Introduction : 60 ans d’ONU sans décision africaine
Créée en 1945 par une coalition des cinq grands vainqueurs de la seconde guerre mondiale à savoir la Chine, les Etats-Unis, Le Royaume Uni, la France et l’Union soviétique, l’Organisation des Nations Unies (ONU) aura 60 ans lors du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement prévu à New York du 14 au 16 septembre 2005. Cet anniversaire risque pour certains de ressembler à une réduction de la primauté du droit et de la souveraineté des peuples les moins influents au profit d’une forme nouvelle d’unilatéralisme des grandes puissances, soutenues en sous-mains par certaines grandes entreprises multinationales.
1. L’impossible réforme du Conseil de sécurité sans les Africains
Sur la base de la proposition concrète de réforme du Conseil de sécurité de 1997 appelée depuis lors le “plan Razali” du nom de l’ambassadeur de Malaisie, M. Ismail Razali, ancien président de l’Assemblée générale, il fut proposé de créer cinq nouveaux sièges permanents dont deux pour les pays industrialisés et trois autres représentant chacun un pays des trois grandes régions des pays en développement, à savoir l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine englobant les Caraïbes, sans droit de veto avec chacun un siège supplémentaire non permanent. Avec neuf sièges supplémentaires, le Conseil de sécurité aurait eu vingt-quatre sièges au total. L’ensemble du dispositif devait être soumis au vote conformément à la Charte et aurait eu besoin d’une majorité des deux tiers de l’Assemblée générale. Ce plan fut bloqué par les États-unis qui souhaitaient à l’époque un conseil de sécurité restreint autour de 20-22 membres.
C’est à la suite de la guerre d’Irak et face aux menaces pesant sur la sécurité internationale qu’un rapport commandé par le secrétaire général Kofi Annan et réalisé par un groupe d’hommes politiques et de diplomates de réputation internationale fut publié en décembre 2004 sous le titre: « Un monde plus sûr: notre affaire à tous »[1]. Il recommandait, tout comme le plan Razali, la création de neuf sièges au Conseil de sécurité et proposait pour cela deux options (A et B):
Le modèle A reprenait le plan Razali tout en prévoyant la création de six nouveaux sièges permanents et de trois nouveaux sièges non permanents ; ceci tenait compte de l’exigence formulée par les pays africains désirant que leur région obtienne deux sièges permanents selon l’argumentaire que l’essentiel des travaux du Conseil de sécurité porte sur l’Afrique.
Le modèle B ne crée pas de nouveaux sièges permanents mais un seul nouveau siège non permanent et prévoit une nouvelle catégorie de huit pays élus pour quatre ans et rééligibles (les membres non permanents actuels sont élus pour une période de deux ans et ne peuvent pas être réélus). Ces sièges seraient occupés par une série d’États de puissance moyenne sélectionnés en fonction de critères qui ne sont pas apparus comme neutres.
La grande majorité des États semble rejeter l’option B au profit de l’option A pour permettre aux pays en développement et plus particulièrement ceux des régions les plus pauvres de retrouver un droit à l’autodétermination au sein du Conseil de sécurité, ceci de manière permanente. L’Afrique devrait donc en principe obtenir de facto au moins un droit de veto. Bien que soutenant l’élargissement au sein de l’Europe, plusieurs pays de l’Europe de l’Est ne sont pas favorables à une « intégration » d’office si une fusion du groupe des États d’Europe occidentale et du groupe des États d’Europe de l’Est devait avoir lieu. Ces derniers dépendraient d’office des pays de l’Europe de l’Ouest pour ce qui est du droit de veto.
C’est dans ce cadre qu’entre décembre 2004 et février 2005 que la proposition africaine de réforme et d’élargissement du conseil de sécurité est venue se greffer. Toute proposition consistant à modifier un État de fait qui considère la plupart des pays africains comme au temps de la colonisation ne peut qu’être conflictuelle.
