www.africa1.com
Lundi 8 juin 2015
Journaliste : Stéphanie Hartmann, Journaliste, Chargée de Production
Emission : Le Journal des auditeurs, 13h20 – 14h00. Voir le Postcast sur www.africa1.com
Contact : info@africa1.com ou jda@africa1.com
Invité : Dr Yves Ekoué AMAÏZO, Consultant international et Directeur du groupe de réflexion, d’action et d’influence Afrocentricity Think Tank.
Contact : yeamaizo@afrocentricity.info
Thème : A qui profite l’aide au développement et quel progrès depuis les années 1960 ?
Ecouter l’émission : http://www.africa1.com/spip.php?article56206
Résumé : JDA du 08/06/2015
Les pays du G7 sont sommés de respecter leur engagement en matière d’aide au développement…
La présidente de Libéria, Ellen Johnson Sirleaf, a publié une tribune dans laquelle elle appelle les pays du G7 à respecter leurs engagements en matière de financement du développement. Depuis de nombreuses années, les pays riches peinent à atteindre l’objectif de 0,7% de leur PIB.
Comment contraindre les pays du G7 à respecter leur engagement ? Et l’aide au développement profite-t-elle aux pays les plus pauvres ?
Pour en parler, nous recevrons, par téléphone, Dr Yves Ekoué Amaïzo, économiste togolais
1. Africa1.com : L’aide au développement. Est-ce que vous pouvez nous en donner quelques caractéristiques ?
YEA : Je vous remercie pour l’invitation. On est passé du concept de l’aide au développement à celui de l’utilisation de l’aide publique au développement avec tout ce que cela implique en termes d’influence et de servitude. Les politiques de nombreux pays africains, notamment francophones, doivent recevoir une sorte de non-objection pour pourvoir accéder à ce financement lequel n’étant d’ailleurs pas une aide mais en grande majorité, un prêt remboursable à des conditions concessionnelles.
Pour mieux apprécier l’aide au développement, il importe s’appuyer sur les résultats des cinq (5) décennies passées. Mais auparavant, redéfinissons les concepts « aide » et « développement » en rappelant que l’aide se présente souvent sous la forme de dons, d’assistance technique, de prêts à des conditions préférentielles ou sous la forme d’incitations pour l’achat de biens et services en amont des crédits fournisseurs ou acheteurs…
L’aide est devenue synonyme d’incitations, de neutralisation, de chantages et parfois d’asphyxie des Etats qui la reçoivent sans nécessairement en transférer la totalité vers les populations. De nombreux Etats, surtout francophones, ont souvent l’obligation non écrite (et donc secrète) d’assurer que l’essentiel de l’aide retourne dans les pays donateurs sous forme de contrats, d’expertise, de services, de fournitures d’équipements y compris militaires ou sécuritaires, d’infrastructures, etc. En réalité, cette aide alimente tout un système qui favorise la corruption par un retour de l’argent ou bénéfices tirés d’opérations financées par l’Aide au développement vers les pays bénéficiaires. C’est ainsi que les corrupteurs et les corrompus se retrouvent, dans divers réseaux ésotériques ou obscurs, pour démontrer leur unité d’action aux dépens des populations et des citoyens africains.
Donc, le concept de « développement » doit être revu à l’aune d’une certaine hiérarchie des rapports de force militaires, sécuritaires, financiers et alimentaires. Autrement dit, cette aide au cours des 50 années a surtout servi à neutraliser l’organisation indépendante et autonome des Africains. Prenez le poulet congelé envoyé en Afrique, cela a démantelé la chaîne avicole et émoussé la volonté de vivre indépendamment de l’Etat africain. L’organisation économique fondée sur l’autosuffisance et surtout l’autonomie des structures africaines doit être neutralisée, souvent d’ailleurs avec la complicité des dirigeants (publics comme privés) africains, y compris certains notables des villages reculés en Afrique, pour l’essentiel membres du parti au pouvoir.
Bref, il est d’abord question que l’aide serve :
- au développement des pays donateurs et accessoirement à celui des pays bénéficiaires ;
- à défendre les intérêts des pays donateurs en s’appuyant sur un réseau de valets locaux africains qui en profitent pour s’auto-rémunérer sur la corruption ;
- à justifier des sorties importantes de l’argent des contribuables occidentaux sans que cela n’aille véritablement vers les objectifs affichés ou annoncés ;
- à défendre les intérêts des entreprises occidentales installées en Afrique pour faciliter leur retour sur investissement ou amélioration, sans beaucoup de succès, leur compétitivité face à l’arrivée des pays émergents dont principalement la Chine ;
- à maintenir au pouvoir des autocrates africains en garantissant le financement de leur armement sécuritaire comme au Burundi et au Togo par exemple où le respect de la volonté des peuples est bafoué grâce à l’aide au développement fournie aux autocrates de ces pays ;
- à contribuer à l’augmentation des inégalités et en fait de la perte de pouvoir d’achat issu de l’entrepreneuriat décent ;
- à promouvoir la déresponsabilisation tant des élites que l’accroissement de la mauvaise gouvernance, de la corruption et donc du mal-développement.
