Les pays faiblement industrialisés : la globalisation par défaut
Définis par les Nations unies principalement à partir de quatre critères composites socio-économiques dont entre autres le produit intérieur brut (PIB) et un index composite comprenant la part de la production industrielle dans le PIB, les 49 PMA se retrouvent invariablement parmi les classifications diverses des institutions internationales. Mais invariablement définis par rapport aux pays industrialisés. De ce fait, les manques, les contraintes, les difficultés à imiter les performances des pays industrialisés fondent l’essentiel des analyses des dernières décennies du 20e siècle. Que l’on s’appesantisse sur les infrastructures, l’environnement institutionnel, légal et financier, le mode de gouvernance ou la capacité à transformer les ressources disponibles par et avec les populations locales, on s’aperçoit que la situation des PMA n’est en fait que la résultante des actions non-coordonnées qui peuvent être assimilées parfois à la réaction à une certaine ingérence extérieure dans le mode de gouvernance, ingérence de plus en plus relayée de l’intérieur.
PMA : une capacité de production asymétrique
Avec l’avènement de la diplomatie moderne où la déconnexion est devenue une forme obsolète d’organisation des actions productives, l’intégration, souvent forcée, se fait par défaut. Pour ne pas rester «à la traîne», les PMA ont souvent adopté des règles et des principes de gouvernance considérés comme ayant fait leur preuve ailleurs. Mais voilà, face aux échecs, parfois récurrents, les PMA, pays dotés de matières premières, sont devenus, malgré eux, les boucs-émissaires de la globalisation. Toute l’économie mondiale est organisée autour du libre accès à ces matières premières indispensables pour faire tourner une grande partie des industries occidentales. Les réseaux, l’influence et les conflits sont parfois appelés au secours pour garantir l’approvisionnement. Il faut faire jouer la concurrence en délocalisant là où les conditions permettent l’accès direct aux matières premières. Les codes d’investissement, les politiques d’ajustement macroéconomiques, les textes du commerce international GATT/OMC sont faits, entre autres, pour coordonner les actions sur un plan mondial. Toutefois, les PMA ne retirent de ce système que les avantages proportionnels à leur niveau d’influence. Dans un système mondial où les partenaires sont asymétriques, la loi du marché n’est plus équivalente à l’économie de marché. En guise d’exemple, le «laisser-faire» sur le plan de la politique européenne en matière d’agriculture se solde par un protectionnisme à coups de subventions agricoles. Les taxes provenant de la réussite industrielle de l’Europe sont réorientées vers les secteurs les plus vulnérables face à la compétition mondiale. Les PMA, groupe constitué par défaut par la communauté internationale et sans véritable organisation collective intrinsèque, ne peuvent organiser leur déconnexion, ni leur protectionnisme. Leur faible niveau de revenus et le manque d’expertise technique modifie leur comportement face à la concurrence. Ils deviennent, de fait, des entités structurantes de la division internationale des échanges de biens et services, de la production, et du travail. Les pays qui ont mis l’accent très tôt sur l’éducation et les infrastructures de bien-être ou ont bénéficié des richesses du sous-sol n’ont pas été éligibles en 1971 pour figurer sur la liste onusienne des PMA. Les décisions d’arbitrage et de gouvernance irresponsable, des stratégies d’import-substitution conduisant à des endettements inconsidérés et sans véritable chance de couverture du crédit octroyé doivent être prises en compte dans les analyses. Les facilités avec lesquelles les pays industrialisés ont concédé ces crédits relèvent aussi d’une stratégie de dépendance lubrifiée régulièrement par des conditionnalités en augmentation, et permettent une mainmise indirecte sur la souveraineté des décisions des PMA. Les dépenses d’équipement effectuées sont de plus en plus financées par l’aide extérieure et s’élèvent à plus de 32 % dans le total des dépenses publiques des PMA sans que l’impact ne soit réellement perceptible sur le terrain. Les PMA sont devenus de fait des pays à influence faible du fait des obstacles rencontrés dans la formulation et la mise en œuvre d’une véritable politique industrielle endogène. Incapables d’attirer et de promouvoir les ressources non-génératrices d’endettement, ayant privilégié la gouvernance de l’endettement facile, les PMA se sont retrouvés privés de l’accès aux ressources du marché financier international. Seules les institutions publiques internationales peuvent aujourd’hui ouvrir la manne des crédits concessionnels de source multilatérale et bilatérale. Mais là encore, les conditionnalités, discrètes ou pas, ont rapidement transformé la marge de manœuvre de la gouvernance de ces pays en un système où les PMA proposent, et les bailleurs disposent. Le niveau de la souveraineté des Etats nations est devenu inversement proportionnel à celui de l’ingérence, sonnant ainsi le «crépuscule des Etats nations». Réduits à vendre sans augmenter leur capacité de production industrielle atteignant à peine 0,4 % de la part mondiale de la valeur ajoutée manufacturière en 1997 selon l’ONUDI , les PMA sont marginalisés, et s’inscrivent aux abonnés absents dans certains secteurs industriels. Les voies menant à la régression industrielle conduisent directement à celle de la pauvreté structurelle.
