RADIO KANAL K – RADIO AVULETE
Invité du journal : Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, Economiste, Directeur Afrocentricity Think Tank
Nom du Journaliste à la Rédaction : M. Sylvain Amos
Adresse : Suisse
Emission du Samedi 23 mai 2020
Sujet : Annonce de la fin du Franc CFA par la France : faut-il y croire ?
Résumé : Prenant par surprise la bureaucratie de la CEDEAO, le Président français, Emmanuel Macron et le Président ivoirien, Alassane Ouattara ont annoncé le 21 décembre 2019 la fin du Franc de la Communauté financière Africaine. Il est question que le franc CFA soit remplacé en Afrique de l’Ouest par l’Eco et la réserve d’argent des Etats africains sur un compte du Trésor français sera supprimée. Est-ce que le Peuple africain va y gagner quelque chose ?
- Comme dans l’annonce de la fin du FCFA, c’est encore la France qui pose officiellement le 1er acte juridique dans la marche de cette réforme. Ceci est désormais acté depuis le mercredi le 20 mai 2020. Sur les plans éthiques et politiques, comment expliquez-vous que ce soit la France qui soit aux avant-postes dans cette affaire ?
Je vous remercie pour l’invitation. Il faut d’abord replacer la décision du Président français dans son contexte.
C’est par surprise que le 21 décembre 2019, le Président français, Emmanuel Macron et le Président ivoirien, Alassane Ouattara ont annoncé à Abidjan, la fin du Franc de la Communauté financière Africaine dit FCFA.
Le Franc CFA est une création de la France. La monnaie dite Franc de la communauté financière africaine CFA et s’intitulant en 1945 le Franc des colonies françaises d’Afrique est une monnaie française. Les décisions prises dans le conseil d’Administration de la zone franc ne peuvent avoir lieu sans la présence des représentants français qui ont un droit de véto implicite sur toutes les décisions stratégiques. Aussi, il faut que des Chefs d’Etat africains soient d’accord pour accompagner, voire parfois susciter la décision ou l’évolution proposée, pour qu’une décision ait lieu. C’est donc en toute logique, et non sans opposition au sein des lobbies postcoloniaux en France, que le Président français a décidé d’opter pour cette initiative. C’est à la France de sortir du Franc CFA. Mais la réalité n’est pas tout à fait ce qui est annoncé. Il y a eu une petite usurpation du mot ECO.
- Quelle est cette réalité dont vous parlez, nos auditeurs veulent savoir ?
La réalité est que les critiques, face à une monnaie qui a certes apportée une stabilité et une inflation maîtrisée sur papier, sont très nombreuses. Le Franc CFA a freiné considérablement la démocratie et donc les alternances politiques transparentes en Afrique. Le Franc CFA par la dévaluation unilatérale a permis de s’approprier des pans entiers de la richesse africaine tout en multipliant par deux l’endettement des Etats, privant ces derniers de leur capacité d’orienter les richesses vers la création de richesses en Afrique.
Le Franc CFA a permis le rapatriement des capitaux vers la France et vers les paradis fiscaux au lieu des réinvestissements sur le sol africain, avec en filigrane une corruption où le corrupteur n’est jamais visible. Par ailleurs, le fait que le FCFA ne soit convertible nulle part sans l’accord de la France a bloqué l’Afrique dans sa diversification économique, notamment en empêchant le secteur privé, et souvent l’Etat africain, de développer son propre savoir, d’aller acheter des équipements, technologies, le savoir et autres soutiens au développement sans l’aval direct ou indirect de la France.
C’est tout ceci qui a donné naissance à une contestation d’une grande majorité de la population, jeune en particulier. Cette contestation était en déphasage total avec les dirigeants africains, souvent considérés comme des courroies de transmission des instructions de Paris.
Face à cette contradiction où les chefs d’Etat reportaient systématiquement la création d’une monnaie sous-régionale commune et indépendante de la France, il était grand temps que la France réagisse. C’est ce qu’à fait le Président Macron, non sans s’assurer du soutien du Président Alassane Ouattara de Côte d’Ivoire et Macky Sall du Sénégal principalement et Union européenne de la non-objection des principaux partenaires européens dont l’Allemagne de Mme la Chancelière Angela Merkel, sans oublier les critiques acerbes des officiels italiens sur l’avantage que procurait la zone franc à la France par rapport aux autres partenaires européens.
