La ligue togolaise des droits de l’homme (LTDH) fait partie de ces institutions que le gouvernement togolais souhaite affaiblir. Il suffit pour cela de s’assurer que les membres les plus actifs soient mis hors état d’enquêter, d’écrire, de contribuer à la liberté de la presse et l’évolution de la démocratie au Togo. Il est bien sûr impossible de trouver des preuves tangibles entre l’agression odieuse et lâche dont a fait l’objet le directeur de publication du journal Forum, membre actif de la LTDH, Dimas Dzikodo, plus connu sous son nom de plume Jean-Baptiste K. D. DZILAN, et les commanditaires. D’ailleurs la liste des journalistes agressés, intimidés, fragilisés et tués ne fait que s’allonger. Personne ne parle de rembourser les casses sur le matériel de travail de ces derniers.
1. Le silence coupable des autorités occidentales
Il est unanimement accepté que le régime togolais relève de la catégorie de la démocratie usurpée. Les preuves de l’existence d’un système organisé de répression de la population qui a conduit à des violences électorales au Togo sont considérées par les communautés internationale et africaine, bien lâches sur le cas togolais, comme un mal nécessaire, sur avis des États complices et relais, membres de la CEDEAO.
Avec la publication par la Commission des droits de l’homme des Nations Unies d’un rapport accablant pour le régime togolais bicéphale, la question reste posée quant à la volonté des dirigeants réels de ce pays d’œuvrer pour la pacification des relations entre les citoyens émargeant dans le giron de la mouvance présidentielle et les autres. En réalité, la communauté internationale, involontairement ou à dessein, ferme les yeux sur la réalité du pouvoir togolais. Il s’agit d’un pouvoir bicéphale où le Président contesté Faure Gnassingbé sert de paravent et gère l’image d’un Togo “démocratique” dans les médias amis, souvent à coup d’Euros alors que son frère, Kpatcha Gnassingbé, ex-patron de la zone franche, aujourd’hui ministre de la défense apparaît de plus en plus comme le vrai patron du Togo, et organise l’impunité d’un système où l’intolérance suit le tracé d’une courbe exponentielle. Non démocratiquement élu, ce dernier a choisi l’impunité et l’allégeance clientéliste comme mode de gouvernance.
Ainsi, la véritable réponse du Gouvernement togolais aux accusations contenues dans le rapport des Nations Unies sur les déficits en matière de droits de l’homme, de démocratie et de justice au Togo se solde par un changement de l’essentiel du personnel “visible” de l’armée. En effet, au lieu de procéder à une identification des responsabilités et de traîner devant les tribunaux les éventuels responsables, Kpatcha Gnassingbé a choisi de nommer des nouveaux responsables de l’armée. Il suffit de nommer, grâce à la perspicacité des journalistes de Africa Intelligence [1] les nouveaux serviteurs “visibles” d’un tel système :
• le chef de bataillon du premier régiment d’infanterie de Tokoin : Oyomé Kemence ;
• le chef de bataillon du 2e régiment d’infanterie d’Adidogomé : Yao Kpelenga ;
• le lieutenant-colonel du 3e régiment inter-armes, Matéindou Mompion ;
• le lieutenant-colonel du 4e régiment inter-armes de Nioukpourma : Tchédié Daro ;
• le lieutenant-colonel du régiment commando de la garde présidentielle : Wiyao Bali ;
• le colonel du régiment parachutiste commando de Kara : Tchalo Lemou ;
• le lieutenant-colonel du régiment de soutien et d’appui : Kodjo Atoemne ;
• le chef d’escadron de la gendarmerie nationale : Damehan Yark ;
• le chef de bataillon du commandant du collège militaire de Tchitchao : Batanta Koffi M’Ba ;
• le capitaine de frégate et commandant de l’Ecole de formation des officiers des forces armées togolaises ; Vinyo Adzoh ;
• le capitaine de la Direction générale du Centre de traitement des renseignements : Yotroféi Massina.
Où sont donc passés les ex-responsables de l’armée ? Ce “nettoyage-renouvellement des hommes” repose-t-il sur la volonté de “dé-barbariser” l’armée ou tout simplement parce que les ex-responsables n’ont pas été assez professionnels et font les frais de leur incapacité à organiser la censure [2] et faire disparaître les preuves ?
