SIBIKAN MEDIA. FOCUS AFRICA
Sujet : SOMMET USA-AFRICA 2022 : QUELS ENJEUX POUR LES AFRICAINS ?
Journaliste : M. Olivier DOSSOU.
Contact : africadebats@gmail.com
Invités :
Mr. GUY Mafimba MOTOKI
Membre du Collectif SASSOUFIT. Représentant Personnel du candidat André Okombi SALISSA. Représentant de la Coalition FROCAD / Initiative pour la Défense de la Constitution (IDC).
Mr. Petit-Lambert OVONO
Candidat à la présidentielle d’Aout 2023. Membre de la société civile. Evaluateur Certifié des Politiques Publiques.
Mr. Dr. Yves Ekoué AMAÏZO
Economiste – Analyste Politique – Essayiste
Président du Think-Tank Afrocentricity, un groupe de réflexion et d’influence, www.afrocentricity.info.
Emission programmée sur Zoom : FOCUS AFRICA. SIBIKAN MEDIA
Lien : africadebats@gmail.com (Youtube.com)
Date : Jeudi 15 décembre 2022 (en direct Zoom 20h – 21h30, heure de Paris)
Internet : Mise en ligne le 16 décembre 2022
Ecouter le Débat en Podcast (durée : 2 Heures 01 minutes 24 secondes) :
LIVE YOUTUBE / SIBIKAN MEDIA :
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Principales questions du journaliste M. Olivier DOSSOU : Contributions du Dr. Yves Ekoué AMAÏZO
Le deuxième sommet USA-Afrique a démarré le 13 décembre et se termine le 15 décembre 2022 à Washington entre le Président Jo Biden et 49 Chefs d’Etats et de gouvernements d’Afrique. Pourquoi l’Afrique est-elle au centre des attentions de l’administration de Jo Biden ?
YEA. Merci pour l’invitation. Ce deuxième sommet fait suite au premier Sommet (6 août 2014) sous la Présidence Obama où à côté des discours et le boycott des chefs d’Etat ne respectant pas la démocratie, les Constitutions nationales et les droits de l’Homme, le soutien a l’Afrique a été minimaliste. Un bilan des promesses faites par les Etats-Unis à l’Afrique serait la bienvenue. En fait, je crois que les 60 milliards de $EU promis annuellement par l’Administration Obama ne sont pas arrivés en Afrique, ou si peu… Pas de bilan donc de la part du Président Joe Biden qui était pourtant le vice-président à l’époque. Est-ce qu’il faut comprendre qu’il y a des erreurs stratégiques. Pourquoi est-ce que l’agenda 2063 de l’Union africaine, qui a des objectifs à moyen-terme de cinq ans ne sont pas pris en compte, ni cofinancé ? Est-ce que cette stratégie américaine n’est pas d’abord pour diviser les Africains pour mieux tenter d’obtenir un consensus sur une approche africaine de soutien à la volonté de réduction de l’influence chinoise, russe et même des turcs en Afrique.
Sous la Présidence de Donald Trump, l’administration américaine a traité l’Afrique de « pays de merde » (Shithole countries) et rompu en apparence les relations sans avoir jamais avoir mis les pieds en Afrique, c’est au tour du Président Joe Biden, tout en nuances et flou, de faire passer ses priorités en faisant croire qu’il s’agit de celles des Africains. En effet, il faut retenir dans son discours une phrase qui résume le fameux « America first » de l’administration Trump : « Ce sont des investissements à long terme qui vont bénéficier vraiment aux gens, créer de nouveaux emplois bien payés, y compris ici aux États-Unis, et élargir les opportunités de tous nos pays pour les années à venir ».
Ce n’est donc pas l’Afrique comme une entité agissante collectivement qui a été invitée, mais bien des dirigeants africains, souvent quémandeurs, et peu intéressés par la transparence et la vérité des comptes publics et des urnes » que l’Administration Biden veut influencer.