L’industrie, première créatrice d’emplois ?
Tous les PMA sont des pays faiblement industrialisés et figurent sur la liste des plus lourdement endettés. Ce sont des pays où les termes de l’échange se dégradent régulièrement quel que soit le type de matières premières, sauf peut-être pour l’or noir (voir le graphique). Plus grave, les termes de production y sont les moins favorables. Les PMA produisent globalement avec des industries à faible valeur ajoutée. Les industries installées dans les PMA ont souvent une productivité moindre du fait de l’effet de transfert des équipements amortis du centre vers la périphérie pour bénéficier du coût d’opportunité de la main d’œuvre et des économies sur le transport de la matière première. C’est ainsi que la socialisation de la politique industrielle dans les PMA, consistant souvent à justifier l’achat clé en main d’une usine pour assurer la création d’emplois, a conduit parfois à des suicides industriels, tout un secteur devenant alors non compétitif. On assiste à l’un des paradoxes de la gouvernance déstructurant qui caractérise les PMA : l’impossible pérennisation des outils de production et de diffusion de la production à valeur ajoutée, qui n’est rien d’autre qu’un problème de gouvernance et de veille stratégique. Il faut saluer la décision européenne d’ouverture totale des marchés des pays européens aux produits en provenance des PMA. Néanmoins, il ne faudrait pas que des barrières plus subtiles et non tarifaires se substituent à cette nouvelle donne qui constate l’échec d’une certaine conception de la politique d’assistance et de préférences commerciales. L’avenir passe donc par une nouvelle politique de l’interdépendance entre les PI et PFI. On ne peut plus affirmer organiser la croissance économique des PMA uniquement sur la base de l’accélération des échanges de biens et services. Il importe de rediscuter les possibilités d’instauration d’un plan Marshall ciblé sous forme d’opérations de type arrangements concessionnels B.O.T. (BuildOperate-Transfer), où les PI construisent, exploitent avec des locaux pour une certaine période et transfèrent (C.E.T.) la propriété aux PFI. L’infrastructure risque de devenir la source première de création d’emplois et de revenus avec des conséquences heureuses sur l’industrie des services.
Ingérence macroéconomique versus plan Marshall
Les classifications artificielles entre l’agriculture, l’industrie et les services tendent à disparaître. Les intégrations géospaciales offrent des opportunités nouvelles en terme de marchés, notamment intra régionaux. Mais avec quel pouvoir d’achat? La population des PMA risque de passer de 614 millions en 2000 à 843 millions en 2015 avec une croissance annuelle moyenne de 2,2 %. Pour les pays industrialisés, et pour les mêmes années, la population passera de 842 millions d’habitants en 1997 à 889 millions d’habitants avec seulement 0,3 % de croissance annuelle moyenne. Le PIB par habitant des PMA, 245 $ en 1997 est 78 fois inférieur à celui des pays industrialisés : 19 283 $ . Il faut donc être prudent lorsque certains estiment que les trajectoires de développement des PMA seront nécessairement similaires à celles des pays industrialisés. C’est oublier que les politiques d’ingérence macroéconomiques, qui sont loin d’être des plans Marshall, avaient pour objectifs premiers d’assurer le retour des PMA vers le paradigme de liberté de mouvement des biens et services, mais pas des personnes. Les discours du Jubilé 2000 sur l’annulation de la dette des PMA, sans modification du mode de calcul des taux d’intérêts, ont tourné court pour s’orienter vers des conditionnalités additionnelles. L’aide publique au développement aux PMA a chuté de 45 % depuis 1990 pour retrouver en 2000 le niveau de 1970, mais pas les conditionnalités. Tous les grands thèmes faisant la une des grands rapports des institutions de Bretton-Woods – des besoins essentiels à l’infrastructure en passant par la réduction de la pauvreté et de la fracture digitale – n’ont essuyé sur le terrain que des résultats «mitigés« pour ne pas dire partiels. Bref, les PMA sont bien des PFI, des pays faiblement industrialisés. Nul ne semble véritablement intéressé à modifier ce statu quo. La loi du marché risque de phagocyter les PFI de manière asymétrique et selon les besoins des entreprises transnationales, elles-mêmes influençant de plus en plus directement les politiques des Etats-nations industrialisés.