Réformer ainsi le mode de gouvernance des Nations Unies relève alors du défi pour les pays africains, peinant toujours à offrir des positions stratégiques collectives qui tiennent compte de la « real politik ». En effet, l’ensemble des 53 pays africains sont parvenus à former une position africaine commune sur la Réforme des Nations Unies appelée le « Consensus d’Ezulwini », malgré des accords secrets d’allégeance et d’alignements de certains dirigeants africains sur les positions de quelques grandes puissances. Sous le couvert d’exiger soit l’abolition du droit de veto ou alors de s’assurer que les nouveaux membres permanents, dont deux africains, en disposent, l’union africaine a en fait accouché d’une position minimaliste[2] qui cache des calculs stratégiques de blocage des uns et des autres au statut de « membre permanent disposant d’un droit de veto » au Conseil de sécurité. Sans les Africains, il n’y aura pas de réforme, ni d’élargissement du Conseil de sécurité.
2. ONU : une constellation d’institutions, d’abord au service des Etats
Il ne faut donc plus rêver d’une position africaine idéale sur la réforme des Nations Unies, mais prendre conscience de la réalité des rapports de force ambiants et proposer graduellement que l’Afrique retrouve sa place dans le concert des Nations. Il ne faudrait pas que cette place soit octroyée par défaut, ou soit honorifique plus qu’effective compte tenu des capacités militaires et économiques faibles du continent pris collectivement. Aucun des États africains ne dispose de l’arme nucléaire, Nelson Mandela y ayant renoncé dans le cadre des pourparlers devant mener à sa libération. Ainsi, la capacité de nuisance nécessaire pour mener une diplomatie active, au mieux de résistance, fait défaut à l’Afrique.
L’ONU, avec ses 191 États-membres, est une constellation d’institutions relevant du domaine public et composée d’une pléiade d’entités. Elle se refuse à faire appel à la société civile dans son ensemble dans ses différents conseils d’administration pour l’aider à accomplir sa mission. Celle-ci pourrait se résumer principalement au maintien de la paix et de la sécurité collective d’une part et du développement de la sécurité humaine sous toutes les formes de protection de la vie et des droits y afférents notamment dans les domaines politiques, culturels, économiques, financiers, humanitaires, alimentaires, … Il en ressort tout un système de conseils, d’agences, d’institutions spécialisées techniques ou financières, de fonds, de programmes, de commissions techniques ou régionales, d’organes subsidiaires, de bureaux délocalisés ou pas, d’instituts, et d’organisations non-membres du système ONU mais ayant des accords spéciaux. Tous gravitent selon des liens plus ou moins forts autour de deux organes principaux. L’exécutif et l’administratif sont couverts par le Conseil de Sécurité[3] et le Secrétariat général et le législatif par l’Assemblée générale qui, à la fois par sa composition et sa compétence, mais aux pouvoirs faibles, regroupe tous les membres sur une base égalitaire. Vient alors en appui le Conseil économique et social et la Cour internationale de justice.
Le Conseil de sécurité a 15 membres dont cinq bénéficiant du statut de membre permanent et du droit de veto. Dix autres membres sont élus par l’Assemblée générale pour une période de deux ans. L’Afrique est représentée actuellement par l’Algérie et le Bénin qui terminent leur mandat au 31 décembre 2005 et la Tanzanie qui termine son mandat au 31 décembre 2006[4]. Chaque État-membre membre du conseil de sécurité dispose d’une voix. Il faut 9 voix pour faire passer une décision. La présidence est occupée à tour de rôle et change tous les mois. Tous les membres des Nations Unies ont accepté de mettre en œuvre les décisions du Conseil de sécurité qui sont en principe exécutoires. Tous les autres organes des Nations Unies ne font que des recommandations aux Gouvernements.
3. « Real politik » et diplomatie du statu quo
La réforme des Nations Unies porte justement sur l’introduction de nouvelles règles du jeu compte tenu de l’accession de nombreux pays au statut d’États indépendants suite au processus de décolonisation, mais aussi à une prise en compte des nouvelles puissances que constituent le Japon, l’Allemagne, le Chine, l’Inde, le Brésil en termes de rapports de forces militaires et économiques. En Afrique, les regards se portent sur des pays comme l’Afrique du sud, l’Égypte et le Nigeria si l’on prend en compte la logique de la capacité militaire et de pouvoir économique. Il ne faut pourtant pas oublier les autres pays, notamment les moins influents.
