Dr Kodjo Ernesto d´ALMEIDA et Dr Yves Ekoué AMAÏZO
Respectivement Consultant et Directeur du
Groupe de réflexion, d’action et d’influence Afrology
28 octobre 2010
La ville de Vienne en Autriche est connue pour son opéra mais aussi comme une ville touristique de plus en plus attractive. Il faut constater que les efforts déployés par la Mairie de Vienne n’y sont pas étrangers.
1. Election viennoise : peur de l’intégration à Vienne ?
C’est peut-être aussi cela qui a conduit à la victoire du parti socialiste-démocrate (Sozialdemokratische Partei Österreichs, SPÖ) à Vienne le 10 octobre 2010, avec 44,34 % des voix avec un recul de -4,75 %. En mettant de côté l’abstention et le niveau peu élevé de fréquentation des urnes, il faut bien considérer que la peur des citoyens des quartiers les moins lotis a joué dans les deux sens : maintien du maire sortant pour la 4e fois, Michaël Haupl et montée en puissance du parti libéral (Freiheitlichen Partei Österreichs, FPÖ) qui a gagné plus de 10,94 % avec 25,77 % des voix. Le Parti du peuple (Österreichische Volkspartei, ÖVP) a subi un recul équivalent à celui du parti social-démocrate avec -4,78 % et s’est adjugé 13,99 % des voix. Le parti des Verts avec un léger recul de -1,99 % se maintient avec 12,64 % des suffrages exprimés. Le parti Alliance pour le futur de l’Autriche (Bündnis Zukunft Österreich, BZÖ) classé à la droite de la droite a recueilli 1,33 % des suffrages, une légère amélioration de 0,18 % 1. Malgré 16 ans au pouvoir à Vienne, Mr Michael Haupl, SPÖ, a aussi réussi dans les derniers jours à attirer les jeunes électeurs en annonçant unilatéralement qu’il s’organisera pour “abolir le service militaire obligatoire“. La position du parti ÖVP est restée tellement conservatrice sur ce sujet que le contact avec les jeunes électeurs a été perdu. Le SPÖ est donc plus innovateur que le ÖVP sur ce terrain ?
Tous ces partis ont en commun de ne pas prendre à bras le corps le problème de l’intégration harmonieuse des populations étrangères devenues Autrichiennes. Il ne faudrait pas que cela ne s’érige en erreurs stratégiques avec des conséquences sur les prochaines élections à la Chancellerie prévue dans 3 ans, en 2013.
2. La peur a fait son travail
La victoire du parti SPÖ à Vienne aux élections locales de Vienne s’est accompagnée de la montée simultanée du FPÖ, le parti de la droite considéré comme xénophobe par les observateurs extérieurs. Le SPÖ perd donc sa majorité absolue dans le parlement viennois. Le parti ÖVP a chuté par rapport aux dernières élections en passant de plus de 17 % à 13,99 %. Même si la tâche était difficile pour la candidate du parti ÖVP, Mme Christine Marek dont un des parents Mr. Bruno Marek, était maire de Vienne dans les années 1969 et artisan du projet de construction du métro de Vienne, il faut constater que les thèmes choisis par le parti ÖVP sur la formation et les compétences ne reflètent pas les préoccupations pratiques et les difficultés rencontrées par les électeurs viennois, surtout dans les quartiers populaires.
Il apparaît que la peur et la difficulté à maintenir ou même assurer son pouvoir d’achat ont été déterminantes dans le choix des électeurs. La campagne des partis politiques en général, celle de l’ÖVP en particulier, n’a pas réellement pris en compte ces points. Il y aurait donc lieu de revoir comment se déterminent les sujets pour les élections et d’y associer des idées plus novatrices et impliquant une plus grande diversité des personnalités représentatives de la diversité de la ville de Vienne. Il y a besoin de remobiliser l’ensemble des partis politiques autour d’idées nouvelles et répondant aux attentes des populations, pas uniquement les Autrichiens de souche mais bien l’ensemble d’une population cosmopolite, notamment avec l’entrée des pays de l’est-européen dans l’Union européenne, qui a acquis la nationalité autrichienne mais subit encore des difficultés d’intégration.
