RADIO KANAL K/AVULETE ET AFROCENTRICITY THINK TANK
Journaliste : M. Sylvain AMOS (SA)
Adresse : Suisse.
Emission du Samedi 16 septembre 2023 :
Lien : www.radioavulete.com – www.kanalk.ch
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LES BRICS PLUS : L’EGYPTE ET L’ETHIOPIE VONT REJOINDRE L’AFRIQUE DU SUD. POURQUOI SI PEU DE PAYS AFRICAINS CHOISIS COMME NOUVEAUX MEMBRES ?
Résumé : Seuls deux pays africains, à savoir l’Egypte et l’Ethiopie ont été choisis par les cinq membres des BRICS pour les rejoindre au 1er janvier 2024 dans le cadre du BRICS Plus. Pourquoi si peu de pays et surtout quels sont les critères de sélection qui n’ont pas été dévoilés. Assurément, il s’agit comme d’habitude d’un savant dosage entre des décisions politiques, économiques et de non-alignements sur le G7 et l’OTAN. Et le G20 dans tout ceci ? Comment concilier l’objectif de souveraineté panafricaine avec ce processus d’attraction dans des blocs où les intérêts des peuples africains ne sont pas nécessairement la priorité ? Alors, les BRICS, une opportunité pour l’Afrique ?
16 septembre 2023.
YEA.
Questions et réponses :
SA. Vous avez tout récemment, en lien avec le 15e sommet des BRICS tenu en Afrique du Sud en août dernier, publié un article intitulé “Entre marge décisionnelle et souveraineté : Les BRICS+ avancent sans le G7 et l’OTAN, une opportunité pour l’Afrique” : voir https://afrocentricity.info/2023/09/07/entre-marge-decisionnelle-autodetermination-et-souverainete-les-brics-avancent-sans-le-g7-et-lotan-une-opportunite-pour-lafrique/7654/ ; dans ledit article, tout en appelant à de nouveaux partenariats gagnant-gagnant au sein du Sud global, vous pourriez en dire quelques mots ?
YEA. Merci pour l’invitation et salutations à vos auditeurs. Il y a deux points dans votre question : le volant portant d’une part sur le partenariat gagnant-gagnant au sein du Sud Global, et d’autre part, sur les opportunités que les BRICS offrent aux pays africains.
Rappelons d’abord les pays fondateurs du BRIC en 2009, Brésil, Russie, Inde et Chine. L’Afrique du Sud a rejoint le groupe en 2011 avec l’appellation BRICS.
Les BRICS sont un groupe de cinq pays qui se réunissent depuis 2011 en sommets annuels : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. Il a fallu attendre le 15e sommet du 22 au 24 août 2023 en Afrique du sud pour un nouvel élargissement avec six (6) membres : l’Arabie saoudite, l’Argentine, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie et l’Iran. Leur adhésion sera effective à partir du 1er janvier 2024 et ils seront au nombre de 11. Il n’y a toujours pas un pays d’Afrique subsaharienne, à part l’Afrique du sud. Précisons d’ailleurs que l’approche des BRICS se présente comme une alternative à l’approche du G7 (7 pays les plus riches[1]), de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord créé en 1949) et du G20 (les 7 pays qui se sont élargis aux pays émergents) avec la participation d’institutions comme l’Union européenne, et récemment de l’Union africaine, depuis septembre 2023.
Sur le terme « gagnant-gagnant », que ce soit sur le plan économique ou autre, il s’agit de répondre mutuellement et favorablement à quatre volets principaux pour la réussite d’un tel processus. Il s’agit :
- premièrement, d’abord d’une confiance mutuelle et de l’entretien de celle-ci,
- deuxièmement d’un processus négocié, souvent contractuel, qui doit déboucher sur des résultats favorables po urchacune des parties en présence. Au plan financier ou budgétaire, chacune des parties doit pouvoir en profiter afin d’éviter d’avoir des déséquilibres qui peuvent se traduire par de l’endettement. Si les déséquilibres deviennent asymétriques et l’endettement devient structurel, il y a manifestement un problème et on aboutit à une situation de « gagnant-perdant ».