Si l’on tient compte d’une certaine répartition équitable des régions et des pays les moins avancés, plusieurs pays peuvent alors aussi prétendre à représenter l’Afrique au sein du Conseil de sécurité. La « real politik » semble paradoxalement favoriser l’introduction de petits pays africains, militairement et économiquement faibles en terme d’influence propre. Ces petits pays peuvent bénéficier de l’influence d’un pays membre du conseil de sécurité dans le cadre d’allégeances complexes et secrètes. La représentation de chacune des cinq sous-régions africaines serait l’idéal mais pose des problèmes dans un contexte global où les autres régions pourraient demander la même chose. C’est donc un signe révélateur d’une vision futuriste mais qui ne tient pas compte de la réalité des rapports de force. Le comportement unilatéraliste des grandes puissances américaines, asiatiques ou européennes ne peut aujourd’hui s’accommoder d’une telle demande qui s’apparente directement à une dilution de leur pouvoir.
En effet, chaque membre du Conseil de sécurité qui « coopterait » un autre pays souhaiterait s’adjuger indirectement le bénéfice d’avoir cet Etat (ou le représentant d’une région) ne pas lui faire ombrage au sein du Conseil de Sécurité. Comme il est extrêmement difficile de s’en assurer une fois que l’introduction du nouvel Etat a eu lieu, chacun des cinq membres du Conseil de sécurité tend à préférer une situation de statu quo, ouvrant alors la voie à une diplomatie du statu quo qui renforce alors la position de ceux qui détiennent le droit de veto. Quand l’Afrique, d’une voix commune, demande en toute égalité d’obtenir un droit de veto, la diplomatie du statu quo s’applique immanquablement. Pourtant, ce n’est que justice compte tenu des résultats obtenus par le Conseil de Sécurité en Afrique. Si l’ONU est censée protéger l’égalité et la souveraineté des Etats membres, cette protection se fait de manière ambiguë, essentiellement selon les intérêts des grandes puissances. Toute réforme devra accepter de changer cette donne sinon il ne s’agira pas d’une réforme mais d’un stratagème immunisateur de la capacité d’autodétermination de l’Afrique.
L’ONU, avec l’État au centre du dispositif, est initialement dominée par les grandes puissances sur la base d’hégémonies antérieures contestées. L’ONU n’a pas toujours réussi à cacher les désaccords et affrontements qui ont conduit à une guerre froide. Avec la fin de l’Union soviétique, certaines grandes puissances occidentales sont parties, sous formes d’alliances et de facilitation dans les ouvertures de marché et de transfert de technologies et de savoir-faire, à la conquête de petites et moyennes puissances, aujourd’hui des pays émergents. Cela s’est fait au détriment des principes fondateurs de l’ONU puisqu’il s’agissait de laisser en « friche » certaines régions du monde, dont l’Afrique, pour mieux contrôler les puissances émergentes surtout celles qui auraient des velléités d’aspirations à devenir des puissances régionales, capables de se transmuer en une capacité de nuisance pour l’un ou l’autre des cinq membres du Conseil de Sécurité ou de leurs alliés.
Cela n’exclut nullement les luttes et les compétitions de ces mêmes puissances entre elles. A ce titre, le sort réservé par la France aux ex-colonies africaines reste bien mitigé. Le traitement réservé aux anciens combattants africains plus connus sous le nom de « tirailleurs sénégalais » laisse un goût amer, puisque l’on fait une différence entre le solde à payer à des Africains qui ont combattu pour aider la France à se débarrasser du nazisme et celui des Français dit de souche. Il est de notoriété publique que le soutien des Etats-Unis à la Corée du Sud et de la Grande Bretagne à Hong Kong ont permis à ces pays de se hisser en haut de l’échelle des critères économiques de développement. Les résultats obtenus par ces pays devraient faire pâlir les autorités françaises en termes de transferts de savoir-faire et de technologie et de structuration de l’économie si l’on prend comme point de comparaison ce qui a été fait dans les pays francophones africains. Tous les ingrédients de l’unilatéralisme et de la dépendance sont simplement modernisés pour permettre aujourd’hui d’organiser une structuration des allégeances multiples. La résultante de cette nouvelle structuration de l’ordre mondial devrait permettre alors d’accoucher d’une réforme des Nations Unies qui ne peut s’inscrire qu’au registre du service minimum, comme au demeurant ce que le dernier G 8 de Gleneagles (juin 2005) a offert au monde quant à l’annulation de la dette des pays pauvres.