En réalité, c’est la peur des populations des quartiers populaires qui a conduit à l’échec de ÖVP. Face aux analyses simplistes de “bouc émissairisation” d’une partie de la population contre une autre partie de la population qui serait plus “autrichienne” que l’autre, il faut constater une véritable erreur de stratégie politique. Une partie importante de la population de Vienne qui se sentait menacée a en fait choisi :
- soit de rejoindre le parti qui verse le plus dans le populisme (FPÖ) ;
- soit de s’assurer que les partis qui apparaissent les plus hostiles à l’intégration soient sanctionnés par leur vote.
En réalité, les partis dominants, de manière générale, sont en train de perdre leur relation directe avec les citoyens autrichiens vivant dans les quartiers populaires. En réalité, les Autrichiens ayant acquis la nationalité depuis 2 ou 3 générations sont peu intégrés dans le parti de droite. Il est donc évident que la peur de plus en plus visible de cette population a conduit à faire perdre des voix au parti ÖVP, voix qui se sont reportées principalement sur le FPÖ.
3. Prendre conscience de la rhétorique xénophobe et anti-islamique du FPÖ
Le parti populiste FPÖ dirigé jadis par le feu Jorg Haider et dirigé aujourd’hui par Heinz-Christian Strache a réussi augmenter de 12 points de plus que lors des précédentes élections en 2005. Le FPÖ, le Parti libéral, devient la deuxième force politique à Vienne alors qu’il s’agit d’un fief socialiste depuis 1919. Mr Strache a réussi à égaler le niveau atteint par son prédécesseur Haider avec 27 % des suffrages à l’issue d’une campagne fondée sur une rhétorique xénophobe et anti-islamique.
Plus inquiétant, le même Mr Strache a fait envoyer lors de sa campagne une bande dessinée à ses électeurs où il se présentait indirectement comme un “défenseur de l’Occident contre les Turcs”, rappelant le siège de Vienne par les Turcs dans d’autres circonstances où un certain Mustapha, le chef Ottoman, devait être visé avec une fronde… Rappeler une composition musicale de Johann Strauss “Wienerblut” reprise par les plus célèbres nazis et dont le vidéo-clip a été interdit pose un problème dans les techniques de racolage politique du FPÖ. Il n’est pas impossible que cela fasse même l’objet d’une plainte auprès de l’Union européenne pour incitation à la haine raciale et le ciblage d’une partie de la population disposant de la nationalité autrichienne, surtout lorsque Mr Strache suggère qu’il faut “du courage” pour défendre le “sang viennois”. A ce rythme, après la Carinthie et maintenant Vienne, les chances du FPÖ de prendre les voix de l’ÖVP pourraient aller en s’agrandissant si aucune mesure importante n’est prise pour intégrer les populations qui ont peur.
4. Autriche : entre xénophobie et intolérance
Les autorités autrichiennes sont conscientes de l’importance des problèmes de racisme, d’intolérance, d’antisémitisme et de xénophobie dans le pays. Mais il y a une différence importante entre les améliorations introduites dans la législation autrichienne contre la discrimination notamment dans l’égalité de traitement face à la loi dans chacune des neuf régions “Länder”. Ce point est d’ailleurs officiellement constaté par la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (CERI/ECRI en anglais) du Conseil de l’Europe dans son dernier rapport sur l’Autriche 2. C’est “le système éducatif et l’absence d’une politique d’intégration globale” qui demeurent un problème pour le CERI, ce que reflète le vote réflex des électeurs de Vienne. Il faut noter que le tabou de recrutement de policiers issus de l’immigration a été levé. Mais les difficultés d’accès à l’emploi pour les étrangers restent une réalité même si des efforts vers un soutien linguistique (apprentissage de l’Allemand) commencent à se généraliser.
