Mercredi 6 mai 2015
Emission : Le Journal des Auditeurs
13h20 – 14h00
Journaliste : Stéphanie Hartmann (SH)
Thème : 40 ans d’intégration régionale en Afrique de l’Ouest…
Contribution de l’invité : Dr Yves Ekoué Amaïzo (YEA), Economiste et Directeur Afrocentricity Think Tank
Contact : jda@africa1.com et info@afrocentricity.info
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Thème : 40 ans d’intégration régionale en Afrique de l’Ouest : des avancées, mais peut mieux faire !
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SH1. D’abord un bilan global. L’intégration régionale en Afrique et plus spécifiquement en Afrique de l’Ouest depuis 40 ans, une réussite ou un échec ?
YEA. Cela dépend pour qui. L’intégration régionale est une source de prospérité pour les dirigeants africains et une source de pauvreté pour les populations. C’est vrai que le passeport commun de la CEDEAO est une réalité dans les aéroports, moins aux postes frontières par la route. Mais l’échange intrarégional ne dépasse pas 12 % alors que l’Union européenne échange entre elle-même à raison d’environ 62 %. Avec la très faible intégration depuis 40 ans, l’anniversaire de l’intégration africaine n’est pas une fête, mais un constat que l’on aurait pu faire beaucoup mieux et plus vite.
Avec une croissance de l’Afrique subsaharienne robuste au-delà de 4,7 % depuis 11 ans, l’intégration régionale n’a pas permis véritablement d’améliorer de manière significative le pouvoir d’achat, ni créer des emplois suffisants et qualifiants et réduire la corruption dans les régions. Pourtant entre 2004 et 2014, les pays de la CEDEAO (Communauté économique et de développement de l’Afrique de l’Ouest) affichent un taux annuel moyen de croissance économique de 7,3 % alors que l’UEMOA (Union économique monétaire ouest-africain) affiche 4,1 % et la Zone franc, 4,3 % 1. En réalité, ce sont les pays avec un système monétaire à taux de change variable et pétrolier qui s’en sortent le mieux en Afrique de l’Ouest, alors que le franc CFA avec son système de taux de change fixe handicape les pays utilisateurs de cette monnaie. Au point de parler d’un manque à gagner qui bénéficie au Trésor français, dépositaire de plus de 50 % des richesses collectées en zone franc.
En effet, l’intégration régionale est un fourre-tout qui permet à chaque dirigeant d’interpréter la réussite selon le verre à moitié plein. La sélection des projets régionaux et leur gestion manquent de transparence. Les projets sont encore peu financés par les Africains eux-mêmes. La responsabilisation des dirigeants africains dans la mauvaise utilisation des ressources publiques est une constante. Les secteurs aussi importants que la santé, la monnaie, les infrastructures, les projets agricoles ou agro-industriels pour l’alimentation, la préservation de l’environnement avec les énergies alternatives, le transport, l’information et la libre circulation du capital, des biens et des personnes, la perte de pouvoir d’achat de l’Africain lambda, etc. conduisent malgré tout à ne plus verser dans la langue de bois.
L’intégration régionale sert principalement les intérêts des dirigeants africains et moins ceux des peuples africains. Bien sûr, il y a eu des progrès mais avec quelle efficacité et quelle rentabilité socio-économique à long-terme surtout lorsque la volatilité des prix des matières premières se conjugue avec les budgets affectés pour les épidémies importées d’ailleurs et les inégalités croissantes entre régions, et au sein des régions. De plus, on ne peut passer sous silence la déception quant à l’industrialisation ou la création d’une monnaie commune. Ce sont des dossiers qui se conjuguent souvent au futur et avec des retards par rapport aux résolutions officielles.
SH2. L’intégration politique, que peut-on en dire ?
Les dirigeants africains sont incapables de rationaliser les zones d’intégration qui se superposent, quand elles ne sont pas en concurrence. Entre la CEDEAO et l’UEMOA… il y a comme un alignement sur la France pour la seconde, et un véritable nivellement, malgré une plus grande indépendance, sur le monde anglo-saxon pour la première (Nigeria, Ghana, par exemple). Avec des dépenses budgétaires de l’UEMOA souvent épongées par des aides bilatérales françaises et un système original de taxation des importations qui fait que la CEDEAO a un budget en équilibre, les deux structures reflètent plus la position non prévisible des chefs d’Etat qu’une véritable priorité pour l’intégration régionale.
L’approche du financement innovant basé sur une taxe automatique versée à l’institution régionale est refusée par les mêmes chefs d’Etat au niveau de l’Union africaine. Ce qui veut dire que personne ne souhaite que l’Union africaine soit autonome financièrement. Celle-ci se retrouve à financer ses projets à plus de 95 % par l’Union européenne… Alors s’agit-il plus d’une intégration eurafricaine, puisque le modèle même de fonctionnement de l’UA est calqué sur l’Union européenne avec en plus la parité homme-femme au niveau des commissaires de l’UA.
