Emission : Les Matins d’Eugénie
Thème: Cinquantenaire des indépendances africaines : « L’Afrique reste trop dépendante de ses matières premières ?»
Avec la participation de : Philippe Hugon, Professeur d’économie émérite, Yves Ekoué Amaïzo, Directeur du groupe de réflexion Afrology, Roland Portella, Président de Central Business Leaders.
Modération : Eugénie Diecky, Africa numéro 1 | Mardi 16 février 2010 – 10h30 – 12h
Questions envoyées par Guy Kalenda, Responsable Programme Africa n° 1
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1. Après 50 ans d’indépendance, êtes-vous optimiste ou pessimiste quant au bilan économique de l’Afrique ?
Je vous remercie pour l’invitation. Bien sûr qu’il y a lieu de rester optimiste pour le futur de l’Afrique. Mais ce futur va dépendre de la véritable volonté politique des dirigeants africains pris collectivement. Il y a lieu aussi d’introduire une réelle anticipation avant les arbitrages et choix économiques. Enfin, il n’est pas possible de continuer avec une gouvernance de la médiocrité et de la sous-traitance, parfois sous perfusion budgétaire venant de l’extérieur, justement des anciennes puissances coloniales ou par l’intermédiaire des institutions internationales, régionales ou bilatérales. Quant au passé, le constat reste bien mitigé et même franchement négatif en référence à l’Asie. Le Ghana et la Corée avaient les mêmes niveaux de développement en 1962. Il suffit de comparer les deux pays aujourd’hui. Mais il y a lieu de différencier entre les Etats selon leur géographie, leurs ressources, leur gouvernance et le rôle de l’armée. Le bilan de 50 ans sur une véritable appropriation de la souveraineté africaine est négatif tout particulièrement au plan culturel, économique et social. Au fond, dans les pays francophones, la volonté de l’ex-colonisateur de faire des pays africains francophones des pays “assimilés” n’a pas réussi. On est donc bien dans une transition où les dirigeants qui ont choisi l’assimilation et le travail de sous-traitance pour les intérêts étrangers sont en train de disparaître malgré les résistances. Il faut remercier le développement de l’information et de l’internet où la censure et la désinformation ne fonctionnent plus.
Il y a lieu de reformuler votre question : l’Afrique est-elle trop dépendante de ses bailleurs de fonds (privés et publics) qui ont besoin des matières premières africaines ? En conséquence, le principe de conserver l’Afrique dans un état permettant de servir de réservoir de ressources et de variables d’ajustement n’a pas disparu. Les modalités d’exécution de cette stratégie ont évolué, sont moins visibles et la complicité de certains de nos dirigeants perdure.
En comparant l’Afrique avec les autres régions du monde (Europe occidentale, Asie du sud-est, Amérique latine et Caraïbes), le bilan économique était positif au cours de la période 1960-1970, puis s’est profondément détérioré entre 1970-2000 pour retrouver un nouveau souffle aux environs de 1997. A partir de cette date, l’Afrique se retrouve avec un taux de croissance constant de son produit intérieur brut (PIB) en moyenne autour de 5,5 % sauf au cours de 2009 où il est tombé à 1,1 % du fait des conséquences de la crise financière de 2008 et les excès de dérégulation. En définitive, beaucoup de dirigeants africains ont choisi de donner une priorité supérieure aux intérêts extérieurs sans oublier les leurs, ce qui fait oublier ou fait passer comme priorité seconde le bien-être des populations.
En ayant préféré l’endettement au lieu d’investissements productifs, beaucoup de dirigeants se sont fait piéger, espérant ne jamais rembourser une grande partie de cet endettement et les taux d’intérêts dolosifs. Ainsi, la plupart des dirigeants ont rejeté la vérité qui fâche, ont refusé d’anticiper et, en conséquence, n’ont pas considéré la distribution des fruits de la croissance comme une priorité. Au demeurant, lorsque ces points venaient à émerger du fait de la société civile et les contre-pouvoirs, beaucoup de dirigeants choisissaient d’envoyer l’armée pour réprimer leur population. En 50 ans, le pouvoir d’achat a été très inégalitairement distribué. Cela a contribué à créer un niveau élevé de pauvreté permanente sans un système d’entreprenariat distribué qui aurait servi de levier pour créer des emplois, pour servir les marchés de proximité, faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat à partir des ressources locales et promouvoir les capacités productives et l’innovation.