- Les défenseurs du FCFA, africains comme français ont toujours clamé que la France n’avait qu’un rôle d’observateur dans les instances de gouvernance du FCFA. Selon vous pourquoi la France quitte-t-elle maintenant ces instances ?
Vous savez que ceux qui défendent le Franc CFA dépendent souvent de la France, tant pour le salaire, leur carrière, parfois leur poste y compris à la tête des Etats africains, etc. Aussi, il n’est pas étonnant que le droit de véto effectif de la France au sein du conseil d’administration de la zone franc soit maquillé par la fonction dite « d’observateur ». La France siège et décide au sein des organes décisionnels. Maintenant, vous dites que la France quitte ces instances. Rien n’est moins sûr ! La France va changer ses modalités décisionnelles en mettant l’accent sur les modalités de surveillance et certainement les techniques de sanctions induites. N’oubliez pas que le Président français n’a fait aucune allusion aux accords secrets monétaires et de défense qui lient la France et ses anciennes colonies. C’est pourtant l’abolition de ces accords qui permettraient de croire à de nouvelles relations non empreintes de paternalisme ou de post-colonisation. Alors, nous sommes en face d’une situation ambiguë où le rapport de force va primer. Mais l’essentiel se trouve dans la trahison entre les chefs d’Etat eux-mêmes.
- La moitié des dépôts de garantie du FCFA pourrait dorénavant être déposée auprès d’autres banques que la banque de France. La France continuera tout de même d’assurer la parité FCFA/Euro. Quel intérêt concret de part et d’autre pour les pays africains qui utilisent le FCFA ?
C’est sur la pression du patronat africain qui diversifie ses activités vers les pays asiatiques et notamment la Chine que cette réforme est intervenue. En effet, si vous, chef d’une entreprise africaine, décidez d’acheter en Chine avec votre argent, savez-vous que votre banque (dite banque secondaire) doit demander à la Banque centrale de l’une des trois zones utilisant le Franc lié à la France (Ouest, Centrale ou Comores) d’accepter de convertir votre argent du FCFA en Euro. Pour ce faire, on demande l’autorisation du Trésor français, en principe, cela ne devrait être qu’une formalité automatique. Mais dans la pratique, si vous n’achetez pas français ou européen, alors c’est la croix et la bannière pour obtenir l’équivalent en Euro, puis en devises de votre argent.
En fait, on -(ceux qui défendent les intérêts de la France)- vous demande de fournir des justificatifs au point que certaines entreprises africaines perdent leur marché et leur client… Bref, le développement des entreprises créatrices de richesses et d’emplois en dehors du circuit français ou européen sont pénalisés.
Beaucoup l’ont compris et ont ouvert des comptes en dehors du système de la zone franc. Mais ces sociétés ou individus faisaient face à une interdiction. Le zèle des agents de la banque centrale, comme ceux des ministères des finances en Afrique pour faire exécuter les règles favorisant la France est de notoriété publique. Aussi, pour ne pas tout perdre, la France a lâché du lest, ce qui permet au secteur privé comme à l’Etat africain d’aller déposer son argent ailleurs et plus obligatoirement via le Trésor français. L’avantage pour les autorités africaines publiques comme privées est d’avoir plus de marge de manœuvre. Mais, cela suppose que pour l’autre 50 %, vous dépendez toujours de la France et il n’est pas possible de convertir votre argent en Euro ou devises sans une validation de la France.
Mais le fond du problème est que le Franc CFA ou l’ECO franco-ivoirien n’aura pas de pouvoir libératoire, c’est-à-dire quand vous viendrez ici en Autriche ou allez en Chine avec le Fcfa ou l’ECO de la France, personne ne reconnaitra cette monnaie sauf si la France garantie la transaction. La question est de savoir pourquoi la France a besoin de garantir une monnaie « africaine » ? Alors que les Africains se réveillent. La France garantit une monnaie française. Donc, c’est aux Africains de la zone franc de décider souverainement de la création de leur monnaie. La Mauritanie a réussi sa sortie de la zone franc en 1973 pour créer la monnaie « Ouguiya » et ne l’a jamais regretté, puisqu’elle peut désormais mener sa propre politique monétaire.
- La réforme, telle que conduite actuellement, en plus des réticences et réserves des autres pays de la sous-région comme le géant Nigeria, reflète-t-elle réellement les aspirations manifestées par les citoyens africains en matière de souveraineté monétaire ? Car pour de nombreux africains c’est déshabiller Paul pour habiller Pierre ?