2. Africa1.com : L’aide au développement. Pouvez-vous nous faire un rappel historique ?
YEA : La notion d’aide au développement remonte à la période de la fin de la 2e guerre mondiale. Lorsque les pays européens bénéficiaient du Plan Marshall pour stopper l’avancée du « communisme/socialisme » promu par l’Union soviétique, l’Afrique n’a pas été jugée dangereuse en termes de capacité de nuisance pour en bénéficier. Donc en palliatif, il fallait trouver un produit de remplacement.
Dès les années d’indépendances en 1960 et avec le mouvement des non-alignés de Bandoeng en 1955, il fallait créer le désordre et la division. Aussi, dans le cadre de la décolonisation, 1 % de la part du Produit intérieur brut des pays riches occidentaux devait être consacré pour influencer les nouveaux dirigeants africains à rester dans le giron occidental, bien sûr chacun dans sa zone d’influence. La France a donc bénéficié de la zone franc. En fait, il fut question de répartir l’offre d’APD des pays du Nord vers les pays du Sud comme suit : 70% de fonds publics et de 30% de fonds privés. C’est ce schéma qui a été validé par les Nations Unies. Les donateurs publics (des Etats) doivent verser 0,7% de leur revenu pour l’APD alors que le secteur privé devait « investir » une somme équivalente à 0,3 % de l’APD.
Cette logique d’influence géographique s’est heurtée à la guerre d’Algérie, l’autonomie des Tunisiens, etc. mais avec le contrôle monétaire par le signe monétaire qu’est le Franc CFA et des coups d’Etats ayant supprimé les principaux nationalistes africains (Sylvanus Olympio/Togo, Patrice Lumumba/Congo, Kwame Nkrumah/Ghana, etc.), il était facile alors de faire reposer l’influence géopolitique sur la dépendance financière avec l’aide publique au développement (APD) avec 0,7 % du PIB des pays riches occidentaux. Le problème est que les grandes annonces d’amélioration de la santé, de l’éducation, des infrastructures qui devaient faire l’objet d’un financement par l’APD ont accouché d’une souris. Beaucoup de l’APD est parti dans la sécurité et même dans la défense notamment l’armement des milices présidentielles des chefs d’Etat africains. A ce titre, l’APD de la France en 2014 ne représente plus que 0,37 % du PIB français et serait en baisse (Guidal et Baumel, 2015 : p. 114) 1.
L’autre problème est que l’APD devait servir plusieurs acteurs notamment avec la montée des organisations non gouvernementales (ONG), parfois créées de toutes pièces pour remplacer les initiatives africaines et même se substituer aux Africains. C’est d’ailleurs cela qui explique que ces ONG évitent soigneusement d’utiliser la Diaspora Africaine qui pourrait à terme les remplacer sur le terrain, réduisant d’ailleurs ainsi les pressions migratoires. Mais l’immigration choisie permet de garder les meilleurs médecins noirs en Occident et de priver les populations des soins les plus élémentaires. C’est ainsi que l’APD peut servir tout autant pour l’humanitaire que pour des partenariats publics-privés, des investissements directs à l’étranger (IDE), l’économie de la migration et des migrants et même comme des béquilles pour les nouveaux instruments financiers ou de marché pour couvrir ou garantir des risques.
Avec la montée des milliardaires dans le monde et donc de l’aide privée mais aussi des transferts d’argent de la Diaspora africaine, l’APD se retrouve classée comme priorité seconde dans les budgets des Etats africains. Le problème est que l’investissement étranger direct a pris de l’essor entre 1980 et 1990 juste au moment où les institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale) lançaient avec beaucoup de volonté de nuisance, leur plan d’ajustement structurel. Aussi, avec les programmes de privatisations, des pans entiers des capacités productives africaines sont passées dans les mains des puissances étrangères avec la complicité des élites africaines. Ces derniers ont choisi la facilité en refusant l’industrialisation et en préférant toucher des dividendes de ces sociétés qui ont acheté à vil prix dans le cadre de la privatisation des ressources africaines. Rappelons que le secteur privé international comme local n’a pas pour objet de servir les populations mais leurs intérêts. Les biens publics ont été laminés en Afrique. La santé, l’éducation, les statistiques et même l’infrastructure, la communication, l’énergie et la liberté d’expression ont été sacrifiés sans que l’aide au développement n’ait servi à corriger le tir.
