AFRICONNECT ET AFROCENTRICITY THINK TANK
Journaliste : Mme Samantha RAMSAMY (SR)
Invités :
- M. François NDENGWE, Economiste, Chairman of Africa Advisory Board, une structure de Consulting base à Washington D.C., Etats-Unis.
- Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, ancien fonctionnaire d’une agence spécialisée des Nations Unies, économiste et Directeur de Afrocentricity Think Tank, un groupe de réflexion et d’action, www.afrocentricity.info basé à Vienne en Autriche.
Emission : AfricaConnect et RT en français
Date : 14 juin 2023, mise en ligne le 21 juin 2023.
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Participation au débat : Contribution écrite du Dr. Yves Ekoué AMAÏZO (YEA)
1. SR. Pourriez-vous nous rappeler pourquoi les pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ne veulent plus dépendre du dollar américain ou s’en autonomiser ?
YEA. Merci pour l’invitation et bonjour à mon co-débatteur et aux téléspectateurs. Il faut préciser pourquoi certains pays ne veulent plus dépendre du dollar américain. Les pays membres du BRICS et bien d’autres non-membres, veulent s’affranchir des Etats-Unis et de ses alliés pour non-respect des règles monétaires internationales, et ainsi retrouver une stabilité monétaire pour assurer leur développement commun tout en retrouvant une véritable souveraineté monétaire, financière, économique et bancaire basée sur la confiance.
Il convient de tout mettre perspective en rappelant qu’en 1971, les Etats-Unis, sous Richard Nixon, ont décidé unilatéralement de ne plus adosser le dollar américain à l’or, alors que c’était la règle internationale qui fondait la stabilité des monnaies. Cela veut dire que les Etats-Unis peuvent décider unilatéralement de ne pas payer leur dette, et surtout augmenter indéfiniment le plafond de la dette et enfin, de saisir les dépôts et avoirs des pays et des particuliers domiciliés sur le territoire des Etats-Unis sans aucune possibilité de recours. Autrement dit, la monnaie des BRICS, avec ou sans un panier de monnaies, est une volonté d’adosser les monnaies nationales de leur pays, à l’or ou à une matière première fiable et acceptée par tous. Le lien avec une monnaie-marchandise comme l’or devrait contribuer à la stabilité monétaire.
La raison est que l’utilisation de la monnaie par les pays occidentaux envers les pays non-membres de l’Alliance OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) élargie au Japon s’apparente plus à une forme d’usurpation graduelle par la monnaie des richesses créées par les pays à capacité d’influence faible ou moyenne. Or, les BRICS collectivement ont acquis une capacité d’influence forte. De fait, ils souhaitent plus d’équité et de justice dans les procédures monétaires, financières, bancaires et commerciales. Face à un refus de la part des Etats-Unis et de l’Union européenne que ce soit au niveau du G7 et du G20 et même au Conseil de Sécurité des Nations Unies, 4 pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) ont décidé, dès 2001, de s’organiser pour limiter ce manque à gagner, voire ne plus le subir. Le premier sommet a eu lieu le 16 juin 2009 à Yekaterinbourg en Russie et ne regroupait que les 4 pays du BRIC. N’ayant pas la même capacité d’influence que les 4 autres fondateurs du BRIC, l’Afrique du sud a été cooptée en 2011 avec l’acronyme BRICS.
Lors du sommet de Fortaleza, au Brésil, en juillet 2014, les BRICS ont décidé la création d’une banque de développement basée à Shanghai et d’un fonds de réserve.
La création d’une nouvelle monnaie dans le cadre des BRICS (Brésil, Inde, Chine, Russie et Afrique du Sud), mais aussi avec plus de 14 pays qui souhaitent désormais rejoindre ce groupe sera discutée lors du prochain sommet des BRICS, prévu à la fin août 2023 en Afrique du Sud[1]. Avec en filigrane, leurs propres mécanismes pour assurer un commerce équitable gagnant-gagnant, un développement durable, et tenter ainsi de ne plus subir les décisions unilatérales de non-respect des règles internationales financières principalement des pays membres du G7. Il s’agit donc en premier lieu d’une monnaie de réserve.
Mais cela se fera en quatre étapes, dont trois dans un espace ou réseau fermé et le dernier ouvert à tous :
- d’abord augmenter la part des échanges qui se feront par la compensation et les règlements en monnaies nationales, si possible non adossées au dollar américain, à l’Euro, à la Livre Sterling et au Yen, afin d’accroitre le niveau de dédollarisation qui ainsi n’affecterait plus leur souveraineté individuelle et collective ;
- ensuite, s’assurer de ne plus passer par les circuits de paiements tels que SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunications,) mais construire une architecture financière commune, sécurisée notamment par l’utilisation de la technologie de la blockchain qui exclura toutes ingérences ou déstabilisation par les pays du G7. La part des règlements dans les monnaies nationales des « cinq » pays BRICS est passée de 2-3 % en 2013/2014 à 38 % en 2022, et devrait rapidement atteindre 50 % en 2025. Notamment dans les secteurs comme l’énergie dont une part importante pour le solaire et le nucléaire civil, la finance, le commerce des matières premières, notamment les produits miniers et les produits agricoles, le commerce des biens de consommation, le commerce des technologies avancées notamment satellitaires et de sécurisation des territoires et des mines, etc. ;
- puis, l’harmonisation des taux de change entre les monnaies nationales des pays du BRICS Plus (BRIC élargi) aura lieu principalement en référence à un panier de monnaies dans lequel la monnaie chinoise Yuan/Renminbi risque d’avoir un poids prépondérant mais pondéré ;
- et enfin, le lancement officiel de la nouvelle monnaie de paiement, de compte, et de réserve au plan international entre les BRICS d’abord, avec le reste du monde ensuite.