En effet, à force d’avoir concentrer l’essentiel de l’approche américaine à s’implanter dans plus de 30 pays au plan militaire avec le Commandement « Africom », ce contre l’avis majoritaire de l’Union Africaine, l’approche américaine repose dorénavant sur la discrétion, le secret, la non-publicité, et même la duplicité comme mode de fonctionnement de la plupart des chefs d’Etat africains. Aussi, l’Afrique est au centre des attentions de l’Administration Biden principalement pour poursuivre la vieille approche de l’unilatéralisme dans le cadre d’un monde multipolaire où les Etats-Unis perdent du terrain en Afrique face à la Chine et à la Russie. De l’influence à la menace ou la marginalisation ou l’exclusion, l’Administration Biden a choisi d’opérer en deux temps. D’abord la carotte avec des incitations et des paroles « douces (soft) » pour pousser les chefs d’Etat africains à rejoindre le camp américain face à la montée des pays émergents. Mais le bâton ne saura tarder puisque certains pays non invités semblent lui avoir déjà dit « non », notamment le Mali, le Burkina, le Soudan, l’Erythrée, etc. Il est donc bien question des enjeux de puissance.
La réalité est que dans un monde multipolaire, les Etats-Unis continuent à considérer parmi les 49 chefs d’Etat africains invités, une grande majorité comme des « agents relais » de sa vision du monde, avec une prime pour ceux des chefs d’Etat qui constituent des courroies de transmission de la stratégie globale des Etats-Unis fondée sur « America First ». De l’influence à la menace de la marginalisation ou de l’exclusion, les chefs d’Etat ont tous les éléments pour se déterminer, comme d’habitude sans consulter le Peuple africain.
Du côté africain, que gagnent l’Afrique et les populations africaines dans cette rencontre au sommet dans un contexte international de guerre OTAN – Russie en Ukraine ?
YEA. Il faudra redéfinir la notion de « gagner » en fonctions de trois destinataires : les chefs d’Etat africains, les populations africaines et la Diaspora africaine notamment celle résidant aux Etats-Unis.
Il ne s’agit nullement pour ces trois entités africaines de gagner sur les Etats-Unis compte tenu des relations de puissances asymétriques existantes. Par contre, il est bien question de s’assurer, d’acquérir ou d’obtenir un profit matériel, un avantage stratégique, ou alors de s’assurer un rapprochement avec les Etats-Unis en bénéficiant de son parapluie militaire (Africom) ou de ses services de renseignements, sauf que l’un comme l’autre peut se révéler n’être qu’un piège et se retourner contre les Africains. Le cas de la Libye du Mouammar Kadhafi et ses relations tumultueuses avec les Etats-Unis se sont soldés par l’élimination de ce dernier.
En réalité, tout le système américain dit de « partenariat ou coopération », et celui de Biden ne fait pas exception, consiste à :
- augmenter les contributions vers le budget de l’Etat sous formes de taxes et impôts, notamment en promouvant les entreprises de la diaspora africaine aux Etats-Unis qui délocalisent en Afrique mais utilisent des équipements et services américains ; et
- promouvoir les investissements réalisés aux Etats-Unis pour créer des emplois aux Etats-Unis en laissant au passage les brevets ou alors permettant aux entreprises américaines non seulement de rentrer au capital des sociétés africaines, mais aussi de les contrôler en toutes discrétion… Des exemples sont légion avec la France (Partie nucléaire d’Alstom par exemple, la maintenance des centrales atomiques appartient à General électrique (Entreprise américaine) qui peut décider et ne se gêne pas pour le faire, de refuser de fournir des pièces de rechange pour le parc des centrales nucléaires françaises, sauf si les conditions fixées (souvent exorbitantes) pour les prix des pièces de rechange ne sont pas acceptées. Alors, la souveraineté de la France sur ses centrales nucléaires laisse à désirer. En fait, ceci peut expliquer les « fameuses » mises à l’arrêt des centrales nucléaires françaises et les menaces sur des coupures électriques en hiver… Bref, la pression et les influences américaines ne s’exercent pas que sur les chefs d’Etat africains.