Non, parler d’une même voix reste un slogan. Les dirigeants s’alignent d’abord sur les puissances occidentales de tutelle ou alors les dirigeants africains font des « deals » en échangeant des capacités productives dans leur pays contre une promesse de soutien pour garder leur pouvoir. Si vous pensez que l’eau, l’électricité, le port pour ne prendre que ces exemples n’appartiennent souvent plus à l’Etat, ni aux Africains mais à des investisseurs étrangers bénéficiant du soutien politique de leur Etat d’origine… C’est aussi dans ces pays que les dirigeants africains sont les plus alignés sur les ex-métropoles coloniales.
SH3. L’intégration économique, que peut-on en dire ?
YEA. Les efforts sont palpables dans les slogans et le report systématique des dates butoirs. La monnaie commune régionale est un serpent de mer dont la date est systématiquement repoussée aux calendres grecques. L’objectif est de disposer une monnaie commune d’ici 2020. La monnaie régionale du nom d’ECO n’est toujours pas d’actualité car il y a des tensions entre les tenants du FCFA qui souhaitent que les autres monnaies (cedi, naira) s’insèrent dans le FCFA et changent de nom, alors que les tenants de l’indépendance monétaire souhaitent que le FCFA soit aboli et la monnaie ECO soit totalement indépendante de la France.
L’ambition de disposer d’une monnaie commune à l’horizon 2020. Pour y parvenir, ils comptent créer une seconde zone monétaire dans région réunissant l’ensemble des pays ayant une monnaie différente du Franc CFA. Cette monnaie à naitre a déjà un nom, l’ECO. A terme les deux zones monétaires devraient se fondre en une seule pour créer la monnaie unique de la CEDEAO. Le projet de monnaie unique au sein de la CEDEAO est vu comme un précurseur, à l’ambition nourrie par certains africains de voir émerger sur le continent une monnaie commune aux 54 pays d’Afrique. Au niveau continental, il existe un projet de banque centrale africaine.
Cette intégration monétaire ne peut se faire sans une convergence des principaux indicateurs macroéconomiques comme le niveau d’endettement des gouvernements, la croissance, l’inflation, etc. en fait, pourquoi le pays le mieux gouverné devrait payer pour le pays le moins bien gouverné ? C’est le même problème entre la France et l’Allemagne.
Sur un autre plan, le retard est au rendez-vous pour le Fonds monétaire africain (FMA, prévu à Yaoundé, Cameroun), la Banque africaine d’investissement (prévue à Tripoli, Libye), la Banque centrale africaine (BCA, prévue à Abuja, Nigéria) toutes prévues en 1963 avec la Banque africaine de développement et toujours pas créées. Les blocages sont internes car certains pays s’alignent sur les positions des institutions de Bretton-Woods (Fonds monétaire international, Banque mondiale et même la Banque africaine de développement) lesquels sur ce sujet monétaire ont mis les freins à main. La période de l’après Donald Kaberuka, le Président sortant de la Banque africaine de développement (BAD) pourrait peut-être ouvrir des perspectives nouvelles pour l’Afrique des peuples, puisque la BAD a été gérée pour les Gouvernements.
IL faut nécessairement parler du processus de désindustrialisation au cours des 40 années passées et rappeler que l’intégration économique ne peut se concevoir sans le développement de projets industriels au plan régional. Sur ce sujet, c’est l’échec total. Vous pouvez en jugez avec une valeur ajoutée manufacturière africaine qui s’est contractée de 13 % en 2000 à 11 % en 2013, soit une désindustrialisation de fait alors qu’il faut au moins 17 % de la VAM pour assurer une croissance économique annuelle d’environ 6 % – 7 % tout en gardant une marge de manœuvre économique. La vérité est que la volonté politique relève des effets de manche. La part de l’Afrique dans la valeur ajoutée manufacturière mondiale a même diminuée, passant de 1,9 % en 1980 à 1,4 % en 2011 alors que l’Asie pour la même période est passée de 5,8 % à 34,9 % en 2011. Avec 80 % de cacao produit, l’Afrique ne transforme que 2 %. Donc ce sont des erreurs stratégiques fondamentales qu’il va falloir corriger pour accélérer l’intégration régionale d’ici 2063, selon la vision de l’Union africaine.
SH4. L’intégration démocratique, que peut-on en dire ?