Il ne s’agit donc pas de mettre fin au dollar américain, mais d’avoir une alternative au dollar américain. Chaque pays pourra alors déterminer dans quelle monnaie et quel système de paiement sécurisé, il souhaite échanger dans le monde. La mise en place complète pourrait nécessiter quelques années. Mais, en réalité, une partie de ce système fonctionne déjà sous la forme de « beta version » avec certains pays africains comme la Centrafrique, le Mali…
2. SR. A quoi va ressembler cette nouvelle monnaie ?
YEA. Il faut rappeler que le dollar américain est le principal outil de la domination américaine sur le monde.
Les BRICS remettent en cause l’hégémonie des pays européens et nord-américains dans la finance internationale[2].
Mais rappelons ce qu’est la monnaie pour bien comprendre ce que pourrait être la future monnaie des BRICS.
La monnaie a au moins trois fonctions d’équivalent général dans les échanges : une unité de compte, une unité de paiement dans les échanges, et une unité de réserve de valeur, ce qui permet d’épargner et d’investir. Mais encore faut-il que trois autres conditions soient remplies :
a/ la monnaie doit avoir un pouvoir libératoire reconnu et accepté par les populations : par exemple, le franc CFA n’est accepté dans aucun pays dans le monde sauf en France et en zone franc en Afrique selon des conditions précises ;
b/ La monnaie doit demeurer stable et ne doit pas perdre de sa valeur dans le temps, ni de manière intempestive ;
c/ la monnaie doit servir les intérêts des pays qui l’émettent, donc permettre d’exercer une souveraineté totale, donc ni partielle, ni partiale.
C’est là tout l’enjeu de la création d’une nouvelle monnaie, c’est pour échapper à la domination unilatérale de ceux qui peuvent déstabiliser la monnaie d’autrui ou empêcher la monnaie d’autrui de fonctionner normalement selon les règles internationales.
Par ailleurs, il faut savoir que plus de 80 % des échanges monétaires dans le monde ne se font pas avec les pièces ou billets mais par une écriture comptable entre banques. C’est ce principe qui continuera à fonctionner avec vraisemblablement, la disparition de la monnaie sous forme de pièces et billets, notamment avec l’introduction des transactions digitales avec la monnaie numérique ou digitale. La nouvelle forme de la monnaie des BRICS sera principalement digitale d’abord entre banques, puis entre les banques et les autres opérateurs.
3. SR. « Pourquoi ne pouvons-nous pas commercer dans notre propre monnaie » ? C’est ce qu’avait déclaré le Président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva lors d’une visite officielle en Chine en avril 2023 en fustigeant la prépondérance du dollar dans l’économie mondiale. Rappelons une partie de ces propos ainsi que ceux d’autres dirigeants du BRICS :
Luiz Inacio Lula da Silva, Président du Brésil : « Chaque soir, je me demande pourquoi tous les pays sont obligés de commercer en dollars. Pourquoi ne pouvons-nous pas commercer dans notre propre monnaie ? Et pourquoi n’avons-nous pas la volonté d’innover ? » … « Nous avons besoin d’une monnaie qui mette les pays dans une situation un peu plus sereine. Car aujourd’hui, un pays doit courir après les dollars américains pour exporter, alors qu’il pourrait exporter dans sa propre monnaie, et les banques centrales pourraient certainement s’en charger ».
Que ce soit Lula Da Silva, Vladimir Poutine, les dirigeants indiens et sud-africains…, tous sont d’accord pour s’affranchir du dollar américain, ce qui fonde la base d’une véritable « volonté politique ». A votre avis, cette monnaie des BRICS verra-t-elle le jour concrètement ? Alors, comment cette nouvelle monnaie des BRICS prendra-t-elle forme ?
YEA. Précisons que le Président brésilien Lula da Silva a insisté d’abord sur des échanges dans les monnaies nationales pour favoriser les échanges entre les pays du sud. Le principe d’une monnaie commune à l’Amérique Latine et aux Caraïbes n’est pas nouveau. Au contraire, un nom de cette future monnaie bilatérale entre le Brésil et l’Argentine, tous deux des présidents classés politiquement à gauche, devrait fondre le real brésilien et le peso argentin, en une monnaie commune intitulée « SUR » en espagnol, c’est-à-dire le sud[3]. Mais à ce jour, il n’y a pas eu de véritable début de « commencement » de la monnaie SUR et les expériences passées n’ont pas été concluantes.
L’Argentine et le Brésil, seuls, représenteraient environ 5 % de la richesse mondiale (Produit intérieur Brut (PIB) mondial) de la planète en comparaison de la zone euro, estimée produire 15 % de la richesse mondiale (PIB mondial).
C’est un processus lent, long, semé d’embûches et soumis aux aléas des changements de régimes politiques.
Pour que cela fonctionne, il me semble que les deux premières étapes suivantes sont indispensables :
a/ il s’agira de se mettre d’accord sur le fait qu’une nouvelle monnaie soit adossée à l’or, un véritable équivalent général qui a pouvoir libératoire et est accepté dans toutes les compensations bancaires et le paiement des soldes de balance de paiement entre les Etats. Il ne s’agira pas en premier lieu d’une monnaie qui prendra la forme d’un billet ou d’une pièce ;
b/ il faudra distinguer entre la relation bilatérale entre le Brésil et l’Argentine, puis entre le Brésil et les pays d’Amérique du Sud et des Caraïbes, puis entre le Brésil et les BRICS, étant entendu qu’il n’est pas question de fondre la monnaie brésilienne avec la monnaie chinoise (Yuan) ou vice-versa.