Au niveau des chiffres, la contribution à la prospérité entre 1960 et 2010 pour les 15 pays de la zone franc a chuté, passant de 27 % à 16 % du PIB alors que les pays non francophones africains sont passés de 73 % à 84 % du PIB (source FMI et Banque mondiale). Aussi, la Gouvernance des pays francophones africains crée de moins en moins de richesse, avec ou sans une véritable démocratie. Au cours de ces cinq décades, la zone franc n’a pas fait mieux que le marché commun de l’Afrique australe et de l’est (COMESA). Les pays disposant de ressources commercialisables comme le pétrole et les minerais ont engrangé des richesses mais ont pour la plupart failli quant au transfert de ces richesses accumulées vers des structures productives. Il n’y a pas eu d’anticipation de la création de valeur ajoutée par l’entreprenariat, base de la création et de la pérennisation de la richesse. Le lien productif entre agriculture-industrie-commerce a été systématiquement empêché avec un véritable blocage de l’essor du secteur privé local qui s’est intéressé à la production. Les politiques d’exportation ont été privilégiées aux dépens des politiques de subsistance et de proximité. Plus de 68 % des importations africaines consistent en produits manufacturés, alors que le continent exporte 70 % d’hydrocarbures et de minerais au plan mondial. Rappelons d’ailleurs que l’Afrique reste déficitaire en termes de produits agricoles car le continent a une balance négative de près de -6 % dans la part du commerce mondial (OMC, Statistiques commerciales, 2008). Tout ceci a conduit à la mise en place d’un système de dépendance et d’assistanat pour la majorité des Africains. Il va de soi que la corruption et les systèmes autocratiques de parti unique n’ont pas facilité les choses.
Si c’est cela qu’il faut fêter lors de 50 ans d’indépendance, alors l’Afrique se trompe encore une fois. D’ailleurs, il est préférable de réfléchir et faire de l’introspection et formuler des propositions pour le futur dans des “espaces de palabres constructifs” plutôt que de faire de cet anniversaire une fête, coûteuse au demeurant, qui n’apporterait aucun changement de trajectoire dans les réflexions, les comportements et les arbitrages futurs.
2. Qu’est-ce qui différencie la période coloniale det la période postcoloniale ?
Une avancée lente imprégnée d’inégalités criardes, de clientélisme de réseaux, d’un sentiment de gestion en sous-traitance notamment dans la zone francophone. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y avait pas ces problèmes au cours de la période coloniale.
Un exemple de différence entre l’avant et l’après des indépendances juridiques est qu’il y a eu africanisation du personnel dirigeant l’Etat, ce qui ne veut pas dire que ces derniers travaillent nécessairement pour sauvegarder les intérêts des populations… Un ministre blanc français dans un gouvernement africain aujourd’hui semble inconcevable alors que cela allait de soit juste après les indépendances.
Mais la dépendance économique et le principe d’utiliser les pays africains comme des comptoirs n’ont pas disparu mais ont trouvé d’autres ressorts d’exploitation que les institutions internationales de développement comme la Banque mondiale, le FMI et même certaines structures d’appui bilatérales sont venues consolider quant ils ne les ont pas expressément promus.
L’éducation a été sacrifiée ou plutôt a été alignée sur un système typiquement français préparant à servir docilement l’administration et non à créer des richesses pour le pays.
La période postcoloniale qui perdure encore aujourd’hui dans certains pays africains doit être considérée comme une longue période de transition où les priorités de l’ex-pays colonisateur passent avant les priorités des populations. On le voit dans l’importance accordée par les institutions internationales à favoriser en fait un système de dépendance ou de fourniture à bas prix au profit en priorité de l’ex-métropole et le monde occidental en général dans le cadre de la globalisation. Cela peut même prendre la forme d’une compétition entre les pays africains ou des nivellements par des consensus mous qui ont conduit aux résultats médiocres des accords de Yaoundé, de Lomé et de Cotonou, les plans d’ajustement structurels et l’aide au développement, qu’elle soit allouée aux projets ou directement pour soutenir le déficit budgétaire des Etats… Bref, un système de chèque en blanc qui a contribué à retarder l’avènement de la démocratie, des contre-pouvoirs et du mieux-être des populations africaines.