La réponse est double. C’est sur la pression des citoyens, des activistes, du patronat et même de certains Etats africains qui voulaient diversifier leur activité et être libre de le faire que la France a reculé. Donc, oui, cela reflète l’aspiration des citoyens africains de la zone franc, pris collectivement. Mais, ce n’est pas le changement de nom qui a été demandé, mais bien l’émancipation monétaire et la souveraineté totale sur une monnaie commune africaine. Sur ces deux derniers points, rien n’a changé puisque je vous ai expliqué que le FCFA actuel et la monnaie ECO franco-ivoirienne n’ont pas de pouvoir libératoire en dehors de l’espace géographique Zone franc. Car même en France, vous ne pouvez pas payer avec le Franc CFA, et vraisemblablement pas non plus avec la monnaie ECO franco-ivoirienne, qui n’est autre que la monnaie de l’Union économique et monétaire ouest-africain (UEMOA).
- Alors, quelle serait la solution pour l’économiste panafricaniste que vous êtes ?
La solution est connue. C’est une monnaie commune africaine qui peut démarrer au niveau sous-régional. La CEDEAO était bien avancée avec le nom ECO lorsque la monnaie ECO franco-ivoirienne est venu brouiller les pistes. Donc, il faut savoir si la monnaie sous-régionale que je qualifierais de ECO-CEDEAO ne devrait pas abandonner ce nom pour un autre et surtout nous garantir à tous que la monnaie africaine sera convertible avec un pouvoir libératoire direct. Mais les chefs d’Etat de la CEDEAO, qui ont systématiquement repoussé la date de la naissance la monnaie commune et non unique, viennent encore de repousser la date à cause de la pandémie du coronavirus COVID-19. Donc, c’est la monnaie ECO franco-ivoirienne dite ECO-UEMOA qui risque de devenir une réalité sans changement de parité avec le FCFA actuel, si la France tient parole de ne pas dévaluer unilatéralement et qu’aucun des chefs d’Etats francophones, par excès de zèle, ne le fassent à la place de la France.
- Votre mot de fin ?
Il n’y a pas lieu de désespérer. La France va subir la pression des populations africaines qui veulent s’émanciper et ont cherché à trouver en quoi cette monnaie FCFA et son équivalent la monnaie ECO franco-ivoirienne dite ECO-UEMOA va améliorer leur mieux-être. Donc, c’est la population africaine qui va faire pression sur les dirigeants africains, empreints de mimétisme, au lieu de créer une monnaie de compte avec un fond monétaire africain et démarrer en parallèle l’utilisation d’une monnaie qui aura un pouvoir libératoire sans contrôle ni surveillance de la France.
Je vous remercie.
Emission Radio KANAL K – AVULETE du Samedi 23 mai 2020.
© Afrocentricity Think Tank
Ecouter le postcast grâce à la Radio Kanal K – Radio Avulete.
La fin du franc CFA annoncée par Emmanuel Macron et Alassane Ouattara
Le franc CFA sera remplacé en Afrique de l’Ouest par l’Eco et la réserve d’argent des Etats africains sur un compte du Trésor français sera supprimée.
Par Cyril Bensimon Publié le 21 décembre 2019 à 20h44 – Mis à jour le 23 décembre 2019 à 16h02
Le franc CFA a reçu son coup de grâce samedi 21 décembre, près de 60 ans après les indépendances africaines. Emmanuel Macron et Alassane Ouattara ont annoncé à Abidjan la disparition du Franc de la Communauté financière africaine. Il était né en 1945 sous le nom de Franc des colonies françaises d’Afrique. Un autre temps.
« C’est en entendant votre jeunesse que j’ai voulu engager cette réforme. Le Franc CFA cristallise de nombreuses critiques et de nombreux débats sur la France en Afrique. J’ai entendu les critiques, je vois votre jeunesse qui nous reproche de continuer une relation qu’elle juge postcoloniale. Donc rompons les amarres » a déclaré Emmanuel Macron. A ses côtés, le chef de l’Etat ivoirien, Alassane Ouattara, a précisé que cette décision « historique » a été « prise en toute souveraineté. Elle prend en compte notre volonté de construire notre futur de manière responsable ».