- troisièmement, le volet souvent négligé notamment dans le monde occidental, en particulier les pays du G7 et de l’OTAN, que constitue la dignité et le respect de chacune des parties, notamment dans l’inclusivité dans le processus et dans la décision finale, voire même dans l’évaluation ex-post du dossier. Ainsi, un processus ou un contrat « gagnant-gagnant » suppose que chaque partenaire respecte la dignité de l’autre en s’assurant que l’intérêt de l’autre est autant pris en compte que son propre intérêt.
- Enfin, quatrièmement, dès lors que le processus devient inégal pour l’une des parties, il faut nécessairement en rechercher les causes, les corriger et surtout organiser et trouver un compromis, un nouvel accord de répartition des avantages et inconvénients, des pertes et des bénéfices tout en acceptant de s’engager dans une logique de retour à l’équilibre dans le partage des fruits de la croissance pour chacun, mais surtout pour permettre à la relation gagnant-gagnant de perdurer et de trouver un accord en augmentation.
En résumé, ce sont la confiance, la négociation d’égal à égal, le respect de la dignité de chacun et la volonté pour la partie créancière de s’engager dans un processus de discrimination positive limité dans le temps, pour rétablir les équilibres et restaurer la confiance dans le processus « gagnant-gagnant ».
SA. Dans votre article, vous voyez aussi, à travers la participation d’une quarantaine de pays africains audit sommet, “l’intérêt des pays africains pour les BRICS et les opportunités économiques qu’ils offrent ?
YEA. En effet, il s’agit pour les pays du BRICS de promouvoir au moins quatre points fondamentaux :
- faciliter une approche inclusive structurée autour du non-alignement et de la souveraineté mais basée sur des valeurs communes si elles sont véritablement partagées ;
- promouvoir les échanges intra-BRICS élargis sur la base d’une coopération « gagnant-gagnant » ;
- organiser des partenariats sur la base de consensus afin d’accélérer le développement dans toutes ses dimensions afin de favoriser la solvabilité des uns et des autres pour soutenir la pérennisation du processus « gagnant-gagnant »; et
- œuvrer pour des consultations et une coopération resserrée avec les nouvelles puissances émergentes afin de trouver des solutions efficaces aux défis transnationaux tout en préservant son indépendance et son développement accéléré.
Je rappelle que pour le 15e sommet, il fallait faire une demande d’adhésion aux BRICS. Une quarantaine de pays l’aurait fait. Pour les pays africains, le Président sud-africain, Cyril Ramaphosa leur a adressé personnellement une lettre d’invitation personnelle. Mais ils sont nombreux ces chefs d’Etat africains à avoir subi des pressions, des intimidations, des menaces, soit pour ne pas s’y rendre, soit pour s’y rendre pour défendre un agenda ne devant pas s’opposer à celui du G7 et de l’OTAN, soit pour tenter de limiter la portée de l’évènement.
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre que la participation directe ou indirecte des pays africains aux BRICS constitue non seulement une opportunité, mais aussi des obligations dans tous les domaines, notamment politiques avant les autres volets économiques. Les pays africains qui sont venus sans préparation et surtout croyaient repartir avec des financements ont compris que leur approche avec les institutions du G7 ou l’OTAN doit être révisée.
Les opportunités se résument à un transfert d’expertise, de connaissance, de technologies, et d’appuis divers pour mieux peser dans le monde. En retour, il y a des obligations consistant à ne pas devenir une menace pour le Groupe des BRICS, du fait des positions ambivalentes de certains dirigeants africains au plan international ou bilatéral avec les pays du G7 et de l’OTAN.
SA. Hormis l’Afrique du Sud, pourquoi aucun pays africain subsaharien n’a été retenu pour devenir membre des BRICS Plus lors du 15e sommet des BRICS à Johannesburg en Afrique du Sud ?
YEA. Tous les pays faisant partie du Sud global, et plus particulièrement l’Afrique, mais aussi tous les pays émergents en Asie, en Amérique latine et aux Caraïbes se rebellent contre l’arrogance des pays du G7 et de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) considérés comme le Nord global, qui veulent régenter le monde selon leur culture d’agression systématique de l’autre pour exister. L’unilatéralisme qui s’est imposé par la force des armes, de l’injustice et de l’avance technologique est en train de trouver des répondants, notamment avec les pays du BRICS et plus particulièrement la Chine et la Russie.
