Conférence des ministres africains en charge de l’Intégration (COMAI VII) : 14-18 Juillet 2014, Ezulwini, Swaziland
« Toute ma vie je me suis consacré à la lutte pour le peuple africain. J’ai combattu contre la domination blanche et j’ai combattu contre la domination noire. J’ai chéri l’idéal d’une société libre et démocratique dans laquelle toutes les personnes vivraient ensemble en harmonie et avec les mêmes opportunités. C’est un idéal pour lequel j’espère vivre et agir. Mais, si besoin est, c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir »
Nelson Mandela, Déclaration devant la Cour suprême de l’Afrique du Sud à Pretoria le 20 avril 1964 pour sa défense.
Qui peut oser afficher comme Nelson Mandela qu’il ou elle a choisi de mourir pour un idéal, surtout s’il s’agit de l’intégration africaine ? Car en filigrane, il s’agit bien pour l’Afrique fractionnée du fait de la colonisation et du nationalisme étriqué des années 1960, de sortir de la postcolonie et de retrouver graduellement son interdépendance, puis son unité. Cette longue marche vers une société libre où l’harmonie peut régner passe nécessairement par l’intégration régionale. Le Professeur Joseph Ki-Zerbo en s’interrogeant dans les années 1970 sur l’histoire et l’avenir du continent africain a émis l’hypothèse selon laquelle des étapes peuvent être brulées pour avancer l’unité des Africains. Il disait en substance : « L’Afrique ne pourra-t-elle pas brûler l’étape des nationalismes à l’européenne, et déboucher d’emblée dans de vastes collectivités multinationales, mieux adaptées aux 20e et 21e siècles ? » (Ki-Zerbo, 1978 : p. 670)…
1. INFRASTRUCTURE ET INTEGRATION AU SERVICE DU CITOYEN AFRICAIN
Mais parler d’étapes, c’est considérer que le problème de l’intégration africaine s’inscrit, certes, dans un processus inéluctable chronologique. En réalité, malgré la volonté, les incantations inlassablement répétées, mais aussi des initiatives parfois couronnées de succès comme celles de l’Union Africaine et le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), ce depuis 2004 et son renforcement notamment à travers la facilité d’appui à l’infrastructure mise en œuvre en partenariat avec la Banque africaine de développement (BAD), l’intégration africaine n’est pas vraiment au rendez-vous. Il faut donc cesser l’autocongratulation qui nuit à la réflexion et aux stratégies au service des populations.
La 7e Conférence des ministres africains en charge de l’intégration (COMAI) organisée par l’Union africaine est l’occasion de faire le point avec les experts africains et les ministres eux-mêmes, mais aussi à rappeler que les décisions passées de la 5e et 6e Conférence COMAI n’ont pas été toutes suivies d’effets ou d’impacts marquants pour les citoyens africains. Pour ce qui est de l’infrastructure et l’intégration, les arbitrages effectués ne se sont pas toujours faits au service des populations. Les priorités et pressions venant de l’extérieur mais aussi de l’intérieur sur les décideurs africains peuvent conduire à des conceptions incomplètes et souvent statiques des interactions entre infrastructure et intégration. Il est donc proposé de remettre le citoyen africain au centre du débat comme premier bénéficiaire tant de la gouvernance de l’intégration que des choix d’infrastructures qui doivent soutenir un processus dynamique.
2. RETROUVER LA PARITÉ DANS LE PARTENARIAT PUBLIC-PRIVÉ
Le problème récurrent est que les dates fixées pour que les régions africains avancent dans leur processus d’intégration sont régulièrement modifiées du fait de retard, mais aussi de mauvaises volontés et d’une absence de transfert de souveraineté et donc de budget. Peut-être que les modalités d’intégration sont à changer ? Peut-être que les modalités de construction des décisions consensuelles entre tous les pays membres de l’Union africaine doivent être changées afin de favoriser une asymétrie positive dans la constitution de grands blocs régionaux (Amaïzo, 2005) ? Les blocs voulant avancer et s’intégrer rapidement, si l’harmonisation et les convergences sont au rendez-vous, ne doivent se voir retarder par d’autres n’ayant pas encore pris conscience de l’urgence de l’agglomération des ressources et la coordination des décisions en faveur du continent.
Pour ce faire, il est urgent de « cesser » la langue de bois et s’interroger sur l’efficacité des dépenses publiques affectées à l’infrastructure et à l’intégration régionale et continentale. Cette efficacité pourrait d’ailleurs s’améliorer si le secteur privé responsable africain était invité à la table de négociation, ainsi que la société civile. Encore faut-il s’assurer que la compréhension des formes africaines du partenariat public-privé ne se fasse pas dans une forme d’incompréhension mutuelle où il est plus question pour le secteur public de transférer les risques au secteur privé, et au secteur privé de faire payer les usagers, pour avoir pris en charge un projet d’utilité publique. En effet, les projets d’infrastructure en Afrique sont des projets d’utilité publique. Si les secteurs de la télécommunication, du transport et de l’énergie demeurent rentables et voient affluer les secteurs privés étrangers et africains, il n’en est pas de même pour le secteur de l’eau, de la santé publique, du traitement des ordures, de l’éducation… Pour que cela fonctionne, l’approche du haut-vers-le bas des Etats africains doit nécessairement prendre en compte l’approche du « bas-vers-le haut » des opérateurs sur le terrain. Il faut donc retrouver une forme de parité entre le secteur public, le secteur privé et la société civile dans les choix d’infrastructures.