4. Période de transition : deux sièges permanents sans droit de veto pour l’Afrique ?
Les chefs d’État africains, en mandatant l’Union africaine sur ce dossier, ont fait cavalier seul en oubliant d’intégrer le rapport de force ambiant. Un groupe de quatre pays dénommé le G4, composé de l’Allemagne, du Japon, de l’Inde et du Brésil était sur le point d’obtenir six nouveaux sièges permanents au Conseil de sécurité, où deux sièges étaient réservés à l’Afrique, mais sans droit de veto. L’Union africaine et la perspective de voir l’Afrique encore sous « contrôle » ont amené les chefs d’État africains à bloquer le projet. Faut-il choisir l’option consistant à supprimer à terme le droit de veto qui constitue aujourd’hui une injustice criarde ou faut-il négocier pour un progrès dans ce domaine immédiatement ? L’impatience gagne certains chefs d’États africains qui ne comprennent pas pourquoi il faut encore attendre pour discuter de la suppression du droit de veto. Les dirigeants africains ont insisté pour que tous les nouveaux membres permanents proposés (six) obtiennent un droit de veto. Le Conseil de sécurité serait alors passer de 15 à 26 membres au total avec 11 membres disposant d’un droit de veto, ce que refusent bien sûr les détenteurs actuels du veto.
Ainsi, les cinq pays bénéficiant actuellement du droit de veto (la France, les États-unis, la Grande Bretagne, la Chine et la Russie) l’auraient conservé. Cette réforme suppose que deux tiers des voix des 191 membres de l’Assemblée générale de l’ONU doivent l’adopter, puis la ratifier auprès des cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Les chefs d’Etat comprennent que les rapports de force et l’unilatéralisme ambiant ne leur permettent pas actuellement d’obtenir un droit de veto que plusieurs pays souhaiteraient voir aboli. Mais ils ont préféré témoigner à la face du monde de leur désapprobation de l’injustice du système actuel, facteur de déstabilisation et d’usurpation des droits des Africains. En conséquence, certains membres permanents voient en cela un précédent de l’attitude africaine et semblent s’orienter vers une suppression pure et simple des Africains qui risqueraient de contribuer grandement à retarder encore plus les futures décisions du Conseil de sécurité.
Ne pas en prendre conscience est une erreur stratégique qu’il convient de surmonter en donnant plus de poids à la Commission de l’Union africaine qui reposera ses propositions sur les propositions d’éminentes personnalités africaines de la société civile défendant les droits de l’Afrique et des Africains. La pièce manquante est bien la société civile africaine. Si le droit de veto est refusé aux Africains aujourd’hui, les membres disposant du droit de veto doivent alors présenter un calendrier précis où le droit de veto sera octroyé sans concession à l’Afrique, ou à défaut, le droit de veto sera purement et simplement supprimé. En l’absence de ce calendrier prévisionnel, il est difficile de croire à une prise en compte de l’Afrique dans un futur éloigné où le secrétaire général ne sera plus Africain.
5. Les jeux « doubles »
Le bruit court que certains pays africains insistent pour obtenir un droit de veto qu’ils savent qu’ils n’auront jamais en 2005. Ils pourront éventuellement prétendre à un siège permanent lors de la prochaine réforme d’ici quelques années. Ainsi, pour s’assurer qu’aucun Africain n’ait le droit de veto (notamment l’Afrique du sud, au Nigeria ou l’Égypte), certains pays africains préfèrent jouer le passage en force en sachant pertinemment que les membres permanents du Conseil de Sécurité disposant du droit de veto ne veulent pas entendre parler d’un pays africain disposant du droit de veto. Personne ne veut comprendre que les Nations Unies ne sont que des États interdépendants et que le blocage d’un groupe peut entraîner l’échec de tous et bénéficier à ceux-là même qui prônent l’unilatéralisme.
