pouvoirs à savoir l’exécutif, le législatif, le judiciaire, le militaire et les médias. Les capacités dilatoires du pouvoir togolais permettent ainsi d’organiser des élections où la vérité des urnes ressemble étrangement à celle que souhaite le pouvoir en place et ceux qui le soutiennent de l’extérieur.
La capacité manœuvrière du Gouvernement s’affiche de plus en plus comme une véritable démonstration tendant à rappeler que ce pouvoir peut encore berner l’opposition tout en restant en conformité avec les principes de démocratie formelle légitimés par la communauté internationale (essentiellement l’Union européenne, la France, la Francophonie, et la Chine), la communauté africaine (essentiellement le syndicat des chefs d’Etat africains, l’Union africaine (UA), la communauté économique de développement des Etats de l’Afrique occidentale (CEDEAO)), les communautés ésotériques (essentiellement les principales loges de la franc-maçonnerie, les groupes religieux reposant leur existence et développement sur le statu quo au Togo). Les méthodes sont connues et reposent d’abord sur l’incapacité des partis d’opposition togolaise à apprendre de leurs erreurs et de leurs arrogances passées consistant à faire passer l’égo de leurs dirigeants avant l’intérêt du peuple togolais.
En effet, avec une élection à un tour, il n’y a pas d’autres alternatives que de travailler ensemble sur un programme commun de gouvernement dont sera issue une candidature commune. Non seulement, les partis d’opposition n’ont pas préparé à l’avance les bases d’un programme commun mais ils continuent régulièrement à se tromper en recherchant une “candidature unique” au lieu d’une “candidature commune”. Avec une candidature unique, c’est tout le processus du mandat et celui de la représentation proportionnelle qui sont occultés. C’est-à-dire que la candidature unique choisie, par défaut ou volontairement, n’a en principe pas de compte à rendre à ceux qui l’ont soutenue ou désignée. Dans une telle configuration, on a vu par le passé un certain nombre de dirigeants des partis d’opposition choisir de travailler avec le pouvoir en place pour mieux rappeler au principal parti d’opposition du Togo, l’Union des forces du changement (UFC) de Gilchrist Olympio, que sans les “petits-partis”, l’UFC ne peut rien. Ce sont les dits “petits partis” qui ont fait la différence au Ghana et au Bénin au deuxième tour. Donc, au Togo avec la décision unilatérale du Gouvernement d’opter pour des élections à un tour, seule la candidature commune peut permettre d’intégrer, dès le premier tour, les partis qui ne pourront pas s’exprimer au deuxième tour.
L’histoire semble avoir donné raison à la stratégie du “tu me bloques, je te bloque”, ce qui fait des responsables des partis d’opposition du Togo, les responsables les moins solidaires et les moins respectueux de la volonté populaire d’intégration pluralistes des mouvements alternatives au Togo. Pour ce qui est de l’anticipation, il s’agit là de la stratégie la plus irresponsable qui ait jamais existé. Cela a contribué à une absence de visibilité politique où certains partis politiques ne décidaient de rejoindre l’un ou l’autre camp (RPT ou UFC) qu’en fonction des “concessions” ou “promesses” faites par les uns ou les autres, non sans calculer leurs positions en fonction du niveau subtil d’ingérence des communautés internationales et africaines. Ces dernières semblent avoir systématiquement choisi de légitimer la fraude dès lors que les formes et les apparences de l’ensemble du processus électoral, telles qu’annoncées par le autorités nationales et les médias, sont acceptables pour préserver leur intérêt stratégique et éventuellement éviter que des contestations sanglantes et les migrations des réfugiés politiques ne viennent greffer les budgets occidentaux d’appuis budgétaires et humanitaires. Avec la volonté des Etats-Unis de ne plus soutenir des régimes illégitimes et le besoin de “rupture” affiché mais non opérationnel de la France, la pression discrète de l’Allemagne et ses satellites pour des élections transparentes afin de trouver des solutions pérennes au problème de l’immigration et des réfugiés, le soutien embarrassé d’une communauté internationale à un régime reconduit sur la base de fraudes électorales pourrait réserver des surprises.