3. DE l’INTÉGRATION STATIQUE À L’INTÉGRATION DYNAMIQUE
Dans le cadre d’une mondialisation qui voit les échanges entre régions en développement augmenter au détriment des échanges basés sur l’approvisionnement des économies riches industrialisées, il importe de rappeler que l’Afrique a contribué à la progression du commerce sud-sud entre les trois continents que sont l’Asie, l’Amérique latine et l’Afrique. Ce commerce est passé en 20 ans de 6 à 24 %, grâce d’ailleurs aux facilités des nouvelles technologies du numérique. Mais l’Afrique a donc bien commencé à sauter les étapes, comme l’a prédit Joseph Ki-Zerbo.
Mais l’Afrique a marginalisé son secteur privé, son secteur informel et plus particulièrement son entrepreneuriat. Le taux d’emploi africain est tellement faible que le coût d’opportunité de la main d’œuvre est égal à zéro dans les zones rurales. Ce n’est pas normal et l’absence d’emplois pour les jeunes, les femmes et les personnes en difficulté motrice est la marque d’un continent n’arrivant pas à servir d’abord ses populations les plus vulnérables.
Au cours du cinquantenaire passé et fêté à grandes pompes sans véritable questionnement, l’Afrique s’est ainsi privée d’offrir des produits et services à forte valeur ajoutée où la connaissance prend le dessus sur la production de basse qualité avec des bas salaires. Comme la mondialisation évolue vers une fragmentation de plus en plus grande, l’Afrique des régions se retrouve à avoir une chance inouïe pour mettre en valeur, avec l’appui de sa Diaspora, des agglomérations de compétences sous-régionales.
Mais encore faut-il que la fiscalité locale et régionale ne soit pas disqualifiant pour tous ceux et celles qui souhaitent importer du contenu technologie pour créer des entreprises et de la valeur ajoutée. Malheureusement, c’est en travaillant les critères dynamiques qui fondent l’intégration régionale que les décideurs africains peuvent se rendre compte, non seulement de leur retard, mais de la possibilité historique qu’ils ou elles ont de faire un saut qualitatif sans précédent. Il est donc proposé aux Ministres en charge de l’intégration de ne plus se concentrer sur l’infrastructure sur un plan statique, mais bien de prendre en considération, une approche dynamique.
4. INTEGRATION ET INFRASTRUCTURE : ASSOCIER LA PERFORMANCE LOGISIQUE ET L’AGILITÉ
L’approche dynamique de l’intégration de l’Afrique repose sur l’agilité des régions africaines. Cela suppose la mise à jour des statistiques et donc de leur financement. Cela suppose aussi le recadrage de notion de l’infrastructure qui ne doit plus être conçue en isolation des autres éléments dynamiques de l’efficience collective dans un espace, un corridor, un Etat, une région ou un continent.
Cela suppose une redéfinition par les Africains des indicateurs de la logistique de la performance comme ceux de la performance de la logistique. Il s’agit donc de consolider les efforts déjà entrepris par le NEPAD en matière d’infrastructure mais aussi de changer l’approche radicalement pour intégrer le volet dynamique et l’efficience collective aux plans national et régional.
Pour ce faire, il faudra nécessairement faire table rase du syndrome du protectionnisme en mettant fin aux obstacles invisibles, qui se révèlent parfois être d’abord culturels, avant de se traduire en des barrières tarifaires, non tarifaires ou commerciales.
Le financement de tout ceci ne peut continuer à se faire avec des institutions publiques et avec des méthodes de gestion dont le manque d’efficacité est révélé dès lors que la performance logistique de l’Afrique est comparée à la moyenne des autres régions, ou entre ses régions ou ses Etats.
Somme toute, il faut du courage pour offrir une décision concrète aux populations africaines sur le continent (Amaïzo, 2008). Il est proposé d’obtenir une décision des ministres en charge de l’intégration africaine lors du COMAI 7 pour accepter d’instaurer :
- La journée de l’intégration africaine, et demain,
- la journée de l’intégration mondiale.
Pourquoi pas le premier mercredi de chaque mois où tous les décideurs africains, par décisions consensuelles, acceptent de faire de l’Afrique, une zone de libre circulation des citoyens, des biens, des services et du capital. Une utopie ? Non, une simple volonté que le bloc régional africain, – le plus avancé dans le processus de convergence et d’harmonisation de ses agrégats économiques, sociaux et culturels-, pourra faire émerger, comme au demeurant le projet de passeport africain qui portera la mention des grandes régions africaines en formation (Amaïzo, 2002).
Ce texte est le résumé de la présentation de l’auteur aux experts et ministres africains de l’intégration.
12 juillet 2014
Dr Yves Ekoué AMAÏZO, Ph. D., MBA, MA
© Afrocentricity Think Tank, 10 juin 2014.
Références bibliographiques
Amaïzo, Y. E. (sous la Coord.) (2002). L’Afrique est-elle incapable de s’unir ? Lever l’intangibilité des frontières et opter pour un passeport commun ? Avec une préface du Professeur Joseph Ki-Zerbo. Editions L’Harmattan : Paris, 664 pages. (55 €)
Amaïzo, Y. E. (sous la dir.) (2005). L’Union africaine freine-t-elle l’unité des Africains ? Retrouver la confiance entre les dirigeants africains et le peuple-citoyen ? Avec une préface d’Aminata Traoré. Editions Menaibuc : Paris, 390 pages).
Amaïzo, Y. E. (sous la dir.) (2008). La neutralité coupable : L’autocensure des Africains, un frein aux alternatives ? Avec une préface du Professeur Abel Goumba et Têtévi Godwin Tété-Adjalogo. Editions Menaibuc : Paris, 445 pages. (32 €)
Ki-Zerbo, J. (1978). Histoire de l’Afrique Noire. D’hier à demain. Editions Hatier : Paris.
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