Ainsi, sans les 53 voix de l’Union africaine, aucune réforme n’a de chance de passer sauf le statu quo. Il ne faut pas croire que cette position de principe est propre aux chefs d’État africains. Au sein de l’Union européenne, l’Espagne et l’Italie s’opposent au siège permanent de l’Allemagne. La France aussi, malgré de nombreuses paroles rassurantes, pourrait ne pas voir d’un bon œil l’octroi d’un droit de veto à l’Allemagne. En Asie, le Pakistan ne souhaite pas voir l’Inde. Même l’entrée du Japon, allié américain, risque d’être bloqué par la Chine. En Amérique latine, le Mexique ne souhaite pas voir le Brésil disposer d’un droit de veto et l’Argentine n’a pas encore dit son dernier mot… Bref, l’approche régionale ne peut fonctionner pour le moment que si l’Afrique accepte qu’aucun nouveau pays ne bénéficie du droit de vote en tant que membre permanent. L’Afrique doit alors s’organiser pour s’assurer une sorte de minorité de blocage en structurant une nouvelle forme de diplomatie de l’interdépendance entre pays les moins influents lui permettant d’avoir au moins 12 pays qui bloquent les décisions allant à l’encontre de leurs intérêts si le Conseil de sécurité accepte de s’élargir à 26 membres. Les États-unis souhaitent toujours une structure plus restreinte de 20 pays. La quadrature du cercle semble « bouclée ».
Il va de soi que la montée des nouveaux États va conduire quasi automatiquement à la chute de l’influence américaine, mais aussi à celle des autres membres du conseil de sécurité disposant du droit de veto puisque les alliances seront alors plus complexes et moins prévisibles. Cela ne supprimera pas de fait la capacité de blocage de ceux qui tirent ce privilège de leur victoire en 1945. A ce titre, il faut s’attendre à ce que le statu quo l’emporte et qu’aucun État nouveau ne dispose d’un droit de veto. La solution passe par l’acceptation d’une période transitoire où le droit de veto reste réservé à cinq membres permanents d’un Conseil de Sécurité élargi à 26 membres. En contrepartie, pour briser le statu quo, les avancées se feront de manière moins unilatérale sur une participation plus importante de nouveaux pays au Conseil de Sécurité en acceptant collectivement le principe d’avoir au moins deux sièges permanents pour l’Afrique. Là encore, selon une des déclarations datant du 27 juin 2005 du Président G. W. Bush, il n’est pas question d’empêcher cela : “Nous ne nous opposons à la demande d’aucun pays de faire partie du Conseil de Sécurité” [5]. Néanmoins, Washington a fait savoir à plusieurs reprises que le nombre de sièges permanents supplémentaires risque d’être limité à deux ou trois membres supplémentaires. Il est possible alors d’interpréter cela comme une invitation pour des « alliés » des États-unis comme le Japon, Israël et éventuellement l’Allemagne de participer au Conseil de sécurité. Quid de l’Afrique ? Trois membres supplémentaires sans l’Afrique relève de la provocation pour une Afrique comprenant 53 pays.
Tous les pays candidats africains seraient bien inspirés de revoir leur copie en s’organisant collectivement pour demander deux sièges permanents sans droit de veto et au moins trois sièges non permanents basés sur un système de représentation rotative afin d’éviter d’être exclus de manière unilatérale du système. Les critères utilisés tendent à orienter la réforme vers une sorte de Conseil de sécurité des pays démocratiques, ayant adhéré au principe de lutte contre le terrorisme et de promotion de la sécurité collective. Sur ce dernier point, les pays africains démocratiques qui ont fourni des contingents pour les opérations de paix et de sécurité aux Nations Unies pourraient se voir propulser au devant de la scène. Les deux pays africains, Ghana et l’Éthiopie, qui fournissent des contingents importants à l’ONU peuvent alors apparaître comme des « outsiders ». Il s’agit essentiellement du Ghana. L’Éthiopie semble exclue puisque les dernières élections dans ce pays sont entachées d’irrégularités.