9. Les impossibles recours et les vices de formes de l’Administration togolaise
La Cour constitutionnelle dans son arrêt avait en fait identifié deux candidats susceptibles d’être invalidés : Koffi Yamgnane (Candidat indépendant) et Gabriel Messan Agbéyomé Kodjo (parti politique OBUTS). Il y a lieu de revenir sur l’invalidation du candidat “Koffi Yamgnane” par la Cour constitutionnelle[xiii]. La Cour reconnaît que “conformément à l’article 173, alinéa 2 du code électoral, les pièces accompagnant les déclarations de candidature ont fait l’objet de vérifications administratives tant sur leur contenu que sur leur authenticité” pour tous les candidats. Cette même Cour a pu reconnaître pour Agbéyomé Kodjo qu’il y avait “dysfonctionnement des services publics” togolais, que la responsabilité de l’Administration était engagée et que “le parti OBUTS ne saurait en être pénalisé”.
Dans le cas de Kofi Yamgnane, la Cour constata que ce dernier “a deux dates de naissance notamment, le 11 octobre 1945 et le 31 décembre 1945”. La même Cour constate que la date de naissance du 11 octobre 1945 du candidat est inscrite sur les documents français du candidat. Les documents togolais indiquent la date du 31 décembre 1945. Cette différence de date est liée à une responsabilité de l’Administration togolaise pour avoir été incapable dans le passé, suite à une perte de documents, de reconstituer les pièces originales du candidat. Pour des raisons de “commodité”, c’est bien l’Administration togolaise qui a décidé arbitrairement et unilatéralement d’inscrire la date du 31 décembre 1945 sur les documents togolais reconstitués. La Cour constitutionnelle constate bien que la pièce française a été introduite par l’Administration togolaise notamment le Ministère de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités Locales lors du transfert du dossier du candidat de la CENI à la Cour constitutionnelle togolaise. La responsabilité de l’Administration togolaise est doublement engagée et la Cour constitutionnelle se garde bien d’en faire constat, ce qui constitue un mensonge par omission. Il y a eu “responsabilité sans faute de l’Administration togolaise” lors de la reconstitution des pièces perdues du citoyen togolais Yamgnane et il y a eu “responsabilité avec faute de l’Administration togolaise” lors de l’introduction dolosive des pièces françaises dans le dossier du candidat Yamgnane.
Face à cette double irrégularité institutionnalisée, il est scandaleux qu’aucune procédure de recours formelle ne soit possible sur la décision de la Cour constitutionnelle et le rôle douteux de “contrôle des pièces des candidats à la présidentielle togolaise par le Ministère de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités Locales “. La responsabilité de l’Administration togolaise qui devient juge de parti dans ce dossier doit pouvoir être mise en cause. Le silence coupable de la Communauté internationale témoigne de l’importance que cette dernière accorde au processus de démocratisation dans les pays francophones africains.
La procédure existante est donc bien entachée d’une double irrégularité institutionnalisée à savoir :
- Le transfert de la liste des candidats retenus par la CENI à l’Administration togolaise, le Ministère de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités Locales et la retransmission par cette dernière à la Cour constitutionnelle sont entachés au mieux de doutes, au pire d’irrégularités graves susceptibles d’invalider la décision de la Cour constitutionnelle. Il y a donc manifestement des présomptions d’interférence et de falsification possibles de la part de l’Administration togolaise qui devient juge et partie dans ce processus. En effet, il ne viendrait pas à l’esprit d’un candidat franco-togolais de présenter des papiers “français” pour sa candidature à la Présidence. Aussi, la question de savoir : qui a introduit un document français dans les documents du candidat Yamgnane à la Cour constitutionnelle doit être posée par la communauté internationale ? Car c’est l’absence de réponse à cette interrogation qui conduit la Cour à relever deux dates différentes sur l’acte de naissance du candidat et en profiter pour déclarer l’irrecevabilité de cette candidature.