Il n’est nullement question à priori de faire gagner l’Afrique et les populations africaines. Le contexte de guerre entre les pays de l’OTAN et la Russie sur le sol ukrainien n’est pas pertinent pour expliquer l’urgence de la rencontre au sommet avec les 49 chefs d’Etat. En fait, il s’agit surtout de contrer l’influence chinoise et russe en Afrique, surtout que plusieurs sommets Russie-Afrique et Chine-Afrique sont devenus des opportunités pour faire prendre un peu plus la duplicité des politiques de coopération et de commerce offertes par le monde occidental en général, les Etats-Unis en particulier. La servitude volontaire envers les dirigeants occidentaux est en perte de vitesse accélérée. Il fallait tenter d’arrêter l’hémorragie.
Les incitations qui sont mises en place, que ce soit l’AGOA (African Growth Opportunity Act – Loi sur l’opportunité de la croissance africaine) sur le plan commercial et qui permettent à l’Afrique d’exporter sans taxes vers les Etats-Unis près de 7.000 produits unilatéralement choisis par les Etats-Unis consistent plus en un système de contrôle des sources d’approvisionnement en technologies de transformation et de digitalisation des processus productifs que véritablement de soutien à l’économie africaine. En réalité, seules les importations des produits énergétiques (pétrole, gaz, minerais, métaux rares, etc.) constituent la priorité et constituent moins de 10 % des 7000 produits….
Mais où est la liste des produits africains ? Elle n’existe pas…, ou pas encore !
L’Union africaine l’a pourtant demandé pour pouvoir avancer sur le dossier de Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) regroupant les principales communautés économiques régionales (le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union du Maghreb arabe (UMA) et la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD). Mise en place pour les pays l’ayant ratifié, la ZLECA est opérationnelle sur papier depuis le 1er janvier 2021 et quelques mois suite au report dû à la pandémie du COVID-19.
L’objectif du projet ZLECA est d’assurer l’intégration à terme des 56 États de l’Union africaine au sein de cette zone de libre-échange. En pratique, les avancées sont lilliputiennes et seules quelques pays autorisent la libre circulation des personnes (sans visa ou visa à l’arrivée) comme le Bénin, le Ghana et le Rwanda.
Quels regards portez-vous sur les questions de paix et sécurité, de démocratie et droits de l’homme et de business entre l’Afrique et les États-Unis depuis le premier sommet de 2014 ?
YEA. Il faut constater que sous le Président Obama, les présidents autocrates et dictateurs n’ont pas été invités. Avec le Président Joe Biden qui choisi de s’aligner sur la position de l’Union africaine, 49 sur 56 chefs d’Etat africains ont été invités. Non-invités sont les pays suivants : Burkina Faso, Mali, Guinée, Soudan, car suspendus par l’Union Africaine et l’Érythrée qui n’a aucune relation avec les Etats-Unis.
Il y a donc une condamnation des coups d’Etat militaires et pas de condamnation des coups d’Etat constitutionnelles comme au Togo, au Tchad. Lorsque la liberté pour l’opposition n’est pas garantie comme en Guinée Equatoriale ou au Cameroun, cela ne représente plus un obstacle pour l’Administration Biden.
L’Afrique qui porte la croissance mondiale est le lieu des enjeux de puissance. Cela se traduit par :
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Un soft power diplomatique essentiellement contre la Chine, la Russie, mais aussi l’Union européenne et la France ;
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Des accords militaires avec plus de 30 pays avec la volonté d’une extension aux 49 pays présents, le tout justifiés par la présence de terroristes, des armées privées, des légions étrangères et des mercenaires, de toutes nationalités, actifs dans des zones de conflits armées, des espaces économiques disputés comme les mines ;
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La sécurité alimentaire dit humanitaire qui se réduit souvent à de l’aide d’urgence pour les réfugiés en s’assurant que les aliments distribués émanent bien des excédents de produits agricoles américains ;
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Un laboratoire de tests en matière sanitaire parfois cachés sous une approche militaire et de sécurité contre des armes de destruction massifs que sont les virus, bactéries, nano-insectes, etc.