Autrement dit, il s’agira d’une monnaie de compte qui sera adossée à un panier de devises, puis à l’or. Si la volonté politique se confirme entre l’Argentine et le Brésil, oui, cette monnaie de compte pourra voir le jour assez rapidement. Quand à la monnaie des BRICS, oui, la monnaie de compte fonctionne déjà sur la base d’un panier de devises qui limite l’impact du dollar américain et de l’Euro de l’Union européenne.
Il ne s’agit pas de « prendre la place » du dollar américain dans les transactions mondiales[4], mais de limiter ses effets de nuisance dans les économies des pays dits du « Sud Global », en commençant par les pays du BRICS Plus y compris les nouveaux 13 à 15 membres à venir.
4. SR. Pourquoi les BRICS ont-ils pris autant d’importance en quelques décennies, au point de vouloir une monnaie commune aujourd’hui ?
YEA. En fait, le nombre de pays membres du BRICS risque de passer rapidement de 5 à 18-20 pays et ils vont constituer un poids incontournable dans l’économie mondiale dès 2024. Mais, c’est la Chine qui sert de « locomotive » en termes de dynamique de création de richesses, même si la part des autres pays n’est pas à négliger. En effet, la Chine est devenue dès les années 2010, le premier exportateur mondial de biens, souvent manufacturés. Tous les autres pays sont aussi d’importants exportateurs avec des spécialisations. Si la Chine semble être spécialisée dans les produits manufacturés, la Russie l’est dans les hydrocarbures (bruts ou transformés), les céréales et les engrais, le Brésil dans de nombreuses matières premières et de nombreux produits agricoles, l’Inde dans les services, notamment informatiques, mais aussi les activités aérospatiales, et l’Afrique du sud, principalement dans les minerais. Tous ces pays disposent d’un large marché qui a attiré de nombreux investisseurs, lesquels se sont bousculés compte tenu d’un environnement des affaires favorable et d’une main d’œuvre bon marché au départ. Ceci est valable pour la Chine, l’Inde et le Brésil qui ont réussi à attirer d’importants investissements directs étrangers (IDE) et à permettre un transfert et une diffusion de la technologie à une vitesse accélérée. Mais, il ne faut pas sous-estimer la capacité d’apprentissage dans ces pays, qui ont construit sur la base des apports initiaux qu’ils ont améliorés et dynamisés en un temps record. De plus, avec un large marché et l’augmentation des salaires et du pouvoir d’achat en faveur des populations pauvres, la consommation intérieure s’est accélérée au point de créer également un marché national captif et attractif avec une population de mieux en mieux éduquée, jeune, disciplinée et dynamique qui assure les débouchés d’abord au niveau national.
C’est ainsi que la plupart des ces pays sont passés de l’exportation de biens à valeur technologique faible à des exportations de biens à valeur technologique élevée avec les services digitalisés les accompagnant.
Il est donc tout a fait compréhensible qu’il n’est plus question pour eux de voir leur monnaie perdre de sa stabilité et de sa valeur du fait de décisions de la Federal Reserve Bank (banque centrale américaine) sur lesquelles ils n’ont aucune prise, ou d’investisseurs étrangers jouant contre les intérêts nationaux de ces pays. La monnaie est donc devenue un enjeu de souveraineté nationale. Le club des pays non-alignés et disposant d’une volonté politique, s’organise pour ne plus se retrouver avec des dollars américains comme créances dont la valeur est systématiquement dévaluée, du fait de l’augmentation automatique du plafond de la dette américaine et le refus des Etats-Unis de payer ses dettes en or.
5. SR. La nouvelle banque des BRICS ? De quoi s’agit-il exactement ?
YEA. La nouvelle Banque de Développement (NBD) ou banque des BRICS[5] est dirigée par l’ex-présidente du Brésil, Mme Dilma Rousseff depuis le 13 avril 2023[6]. Créée en juillet 2014 et dotée d’un capital de 100 milliards de dollars et d’une réserve de 350 milliards de dollars, la banque des BRICS a son siège à Shanghai en Chine.
Les pays suivants sont les principaux actionnaires : Afrique du Sud, Bangladesh, Brésil, Chine, Egypte, Inde, Russie, Emirats Arabes Unis, Uruguay. Apparemment, aucun pays africain sauf l’Afrique du sud n’a eu la présence d’esprit d’anticiper pour être actionnaire, à moins qu’ils n’aient été empêchés.
La NBD a pour objectif premier de financer des projets d’infrastructure, de santé, d’éducation dans les pays membres du BRICS et alliés des BRICS.
Il n’y a pas en principe d’exigences de conditionnalités pour accéder à un prêt, telles celles qu’exigent les institutions issues des accords de Bretton-Woods et pratiquant le « Consensus de Washington » comme le Groupe de la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Il s’agit souvent d’exigences dogmatiques portant l’obligation d’épouser une économie néolibérale, d’assurer que les privatisations se font au profit des sociétés occidentales, le tout sous le couvert de réformes et de programmes d’ajustements structurels. Néanmoins, la Banque des BRICS, dont le fonctionnement n’est pas encore transparent, exigerait, comme toutes les structures travaillant avec les Etats, des garanties souveraines des Etats emprunteurs, ce qui peut conduire à une situation d’endettement et de perte de souveraineté des Etats qui n’honorent pas leur engagement. Néanmoins, il faut noter que dans sa stratégie générale de 2022-2026, il est question de diversification des ressources avec des investisseurs privés, et si possible qu’au moins 30 % des projets soient réalisés sans la garantie souveraine des Etats et 40 % de son volume total d’approbations iront vers des projets contribuant à l’atténuation du changement climatique et à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Une attention particulière sera accordée à renforcer les capacités institutionnelles des pays membres et emprunteurs en termes de passation des marchés[7]. Des partenariats avec des organisations de la société civile sont en cours. A suivre !