- L’impossible recours d’une décision de la Cour constitutionnelle alors que le transfert des documents entre la CENI et la Cour constitutionnelle peut subir des modifications par l’Administration chargée de “contrôler” les documents transmis. En l’occurrence, il y a eu introduction de documents étrangers dans le dossier du candidat Yamgnane. Il y a donc juridiquement falsification du dossier du candidat Yamgnane. La politique de l’autruche choisie par la Cour constitutionnelle est de nature à faire croire que cette institution a fait preuve de légèreté en ne contrôlant pas le fameux “contrôleur” qu’est le Ministère de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités Locales. Sinon, il est possible de croire que la Cour ou certains de ses membres travaillent sous instruction et n’ont de compte à rendre à personne. A terme, il sera nécessaire de réformer cette procédure qui n’a rien de légale, de juste et malheureusement brille par son caractère de discrimination institutionnelle. Que la communauté internationale et la France, pays du droit, s’en accommode ne relève plus de l’énigme mais bien de la complicité. Les observateurs européens, le parlement européen, les chancelleries présentes au Togo, les Nations-Unies notamment le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme (HCDH) au Togo, les observateurs africains plus particulièrement ceux de la CEDEAO sont invités à clarifier ces formes modernisées de la déviation du processus électoral. L’autocensure institutionnalisée[xiv] n’honore ni le Togo, ni la France, ni les communautés internationale et africaines. En plus, le report de la date du scrutin d’un dimanche (28 février 2010) sur un jeudi (4 mars 2010), jour ouvré, devrait pénaliser l’activité économique[xv].
Si le Ministère de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités Locales doit procédé aux vérifications administratives des pièces des candidats, alors il y a lieu d’accepter un recours contre l’Administration suite à une vérification par le candidat avant que le dossier ne soit transmis par l’Administration à la Cour constitutionnelle. Si l’Union européenne a mis tant d’argent pour créer, puis réformer la Cour constitutionnelle et que l’intermédiation du Ministère togolais peut conduire cette institution à se dévoyer, alors les bailleurs de fonds seraient avisés de mieux contrôler les capacités dilatoires de l’Administration togolaise pour introduire des vices procédures et de formes sans que la communauté internationale, et la France en particulier, ne s’émoient.
10. Conclusion : refonder une société de confiance au Togo
L’histoire électorale du Togo se résume en fait à la légitimation systématique par les communautés internationale et africaine des nombreuses entorses graves à la transparence des élections et à la sécurisation de la démocratie représentative. En 43 ans, la France et les communautés internationale et africaine ont promu une démocratie palliative à géométrie variable au Togo et dans la plupart des pays francophones. Outre le coût pour le contribuable occidental qui est berné par la focalisation médiatique sur les organisations non gouvernementales spécialisées dans l’humanitaire, cela a favorisé en Afrique le clientélisme et la corruption, développé un réseau d’hommes d’affaires mafieux ou repris de justice autour du pouvoir togolais et neutralisé les candidatures communes. La réalité est que cela n’a jamais conduit à soutenir une croissance économique partagée, ni le développement des capacités productives, encore moins l’emploi décent au Togo.
Alors, on peut comprendre s’il y a lieu de continuer à participer à des institutions telles que la CENI, la Cour constitutionnelle si des interférences de l’exécutif togolais conduisent à faire disparaître le sens du consensus, de l’égalité face à la loi et à servir de justificatifs pour un régime qui manifestement considère que l’émergence de la démocratie ne peut se faire qu’au rythme imposé unilatéralement par le pouvoir dominant et ses instruments. Faire semblant de ne rien voir, sous-traiter l’interférence politique à un médiateur pour mieux cacher l’ingérence occidentale ne résout pas le problème de fond. Il faut arrêter cette hypocrisie et intégrer dans la médiation la France, l’Union européenne, et les principaux pays bailleurs de fonds du Togo. Il faut redéfinir la ritualisation du processus électoral togolais. Ce n’est donc pas un report de quelques jours qui pourra résoudre le problème de fond qui se résume à l’incapacité des différents gouvernements depuis 43 ans à créer de la valeur ajoutée, de la richesse partagée et surtout de l’emploi.
A l’écoute des populations, la Diaspora dans toutes ses composantes appelle à une “candidature commune à la présidentielle de 2010 au Togo”. Il s’agit notamment du Conseil Mondial de la Diaspora Togolais[xvi], Synergie-Togo[xvii], les Organisations fondatrices de la Plateforme panafricaine regroupant les Diasporas de 15 pays d’Afrique (voir l’“Appel de Paris[xviii]“).