Cette politique belliqueuse cachée derrière une communication basée sur des informations partiales et partielles est devenue tellement évidente qu’elle se résume à un consensus. Les pays non-alignés, devenus la majorité au sein du Sud global, souhaitent devenir un contre-poids au G7 et à l’OTAN. La mise en place du G20 comme une extension du G7 n’aura pas d’avenir du côté des pays du BRICS, et même des pays africains conscients des enjeux mondiaux. La première étape est de convaincre le G7 et l’OTAN, voire le G20 de ne pas s’ingérer ou de se mêler de ce qui n’est pas leurs affaires et de mettre fin à leur présence sur le sol africain. Par ailleurs, il faut mettre fin aux contrats secrets militaires, financiers et surtout d’usurpation des richesses africaines sous le couvert de l’aide au développement. Chacun doit se rappeler que l’Occident, à savoir le G7 et l’OTAN, ne respectent jamais leur engagement dès lors qu’ils veulent défendre leurs intérêts aux dépens des autres peuples. Pour ce faire, il leur faut entrer en belligérance tout faisant une propagande médiatique autour d’une action légitime.
Chacun doit se rappeler que les origines de la guerre froide entre l’Ouest et l’Est remontent à l’ingérence et l’intervention des Américains et des Britanniques dans la guerre civile russe avec la révolution d’Octobre 1917 d’où naît en 1922 l’Union soviétique et la profonde méfiance envers les Occidentaux du G7 et de l’OTAN. Cette méfiance s’est transformée en défiance depuis la remilitarisation de l’Allemagne qui a choisi d’intégrer l’OTAN avec comme conséquence le non-respect par l’OTAN des engagements pris lors de l’effondrement du pacte de Varsovie, un Traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle. Ce Traité, entre la plupart des pays ayant opté pour une politique de type collectiviste et sous le contrôle plus ou moins direct de l’Union soviétique et situés à l’Est de l’Europe, a été créé en 1955 en réponse à la création de l’OTAN en 1949, et a été dissous en 1991. Les pays africains ont choisi entre l’alignement sur l’OTAN, sur la Russie, le non-alignement ou la forme la plus opportuniste consistant à naviguer entre l’une ou l’autre de ces options.
Les BRICS viennent clarifier ce jeu trouble de nombreux dirigeants africains et expliquent pourquoi de nombreux pays au sud du Sahara n’ont pas « encore » été retenus pour devenir un membre à part entière des BRICS élargis. Le nomadisme politique de plusieurs dirigeants africains pose problème dans un monde multipolaire et compétitif. Les dirigeants des coups d’Etat militaires en Afrique, les anciens comme les nouveaux, seront amenés à clarifier leurs positions face au Peuple africain.
SA. Mais alors, Dr Amaïzo, et avant toute chose, où est l’intérêt des Peuples africains ?
YEA. Avec le partenariat Russie-Chine et la prise de conscience de la volonté des dirigeants du G7 et de l’OTAN de prolonger l’unilatéralisme issu de la Guerre froide, un monde multipolaire est en émergence avec une concurrence accrue entre les puissances du non-alignement face aux puissance de l’alignement. Il s’agit donc bien de la fin de l’ordre mondial de l’après-Guerre froide, que même le secrétaire d’État américain Antony Blinken a été contraint de constater dans sa conférence du 13 septembre à l’université Johns Hopkins[2].
Tout le défi est de savoir comment et qui pourra rétablir une nouvelle confiance qui ne peut passer que par l’acceptation par les tenants de l’ordre unilatéraliste de l’alignement du besoin de souveraineté des tenants de l’ordre du non-alignement. Les Peuples africains ne peuvent plus laisser des dirigeants africains mal élus ou/et travaillant pour les intérêts occidentaux, décider à leur place. Les dirigeants actuels du Mali, dont Premier ministre malien, Choguel Maiga[3], l’ont compris. Dans la récente conférence de M. Maiga sur la souveraineté et la résilience du Peuple malien, il a constaté que des forces étrangères œuvrent en fait pour la dislocation de la CEDEAO tous en soutenant l’intimidation des Peuples africains où les alternances politiques sont bloquées. Pour lui, la solution passe par un retour urgent à l’unité des Africaines et des africains, la détection des traîtres africains, la prise de conscience sur la guerre d’information et de désinformation, et la résistance des Peuples africains qui se battent pour leur souveraineté. Au final, c’est bien la nécessité de ne pas céder aux ruses et astuces des tenants de l’unilatéralisme occidental qui sert de soubassement au retour de la souveraineté du Peuple malien, et par extension au peuple africain.