La mauvaise gouvernance locale ne doit pas être oubliée et a contribué pour l’essentiel à aggraver la situation, parfois dans des bains de sang puisque l’essentiel consistait à ne pas rendre compte de ses actes et donc à bloquer les alternances politiques et démocratiques. Les pays anglophones pour certains (Liberia, sierra Léone) ont versé dans la guerre civile, d’autres où l’influence a été moins prononcée ont fini par organiser une reconquête de leur souveraineté. Il faut savoir que si l’on doit parler de souveraineté, il y a moins de 10 pays en Afrique aujourd’hui qui peuvent afficher un solde budgétaire positif… comme l’Algérie, la Libye, la Guinée équatoriale, etc.
3. La Chine remplace les anciennes puissances coloniales, mais se tourne résolument vers les matières premières, danger ou chance ?
La Chine représente certainement un danger avec des dirigeants africains peu scrupuleux. Mais ce pays représente une chance pour les pays dont les dirigeants sont sérieux et dotés d’une stratégie industrielle et de développement des capacités productives, des infrastructures et de la productivité dans l’agriculture.
La Chine ne remplace pas les anciennes puissances coloniales. En fait, la Chine permet de mesurer tout ce que ces anciennes puissances coloniales n’ont pas fait en faisant croire que c’était impossible. En réalité, les ex-colonisateurs ont eu une politique continentale stratégique basée sur l’accès aux matières premières et de débouché à l’exportation pour leurs excédents. La Chine a une stratégie similaire sauf qu’elle est structurée en trois dossiers : infrastructure, immigration chinoise vers l’Afrique, débouché pour la production sortant des usines chinoises. Il n’est pas question “d’apprendre à pécher” mais à pécher les produits chinois, contrairement aux préceptes de Mao. La Chine serait véritablement une chance si le transfert de savoir-faire, de technologies et de développement de capacités productives se faisait. Il n’en ait rien. La Chine constitue donc une opportunité.
Les politiques d’immigration africaine laissent à désirer. Des pans entiers de Chinois s’installent, parlent souvent la langue locale et occupent les emplois dans le secteur informel comme formel. On ne peut pas vraiment parler de non-contrôle car les autorités africaines ferment les yeux dès que l’Etat Chine les aide à réaliser des infrastructures qui tendent à faire croire à la population que le travail se fait en leur faveur. La Chine aide aussi à placer les capitaux non plus en occident mais dans les banques chinoises. En contrepartie, il n’est pas question de soutenir Taiwan et le Dalaï Lama.
Lorsque l’on regarde les salaires distribués par les entreprises chinoises, la précarité des emplois, le respect des droits de l’homme et de la femme, il y a beaucoup à dire. En fait, les droits humains sont considérés comme une priorité seconde en rapport avec la souveraineté et le développement. Il y a donc un vrai danger non pas du côté des Chinois, mais bien du côté des dirigeants irresponsables tant dans la répartition des richesses créées que dans les contrats léonins signés privant les populations d’une grande partie de l’argent (notamment dans les signatures de baux sur des terrains, des mines, des fermes avicoles, etc.). Mais, il ne faut pas se tromper. La pénétration de la Chine en Afrique ne doit pas faire oublier sa capacité à devenir un prédateur, si ce n’est déjà le cas dans certains pays où elle est le principal importateur de matières premières comme le pétrole au Soudan. La difficulté des Etats africains à négocier d’égal à égal avec la Chine pose problème, ce d’autant que la corruption prend de nouvelles formes avec deux contrats non transparents pour les dossiers portant sur les matières premières. Le premier contrat officiel est généralement sous-évalué et le second non publié fait la joie des corrompus et des corrupteurs.
En fait, la Chine réalise des infrastructures que les pays occidentaux ex-coloniaux n’ont pas réalisés (ou l’on fait sommairement) depuis plus 50 ans surtout lorsque l’on parle des chemins de fer. L’Afrique doit apprendre à travailler avec les pays en pleine croissance forte et s’orienter vers les marchés des pays dont la croissance est forte (Asie et Amérique latine et Europe de l’Est sans oublier en Afrique des pays comme l’Afrique du sud, la Tunisie, le Maroc, Maurice, sans oublier les échanges intra-pays africains, etc. En réalité, ce sera la capacité à réussir dans un monde turbulent où les arbitrages dans la compétition internationale deviennent un facteur incontournable du développement et de la prospérité des pays.