Le gouvernement togolais a reconnu les anomalies graves que constitue une liste électorale non crédible. Si les pressions sont sincères pour une transparence, il n’est pas impossible d’infléchir la position actuelle de l’exécutif togolais qui a choisi d’aller aux élections avec une liste électorale comportant de nombreuses irrégularités qui pourraient falsifier la vérité des urnes. Alors que la liste électorale n’est pas encore approuvée de manière consensuelle par les pôles 1, 2 et 3, c’est bien la décision unilatérale et précipitée du chef de l’Etat togolais de convoquer le corps électoral qui constitue le véritable problème de nature à mettre en doute la bonne foi du pouvoir d’aller vers un processus électoral transparent, apaisé et sécurisé.
Lorsque le journal “Jeune Afrique[xix]“ interroge Faure Gnassingbé sur sa réaction au cas où il perdrait les élections présidentielles au Togo, celui-ci semble avoir mis l’accent sur son “entrée dans l’histoire” en affirmant : « Ce qui est prioritaire pour moi, c’est de réussir une élection crédible, honnête et transparente. Si je passe à la postérité pour cela, je serai satisfait. Le reste, c’est un peu la cerise sur le gâteau, la récompense de mes efforts ». Faure Gnassingbé mettrait-il donc la transparence du scrutin au dessus de la fraude et de l’appui des militaires ? Il n’est toutefois pas impossible que ce Président accepte, dans un sursaut ultime de vérité face à Dieu, la vérité des urnes, occultée à maintes reprises au Togo. Accepter de perdre suppose encore que l’armée togolaise qui l’a mis au pouvoir en 2005 dans un bain de sang, n’ait pas à nouveau envie de redevenir le décideur en dernier ressort par des techniques qui lui sont propres comme un coup d’Etat. Comment alors respecter le processus électoral et faire allégeance au nouveau pouvoir ? That is the question …. ! Une acceptation par l’armée de la vérité des urnes au cas où la fraude ne serait pas avérée et que les principaux partis de l’opposition en accepteraient collectivement le verdict témoignerait du caractère républicain des forces armées togolaises.
Le Togo sera alors à la veille de sa refondation démocratique. En effet, seule l’alternance politique régulière et pacifique constitue la réalité d’une démocratie en bonne santé. Dieu lui-même et les aïeux ne peuvent rester insensibles à cette opportunité offerte par l’histoire d’autant plus qu’un nouveau cycle générationnel est en train d’émerger. A ce titre, il y a lieu de s’interroger sur l’opportunité de conserver le principe du médiateur dont la fonction de sous-traitance d’ une communauté internationale qui assiste impuissante au développement d’une démocratie palliative qui n’a pas permis l’alternance pacifique de prendre corps au Togo depuis 1993. La communauté internationale s’apprête à valider une succession de vice de formes et de procédures au Togo tant le manque de crédibilité collective des partis d’opposition ouvre la voie à l’inconnu alors que l’ordre militaro-présidentiel et la stabilité du statu quo d’une démocratie formelle trouve des adeptes dans les chancelleries occidentales et asiatiques.
Le Togo est donc pris en otage entre les intérêts des uns et des autres, ce qui transforme les priorités des populations en priorité seconde et l’avènement d’une société de société de confiance en un futur incertain. Si l’armée républicaine togolaise retrouve son esprit de l’éthique et de la transparence, il n’est pas impossible que cette partie de l’armée républicaine togolaise réserve des surprises. Reste à savoir s’il s’agira d’une bonne ou d’une mauvaise surprise pour le citoyen togolais ? YEA.
Notes :
[i]Gouvernement togolais,”Report de la présidentielle”, site officiel du Gouvernement togolais, voir : <http://www.republicoftogo.com/Toutes-les-rubriques/Presidentielle/Report-de-la-presidentielle>
[ii] Jean-Claude Abalo, “Report des élections au Togo : l’UFC reste insatisfaite”, in Afrik.com, 12 février 2010, voir : < http://www.afrik.com/article18784.html>
[iii] Voir l’interview télévisé de François Boko entrecoupé d’images du Togo notamment lors des élections de 2005, voir ou sur Youtube, les 3 séquences suivantes :
[iv] Sylvio Combey, “Des coups de bâtons pour avoir le « riz Faure »“, 26 décembre 2009, voir ; le riz de 10 kg est vendu à 2010 francs en référence aux élections de 2010 et est appelé “riz Faure”.