Compte tenu des rapports de force, il convient de rappeler qu’au cours de cette période transitoire menant à l’unité du Peuple africain, les dirigeants africains qui travaillent pour leur Peuple respectif, doivent augmenter leur rapport de force en signant, entre autres, des partenariats stratégiques avec les pays qui n’ont pas colonisé l’Afrique afin de défendre leur souveraineté territoriale et militaire, leur souveraineté communicationnelle, et enfin leur souveraineté économique, financière, bancaire et monétaire.
L’intérêt des Peuples africains passe par des Alliances entre Africains pour se défendre mutuellement, avec en ligne de mire, de réussir à terme, des alliances avec l’ensemble des Africains et des Afrodescendants autour du panafricanisme. En signant « la Charte du Liptako-Gourma[4] » créant le 16 septembre 2023 à Bamako au Mali, « l’Alliance des Etats du Sahel (AES)[5] », les trois pays que sont le Burkina-Faso, le Mali et le Niger, viennent de mettre un point final à l’autre « alliance » créée par la France, le G5 Sahel et ouvrent une nouvelle perspective d’une « architecture de défense collective et d’assistance mutuelle au bénéfice des populations africaines ».
Il est question pour ces trois pays par la voix de Chacun de leurs premiers dirigeants, Assimi Goïta pour le Mali, le capitaine Ibrahim Traoré pour le Burkina-Faso et le Général Abdourahamane Tchiani pour le Niger, de poser les fondements d’une défense commune contre les velléités de guerre par procuration de la CEDEAO contre les peuples de ces pays. Il est question aussi de mutualiser les moyens militaires afin de promouvoir leur pleine souveraineté et favoriser l’intégration entre les trois pays, en attendant que d’autres les rejoignent. C’est aussi une façon d’acquérir des équipements de sécurité, de défense et de renseignements en dehors du système de G7 et de l’OTAN, et vraisemblablement moins chers et plus efficaces contre leurs ennemis communs du moment, terroristes ou pas.
SA. Avant toute chose, l’unité africaine, respectueuse de toutes les diversités, que vous appelez de tous vos vœux, est-elle encore réalisable vu l’état d’intégration des regroupements sous-régionaux sur le continent ? Comment et à quelle échéance voyez-vous « la réalisation collective du destin du Peuple africain » ?
YEA. L’unité africaine se décline en l’unité des Africains et donc du peuple africain y compris les afrodescendants ou la Diaspora, puis sous les formes institutionnelles, notamment l’Union africaine et donc au niveau des dirigeants africains de ces instances. La distinction est importante pour répondre à votre question. Dans les deux cas, il ne devrait pas y avoir de date butoir, même si pour l’Union africaine, 2063 apparaît comme la date où il faudra faire le bilan des avancées de cette institution vers l’unité africaine. Je vous rappelle que j’ai dirigé un livre collectif intitulé L’Union africaine est-elle incapable de s’unir dans lequel, j’ai appelé, entre autres, à la mise en place d’un passeport commun et à la levée de l’intangibilité des frontières[6].
Ces deux points ont été pris en compte par l’Union africaine de manière partielle. Le passeport commun existe mais ne fonctionne que pour les chefs d’Etat. La levée de l’intangibilité des frontières est refusée, sauf que l’Union africaine a voulu mettre la charrue avec les bœufs en créant le 1er janvier 2022, la Zone de libre-échange continentale africaine dite (ZLECAf), une sorte de grand marché commun fondé sur le libre-échange sur l’ensemble du continent africain. Actuellement sans les infrastructures et les visas, cet espace commun des 56 pays africains est loin des objectifs recherchés. Plusieurs ratifications manquent.