6. Innover en intégrant un représentant de la société civile par continent
Si après 60 ans, l’ONU ne peut accoucher encore que d’une structure étatique, alors il n’y a pas eu de progrès, encore moins d’écoute de la société civile et des populations, alors il y aura une crise de représentativité à terme car les États ne représentent plus nécessairement les intérêts des populations, même dans les pays dits « démocratiques ». Si les intérêts des peuples sont toujours défendus par des dirigeants d’États qui acceptent parmi eux d’autres dirigeants d’États souffrant d’un important déficit démocratique, pratiquant la torture, massacrant impunément leur population, contribuant à l’émergence d’États défaillants et surtout considérant que la paix et à la sécurité collective sont synonymes de blocage des alternatives et des alternances démocratiques du pouvoir, alors il est possible de comprendre que si l’ONU, comme l’a exprimé John Bolton, « perdait dix étages, cela ne ferait strictement aucune différence » qu’elle se réforme. L’innovation consisterait alors à offrir un siège de non-permanent par continent pour un représentant de la société civile qui devra s’organiser pour assurer sa représentativité.
Par ailleurs, l’ONU ne peut se réformer sur la base d’une approche unilatéraliste où les priorités s’établissent en fonction des intérêts des pays les plus influents. Que peut bien exiger un pays faiblement influent comme le Lesotho, Bangladesh ou Haïti ? Rien ! Ils ne peuvent que s’aligner ou pratiquer la diplomatie de l’autocensure et de la neutralité, ce qui ne garantit nullement que leurs intérêts soient pris en compte. Une évolution vers la représentation des structures sous-régionales démocratiques pourrait être plus intéressante en termes de défense des intérêts des États. Le fait que les pays choisis au sein du futur Conseil de Sécurité soient des États démocratiques ne préfigure nullement de leurs pratiques anti-démocratiques en marge de leurs frontières territoriales. Il ne faut donc pas s’étonner que des dictatures puissent se retrouver à la table des démocrates et que chacun s’en accommode. Ainsi les pratiques de certaines grandes puissances en Afrique, bloquant l’autodétermination des peuples ou structurant les capacités productives pour n’extraire et n’exporter que les matières premières non transformées à vil prix, ne doivent pas passer aux oubliettes. Ces comportements non éthiques, pratiqués de plus en plus, non plus par des États mais des agents privés liés à l’État par des financements, posent problème et ne sont nullement pris en compte par l’ONU. Comment le Conseil de sécurité pourrait-il même aborder de tels sujets puisque certains de ces membres sont adeptes de telles pratiques en Afrique. Qui aura le courage de mettre un tel sujet à l’ordre du jour ? Personne ! L’autocensure[7] a le vent en poupe.
7. La politisation des postes favorise les États au détriment de la société civile
La réforme ne portera certainement pas sur un renforcement du rôle du Secrétaire général (SG) de l’ONU car tous les anciens SG qui ont rencontré des problèmes avec l’un des membres du Conseil de Sécurité, l’ont été pour avoir privilégié le droit, la justice, l’égalité sur les intérêts des grandes puissances. La réforme de l’ONU risque même de se faire à son détriment puisque M. John Bolton, nouvel ambassadeur américain auprès de l’ONU, n’a pas exclu le fait que le droit américain pourrait ne pas être subordonné au droit international. Avec une telle conception, la « maison de verre » risque de ne plus être une organisation des Nations Unies, ce qu’elle n’a d’ailleurs jamais été, mais une organisation des États interdépendants, puisque l’on refuse d’y introduire les organisations de la société civile. Le secrétaire général devrait alors évoluer vers la fonction première de secrétaire administratif en chef et porte parole du Conseil de sécurité.
Quant au fonctionnement décisionnel au sein de l’ONU en général, il faut malheureusement déplorer la montée en phase d’une politisation des postes au point où les compétences, la promotion au mérite, l’évaluation des travaux accomplis peuvent être usurpés pour promouvoir des fonctionnaires au service non plus de l’ONU mais de leurs États respectifs. Les pays pauvres à influence faible sont là encore bien défavorisés à moins de s’aligner sur les positions de certaines grandes puissances… Bref, l’ONU se retrouve souvent à avoir des personnalités moulées pour devenir des « yes man » [8] ou des « yes woman ».