L’on risque d’assister graduellement à une montée en phase de l’influence des pays membres de la Banque des BRICS Plus[8]. Il convient de noter par ailleurs que « la société civile apparaît dans la stratégie 2022-2026 de la NBD en des termes nouveaux à savoir que les organisations de la société civile qui viendraient à se plaindre des conséquences négatives de projets de la Banque pourront trouver un écho favorable car la « la Banque mettra en place des mécanismes bien conçus qui viendront compléter les propres mécanismes de redressement des griefs des clients[9] ». Il faudra voir si dans la pratique, cela pourra se réaliser.
6. SR. A la fin mai 2023, le Président kenyan, William Ruto a exhorté les pays africains à adopter les monnaies locales comme mode de paiement afin de stimuler le commerce intra-africain. Votre réaction à l’affirmation et plus globalement aux initiatives de ce Président ?
YEA. Le Président kenyan, William Ruto a raison de rappeler que l’on ne peut continuer à commercer à l’intérieur de l’Afrique en utilisant une monnaie étrangère qu’est le dollar américain[10]. Mais il devrait se poser la question de savoir pourquoi la plupart des monnaies africaines sont adossées au Dollar américain, ou pour le FCFA à l’Euro, autrement dit des devises étrangères ? Pourquoi, les Présidents africains ne veulent pas écouter les experts africains qui ont produit quatre rapports détaillés au niveau des économistes de l’Union africaine[11] sur la création d’une monnaie commune africaine, d’une banque centrale africaine, d’un fonds monétaire africain et d’une banque d’investissement africaine.
L’utilisation de la monnaie étrangère qu’est le dollar américain n’est pas le seul critère qui freine les échanges intra-africains. Le fait que les monnaies africaines ne sont pas des monnaies communes ou uniques au niveau sous régional ou continental pose le problème de la dépréciation systématique des monnaies africaines, ce en référence au dollar ou dans le cas du FCFA, des dévaluations unilatérales de la France. Le président William Ruto devrait se poser la question de savoir pourquoi les chefs d’Etat africains ont choisi d’installer d’abord la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) sans pour autant auparavant avoir créé leur monnaie commune africaine qui les aurait engagés sur le chemin de la souveraineté. Par ailleurs, la solution proposée par la Banque africaine d’import-export (Afreximbank) qui permet aux pays africains de commercer entre eux avec leurs propres monnaies, ce en toute transparence, est comparable en termes de remède à l’administration d’un jus de fruit pour guérir un cancer.
Par ailleurs, le coût des commissions de Afreximbank est à revoir et cette banque ne s’occupe essentiellement que de financer le « commerce », et pas l’industrie. Si cette solution peut être une mesure d’urgence, il ne s’agit ni d’une mesure pérenne, encore moins d’une solution au problème africain de souveraineté. La réalité du pouvoir du conseil d’administration de Afreximbank ne semble pas pencher du côté africain, et c’est un euphémisme. Alors, la question que M. Ruto s’est posée aurait dû trouver un commencement de réponse dans son projet politique pour le Kenya avant son élection contestée. Mais cela n’a pas été fait car c’est tout le système de paiement, la mise en place d’une banque centrale africaine et d’un fonds monétaire africain qui n’ont pas été réglés. Les dirigeants étatiques africains ne peuvent continuer à avancer à l’aveuglette sur les questions monétaires et ne pas utiliser les expertises africaines disponibles en Afrique comme dans la Diaspora.
7. SR. Ma prochaine question porte sur l’indépendance monétaire et la problématique de la dette. L’un des défis pour une grande majorité des pays africains, c’est l’intégration et la souveraineté monétaire. La zone franc avec notamment la CEMAC pour l’Afrique centrale et UEMOA pour l’Afrique de l’Ouest en sont très loin. La monnaie des BRICS en tant qu’alternative à l’euro et au dollar pourra -t-elle aider les pays africains à atteindre ces objectifs ?
YEA. Le mot « alternatif » pour les pays africains francophones est un mot quasiment « tabou ». La zone Franc que ce soit l’UEMOA ou la CEMAC sont constituées de pays qui ont des accords secrets financiers, économiques et monétaires avec la France, et indirectement avec l’Union européenne. Ces pays ne sont donc pas souverains monétairement et n’ont pas une volonté réelle de quitter le Franc CFA. Il est vrai que les notions d’intégration et de souveraineté monétaires sont régulièrement en tête des affiches. Mais dans la pratique, il s’agit de tout organiser pour empêcher toute initiative alternative à celle que souhaiterait la France et surtout de ne pas mettre en cause la convertibilité du FCFA en Euro que contrôle la France. Aussi, la réponse à votre question est négative. Les pays n’ont pas de volonté collective. Il est vrai que le Mali en Afrique de l’Ouest, la Centrafrique en Afrique centrale tentent des expériences par l’utilisation de moyens de paiements qui échappent au contrôle de la France et des banques centrales régionales de la zone franc. Par ailleurs, il faut se poser la question de savoir qui a pu interdire à ces pays ou les dissuader de se porter actionnaire de la Nouvelle Banque de Développement, la banque des BRICS ?