[v] International Monetary Fund, World Economic Outlook : Sub-Saharan Africa October 2009, pp. 69. Il faut aussi se référer à la Note du FMI*, nov. 2009 : Il s’agit d’un note du Secrétariat permanent pour le suivi des politiques de réformes et des programmes financiers (SP-PRPF), une nouvelle structure rattachée au ministère de l’Economie et des Finances, 9 décembre 2009, voir : <http://www.republicoftogo.com/central.php?o=1&s=344&d=3&i=4829>
[vi] IMF, op. cit. p. 84.
[vii] International Monetary Fund, World Economic Outlook : Sub-Saharan Africa October 2009, pp. 78 et 79.
[viii] Edem Assignon, “Report de la Présidentielle”, in Afriscoop, 10 février 2010 voir : <http://www.afriscoop.net/journal/spip.php?article1079>
[ix] Xinhua, “Togo : La Mission d’observation électorale de l’UE clarifie son mandat”, in Afriscoop.com, 2 février 2010, voir : <http://www.afriscoop.net/journal/spip.php?breve1590>
[x] RFI, “Ultimes négociations sur les élections présidentielles”, in RFI, 10 février 2010, voir : < http://www.rfi.fr/contenu/20100210-ultimes-negociations-lelection-presidentielle>
[xi] Tété Tètè, “Démocratisation à la togolaise : Les accords de Ouagadougou”, in Diastode online, voir < http://www.diastode.org/Droits/tete5d.html>
[xii] Yves Ekoué Amaïzo, « Après la Baule : la « démocrafricaine » ou l’interdépendance inachevée », in Revue Agir (Revue générale de stratégie): “L’Afrique en chantier”, n° 7, printemps 2001, pp. 51-62.
[xiii] RPT, “Présidentielle 2010 : la Cour constitutionnelle valide 7 des 8 candidatures”, voir : < http://www.rpt.tg/index.php?option=com_content&task=view&id=136&Itemid=77 > ; La Cour constitutionnelle avance deux motifs : “dossier comportant deux dates de naissance” et “attestation de domiciliation non conforme en date du 15 septembre 2009, alors que la Constitution exige non seulement que les postulants aient leur résidence au Togo mais aussi qu’ils y résident effectivement depuis douze mois au moins”.
[xiv] Yves Ekoué Amaïzo (sous la direction de), [intlink id=”203″ type=”post”]La neutralité coupable : l’autocensure des Africains. Un frein aux alternatives ?[/intlink] avec une préface de Dr. Abel Goumba et une postface de Godwin T. Tété-Adjalogo, collection “Interdépendance africaine”, éditions Menaibuc, Paris, 2008, 446 p.
[xv] Nadim Michel KALIFE Faure, en reportant la date des élections au jeudi 4 mars, ne fait-il pas un geste de mauvaise gouvernance ?”, in LynxTogo Info,13 février 2010, voir < http://www.lynxtogo.info/index.php/economie/379-faure-en-reportant-la-date-des-elections-au-jeudi-4-mars-ne-fait-il-pas-un-geste-de-mauvaise-gouvernance->
[xvi] Voir les trois résolutions du CMDT lors de son Bilan d’étape le 06 février 2010 à Amsterdam (Pays-Bas) : < http://www.cmdtogo.org/>
[xvii] Revisiter les approches proposées pour des élections transparentes et la vérité des urnes avec les travaux et les conférences-débats portant sur “mieux voter, bien compter et vrai restituer”, voir < http://www.synergietogo.org/>
[xviii] Togo : “Appel de Paris pour une candidature commune à la présidentielle de 2010”, 10 février 2010, Voir
[xix] François Soudan, “Faure Gnassingbé. Cartes sur table”, in Jeune Afrique, n° 2561 du 7 au 13 février 2010, pp. 22-28.
Pour continuer le débat :
https://www.dailymotion.com/video/x9awxo
Pour poursuivre la lecture…
RESUME DU RAPPORT DES OSC TOGOLAISES ET DES ORGANISATIONS SYNDICALES SUR LA SITUATION POLITIQUE, DES DROITS DE L’HOMME ET DES DESC AU TOGO.
État des lieux avant l’élection présidentielle de 2010
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