Les dirigeants africains sont en général adeptes de cette formule qui permet d’organiser le clientélisme mais tend dangereusement à exclure les positions allant dans le sens de la défense des intérêts des Africains dans les débats sur les défis globaux. L’Afrique devient alors un abonné absent des grands enjeux mondiaux. Sa présence est au mieux tolérée, au pire sert de paravent à une représentation de l’Afrique alors que l’essentiel du pouvoir est transféré ailleurs, surtout lorsque les titres sont importants. Les dirigeants africains préfèrent encore se voir offrir des titres ronflants et passer leur temps à servir de « Président de séance » sans pour autant déterminer le contenu de l’agenda. La réforme des Nations Unies passe aussi par la réforme de ces comportements obsolètes et préjudiciables pour la défense des intérêts de la population africaine. Les Africains ne peuvent continuer à accepter d’occuper des postes pour faire des carrières d’esclaves comme l’a souligné Albert Tévoedjré, ex-Secrétaire général adjoint de l’ONU, sans risquer de contribuer au retard de développement du continent. Paradoxalement, ces problèmes de représentation factice des Africains au sommet disparaissent d’eux-mêmes dès qu’il s’agit d’un pays où les représentants des populations sont démocratiquement élus ou sont issus de la chefferie traditionnelle éclairée.
Le futur conseil de sécurité ne peut se permettre de ne pas avoir des représentants de l’Afrique, dont au moins deux de l’Afrique subsaharienne, provenant si possible de pays démocratiques et respectueux des droits humains. Une balance entre les pays à revenus intermédiaires et pays à revenus faibles devrait servir d’exemple. Compte tenu des rapports de force et de l’unilatéralisme ambiant, l’Afrique devrait éviter de demander à avoir un droit de veto au cours d’une période de transition qui devra être négociée et correspondre au plus à deux mandats du Secrétaire général. A la suite de cette période d’observation, l’Afrique devrait demander que le droit de veto soit supprimé lors de la renégociation de la composition du conseil de sécurité laquelle gagnerait à se faire régulièrement à la fin de chaque deux mandats du secrétaire général.
En attendant et compte tenu de sa puissance militaire et économique, l’Afrique doit accepter d’obtenir au minimum deux sièges permanents sans droit de veto et au mieux trois sièges supplémentaires de non-permanents, ce qui aurait l’avantage d’assurer la représentation des cinq sous-régions africaines et d’amener le groupe du G 4 à soutenir les positions africaines dans le futur. Si au contraire l’Afrique arrive à se mettre d’accord et qu’elle n’atteint pas cet objectif malgré la diplomatie active du Président de la Commission de l’Union africaine, Alpha Oumar Konaré, cela signifie que les États occidentaux et les membres actuels du Conseil de Sécurité font de la diplomatie du statu quo une arme pour bloquer l’émergence de l’expression de la souveraineté des États africains. En cela, ils sont conséquents avec leurs positions prises lors du dernier G 8 de Gleneagles en Écosse à savoir, offrir un service minimum à l’Afrique. Le rapport de force continuera de sévir.
Conclusion : gouvernance mondiale et « organisation des États interdépendants ».
Les Nations Unies sont peut-être en train d’évoluer vers un gouvernement mondial mais préfèrent régler les problèmes de la société internationale de manière asymétrique, en laissant, sur le bas-côté, ceux des pays ne présentant aucune menace pour l’ordre mondial actuel. En imposant des coupes sombres dans les premières propositions de l’Assemblée générale, certains États puissants semblent donner le signal que l’organe législatif peut continuer à servir de cadre unique et universel de négociation multilatérale mais que les décisions risquent de se prendre de plus en plus de manière unilatérale en fonction de la capacité militaire et du poids économique des États. La démocratie, le respect des droits humains, mais aussi en filigrane, la prévisibilité de l’environnement institutionnel et légal des affaires sont les nouvelles conditionnalités pour intégrer le cercle fermé des futurs représentant d’un gouvernement mondial en émergence unilatérale. Les représentants des États au sein de l’Organisation des Nations Unies devraient avoir le courage alors de changer le nom de l’institution pour refléter la « real politik » et l’appeler «Organisation des États interdépendants ».