8. SR. Je vous propose d’écouter Dr. Naledi Pandor, la ministre sud-africaine des Affaires étrangères, elle s’est exprimée lors de la réunion des ministres des BRICS au début du mois de juin 2023. Elle a plaidé en faveur d’une équité des systèmes financiers mondiaux.
YEA. Il faut d’abord rappeler que dès le mois de mars 2023, Mme Dr. Naledi Pandor, la ministre des Affaires étrangères de l’Afrique du sud, au nom de son gouvernement, a octroyé l’immunité diplomatique à la conférence des BRICS… Aussi, le dossier de l’arrestation éventuelle par l’Afrique du sud de Vladimir Putin, le Président russe a été balayé. En substance, c’est justement le manque d’équité dans le système financier et monétaire mondial qui pose problème. Aussi, elle rappelle qu’il faut retrouver les voies et moyens pour avancer vers plus d’équité dans le système monétaire et financier mondial existant[12]. A défaut, l’alternative avec le groupe des BRICS suit son cours.
9. SR. Nouveaux systèmes financiers, nouvelle monnaie : que signifie cette future monnaie venue tout droits des pays dits émergents ?
YEA. Il faut savoir que plus de 83 % du budget de l’Union africaine provient de l’Union européenne et non des chefs d’Etat africains. Cela fait plus de 10 ans que les Chefs d’ Etat africains refusent d’adopter et de mettre en œuvre un projet de la taxe communautaire automatique sur l’importation des produits de luxe et sur une taxe à l’exportation sur les matières premières non transformées en Afrique. Cet impôt de souveraineté aurait permis d’avoir des ressources pérennes et d’assurer ainsi au moins partiellement leur souveraineté collective. Alors, que peuvent exiger des entités comme l’Union africaine ou les Commissions économiques régionales, sans démocratie, et qui ne sont pas prises au sérieux au niveau continental ? Comment est-ce que les chefs d’Etat africains peuvent avoir un poids et jouer un rôle à l’ONU en tant qu’Africains ? Ils ne sont souvent que des « voix » alignées sur telle ou telle puissance mondiale siégeant au conseil de sécurité.
Par ailleurs, où sont les forces et la défense militaires africaines ? Où est la monnaie commune africaine ? Quel est le niveau de capacité d’influence des pays africains pris individuellement, et pris collectivement ? Presque égal à zéro !!!
Pourquoi de nombreux dirigeants africains décident-ils de donner la priorité à des intérêts étrangers et mystifient leur population sur leur intention réelle, à savoir s’éterniser au pouvoir dans tous les cas de figure ? Malgré cela, le Peuple africain sort progressivement de sa léthargie et sa naïveté. En prenant appui sur les réseaux sociaux, et des personnalités indépendantes ici et là, les activistes panafricains et la Diaspora africaine conscientisent énormément la grande partie des populations rurales. Le Peuple africain commence à comprendre que certains dirigeants au pouvoir comme dans l’opposition ne défendent pas l’intérêt collectif du Peuple, mais uniquement leur intérêt individuel pour un statu quo… C’est la définition d’une démocratie non pas étouffée, mais d’une démocratie « conviviale » dans un réseau clientéliste, souvent ésotérique, composé de personnes physiques et morales, de militaires et des civils, qui se doivent assistance mutuelle et doivent nécessairement exclure celles et ceux qui ne sont pas cooptés par le groupe.
10. SR. Nous allons aborder les limites d’une monnaie des BRICS. Visiblement, la monnaie des BRICS ne semble pas plaire à certains économistes occidentaux, notamment M. Charles Wyplosz. Dans une de ses chroniques, publiée par Le journal Le Temps[13] et reprise par la Tribune du 10 juin 2023 et intitulée « Les BRICS contre le dollar : ce n’est pas pour demain » il nuance fortement le poids des BRICS dans l’économie mondiale et rappelle ceci : « le poids des BRICS dans le PIB mondial est de 26 %, contre 62 % pour les pays développés. On cite parfois le PIB corrigé des pouvoirs d’achat, pour lequel les parts sont de 32 % et 46 % respectivement, mais ces chiffres prennent en compte ce que les habitants peuvent consommer et produire, mesuré en prix locaux, pas les moyens de paiement dont ils disposent sur la scène internationale. Que pensez-vous cette analyse ?
YEA. Il faut d’abord clarifier le sujet. Ce professeur d’économie, avec tout le respect que je lui dois, part d’un postulat qui est faux. Les membres des BRICS n’ont pas pour objectif premier de faire tomber le dollar américain et personne ne joue à prédire l’avenir comme il semble s’y adonner dans sa chronique.
Il faut savoir qu’il y a deux types d’économistes. D’une part, ceux qui s’efforcent de présenter les faits de manière objective, et d’autre part, ceux qui ont un parti pris. M. Charles Wyplosz est à classer dans la seconde catégorie.
Le Dr. Charles Wyplosz est un grand économiste français, titulaire de diplômes d’ingénieur et de statisticien de Paris et d’un doctorat en économie de l’université de Harvard. Mais, il a été décoré de la Légion d’honneur par le président français pour service rendu à la France. Il ne peut donc défendre, ni même comprendre l’urgence du besoin de souveraineté des pays du groupe des BRICS élargi et surtout la raison qui les pousse à s’affranchir du dollar américain. Les chiffres qu’il avance vont lui être rappelés d’ici un (1) an car le nombre de pays qui souhaitent rejoindre les BRICS est en train de s’accélérer. Outre les 15 sur les rangs pour 2023, il n’est pas impossible que d’autres pays empêchés par les puissances occidentales rejoignent ce qu’on appelle L’Alliance des BRICS… Ce large ensemble de pays exprime, en commun, le désir de ne plus voir ses monnaies se dégrader du fait de l’augmentation du plafond de la dette des Etats-Unis, autrement dit, sur base de l’impossibilité pour l’Etat américain d’équilibrer ses comptes publics et l’injustice consistant à ne pas respecter les règles et le droit international dans le domaine monétaire, bancaire, et économique.