SA. En même temps, tous ces pays africains ont pris part au 15e sommet des BRICS, l’UA est désormais membre à part entière du G20. Quel est votre avis sur cet événement alors même que vous fustigez l’ingérence des dirigeants du G7 et de l’OTAN qui, selon vous, constituerait un frein à l’avènement du destin commun du peuple africain, un handicap à la prospérité d’une souveraineté africaine ?
YEA. Unilatéralisme Le G20 est une extension du G7 qui fonctionne sous une forme de contrôle militaire de l’OTAN, et donc des Etats-Unis. Les pays africains n’y sont pas membres. Seule, une institution africaine a été admise suite aux pressions africaines. Il ne s’agit que de l’acceptation d’une institution africaine qu’est l’Union africaine. Celle-ci fonctionne comme un « secrétariat » et donne l’illusion que les décisions africaines sont « communes », voire uniques. Or, il s’agit plus d’une participation de l’Afrique comme un observateur que d’un décideur, au sein des BRICS où un Etat égale une voix. La voix des « Etats africains » au sein du G20 est un faire-valoir, et de fait, n’existe pas, car l’Union africaine n’est pas un Etat. Il en est de même pour l’Union européenne qui ne vote pas comme un Etat au sein du G20.
De fait, les intérêts des pays africains sont et seront pendant un certain temps, plus ou moins long, en opposition avec les intérêts des pays du G7 et de l’OTAN. La cohabitation est de mise.
Le G20 sert principalement à ralentir, voir empêcher la participation pro-active des pays africains au BRICS. On ne peut pas dire qu’il s’agit d’un « handicap » à la prospérité et à la souveraineté des pays africains. En effet, il y a d’énormes problèmes internes en Afrique en matière de gouvernance, de représentativité du peuple africain et surtout de la corruption. Si ces problèmes internes ne sont pas réduits au minimum, ni le G7, ni le G20, ni l’OTAN, ni les BRICS ne viendront aider à l’augmentation de la souveraineté des pays africains, individuellement et collectivement.
Le destin commun du Peuple africain relève d’abord d’une prise de conscience collective, un retour de la confiance et donc une identification des traitres à la cause du panafricanisme et enfin, une acceptation de la vérité des urnes, de comptes publics et donc de la transparence dans la diffusion de l’information et du savoir. Mais le premier pas va passer d’une part, par la maîtrise de sa souveraineté territoriale, et d’autre part, par la contrôle populaire de sa souveraineté économique, monétaire, bancaire et financière. L’annonce par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) de lancer une monnaie commune en 2027 sans la France et sans le Franc CFA permet de croire que la lutte pour la souveraineté n’est pas totalement perdue en Afrique de l’Ouest[7].
SA. Ce n’est un secret pour personne la méthode ou les méthodes/pratiques hégémoniques voire agressives d’affaires des puissances des BRICS à l’instar de la Chine et de l’Inde sur le continent africain. Comment les pays africains peuvent-ils tirer leur épingle du jeu d’un rapprochement plus poussé vers les BRICS ? Comment y entrevoir réellement des partenariats gagnant-gagnant que l’Afrique n’a jamais pu obtenir par exemple de ses relations commerciales avec l’UE ?
YEA. Oui, vous avez peut-être raison lorsque vous parlez du secteur privé. Mais, il faudra citer des exemples et rappeler que la situation n’est pas meilleure avec le secteur privé occidental en Afrique. Pour tirer son épingle du jeu, je vous l’ai dit : il faut une transparence, un représentativité effective des Africains dans les postes de décision et des patriotes africains. Sinon, vous aurez des quiproquos, voire une hypocrisie qui se traduit par une situation de tromperie du peuple de la part de certains dirigeants africains, qu’ils soient militaires ou civils. Concrètement, toutes les approches qui privilégient une sorte de « discrimination positive » dans l’approche gagnant-gagnant sont à considérer comme un effet de levier pour améliorer les relations commerciales au sein des BRICS, mais aussi avec le G7 et l’OTAN, dès lors que les rapports de force évoluent aussi en faveur de l’Afrique.