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Un laboratoire de promotion d’alternative venant en soutien à la transition énergétique ;
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Une nouvelle ouverture vers l’utilisation des technologies et services fournies par les avancées dans le domaine de l’espace ;
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Un changement de stratégie sur la démocratie en invitant les principaux autocrates et antidémocrates du continent, non sans arrière-pensées américaines de faire accepter des bases militaires, sanitaires, économiques ou autres dans les pays ciblés.
Les échanges commerciaux entre l’Afrique et les Usa sont passés de 142 milliards à 64 milliards de dollars des Etats-Unis ($EU) entre 2008 et 2021. L’Afrique ne devrait-elle pas se passer du marché américain malgré l’initiative de l’AGOA et prioriser d’autres partenaires économiques comme la Chine et la Russie, plus sûrs et puissances du BRICS ?
YEA : Au vu de vos chiffres, les échanges commerciaux entre les Etats-Unis et l’Afrique ont chuté à 64 milliards de $EU en 2021 alors que ceux entre la Chine et l’Afrique sont passés à 254 milliards de $EU, soit 4 fois supérieur. L’Afrique a déjà opté dans un monde multipolaire pour la diversification de ses partenaires, mais aussi parce que les Etats-Unis ne sont plus compétitifs sans utiliser la force ou la puissance de l’influence.
Ce ne sont pas les 54 milliards de $EU annoncés sur 3 ans pour les 49 pays qui feront la différence, surtout que plus de 80 % de ces fonds retournent aux Etats-Unis. Les instruments obsolètes comme l’AGOA ou le MCC ne font plus le poids face aux nouvelles structures intégrées que constituent les BRICS, mais aussi d’autres structures comme l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS). Cette institution, regénérée en 2001 par la Chine, la Russie et quatre États d’Asie centrale, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan, s’est élargi à l’Inde et au Pakistan en 2016, puis à l’Iran en 2021.
D’autres membres conscients des enjeux de puissance sont en train d’étudier l’importance de bénéficier de l’appui de l’OCS. Il s’agit principalement d’assurer en Asie centrale mais aussi au-delà, la sécurité collective de ses adhérents face aux menaces « du terrorisme, de l’extrémisme et du séparatisme ». Les huit pays membres de l’OCS représentent plus de 60 % du continent eurasiatique, environ 50 % de la population mondiale et plus de 20 % du PIB mondial. Si des liens de plus en plus étroits sont en train de se tisser entre les BRICS et l’OCS, il faut croire qu’à terme des conflits d’intérêts entre le couple OCS/BRICS et l’OTAN risquent de diviser les chefs d’Etat africains, toujours très lents à anticiper les changements géostratégiques et à se positionner clairement.
L’AGOA est une structure obsolète qui a besoin d’être fermée pour subir une refondation non plus sur une base unilatérale, mais bien en reconsidérant les enjeux d’un monde multipolaire où les Etats-Unis ne sont plus les marchés attractifs d’antan, ni un marché prévisible compte tenu de la capacité des Etats-Unis et chacune de ses entités (AGOA, MCC ou autres) de mettre fin unilatéralement à toutes coopération si ses intérêts sont considérés comme menacés, que ce soit vrai ou faux. La grande hypocrisie consiste à importer l’essentiel des matières premières africaines sans taxes et faire croire que sur les 7.000 produits l’Afrique a beaucoup de chan chances sans transformation locales de profiter du système AGOA. Par ailleurs, un pays comme le Lesotho qui a beaucoup fait usage de l’AGOA s’est cantonné à exporter des T-Shirts au lieu d’évoluer dans la chaine de valeurs textiles et habillement.