Désavoué par une part grandissante des opinions du continent qui voyaient en lui une des dernières scories de la Françafrique, le coût politique de cette monnaie devenait trop lourd pour le chef de l’Etat français qui, depuis son arrivée à l’Elysée affiche la volonté de construire une nouvelle relation débarrassée des « vestiges » du passé avec les pays africains.
Lire aussi Le débat est relancé autour d’une réforme du franc CFA
Il doit être remplacé à l’horizon 2020 par une nouvelle monnaie : l’Eco, même si l’on ne sait pas encore quand les premiers billets seront en circulation. Le changement ne concernera dans un premier temps que les huit pays de l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (UEMOA) : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, à condition que ceux-ci respectent les critères de convergences. L’Afrique centrale restant pour l’heure tenue à l’écart.
Le « CFA » est mort. Si ce changement de nom peut à certains égards sembler surtout symbolique, la transformation ne s’arrête pas là. Elle s’accompagne de deux réformes techniques importantes. D’abord, le compte d’opération à la Banque de France est supprimé, et par ailleurs les représentants français siégeant au sein des instances de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) vont être retirés.
« Le cordon ombilical est coupé. Cela va permettre de calmer les contestations et laisser les techniciens travailler plus sereinement » remarque l’économiste Kako Nubukpo, qui plaide depuis près de dix ans pour cette réforme.
Selon les accords monétaires jusqu’ici en vigueur, les Etats de l’UEMOA avaient l’obligation de stocker au minimum 50 % de leurs réserves de change au Trésor français en contrepartie d’une garantie de convertibilité avec l’Euro. En 2015, ceux-ci avaient transféré 19 milliards d’euros sur ce compte. « Cela alimentait tous les fantasmes sur les lingots d’or africains gardés dans des coffres à Paris » explique l’entourage du président français. La BCEAO pourra désormais placer ses réserves où elle le souhaite.
Cela dit, en dépit de la disparition programmée du CFA, certains de ses fondamentaux vont demeurer puisque l’Eco conservera, au moins dans un premier temps, une parité fixe avec l’Euro et sa garantie de convertibilité sera toujours assurée par la Banque de France.
Négociations depuis juin
De bonne source, les négociations en vue d’aboutir à cette réforme avaient commencé en juin dans la plus grande confidentialité entre MM. Macron et Ouattara, président en exercice de l’UEMOA et chargé par ses pairs d’Afrique de l’Ouest de travailler à cette réforme. « Ils ont convenus qu’il y avait une fenêtre d’opportunité avant l’année électorale en Côte d’Ivoire », ajoute la source française précédemment citée.
Ces derniers jours, alors que se murmurait l’idée d’une évolution majeure sur cette monnaie, dirigeants ivoiriens et français demeuraient mutiques, se livrant à un art consommé de la langue de bois. Alors que des voix allant des chefs d’État africains tels que le tchadien Idriss Déby ou le béninois Patrice Talon à des polémistes comme Kemi Seba appelaient à une remise en cause globale, Alassane Ouattara s’est toujours montré réservé sur une réforme majeure, considérant que le « CFA » arrimé à l’Euro était la garantie d’une inflation maîtrisée.
Lire aussi « La zone franc et le franc CFA méritent un sérieux dépoussiérage »
« L’accélération de la dynamique d’intégration monétaire en Afrique de l’Ouest pour se doter d’une monnaie unique en 2020 a été décisive pour parvenir à cette avancée. Seulement, le compte d’opération à Paris et la présence française dans les instances bancaires étaient un repoussoir pour les pays anglophones de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) » commente une source à l’Elysée. Le Ghana est clairement dans la cible. Le Nigeria fait en revanche figure d’ogre terrifiant pour les quatorze autres états membres de la zone, puisque ce géant de la région représente à lui seul 60 % du PIB de la CEDEAO. L’idée développée par Paris et Abidjan est que les pays francophones, membres de l’UEMOA, soient « le socle de cette intégration monétaire sur laquelle pourront se greffer les pays anglophones ou lusophones de la région ».
Pourfendeur du CFA, considérant que celui-ci pénalise l’industrialisation et les exportations des économies africaines, l’économiste Carlos Lopes juge que « le changement intervenu est le fruit d’un opportunisme politique bienvenu. Il ne correspond pas à l’idée initiale de monnaie unique régionale mais c’est la meilleure façon d’évoluer ».