Mais il faudra peut-être sur ce continent, une organisation en réseau qui devra exclure ceux des dirigeants africains qui continuent à fonctionner comme des sous-préfets pour les intérêts des dirigeant du G7 et de l’OTAN, mais aussi pour les intérêts des dirigeants des BRICS qui ne jouent pas la carte de la confiance, notamment en soutenant leurs secteurs privés opérant en Afrique qui exploitent les Africains et ne respectent pas les droits humains et des Peuples.
SA. Les BRICS se voient-ils ou se comportent-ils encore comme une partie du Sud ou plutôt comme les « grands frères émergents » méprisant les « petits » encore sous-développés non considérés comme membres d’un même regroupement géo-stratégico-économique ou politique qu’eux ?
YEA. Je pense que vous posez le problème en termes de moralité (grand-frère versus petit-frère). Il faut voir les faits en face, car il s’agit de la real politik. Les membres fondateurs du BRIC furent tous des pays émergents. Il est donc logique qu’en y associant l’Afrique du sud et maintenant 6 autres pays, la cohérence autour de l’émergence économique et la souveraineté politique qui les réunit se perpétue.
Mais le Président sud-africain, Cyril Ramaphosa a expliqué qu’il s’agissait d’abord de la première vague de pays venant élargir les BRICS. Il faut savoir que les conditions exactes d’élargissement du BRICS n’ont jamais été promulguées. Dans mon article[8], j’ai essayé de mettre en exergue quelques indicateurs clés, notamment la valeur ajoutée manufacturière et tout ce qui permet d’augmenter les contenus technologiques, les infrastructures en Afrique pour un commerce intra-BRICS gagnant-gagnant. Sur cette base, il faut comprendre que c’est bien l’approche que je conseille à savoir la discrimination positive en faveur des pays africains pendant une période limitée dans le temps qui permettra de corriger le tir. Encore faut-il en avoir la volonté et de le démontrer dans les faits avec des réalisations sans corruption et avec le respect de la dignité humaine et des Peuples africains.
SA. Avant de pouvoir prétendre s’engager dans des partenariats équitables avec les BRICS, comment les Etats africains peuvent-ils « trouver des solutions opérationnelles » à l’absence de la souveraineté effective de leurs Peuples ?
YEA. Bien sûr que oui, il existe des solutions opérationnelles, notamment doubler la capacité énergétique de production et de distribution de l’énergie par exemple en moins de 3 ans avec un mix-énergétique et l’apport des technologies au sein des BRICS. Le véritable problème est d’abord au sein des élites et même du Peuple africain. Il faut retrouver les valeurs africaines (vérité, justice, solidarité, et vivre en paix avec son voisin) fondées sur la Maât, avec le point d’orgue que constitue la transparence et la non-agression. Les solutions opérationnelles passent aussi par la mise en place d’un conseil de haut niveau d’experts dans tous les secteurs dans chaque pays africain.
Ce groupe devrait pouvoir se décliner au niveau sous-régional et continental, voire global afin de conseiller stratégiquement les dirigeants africains qui travaillent au service de leur peuple respectif. Enfin, la souveraineté effective des citoyennes et des citoyens africains, plus largement du Peuple africain, suppose que chacun accepte la transparence et refuse la corruption petite, grande ou très grande, y compris celle des militaires qui assurent avoir fait des coups d’Etat pour servir le Peuple africain. En cela, la confiance pourra graduellement être restaurée entre les Africains du dedans et les Africains du dehors considérés comme des Afrodescendants ou la Diaspora.
SA. Comment éviter que l’Afrique ne soit une fois de plus une variable d’ajustement ou un faire-valoir des nouvelles puissances des BRICS dans leur guerre économico politique contre les puissances occidentales ? Et votre mot de fin, Dr. Amaïzo ?
YEA. Dans variable d’ajustement, il y a le mot variable. Donc cela va dépendre de chacun. Il y a des ajustements positifs qui passent par la transformation des matières premières africaines sur le sol africain, entrainant de la création d’emplois décents et stables. Pour cela, il faut des partenariats gagnant-gagnant avec des partenaires qui n’ont pas la même vision des « ajustements structurels » du G7 et de l’OTAN que les institutions de Bretton-Woods sont venus imposés en Afrique.