Je rappelle tout de même d’autres chiffres qui proviennent du Fonds monétaire international et datant de 2021. A la fin de 2023 si les nouveaux entrants sont validés dans le BRICS Plus, ils représenteraient alors près de 54 % de la population de la planète (soit plus de 4 milliards d’habitants, soit plus de la moitié de la population mondiale et environ 25 % du produit intérieur brut (PIB) mondial. La population mondiale devrait atteindre 8,1 milliards d’habitants en 2023. En comparaison, la population des pays membres de l’OTAN ne devrait pas dépasser les 12 % ou 14 % de la population mondiale.
En utilisant l’indicateur économique qu’est le produit intérieur brut (PIB) à parité de pouvoir d’achat (PPA), on constate qu’en termes de la part de la richesse mondiale exprimée en PIB, le PIB des pays membres de l’OTAN en 2020 était de 46 537 milliards de dollars américains, soit environ 32 % du PIB mondial en PPA. En comparaison, le PIB des BRICS en 2020 était de 59 982 milliards de dollars américains, soit environ 41 % du PIB mondial en PPA. Or, le FMI prévoit que le PIB des pays de l’OTAN sera de 54 890 milliards de dollars en 2028, soit environ 27 % du PIB mondial en PPA alors que le PIB des BRICS sans les nouveaux membres qui seront connus en fin 2023, sera déjà de 86 057 milliards de dollars en 2028, soit environ 42 % du PIB mondial en PPA. Avec le nombre des BRICS Plus autour de 20 pays, d’ici 2030, les pays de l’OTAN ne représenteraient plus que 20 % du PIB mondial contre 40 % pour les BRICS Plus.
Aussi, je donne rendez-vous à cet économiste dès la mi-2024 pour faire le point sur les statistiques que publiera le Fonds monétaire international. Il risque d’être surpris et contraint par la réalité de revoir ses positions.
11. SR. Je vais insister un peu. Ce même économiste, le Dr. Charles Wyplosz, va plus loin et affirme que les BRICS ne savent pas de quoi ils parlent et rappelle ceci : « les ambitions des BRICS ignorent ce qu’est une monnaie. C’est un moyen de paiement, que l’on stocke pour s’en servir quand on en a besoin. Où peut-on stocker des dollars? Dans les institutions financières des pays avancés, qui sont (relativement) solides et régies par des systèmes juridiques fiables et stables. Et on peut sortir et transférer ces dollars d’un simple clic sur internet. Où peut-on stocker du renminbi ? En Chine, y compris à Hong Kong. Les grandes banques chinoises sont étatiques, le système juridique est occulte, la législation est capricieuse, et les sorties de capitaux sont étroitement contrôlées. Je n’ose même pas évoquer le rouble russe ou la roupie indienne »
YEA : Je ne dirais pas qu’il affirme que les BRICS ne savent pas de quoi ils parlent. Cet économiste pose un problème réel qui est non pas le stockage de la monnaie mais plutôt la liberté qu’octroie l’Etat chinois en termes de libre circulation de la monnaie qui sert de réserve internationale, d’instruments de paiement et de compte à l’international qu’est le dollar américain. Justement, l’idée n’est pas de stocker. Au contraire, la Chine et tous les pays des BRICS cherchent plutôt à utiliser leur monnaie nationale et si possible de se débarrasser d’un dollar américain qui risque dans les années futures à n’être qu’un papier que les Etats-Unis pourront refuser d’honorer en termes de dette. Ce sera le défaut de paiement qui est systématiquement repoussé pour le moment avec le relèvement du plafond de la dette américaine.
Faut-il préciser que la nouvelle monnaie des BRICS ne pourra pas être le Yuan chinois comme mis en avant par ceux qui défendent le monde occidental et le système actuel qui usurpe la richesse d’autrui. Le Yuan ou le Renminbi est une monnaie qui subit, de manière unilatérale par l’Etat chinois, le contrôle des capitaux, le contrôle des prix. Détenir la monnaie chinoise, c’est être soumis comme la France l’a fait en 1994 avec le Franc CFA, a une dévaluation unilatérale brutale. C’est cela qui s’est passé avec la Banque centrale chinoise en 2015. Avec le contrôle des prix, il a été impossible temporairement d’utiliser librement la monnaie dans les paiements. De ce point de vue, le pouvoir de décision de la FED, la Réserve Federal Bank qui est la banque centrale américaine n’est pas très éloigné de celui de la Banque centrale chinoise.
Aussi, le Professeur Wyplosz fait un procès à charge sur des arguments erronés.
L’Arabie saoudite, un pays allié stratégique des Etats-Unis, mais mécontent de ses relations en termes de sécurité avec les Etats-Unis, a déjà fait savoir qu’elle exigera qu’une partie de son pétrole soit payée en monnaie nationale et une autre en Yuan, la monnaie chinoise[14], ce qui peut expliquer pourquoi ce pays se positionne pour rejoindre les BRICS ou avoir de nouvelles relations commerciales gagnant-gagnant avec la Chine.