L’AGOA peut devenir un piège pour les pays africains surtout lorsque les règles d’origine sont mises en avant et empêcher d’acheter des équipements étrangers pour augmenter la productivité dans le processus d’industrialisation des matières premières africaines. Autrement dit, si vous achetez des équipements non américains et que vous voulez exporter vers les Etats-Unis dans le cadre de l’AGOA, vous risquez tout simplement après avoir livré l’essentiel de votre savoir et autres documents financiers et d’approvisionnement à l’Administration américaine, de ne pouvoir exporter car les règles d’origine permettent de considérer que l’entreprise africaine fait une concurrence déloyale en « refusant » d’acheter des équipements américains. Si en plus, les équipements choisis sont « chinois » ou « russes », le droit à exporter « hors taxes » aux Etats-Unis se transforment une interdiction pure et simple d’exporter avec souvent des sanctions et des marginalisations à la clé…
Quant au MCA, le « Millennium Challenge Account » dont l’opération est menée par la « Millennium Challenge Corporation (MCC) » est un fonds de développement bilatéral américain créé en 2004 par l’Administration Bush en janvier 2004 et qui octroie uniquement des prêts, dont les conditions ne sont pas des plus attractifs. Il ne s’agit pas de prêts concessionnels. Officiellement le MCA est un fonds destiné à accélérer la croissance en vue de réduire la pauvreté par le biais de la croissance économique. Pour en bénéficier, il faut pourvoir répondre à au moins six (6) conditions implicites et explicites des Etats-Unis avec des possibilités d’arrêt unilatérale du partenariat à l’initiative des responsables de la MCC. Les conditions sont les suivantes :
- démontrer sur plusieurs années une « bonne » gouvernance dans la gestion des affaires publiques, selon les critères de l’Administration américaine et de la direction du MCC ;
- démontrer l’existence d’un environnement favorable à l’initiative privée sans véritable distinction entre les espaces mafieux ou pas ;
- constater un réel engagement de l’État à faire des investissements subséquents dans le secteur social, notamment dans les infrastructures sociales ;
- constater l’existence de plan de conditionnement des prêts MCC à l’adoption de politiques économiques favorables aux partenariats public-privé en vue de réaliser des investissements ;
- s’engager à accompagner, pour ne pas dire s’aligner sur les lobbies américains de la stratégie globale de l’Administration américaine qui est passé de l’endiguement de la Chine au temps de la guerre froide, à l’encerclement de la Chine et de la Russie par d’une part, des guerres de sous-traitances (France en Afrique, Union européenne et Etats-Unis en Ukraine) et d’autre part, des alliances et des partenariats économiques permettant d’asphyxier l’approvisionnement de la Chine ou de la déstabiliser, notamment par les armes de destruction massives dans le domaine sanitaire (bactéries, virus, etc.) ; il est question de « contenir » ou « contrôler » autant que faire se peut par des « nouveaux » partenariats économiques, la montée en puissance de la Chine, au moyen d’alliances militaires et économiques hostiles, afin de contrecarrer son accession au statut de superpuissance à l’égal des Etats-Unis ;
- S’assurer que l’Afrique dans sa quête de croissance économique respectueuse de l’environnement et de la biodiversité, ne se contentent pas d’acheter que des équipements « chinois » dans le domaine de l’énergie ou des moteurs électriques ;
Comment contrebalancer la puissance économique de la Chine, de la Russie et de la Turquie par des nouveaux partenariats économiques aux contours flous avec des chefs d’Etat africains adeptes de l’opacité et de la non-transparence est le défi principal du sommet Etats-Unis Afrique.
Pour ce faire, l’accent sera mis sur la Diaspora africaine aux Etats-Unis qui bénéficiant d’une double culture pourra servir de courroie de transmission indolore des stratégies de l’Administration américaine tout en bénéficiant des prêts et autres facilités mises à disposition. Ce sont ces mêmes « entités américaines » délocalisées qui, dans le cadre des impôts sur les sociétés et sur les personnes physiques, pourront soutenir le budget des impôts des américains, même s’ils sont établis à l’étranger. Ce point s’applique aussi aux ressortissants africains ou étrangers bénéficiant de la carte de résident permanent (10 ans renouvelable) et de travail dite « green card ». Bref, une approche subtile pour faire rentrer des taxes et impôts dans l’escarcelle de l’administration américaine.