Aussi, il n’y a plus de place pour de l’improvisation, encore moins pour des faux-révolutionnaires qui continuent officiellement ou officieusement à travailler pour des intérêts contraires à ceux du Peuple africain. Aussi, la transparence devrait permettre de récréer le lien social qui devra déboucher, avec ou sans transition, à un projet de société commun au Peuple africain.
La notion d’ajustement, de variables et/ou un faire-valoir dans une guerre politico-économique mondiale a profité pendant longtemps, en fait depuis l’esclavage, aux pays formant le G7 et l’OTAN. Mais il ne s’agit pas nécessairement d’une guerre économique des BRICS encore moins de l’Afrique contre les puissances occidentales, mais il s’agit pour les Peuples africains, de retrouver la souveraineté volée et violée tant par les dirigeants du G7 et de l’OTAN que par certains dirigeants africains offrant une peau noire et des masques blancs[9]. YEA.
Dr. Yves Ekoué AMAÏZO
Président, Directeur général
Afrocentricity Think Tank, groupe de réflexion, de conseils stratégiques et d’actions.
16 septembre 2022.
©Afrocentricity Think Tank
www.afrocentricity.info
- G7 : Il s’agit des pays suivants : États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Canada, France, Japon, tous membres directs ou indirect de l’OTAN. ↑
- APRNEWS (2023). « Washington annonce la fin de l’ordre mondial de l’après-Guerre froide ». In Agence de Presse Régionale. Apr-news.fr. Jeudi, 14 septembre 2023. Accédé le 15 septembre 2023. Voir https://apr-news.fr/fr/actualites/aprnews-washington-annonce-la-fin-de-lordre-mondial-de-lapres-guerre-froide#:~:text=APRNEWS%20-%20Le%20partenariat%20sino-russe%20est%20associ%C3%A9%20%C3%A0,Blinken%20lors%20d%27une%20conf%C3%A9rence%20%C3%A0%20l%27universit%C3%A9%20Johns%20Hopkins. ↑
- Maiga, C. (2023). « Mali – Niger – Burkina-Faso – CEDEAO : Choguel Maiga déballe tout et fait fait « du TIC AU TAC » frappe fort en répondant aux dirigeants qui décident de parler du Mali ». In www.youtube.com. Accédé le 15 septembre 2023. Voir https://www.youtube.com/watch?v=-TLbS67QKHA ↑
- Il est mentionné dans le document que « Toute atteinte à la souveraineté et à l’intégrité du territoire d’une ou plusieurs parties contractantes sera considérée comme une agression contre les autres parties et engagera un devoir d’assistance et de secours de toutes les parties, de manière individuelle ou collective, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité au sein de l’espace ouvert par l’Alliance ». voir Note 5 ci-après. ↑
- Alwihda (2023). « L’Alliance des États du Sahel (AES) : une signature historique pour la sécurité et la défense du Sahel ». In www.alwihdainfo.com. 16 septembre 2023. Accédé le 16 septembre 2023.Voir https://www.alwihdainfo.com/L-Alliance-des-Etats-du-Sahel-AES-une-signature-historique-pour-la-securite-et-la-defense-du-Sahel_a126386.html ↑
- Amaïzo, Y. E. (sous la coord.) (2002). L’Afrique est-elle incapable de s’unir ? Lever l’intangibilité des frontières et opter pour un passeport commun. Editions l’Harmattan : Paris. ↑
- Le nouveau Reporter (2023). « La CEDEAO réitère son engagement à lancer une monnaie commune d’ici 2027 ». In www.lenouveaureporter.com. 16 septembre 2023. Accédé le 16 septembre 2023. Voir https://www.lenouveaureporter.com/la-cedeao-reitere-son-engagement-a-lancer-une-monnaie-commune-dici-2027/ ↑
- Amaïzo, Y. E. (2023). « Les BRICS+ avancent sans le G7 et l’OTAN, une opportunité pour l’Afrique ». In Afrocentricity Think Tank. 7 septembre 2023. Accédé le 14 septembre 2023. Voir https://afrocentricity.info/2023/09/07/entre-marge-decisionnelle-autodetermination-et-souverainete-les-brics-avancent-sans-le-g7-et-lotan-une-opportunite-pour-lafrique/7654/ ↑
- Fanon, F. (1962). Peau noire, Masques blancs. Edition Le Point : Paris. ↑