Organisation collective
Comment s’atteler à résoudre concrètement les problèmes des PMA ? Si les Etats-nations acceptent de transférer, de manière pacifique et organisée, une partie de leur souveraineté nationale vers les structures suprarégionales, les groupes régionaux pourront peut-être façonner la voie qui mène vers l’après globalisation, à savoir l’interdépendance. La mise sous tutelle par la voie de l’institutionnalisation de la diplomatie de groupe et par organisations internationales interposées, pourrait se révéler n’être qu’un programme néolibéral de désintégration des structures collectives des PMA, et à terme du citoyen des PMA devenu un objet soldé à bas prix dans une logique commerciale désintégrant le volet social et culturel. L’industrie des PMA n’y réchappera pas à la différence près que le secteur privé peut laisser des îlots d’industrialisation émerger en contrôlant le secteur industriel par des privatisations qui ne rapportent souvent rien aux Etats, ou par des marchés de gré à gré non-compétitifs permettant de solder le patrimoine national des PMA et de s’accaparer les outils de production à des fins de nullification de la compétition. Il suffit d’y rajouter une dévaluation ou deux, des régimes forts, pour que le cycle vicieux, consistant à hypnotiser les PMA dans le stade minimal de développement industriel et donc de dépendance vis-à-vis de l’accès aux produits manufacturés, se perpétue presque à l’identique au point que même les incrédules se mettent à croire à la fatalité. Les industries des PMA ne seront alors tolérées que si elles sont intégrées, produisent pour le marché régional et local, et ne font aucune concurrence aux productions des pays industrialisés. La réalité est que les PMA restent malgré tout sous l’influence des pays donateurs.
Prôner l’interdépendance
Il est temps de réfléchir à l’harmonisation d’un cadre nouveau définissant les pays faiblement industrialisés : la notion de «PFI» devrait permettre d’avoir un consensus grâce à la corrélation étroite qui existe entre l’endettement, les critères composites de l’ONU définissant les PMA et surtout la notion de pays à revenu faible. Simplifier les indicateurs, c’est harmoniser les méthodologies d’organisation des solutions, et ouvrir la voie à la fusion entre les institutions internationales. C’est aussi cela faire preuve d’interdépendance. L’avenir des PFI au cours du 21e siècle suppose une organisation collective aux niveaux sous-régional et entre grandes régions intercontinentales. A l’intérieur d’un tel espace de concertation, la société civile pourra exprimer ses besoins en matière d’industrialisation, qui ne sont pas nécessairement ceux de la société de consommation et parfois de gaspillage. Les voies alternatives à la globalisation de la loi du plus fort ont pu démontrer de leur efficacité à Seattle ou Porto Allegre pour ne prendre que ces deux cas. Choisir uniquement avec les yeux ne peut constituer une politique d’avenir pour la gouvernance des PFI. Les donateurs sont-ils réellement prêts à écouter et organiser leurs décisions sous forme d’accompagnement des propositions ayant fait l’objet d’un consensus dans la transparence avec la population des pays dits les moins avancés ? Les PFI sont-ils prêts à saisir la chance qu’offre l’interdépendance raisonnée ? Rien n’est moins sûr ! Les arrangements concessionnels négociés pourraient servir d’ersatz à un plan Marshall dont ne veulent pas les pays industrialisés.