Les États-Unis sont perçus comme une puissance impérialiste qui usent de la lutte contre le Terrorisme en Afrique pour soutenir le Rwandais Kagamé décrié au Congo RDC, Paul Biya au Cameroun et des dynasties des Gnassingbé et Deby, au Togo et Tchad qui violent les droits de l’Homme. Comment les sociétés civiles et les démocrates africains peuvent tirer meilleur parti de cette relation avec les Américains ?
YEA. Vous faites bien de parler de perception car tout est dans la perception. Les Etats-Unis et les amis des Etats-Unis considèrent que les dirigeants africains sont incapables de valoriser leur continent et de servir les intérêts de leur population. Aussi, est-il préférable d’aller leur faire comprendre que les ressources africaines appartiennent d’abord « au monde, donc à personne, et donc aux Etats-Unis ». Une version adaptée se retrouve dans l’approche sur le terrain de toutes les puissances coloniales et postcoloniales.
Alors, il fallait absolument « retarder » sinon « endormir » la prise de conscience africaine. Les outils sont nombreux. Il faut compter parmi ces outils : la communication d’influence pour contrôler les dommages causés à l’image et la réputation de l’administration américaine. De ce fait, il n’est pas impossible de penser qu’une image endommagée de l’Etat français et de la direction de son l’Administration, principalement du fait de ses propres turpitudes et arrogances, permet de faire passer cette dernière pour un bouc-émissaire commode. Inviter des autocrates, des dictateurs, des responsables de coups d’Etat constitutionnels et militaires, des adeptes de non-respect des constitutions africaines, de courroies de transmission des guerres par procuration qui profitent aux sociétés occidentales dont des américaines relèvent d’un changement de stratégie à 180 degrés de la part de l’Administration Biden.
Le terrorisme ou les droits de l’Homme sont devenus plus des slogans pour justifier la présence non sollicitée des armées étrangères, américaines, françaises, russes, ou autres, en Afrique.
L’utilisation des organisations de la société civile (OSC) est une arme à double tranchant. Il existe des OSC instrumentalisées par les Etats ou les entreprises privées souvent dotés d’importants moyens financiers et humains. Sauf que leur rôle sur le terrain conduit souvent à distinguer entre les dirigeants « amis » de l’Administration américaine et ceux qui ne le sont pas. De ce fait, les critiques de ces OSC instrumentalisées se focalisent sur les pays qui font ombrages aux intérêts américains. Par contre, les OSC indépendantes et souveraines dans leur décision font l’objet d’ostracisme, de marginalisation, voire de menaces diverses quand elles ne sont pas réduites au silence. Dans tous les cas de figures, il est question surtout de hiérarchiser les OSC pour éviter de se retrouver dans une sorte de convergence des critiques sur la base de l’évidence de la vérité sur le terrain. Aussi, il est plus question de « former », voire de « formater » certaines OSC afin de s’assurer que leurs dirigeants, issus de réseaux fermés parviennent, « en toute indépendance d’esprit », aux conclusions préparées d’avance ou ne dérangeant pas la stratégie globale non pas d’impérialisme, mais bien de contrôle de nouvelles frontières virtuelles et physiques des enjeux de puissance.
Dans ce nouveau contexte où des OSC non américaines, ou non occidentales, font fleurès en Afrique, les sociétés civiles et les démocrates africains ne peuvent tirer un meilleur parti des relations avec les OSC américaines que si elles ne sont pas instrumentalisées et si elles ne sont pas dépendantes du financement soumis à des conditionnalités qui neutralisent le droit à la souveraineté des Africains. Sur ce dernier sujet, le Président Joe Biden est resté très silencieux. En effet, à un moment donné ou à un autre, les limites de la politique « America First » risque de rencontrer celle du Peuple africain panafricain et patriote, « Africa first ».