L’APD au développement est tombée à 2 % du PIB dans les années 2000. C’est face à cela et l’impossible « remontée » que de nouveaux instruments de financement innovants sont apparus comme la taxe sur les billets d’avion ou le développement du partenariats public-privé, voire même l’utilisation de l’Afrique comme terrain d’expérimentation pour les multinationales de la santé notamment pour les tests grandeurs nature avec des médicaments et autres vaccins… Les réponses à l’hécatombe de Marburg-Ebola en Afrique devront être recherchées de ce côté. Mais ce qu’il faut retenir est que l’Aide au développement a été utilisée :
- d’abord pour se prémunir contre le communisme, puis contre tous les fléaux réels ou imaginaires de l’Occident dont l’immigration, et aujourd’hui le terrorisme islamique ou pas ;
- puis pour influencer et défendre les intérêts occidentaux.
Faut-il encore parler d’aide ? De nombreux dirigeants africains le savent et en jouent pour se maintenir au pouvoir en s’assurant que l’aide au développement serve principalement d’abord à financer directement ou indirectement leur sécurité rapprochée et plus largement leur clientèle dans le pays afin de se maintenir au pouvoir. C’est ainsi que les vaccins, centres de santé et autres écoles se retrouvent dans les zones où le clientélisme actif du pouvoir sévit.
3. Africa1.com : A qui profite l’aide au développement ? Que pensez-vous de la demande de Mme Ellen Johnson Sirleaf, la Présidente du Libéria qui souhaite que les dirigeants du G7 continuent à honorer leur engagement de transférer 0,7 % de leur PIB pour l’aide au développement en Afrique ?
YEA : L’APD profite d’abord à ceux qui la reçoivent non pas directement mais en retour. Il s’agit d’un retour sur investissement. Autrement dit, j’investi de l’argent des contribuables occidentaux et je dois nécessairement avoir un retour en Occident ou alors pour les Occidentaux en Afrique. Comme c’est trop gros, il faut utiliser la communication pour ne montrer que les photos de quelques réussites afin de masquer le retour sur investissement.
Le problème est de savoir qui sont les véritables bénéficiaires de l’APD sans se faire rouler dans la farine de la communication occidentale, principalement basée sur des photos mettant l’accent sur la sensibilité des téléspectateurs et moins sur les résultats obtenus sur le terrain en termes de pérennisation de leurs actions. La définition de bénéficiaire doit être revue du point de vue des véritables populations et non du point de vue des évaluateurs payés par les mêmes donateurs ou par les experts financés par les gouvernements africains. Car en effet, l’aide publique au développement est envoyée en priorité directement dans les budgets des Etats sur la base d’une requête officielle dont le contenu a souvent été rédigé dans les pays du Nord. Avec la fongibilité du budget de l’Etat, les dirigeants africains sont en définitive les gestionnaires de ces fonds et en profitent pour financer en retour des partis politiques occidentaux pour mieux conserver leur poste ou organiser leur clientèle pour rester au pouvoir éternellement. Ils n’oublient surtout pas de mettre en place des incitations qui profitent d’abord et parfois exclusivement aux entreprises occidentales installées en Afrique.
Alors quand Mme Ellen Johnson Sirleaf, la Présidente du Libéria, invitée au G7 en Allemagne (juin 2015), pose une question incongrue à savoir : « Les dirigeants du G7, voulez-vous vraiment mettre en danger votre partenariat avec l’Afrique ? 2 ». Elle n’a pas encore compris que l’aide publique au développement ne sert pas d’abord les intérêts des populations africaines, et certainement plus ceux des élites dirigeantes qui ont failli à la transférer aux populations. Un petit bilan de son règne à la tête du Liberia pourrait rendre sa demande plus crédible auprès des populations y compris la Diaspora. Au lieu de se préoccuper du recul minimal de l’extrême pauvreté, elle ferait mieux de montrer l’extraordinaire augmentation des inégalités, facteurs de création d’extrême pauvreté à terme. Il y a donc véritablement un vrai problème d’analyse et donc de vision. L’assistanat ne peut être l’option pour le peuple africain. Ceux des dirigeants qui ont oubliés de se vacciner contre ce fléau, plus grave que le Marburg-Ebola, feraient bien d’aller chercher la solution dans les solutions afrocentriques et dans l’histoire de l’Afrique ancestrale. Mais personne ne peut s’opposer à sa volonté « d’écouter les jeunes africains et de les mettre au centre d’un partenariat mondial renouvelé pour un financement du développement intelligent 3 ».