Je vais reprendre ces arguments et les appliquer aux Etats-Unis et accessoirement à la France par exemple.
Le professeur pose la question de savoir « Où peut-on stocker des dollars ? ». Il n’y a pas besoin de stocker le dollar en dehors des banques centrales. Le problème est que le principe d’équité et de stabilité était que le dollar pouvait s’échanger entre banques centrales via l’or. Or, les Etats-Unis ont unilatéralement stoppé cette possibilité en 1971. Donc, la dictature monétaire est américaine. Le professeur semble l’avoir oublié.
Il pose le problème selon lequel dans « les pays avancés où les systèmes juridiques sont fiables et stables, on peut sortir et transférer ces dollars d’un simple clic sur internet ». Il faudrait qu’il pose le problème de tous les pays qui ont vu leurs avoirs saisis ou suspendus par une décision unilatérale des Etats-Unis. On peut citer les pays qui s’opposent aux Etats-Unis comme l’Irak, l’Iran, la Syrie, la Russie, etc. Mais pour la France, on peut poser le problème pour RT France qui a vu ses comptes fermés unilatéralement sans préavis, ni justification avec impossibilité de faire appel. Là encore, on peut se demander de quel côté se situe le non-respect des conventions et du droit international en matière monétaire.
Le professeur rappelle que les banques sont étatiques. Mais, c’est faire preuve de cécité que de ne pas voir le rôle de l’Etat dans toutes les grandes banques françaises, surtout en période de crise financière. Quant aux Etats-Unis, les profits sont pour les banques et le renflouement des banques faillies à charge de l’Etat, donc du contribuable.
Que le système juridique soit peu transparent et les sorties de capitaux étroitement contrôlées en Chine, en Inde ou en Russie, je le lui accorde. Mais, la contrepartie est que la finalité de la gouvernance de l’Etat, à savoir servir une grande majorité du Peuple est malgré tout respecté si l’on tient compte du nombre personnes qui sont sorties de la pauvreté, notamment en Chine. Pour l’Inde[15] et la Russie, l’oligarchie au sommet de l’Etat empêche un ruissellement inclusif.
Oui, les pays du BRICS n’ont pas le niveau de liberté des pays occidentaux. Mais, c’est peut-être, entre autres choses, parce que depuis des décennies, le dollar américain et accessoirement les monnaies des pays du G7 notamment l’Euro, disposaient d’un pouvoir exorbitant qui leur permettait d’exporter et de faire payer par autrui leur mauvaise gouvernance. D’ailleurs, c’est parce que cet état de fait est mis en cause que chacun peut assister à des crises profondes et des pertes de pouvoir d’achat en Occident. Bref, il faudrait un débat plus approfondi avec ce Professeur qui est dans une logique de parti pris et moins dans une logique d’explication sur les causes profondes notamment les injustices et la prédation du système fondée sur un taux de change flottant du dollar américain et de l’ensemble des monnaies. Cela a pour conséquence de favoriser les pays à capacité d’influence basée non plus sur l’économie et la compétition et la concurrence saines, mais sur la capacité militaire à imposer son point de vue. Cela peut mener à une guerre mondiale.
12. SR. On a appris par les réseaux sociaux et dans la presse que le Président français Emmanuel Macron souhaiterait être invité à la réunion des BRICS en Afrique du Sud ? Votre réaction ?
YEA. Si cette information est vérifiée car souvent confidentielle[16], il faut se poser la question de savoir ce que Emmanuel Macron va faire dans une réunion des pays qui subissent le diktat du G7 dont est membre la France. En effet, ce Président a souscrit à la position de l’OTAN de traduire Vladimir Putin devant la Cour pénale internationale (CPI). Sous forme de boutade, il pourrait aller attraper en personne Vladimir Putin pour le traduire devant la CPI. Mais toute la réunion du BRICS se déroulera sous le sceau de l’immunité diplomatique.
Par ailleurs, alors qu’un nouveau groupe se restructure en dehors du G7 et de l’hypocrisie du G20 et du Conseil de Sécurité où siège la France, pourquoi Emmanuel Macron n’attend pas d’y être invité ? Je ne me suis jamais rendu à un anniversaire ou une fête si je n’y suis pas invité, surtout si j’ai causé de graves dégâts à certains membres parmi les invités.
Depuis qu’Emmanuel Macron est président de la république et siège au Conseil de sécurité comme membre permanent, il s’est arrogé le rôle d’avocat des pays africains francophones au point de rédiger les propositions de résolution à la place des dirigeants africains. Aucun résultat tangible n’est advenu pour l’amélioration de la souveraineté des Peuples et des pays africains. Le Mali a officiellement demandé au Conseil de sécurité de stopper cette pratique, autant illégale qu’indélicate[17]. Aussi, pourquoi voudriez-vous que les dirigeants du BRICS qui doivent prendre une décision à l’unanimité, acceptent qu’Emmanuel Macron vienne participer à une réunion où des décisions vont être prises pour justement sortir des fourches caudines que la France impose aux 15 pays de la Zone Franc, sous tutelle monétaire de l’Euro par l’intermédiaire du trésor français.