Le CERI note que “le racisme dans le discours public, contre lequel les autorités n’ont pas répondu de façon adéquate, demeure préoccupant. Des partis politiques d’extrême droite ont exploité ouvertement les préjugés contre les minorités, les immigrés, les réfugiés, les demandeurs d’asile, les juifs et les musulmans et leurs déclarations n’ont pas toujours été condamnées par les grands partis politiques avec suffisamment de fermeté. De plus, certains médias ont contribué à créer un climat d’hostilité envers les membres de groupes minoritaires et les demandeurs d’asile 3“.
Sur un autre plan, le rapport constate que les “enfants non autrichiens sont toujours défavorisés dans le système éducatif et leur surreprésentation dans les établissements scolaires destinés aux élèves ayant des besoins particuliers est un problème. D’importantes disparités persistent entre les ressortissants et les non-ressortissants dans le secteur du travail. Les pratiques discriminatoires dans le domaine du logement et de l’emploi, comme des annonces discriminatoires, demeurent courantes et n’ont pas donné lieu à des mesures appropriées”. Le système de quotas fonctionne à géométrie variable et la fragmentation de la législation favorise l’arbitraire et pose le problème de l’indépendance des structures de protection comme les “Médiateurs” ou le “Bureau des affaires internes” chargés de sanctionner les mauvais traitements prouvés de la part de la police.
Ainsi, les électeurs de Vienne ont apporté leur réponse à leur manière, ce qui témoigne de la complexité du problème.
5. Propositions
Face à tous ces développements et l’avis du Conseil de l’Europe sur la politique autrichienne d’intégration et tout en sachant que les chefs d’entreprise se plaignent de la difficulté à recruter des compétences étrangères, il y a lieu pour la ville de Vienne de donner l’exemple à toute l’Autriche en réaffirmant le caractère cosmopolite de cette ville.
La position des partis politiques sur l’intégration et l’immigration risque de servir de fonds de commerce lors des élections futures pour la Chancellerie. Il importe dès maintenant d’introduire plus d’instruments et d’institutions favorisant l’indépendance lors des dérives afin de réduire le sentiment de peur qui habite les populations et qui tend à se cristalliser lors des élections.
L’Autriche reste malgré tout un pays de l’intégration. Ne pas l’avoir intégré assez tôt au niveau de la région et la ville de Vienne conduit aujourd’hui la grande coalition “SPÖ” et “ÖVP” à se fissurer au profit d’une éventuelle nouvelle coalition “SPÖ” et les Verts (GRÜNE) dite “rouge-vert”, couleurs des partis politiques concernés 4.
© www.afrology.com et amaizo.info
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Notes:
- REDAKTION Grüne.at, “Endergebnis der Wien-Wahl 2010 mit Wahlkarten”, voir <http://wien.gruene.at/2010/10/21/wahlergebnis > ↩
- Conseil de l’Europe, ECRI Bericht über Österreich, 2 März 2010, Conseil de l’Europe, ECRI, voir la version allemande <http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/ecri/Country-by-country/Austria/AUT-CbC-IV-2010-002-DEU.pdf> > et Rapport de l’ECRI sur l’Autriche, version française : <http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/ecri/Country-by-country/Austria/AUT-CbC-IV-2010-002-FRE.pdf> ↩
- Conseil de l’Europe, ECRI, communiqué de presse du 2 mars 2010, voir <http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/ecri/library/pressreleases/61-02_03_2010_austria_FR.asp> ↩
- Der Standard, “Häupl und Vassilakou starten heute Verhandlungen : Neun Untergruppen sollen Koalitionsvertrag aushandeln “, 27. Oktober 2010, in Der Standard, voir < http://derstandard.at/1288160029342/Nach-der-Wiener-Wahl-Van-der-Bellen-70-zu-30-dass-Rot-Gruen-kommt >. ↩