Ces jeunes gens veulent bâtir le futur de l’Afrique et s’assurer que leurs dirigeants cherchent avant tout le progrès. Nous devons les écouter et les mettre au centre de ce partenariat mondial renouvelé pour un financement du développement intelligent.
En réalité, l’APD sert principalement et parfois uniquement :
- à organiser le retour sur investissement de l’argent du contribuable occidental ; ou alors
- à endiguer des menaces de tous ordres contre le monde occidental.
Le terrorisme se retrouve placé quasiment au même niveau que l’invasion supposée des Africains de l’Europe… alors que les causes de tous ces problèmes se retrouvent dans les stratégies occidentales imposées à l’Afrique en refusant de reconnaître les dégâts causés par l’esclavage, le travail gratuit des Noirs, l’exploitation économique et politique de l’Afrique et des Africains en refusant de soutenir les opposants africains pacifiques qui ont opté il y a plus de 5 décennies pour l’alternance pacifique en Afrique. Mais voilà, l’Occident et l’Europe de l’Ouest en particulier, ont toujours considéré que l’opposition africaine consciente de ses droits est une menace pire que les autocrates et les dictatures… Quel manque de vision dans un monde où l’injustice occidentale finira par les condamner de manière irréversible face à la Maat !
4. Africa1.com : Comment contraindre les pays du G7 à respecter leur engagement ?
YEA : On ne peut contraindre le G7 à respecter leur engagement qu’en retrouvant une capacité d’influence 4. Mais il faut constater que sur le terrain, une capacité de nuisance a plus d’effet pour limiter la « férocité blanche 5 ». Aussi, c’est bien l’unité qui fait la force. Mais les Africains ne sont d’accord sur rien sauf de continuer à « profiter d’une aide au développement » qui sert à pérenniser les intérêts occidentaux en Afrique et à attirer les investisseurs occidentaux en mal de compétitivité.
Toutefois, tant que les citoyens africains continueront à croire que leur salut passe par l’aide publique au développement gérée par les autocrates africains, le problème n’est pas de contraindre les pays du G7 mais bien de faire partir pacifiquement et démocratiquement les dirigeants illégitimes continuant à bloquer l’autodétermination de leur peuple par la contrevérité des urnes. Les femmes africaines ne devraient plus laisser les hommes africains déterminer leur futur… Pour cela, il faut apprendre à ne plus dépendre des ruissellements minables de l’aide publique au développement.
5. Africa1.com. Votre mot de fin ?
L’aide publique au développement est un outil formidable qui a failli à sa mission première. L’APD est devenu un outil redoutable d’influence qui a retardé l’industrialisation de l’Afrique notamment francophone et empêché indirectement le juste prix des matières premières d’être recyclé dans les capacités productives et la création d’emplois. Aussi, on ne peut continuer à défendre les intérêts du ou des donateurs dans un pays bénéficiaire en s’appuyant sur l’aide budgétaire alors que les dirigeants ne reflètent pas la vérité des urnes… et travaillent parfois contre l’intérêt de leur propre population. Les Africains doivent en prendre conscience sinon continuer dans la naïveté de la « foi » dans l’aide désintéressée des pays du Nord. YEA.
8 juin 2015.
© Afrocentricity.info
Notes:
- Guidal, J.-C. et Baumel, P. (2015). Rapport d’information sur la « Stabilité et et le développement de l’Afrique francophone ». Rapport 2746. Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale française. 6 mai 2015. Paris, 212p. ↩
- Johnson Sirleaf E. (Présidente du Liberia) (2015). « « Les dirigeants du G7, voulez-vous vraiment mettre en danger votre partenariat avec l’Afrique ? ». In Le Monde.fr. 05 juin 2015. Accédé le 7 juin 2015, voir http://s1.lemde.fr/image/2015/06/05/768×0/4648478_6_eb71_la-presidente-du-liberia-ellen-johnson_889630261d8863ebb48998d760228c2b.jpg ↩
- Johnson Sirleaf E. (2015). Op. cit. ↩
- Amaïzo, Y. E. (1998). De la dépendance à l’interdépendance. Mondialisation et marginalisation : une chance pour l’Afrique. Editions L’Harmattan : Paris, voir le chapitre sur « La capacité d’influence et zones interdépendantes », pp. 103 et ss. et « La Participation de la société civile aux décisions », pp. 335 et ss. ↩
- Plumelle-Uribe, R. A. (2001). La férocité blanche. Des non-Blancs aux non-Aryens. Génocides occultés de 1492 à nos jours. Avec une préface de Louis Sala-Molins. Editions Albin Michel : Paris. ↩