Pourquoi ces 15 pays doivent obligatoirement obtenir l’aval de la France pour la conversion en Euro de la monnaie locale, le FCFA, en Afrique centrale, en Afrique de l’Ouest et aux Comores, selon le bon vouloir du Trésor français et de la banque centrale européenne ? Il faut d’ailleurs s’intéresser à la réponse que formuleront les dirigeants du BRICS. Selon le cas car on pourrait alors, soit voir poindre un début de trahison de certains, soit l’expression d’une volonté collective réelle de soutenir la construction d’une monnaie commune digitalisée au sein des BRICS, un réseau qui ne peut démarrer avec des membres du club des G7, du Conseil de Sécurité, et de l’OTAN. La raison n’est pas une exclusion, mais la création des BRICS s’explique justement par le mépris du G7, de l’OTAN et du Conseil de Sécurité de l’ONU envers les pays du BRICS Plus et plus particulièrement des pays non alignés. Aussi, il faut espérer que l’éventuelle présence d’Emmanuel Macron ne dissimule pas une tentative d’aller semer la zizanie, vraisemblablement en mode observateur par procuration pour le compte d’autrui. Car la caractéristique des membres du G7, les tenants du mondialisme, est systématiquement de ne pas respecter le droit international en matière monétaire, de changer les règles unilatéralement et de se présenter comme les grands justiciers du monde. Alors qu’en fait, la plupart des déstabilisations monétaires dans le monde sont d’origine occidentale, plus particulièrement dans un pays du G7, pour ne pas dire les Etats-Unis en premier.
Pour finir, il faut croire qu’en filigrane, le Président français Emmanuel Macron, le président de la « start-up nation », s’est converti à l’industrialisation et la production sur le sol français. En effet, il est en tournée pour une « réindustrialisation de la France[18] ». Mais il s’agit là d’un mea culpa en termes d’erreurs de stratégie dès le début de son premier mandat présidentiel. Mais c’est aussi la concurrence de plus en plus exacerbée provenant des pays des BRICS Plus qui semble le préoccuper car enfin, il a compris comment sa politique a conduit la France a perdre en termes de souveraineté et de crédibilité au sein des pays du BRICS Plus.
Alors la question est de savoir si le souhait d’Emmanuel Macron de se rendre à la réunion des BRICS se résume à un grand « coup d’éclat » à la manière du feu président français, François Mitterrand, à savoir être le premier dirigeant occidental à participer à la réunion des BRICS ? Ou alors, percevant le danger, ne serait-il mû que par le constat d’une amère réalité qui le pousserait à essayer d’endiguer l’émergence des puissances du Sud global qui risque de conduire les pays occidentaux, le G7, le Conseil de Sécurité, et même l’OTAN à se fragmenter, au demeurant de la même manière que ces derniers l’ont imposé à l’Afrique sans ménagement ? Comment peut-il encore croire que certains pays du BRICS Plus pourraient décider à la dernière minute de s’aliéner les membres fondateurs du BRIC pour faciliter la venue d’un président français qui n’a pas les mêmes discours en public et en privé, surtout face à la Chine ou à la Russie ?
Dans tous les cas de figure, il peut toujours y aller comme observateur sans être admis aux réunions de souveraineté des pays du BRICS. Autrement dit, faire du tourisme blingbling car ni la Chine, la Russie, l’Inde, encore moins le Brésil et l’Afrique du sud ne sont dupes de ce changement de stratégie.
Je rappelle la définition de la zizanie qui est le contraire de la concorde et de l’harmonie. En mode proactif au sens de « semer la zizanie », ce terme peut signifier aussi, « faire naître la brouille, les controverses et la division » entre les représentants des Etats pris individuellement ou en groupe … Toutes les politiques françaises menées envers les démocrates et pacifiques africains ont reposé sur cette approche, n’en déplaise à ceux qui font encore de la mésinformation sur le sujet.
Il faut espérer qu’il ne s’agisse nullement de cela, ni dans l’intention, ni dans les objectifs pour ce qui est de la volonté d’Emmanuel Macron de se rendre dans une réunion BRICS où il n’est pas le bienvenu. Il suffit d’attendre la répondre polie et policée du Président et chef de l’État sud-africain, Cyril Ramaphosa.
13. SA. Votre mot de fin ?
YEA. Le futur système d’architecture monétaire, financière et bancaire des BRICS élargis devrait permettre en quatre temps :
1/d’abord l’utilisation de la compensation au niveau de l’équilibre des balances des paiements afin d’assurer une discipline et une équité monétaires au sein du groupe des BRICS ;
2/ un consensus élargi et un accord sur l’utilisation d’une monnaie de compte commune basée sur un panier de monnaies et une banque d’émission ou une banque centrale ;
3. l’émergence d’une monnaie digitale de compte et de paiement et donc de réserve entre les membres du BRICS élargi pour ne plus subir les dévaluations insidieuses liées à l’endettement exorbitant des Etats-Unis, des pays du G7 et du Japon, endettement dont le paiement d’une partie est imposé aux pays membres du BRICS Plus et des pays africains ;
4/ une future monnaie des BRICS sous la forme d’une monnaie digitale adossée à l’or d’abord en circulation entre les banques centrales indépendantes, puis entre banques centrales et banques secondaires.
Ce n’est qu’à ces conditions que la future monnaie digitalisée adossée à l’or et d’autres matières premières constituera une opportunité à saisir par les pays africains conscients des enjeux, courageux pour sortir des accords coloniaux ou néocoloniaux monétaires.
Je vous remercie pour l’invitation. YEA.
14 juin 2023 et mise en ligne 21 juin 2023.
Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, Directeur de Afrocentricity Think Tank
Contact : yeamaizo@afrocentricity.info
© Afrocentricity Think Tank, AfriConnect et RT en français
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Pour information, le Professeur François Ndengwe et Dr. Yves Ekoué Amaïzo sont des membres des économistes de l’Union africaine. La réalité est que l’Union africaine financée par l’Union européenne a unilatéralement supprimé le Congrès des économistes africains. ↑
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