4. Quelles sont les erreurs du passé qu’il faudra corriger pour donner aux matières premières africaines leur importance ?
Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie en 2001, a trouvé la formule qui reste toujours difficile à mettre en œuvre en Afrique : « Investir les richesses du sous-sol sur le sol ». Mais encore faut-il que ce soient les Africains qui se sont enrichis avec ce sous-sol qui se donnent en exemple. Les investisseurs étrangers qui évitent de réinvestir au niveau local demeurent aussi un problème. Il n’y a donc pas de correction des erreurs du passé sans une volonté politique de spécialisation vertueuse fondée sur des créations de valeur ajoutée et des distributions de pouvoir d’achat.
Les matières premières ne sont pas tant en cause. C’est le système de prédation par une bourgeoisie compradore qu’il convient de changer car cela s’est commué en un Etat patrimonial qui n’a pas su créer des richesses de manière pérenne. L’Etat et ses satellites au niveau des ressources humaines ont choisi la facilité fondée principalement sur l’extraction par des sous-traitants avec lesquels ils partagent les profits. C’est bien tout le processus de rejet du développement des capacités productives africaines et de la formation technique qui pose problème. Qu’il s’agisse d’inconscience ou de pressions extérieures, dans les deux cas, la plupart des pays n’ont pas encore reconnu l’importance de la création de la richesse par la création de valeurs ajoutées. L’industrialisation et le commerce équitable, notamment au niveau de la proximité, n’ont pas été considérés comme la priorité. Pour ce faire, c’est tout le système éducatif qui doit être tourné vers l’entrepreneuriat et l’accès à des technologies pour systématiquement introduire de la valeur ajoutée dans toutes les chaînes de valeurs de transformation des matières premières et des produits africains. En guise d’exemple, le Mali ne transforme toujours que 2-3% de son coton, ne transforme que 4 % de ses mangues et tomates, et a pratiquement stoppé d’exporter les filets de capitaine provenant du fleuve Niger du fait de la pollution d’une usine textile à Ségou (créée avec l’assistance allemande de la société Krupp) laquelle a rejeté, pendant des décades, les résidus de la teinturerie dans le fleuve… Voilà en condensé, le résultat des 50 années de “coopération” avec l’ex-pays colonisateur. Les responsabilités restent partagées. Il faut donc éviter de ne plus faire confiance aux expertises neutres des Africains et savoir les rémunérer à leur juste valeur.
5. Croyez vous qu’il y ait une différence les anciennes colonies françaises et les autres anglophones ou lusophones ou espagnoles en matière de réussite économique ?
Bien sûr. Il a toujours été question d’exploiter mais le principe de la relation personnelle avec les chefs d’Etat n’a pas été promu dans les pays anglophones. L’entreprenariat et l’auto-entreprenariat sont plus développés dans les pays anglophones. Les francophones ont valorisé le principe de la sous-traitance au point où l’on entend plus facilement le mot “je suis fatigué “ dans les pays francophones que dans les pays anglophones… La monnaie témoigne aussi de la recherche d’une souveraineté retrouvée… Le Ghana et le Nigeria ont leur monnaie… Les pays francophones, même ceux qui ont créé leur monnaie (Guinée et Mali), ont du rejoindre le Franc CFA. Pourtant la Tunisie ou le Maroc se sont éloignés de la zone franc sans problème. Le comportement des dirigeants africains par rapport à la corruption qui permet de soutenir d’abord la position des pays occidentaux doit faire l’objet d’une évaluation. Car l’essentiel de l’erreur provient de ce comportement antinationaliste.
6. Pourquoi l’aide au développement n’a-t-elle pas mis l’accent sur les matières premières ?
Rappelons que l’aide au développement aurait dû atteindre 0,7 % du PIB. Mais en 2005, l’Union européenne a promis de soutenir les pays en développement au moins avec 0,51 % de leur richesse nationale. En réalité en 2009, la France n’atteint que 0,46 % figurant dans le groupe des pays en dessous de 0,5 %, en sachant que l’Espagne (0,51 %), le Royaume-Uni (0,56 %) ou le Luxembourg (1 %) font de véritables efforts avec des aides non liées. Le doublement de l’aide promis au sommet du G 8 de Gleneagles ou les objectifs du Millénaire de développement des Nations Unies risquent de ne pas être atteints..