2. Le choc des migrations ?
En effet, les changements à la tête du service togolais de répression, présentés comme une réaction au rapport de l’ONU [3], ne sont en fait qu’un réajustement de l’armée où les “hommes du père” ont été remplacés par les “hommes des fils”. Les ex-responsables ont accepté de travailler dans l’ombre, en silence et ont été assurés de leur impunité. Il suffit d’ailleurs de s’assurer que la censure systématique de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC ) [4] et les nombreuses intimidations doublées d’expéditions punitives sur les journalistes et une partie de la population pour que les communautés internationale et africaine ferment les yeux. Il suffit de voir le remue-ménage sur le cas de la Côte d’ivoire pour comprendre la politique de “deux poids, deux mesures” des tenants de la démocratie.
Heureusement, il n’y a pas de femmes dans la triste liste des ex-responsables de l’armée qui ont été remerciées. L’espoir reste donc que les alternatives futures ouvriront plus de place à la gente féminine qui, espérons le, ne peut donner la vie et l’enlever arbitrairement dans un espace où impunité et injustice continuent de servir de programme de gouvernement, avalisé par une certaine communauté internationale politiquement correcte. Les citoyens des pays riches doivent faire un lien entre immigration africaine, togolaise en particulier, et l’appui apporté par leurs gouvernements à des régimes africains souffrant de déficit démocratique chronique. Après tout, ce sont les impôts des citoyens des pays riches qui financent des régimes autocratiques et patrimoniaux en Afrique. Ce sont ces régimes tant décriés qui font fuir des populations vers les portes de l’Union européenne, à la recherche d’un salaire et d’un bien-être diffusé dans les médias. Une meilleure information des gouvernements africains sur la situation réelle de la grande majorité des Africains dans les pays riches pourrait faire réfléchir les candidats à l’immigration, lesquels restent malgré tout très peu informés de la réalité du sort réservé au noir en Occident.
La simple répression de court terme ne suffira pas et reste très souvent inhumaine. L’Union européenne doit aider le Togo à organiser son processus de développement de manière démocratique. Le droit de veto de fait de certains pays de l’UE pour laisser perdurer les 38 ans d’un régime autocratique apparaît de plus en plus comme des combats d’arrière garde de protectionnisme d’une autre époque, lesquels coûtent de l’argent, substantielle part des impôts du contribuable européen. Les solutions de long terme doivent être mises en œuvre en partenariat avec les populations concernées. Si elle a lieu, la conférence Nord-Sud, proposée par le président de la Commission de l’Union africaine sous l’appellation des “Etats-généraux de l’immigration” pour discuter de solutions tenant compte de l’interdépendance des peuples, ne pourra pas faire l’impasse sur les besoins d’offrir plus de liberté et la démocratie dans les pays africains, au Togo en particulier. Il ne s’agit plus simplement d’immigration mais bien de déstabilisation des citoyens africains chez eux. A ce rythme, le choc des migrations n’est plus qu’une question de temps. Les organisations non gouvernementales gagneraient à promouvoir la “démocratie de la honte” en affichant les noms des responsables africains responsables de répression indigne et bénéficiant de l’impunité.
Par Yves Ekoué Amaïzo
15 août 2005
Auteur et Economiste à l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI).
Il s’exprime ici à titre personnel.
Notes :
1. La lettre du continent, n° 479 du 6 octobre 2005, “Togo : Kpatcha Gnassingbé”, p. 8 ; voir http://www.Africaintelligence.fr
2. Yves Ekoué Amaïzo (sous la direction de), La neutralité coupable : l’autocensure des Africains, un frein aux alternatives ?, collection “interdépendance africaine”, éditions Menaibuc, Paris, sortie prévue pour décembre 2005.
3. Sur le rapport de l’ONU: http://www.afrology.com/presse/communic/rapport_onu2005.html
4. Suite au rapport de l’ONU et dans le cadre d’un changement des postes stratégiques, la Gouvernement togolais vient de changer la direction du HAAC sans pour autant condamner les nombreuses irrégularités et autres censures signalées par les journalistes qui se battent pour une presse livre au Togo.