YEA. Le nombre de pays qui ont connu l’alternance politique sans violence s’est stabilisé mais à quel prix ? Celle de la contrevérité des urnes, comme le Togo vient d’en faire la démonstration. Mais la prouesse du Nigeria n’a été possible que parce que le pouvoir s’échange au sein d’un cercle fermé d’acteurs qui se connaissent. Aussi, l’intégration démocratique est un échec. C’est d’autant plus grave que les nominations à la tête des institutions régionales et africaines ne se font jamais sur une base démocratique. Ce sont les relations, le poids économique et les jeux « don-contre-don » entre Etat qui fonde l’opacité des rapports. D’où d’ailleurs, le besoin de palabres et de conciliabules interminables. Le manque de transparence et d’absence de démocratie dans la nomination des acteurs régionaux est contreproductif. Le fait que certains des postes sont systématiquement attribués par des régimes autocratiques a pour résultat que de nombreuses institutions régionales sont gérées à l’image de celui qui nomme et ne sont remplis que de personnalités dont l’ambition est de servir l’Etat et moins les peuples. D’ailleurs, ils n’ont aucun compte à rendre au peuple. L’arrogance de certains pourrait faire frémir ceux qui ont choisi de servir l’humain d’abord.
SH5. L’intégration juridique, que peut-on en dire ?
YEA. Sur papier, le droit des affaires (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires – OHADA) est une réussite (créée en 1993 et regroupe 17 pays) uniquement pour les pays francophones, même si la mise en œuvre au niveau national reste laborieuse. Mais c’est plus l’harmonisation des textes juridiques, du fonctionnement des tribunaux, de la qualification des délits et des crimes, et surtout de la corruption qu’il y a deux poids deux mesures. Les actes uniformes qui marquent l’intégration est le plan comptable OHADA.
Donc, il n’y a pas d’intégration avec les pays anglophones, surtout au niveau du droit des affaires et de la comptabilité.
SH6. L’intégration sociale, que peut-on en dire ?
YEA. Là c’est l’échec. Car parler de l’intégration sociale, c’est mettre les citoyens au centre des préoccupations. Le paradoxe est que c’est un volet qui est non seulement marginalisé mais abandonné par l’Etat du fait de sa défaillance aux organisations non gouvernementales qui gèrent souvent grâce à des fonds non africains et donc avec des agendas pas toujours africains. C’est pourtant la vérité des urnes, puis la démocratisation dans le choix des représentants dans les structures régionales qui pourraient permettre de faire avancer l’intégration sociale. Mais si l’Etat se contente de développer des approches distributives non sans lien avec les achats de conscience lors des élections, le volet social tant au niveau national que régional ne pourra pas prendre un essor dans un cadre indépendant. C’est d’ailleurs la Diaspora africaine qui par ses envois importants de fonds vient réduire la pauvreté des familles, limitant d’autant les possibilités d’investissement avec leur épargne.
SH7. L’intégration environnementale, que peut-on en dire ?
YEA. A ma connaissance, les alertes faites par les rares organisations de la société civile africaines sont restées lettre-morte. Il existe un intérêt renouvelé des pouvoirs politiques pour protéger l’environnement notamment la biodiversité… mais des craintes existent aussi que cette approche ne soit qu’un trompe-l’œil pour « récupérer » éventuellement la récupération de quelques points « carbone » liés aux conséquences sur l’Afrique de la pollution créée par le monde occidental industrialisé., et de plus en plus la Chine.
SH8. Votre mot de fin sur l’intégration régionale ?
Je pense que l’on a oublié l’intégration culturelle. Au lieu de continuer à s’aligner sur la francophonie ou d’autres cultures, les Africains devraient ne pas attendre que l’intégration viendrait d’ailleurs. Il s’agit en fait de trouver ou plutôt de retrouver l’unité de l’identité africaine, pour ne pas dire l’identité panafricaine en prenant en compte la Diaspora d’hier, d’aujourd’hui et de demain. L’intégration culturelle serait peut-être par là où l’on aurait dû commencer pour que l’intégration évolue vers l’unité des Africains et non l’unité des dirigeants africains autocrates. Ces derniers ne pourront que formater l’intégration africaine à leur image. La CEDEAO n’y échappe, mais fait un peu mieux que d’autres régions comme l’Afrique centrale et moins bien que l’Afrique de l’Est ou l’Afrique australe.
Je reste confiant car le départ des autocrates africains qui bloquent les innovations, l’agilité dans la gestion démocratique des institutions régionales est en cours malgré les forces réactionnaires. L’avenir reste l’intégration régionale au service des populations en diversifiant et organisant des agglomérations de compétences intra-communautaires avec un véritable libre-échange.
Notes:
- IMF (2015). Regional Economic Outlook. Subsaharan Africa April 2015. International Monetary Fund: Washington D. C. ↩