Toutefois, l’aide a mis l’accent sur les circuits permettant la sortie directe et au moindre coût des matières premières. Les chemins de fer en Afrique reflètent justement la réalité imposée par l’ex-colonisateur puisque l’unique but de sortir la matière première des mines et de l’amener au port justifiait un réseau ferroviaire favorisant la sortie des matières premières dans le cadre de la désarticulation de l’économie.
En fait, l’aide était là pour aider celui qui fournit l’aide. C’est ce quiproquo voire l’incompréhension qui perdure aujourd’hui. Par ailleurs, l’aide publique est venue soutenir indirectement les entrepreneurs et multinationales des pays fournisseurs dans les pays africains en faisant peser des pressions sur les régimes politiques afin de soutenir leur manque de compétitivité ou bloquer l’arrivée de concurrents. Aujourd’hui, de nombreuses sociétés qui ne bénéficient plus de ce soutien indirect de l’aide ou des ingérences politiques sont d’ailleurs de moins en moins compétitives face à la Chine, le Brésil et l’Asie du Sud-est en général.
L’aide projet ou l’aide budgétaire a favorisé principalement ceux qui sont au pouvoir. Comme l’alternance politique[1] n’a pratiquement pas joué sauf dans quelques pays comme Maurice, Cap Vert et récemment Bénin, Mali et Ghana pour ne prendre que ces cas, il est difficile de croire en une aide destinée à servir en priorité les populations africaines. Bien sûr, cela n’enlève rien au travail remarquable que font certaines ONG encore trop occidentales et émargeant sur l’aide du développement. Malheureusement, il arrive aussi que l’aide au développement empêche ainsi les capacités locales de se mettre en place et serve parfois à bloquer le développement des industries locales.
7. Est-ce qu’il ne faut pas revoir le Franc CFA et créer peut-être une monnaie commune à partir des matières premières (FCFA) ?
Bien sûr qu’il faut revoir le principe de mettre une grande partie des richesses cumulées des Africains dans un compte d’opération au niveau du Trésor français, ce qui empêche ainsi ce surplus d’être investi dans les activités de développement de l’Afrique. Mais il s’agit là d’une décision d’abord politique que les chefs d’Etat des pays francophones ne veulent pas prendre (du fait certainement de pressions et avantages divers) mais il y a aussi lieu de s’assurer que les convergences monétaires aient lieu et que les économies dégagent de la croissance et accumulent des surplus permettant d’aller vers la création d’un fond monétaire africain afin d’assurer les règlements de déficit budgétaire entre Africains.
Car rien ne serait plus terrible que l’association d’économies défaillantes dont les responsables demeurent indisciplinés au plan monétaire. Il n’est pas impossible d’aller vers une monnaie commune, ce qui permettra à chacun d’y accéder à son rythme. Quant à la proposition d’adosser une monnaie sur les matières premières africaines, cela n’est pas impossible si le surplus dégagé avec les matières premières permettait de constituer de réserves monétaires solides garantissant la monnaie commune. Aujourd’hui, cette situation est une hypothèse d’école car le prix des matières premières africaines est fixé à Chicago. Mais si les surplus pouvaient servir à créer et soutenir un Fond monétaire africain (créé sur papier depuis 2009 et censé être basé à Yaoundé), alors peut-être que cela pourrait aider à une discipline monétaire fondée sur le principe de l’évaluation des pairs promu par le NEPAD (Nouveau partenariat économique pour le développement africain). Il est prévu une monnaie commune autour de 2020 mais le retard pris pour mettre en place des monnaies communes sous-régionales permet de croire que cette date sera repoussée.
Le Franc CFA qui est un Franc Euro doit logiquement se fondre dans la création d’une monnaie commune sous-régionale et ne plus dépendre du Trésor français. A ce titre, la France devrait céder sa participation dans le conseil d’administration des banques centrales et son droit de véto.