Dans son discours, le président Joe Biden a fait référence à de « l’engagement durable que nous avons les uns envers les autres. De gouvernement à gouvernement, d’entreprise à entreprise et de peuple à peuple ». Personne ne peut contester ce point. Sauf qu’avec les Etats-Unis, le vrai problème est que l’Administration doit être clarifier sa position sur sa volonté de laisser les Africains s’organiser pour obtenir leur souveraineté et leur indépendance sans systématiquement imposer une vison manichéenne du monde et forcer cette Afrique libre de ranger sur une puissance ou un autre. Mais, ce point semble relever de l’amnésie systémique de l’Administration américaine, que ce soit pour les Démocrates ou les Républicains. A ce titre, il y a assurément un consensus bipartisan.
Pour les Africains conscients que les enjeux de puissance sont des enjeux de souveraineté, le dialogue devra, à un moment ou un autre, passer par une forme de rupture pour recouvrer sa souveraineté dans un monde multipolaire en mutation. Cela ne pourra pas se faire sans une nouvelle forme de coopération entre ceux qui souhaitent le changement vers plus de liberté et de démocratie (les oppositions non alimentaires) et les responsables du secteur privé africain qui sont des patriotes et souhaitent créer de la valeur ajoutée et les emplois en Afrique. Mais rien ne se pourra avancer dans le bon sens si la crédibilité et l’exemplarité ne sont pas aux rendez-vous. Rappelons tout de même que les Américains sont des gens pragmatiques. Donc, l’accent devra être mis sur la promotion du secteur privé et les Africains de la Diaspora qui peuvent offrir des accès à des marchés, à des technologies, à des savoir-faire sans nécessairement attendre l’arrivé de fonds occidentaux.
Quelle est la position de l’Union africaine par la voix de Macky Sall, le Président du Sénégal ?
YEA. Des demandes spécifiques ont été faites par l’Union africaine. AU moins 6 priorités communes à tous les pays africains peuvent être mise en exergue, à partir du discours de Macky Sall, le Président du Sénégal et président en exercice de l’Union africaine :
- La paix, la sécurité et la lutte contre le terrorisme en Afrique ;
- La réallocation partielle des Droits de tirages spéciaux (DTS) et la mise en œuvre effective de l’Initiative du G20 sur la suspension du service de la dette ;
- Un engagement plus soutenu des Etats-Unis dans l’investissement sur les infrastructures de développement à savoir les routes et autoroutes, les ports et aéroports, les chemins de fer, les centrales électriques et les infrastructures numériques ;
- Des financements (86 milliards de $EU d’ici 2030) pour soutenir la résilience africaine aux effets du réchauffement climatique en faveur d’une transition énergétique plus juste ;
- Des partenariats pour soutenir la souveraineté alimentaire avec l’accès au marché des engrais et des produits agricoles et dans la diversification des chaines de valeurs et le renforcement des infrastructures agricoles
- Une gouvernance mondiale plus juste et plus inclusive avec l’octroi d’un siège à l’Union africaine au sein du G20 et une réforme du Conseil de Sécurité pour une plus juste représentation de l’Afrique.
Toutes ces demandes reflètent la profonde inégalité dans les rapports de puissance. Si la réponse des Etats-Unis pourrait servir de saupoudrage, la réalité est qu’aucune de ces propositions ne doit venir déranger la priorité stratégique américaine : « America First » !
Votre mot de fin.
YEA. En attendant que tout ce partenariat « rafraichi » à l’initiative des Etats-Unis se réalise, les Africains proactifs ne doivent pas attendre tout ni des Etats, ni des Administrations occidentales, mais s’engager dans le secteur privé et créer de la valeur et de la richesse en relation avec la Diaspora africaine consciente des enjeux de souveraineté et prêt à identifier et transférer des technologies, des marchés, du savoir, du savoir-faire et de la connaissance pour générer de la productivité et des emplois décents en Afrique, ce en respectant la préservation de l’environnement et de la biodiversité.
Je vous remercie.
15 décembre 2022. Mise en ligne le 16 décembre 2022 sur Afrocentricity Think Tank.
Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, Directeur de Afrocentricity Think Tank
Contact : yeamaizo@afrocentricity.info
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