Les asymétries au sein de cette nouvelle institution mondiale feront alors l’objet d’une refonte de la gouvernance qui doit permettre alors à des groupes régionaux de se faire représenter. Il faut donc quitter la logique des États pour épouser celle des régions. L’Afrique a été précurseur en la matière avec ses propositions courageuses mais son influence militaire et son poids économique l’empêchent d’être écoutée. Les pays suivants furent d’avis de refuser de participer au Conseil de sécurité sans droit de veto : Algérie, Burkina Faso, Égypte, Kenya, Libye, Mali, Soudan, Ouganda, Zambie… D’autres préférèrent jouer la carte de la « réal politik » sans pour autant oublier leurs intérêts personnels : le Nigeria, le Ghana, l’Afrique du Sud… Le fait même que les membres du Conseil de sécurité ne souhaitent pas voir une représentation plus équilibrée de la gouvernance mondiale pose problème et rappelle que l’unilatéralisme et l’interdépendance des États se jouent sur la base du service minimum. En bloquant tout pour des raisons de dignité du continent, l’Afrique risque de jouer le jeu des membres permanents disposant d’un droit de veto, trop contents de conserver le statu quo. Cela permettra de continuer avec la situation anachronique d’aujourd’hui où la plupart des membres permanents du Conseil de sécurité viennent du Nord alors que leurs décisions concernent essentiellement le Sud et ne se prennent pas toujours dans l’intérêt des populations du sud.
Par Yves Ekoué Amaïzo
28 août 2005
Auteur et Économiste à l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI).
Il s’exprime ici à titre personnel dans le cadre du Tink Tank Afrology
Notes :
1. Voir sur Internet : http://www.un.org/french/secureworld/
2. Union africaine, « La Position africaine commune sur la Réforme des Nations Unies » ou le « Consensus d’Ezulwini », Swaziland (20-22 février 2005), Décision sur le rapport du groupe de haut niveau sur la reforme des Nations Unies, 7e session extraordinaire du Conseil exécutif, 7-8 mars 2005, Addis-Abéba, (Doc. Ext/Ex.CL/2(VII), voir la décision sur Internet : http://www.africa-union.org/Summit/Exec%20Council%20March%202005/DECISIONS1.doc
3. Aux termes de la Charte, les fonctions et pouvoirs du Conseil de sécurité sont les suivants :
– Maintenir la paix et la sécurité intemationales, conformément aux buts et aux principes des Nations Unies;
– Enquêter sur tout différend ou toute situation qui pourrait entraîner un désaccord entre nations ;
– Recommander des moyens d’arranger un tel différend ou les termes d’un règlement ;
– Elaborer des plans en vue d’établir un système de réglementation des armements ;
– Constater l’existence d’une menace contre la paix ou d’un acte d’agression et recommander les mesures à prendre ;
– Inviter les Membres à appliquer des sanctions économiques et d’autres mesures n’impliquant pas l’emploi de la force armée pour prévenir une agression ou y mettre fin ;
– Prendre des mesures d’ordre militaire contre un agresseur ;
– Recommander l’admission de nouveaux membres et les conditions dans lesquelles les États peuvent devenir parties au Statut de la Cour internationale de Justice ;
– Exercer les fonctions de tutelle de l’ONU dans les «zone stratégiques» ;
– Recommander à l’Assemblée générale la nomination du Secrétaire général et élire, avec l’Assemblée générale, les membres de la Cour internationale de Justice.
4. Les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité sont : Chine, États-unis, Fédération Russe, France, Royaume Uni ; Les dix Etats non-permanents sont : Algérie, Argentine, Bénin, Brésil, Danemark, Grèce, Japon, Philippines, Roumanie, Tanzanie.
5. Samantha Power, « Enquête sur la réforme des Nations Unies », in Le Monde diplomatique, septembre 2005, p. 1, 18 et 19.
6. L’état des rapports de force est tel que demander un droit de veto est voué à l’échec alors que cette position serait la mieux indiquée si l’on souhaite rééquilibrer les forces en présence. L’Occident pourrait ainsi faire amende honorable pour les années d’esclavage, d’exploitation et de colonisation de l’Afrique.
7. Yves Ekoué Amaïzo (sous la direction de), La neutralité coupable : l’autocensure des Africains, un frein aux alternatives ?, collection « interdépendance africaine », éditions Menaibuc, Paris, sortie prévue pour décembre 2005.
8. Un “béni-oui-oui”.