8. Le rôle des expertises économiques africaines auprès de nos gouvernements ?
La réponse est simple et triste. De nombreux dirigeants africains préfèrent encore l’expertise extérieure à l’expertise africaine. On préfère mettre un blanc à la tête d’une entreprise ou louer à un blanc une maison… Mais avec les nombreuses défaillances ces derniers temps et le retour d’une certaine Diaspora africaine qui a réussi à l’extérieur et peut fonctionner sans faire appel à l’Etat, la tendance s’inverse doucement. Bref, les dirigeants africains peinent encore à faire confiance aux experts africains et refusent souvent de les payer au tarif standard. Il arrive souvent que ces mêmes dirigeants considèrent que l’expertise intellectuelle africaine doit être donnée gratuitement sous le couvert d’un “nationalisme” déplacé. Souvent certains dirigeants n’hésitent pas à exclure les expertises africaines des appels d’offres ou des consultations s’il n’y a pas une acceptation de la servilité et de la docilité ou être membre d’un parti ou d’une secte religieuse sous leur influence. Il s’agit là des réminiscences justement des pratiques esclavagistes contribuant à faire perdurer le contrôle de la liberté et de l’indépendance dans l’expression des opinions.
En réalité, de nombreux dirigeants ont comme condition préalable l’allégeance au pouvoir en place. Si cette allégeance n’est pas visible sous forme de “courbettes” ou “l’auto-zèle pour porter le sac du dirigeant donateur”, alors l’expertise n’est pas sollicitée… Ce sont des années d’expertises non sollicitées ou non mises en œuvre dont souffre l’Afrique au terme des 50 années d’indépendance. Les expertises non africaines l’ont compris et ne se gênent pas pour prendre pied dans tous les domaines où la diaspora africaine est simplement exclue par les dirigeants actuels. On le voit avec l’union européenne, mais aussi récemment avec la Chine. Pourtant sur de nombreux dossiers, les visions stratégiques de l’expert africain restent fondamentalement en faveur des populations africaines. Malheureusement, cela ne reflète pas nécessairement les objectifs des décideurs en premier ressort (Afrique) ou en dernier ressort (les héritiers des ex-colons). La Diaspora africaine finit alors par travailler plus pour les intérêts non-africains que pour l’Afrique car plus d’opportunités s’offrent à elle ailleurs qu’en Afrique. Il faut espérer que la démocratisation et le vent de liberté qui secouent l’Afrique, malgré les résistances des passéistes, conduisent graduellement à rechercher une construction d’une société de l’interdépendance africaine fondée sur la confiance.
9. Votre mot de la fin
J’espère que l”Afrique adoptera un nouveau concept que je suis en train de lancer : le solidarisme contractuel, dans un prochain livre sur la crise financière (éditions Menaibuc, juillet 2010). Cela devrait aider à prendre appui sur le cinquantenaire des indépendances pour comprendre que l’Afrique n’est pas sortie de la dépendance pour l’indépendance, mais pour l’interdépendance[2]. Il y a lieu de revisiter la place de l’Afrique dans la globalisation sans oublier l’économie de proximité et arrêter de croire que les solutions de court terme ou à courte vue qui reposent sur beaucoup d’égoïsme et de populisme pourront faire émerger une société de confiance. Les Africains doivent se demander et décider sur le type de société qu’ils veulent construire ensemble et dans le monde sans un mimétisme destructeur avec l’Occident et demain la Chine. La mise en œuvre d’un solidarisme contractuel devrait conduire l’Afrique vers la place qu’elle mérite et non vers des lendemains incertains qu’organisent en fait sans le savoir ceux qui profitent du sous-sol et des minerais africains. L’Afrique doit apprendre à gérer son interdépendance.YEA.
[1] Yves Ekoué Amaïzo, La neutralité coupable. L’autocensure des Africains. un frein aux alternatives ?, avec une préface d’Abel Goumba et une postface de Godwin Tété-Adjalogo, collection “Interdépendance africaine”, éditions Menaibuc, Paris, France, 2008.
[2] Yves Ekoué Amaïzo, De la dépendance à l’interdépendance. Mondialisation et marginalisation. Une chance pour l’Afrique ?, collection “interdépendance africaine”, éditions l’Harmattan, Paris, 1998.