Efficacité dans les échanges et souveraineté africaine
Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, Directeur de Afrology Think Tank, Groupe de réflexion, d’action et d’influence
RESUME
Le faible niveau des échanges intrarégionaux africains, les frais de transactions bancaires non compétitifs et la petite corruption sur les axes de communication font, entre autres, augmenter l’écart entre les déclarations et les actes des autorités politiques et monétaires africaines. Les monnaies nationales africaines, fragmentées dans des espaces monétaires parcellaires, deviennent des contraintes à la libre circulation des biens, des services, des hommes et du capital. Une période de transition est nécessaire pour réussir une harmonisation et une convergence des pratiques et des signes monétaires. Cela aura pour avantage d’améliorer la compétitivité des entreprises africaines, de soutenir une meilleure gouvernance des affaires publiques et d’augmenter le commerce intrarégional. Les monnaies et les institutions africaines doivent accompagner l’évolution des échanges intra et extra-africains sans augmenter les contraintes, tout en concourant à la recherche d’une efficience collective de l’économie africaine.
Il est proposé d’évoluer vers une monnaie par sous-régions africaines en optant pour une convergence monétaire, puis vers une fusion des monnaies disparates en une monnaie commune sur la base d’un régime de taux de change fixe. Le poids des monnaies sera déterminé en fonction du poids économique de chacun des pays. Pour faciliter les échanges internationaux avec les économies hors espace monétaire africain et soutenir les termes de l’échange, il est suggéré d’adopter un système de taux de change flottant pour préserver la souveraineté monétaire africaine et assurer un meilleur équilibre des fluctuations monétaires. L’innovation consiste à arrimer une future monnaie commune africaine sous-régionale, puis continentale, sur un panier de monnaies composé de l’Euro, du dollar américain et du Yuan chinois. Avec la formation d’unions monétaires fiables et viables, il est question de retrouver une souveraineté monétaire, et donc la liberté d’agir en Afrique au service des populations africaines.
RESUME ANALYTIQUE
La multiplicité des monnaies africaines devient progressivement une majeure contrainte à la libre circulation des biens, des services et du capital. La fragmentation des espaces monétaires réduit substantiellement le rôle d’équivalent général de la monnaie dans les transactions. En réalité, c’est bien le faible niveau des échanges intrarégionaux africains, les frais de transactions bancaires non-compétitifs et la petite corruption sur les axes de communication qui font, entre autres, augmenter l’écart entre les déclarations et les actes des autorités politiques et économiques.
Les espaces monétaires africains, du fait de l’absence de souveraineté collective, ne sont pas considérés dans ce document comme des unions monétaires. Ils ne peuvent évoluer en l’état vers une monnaie commune d’ici à l’an 2023 uniquement sur décision des chefs d’Etats membres de l’Union africaine. Le rôle de la monnaie dans la création de la valeur ajoutée met en exergue la nécessité d’une période de transition où harmonisation, convergence, amélioration de la compétitivité des entreprises africaines, meilleure gouvernance des affaires publiques et commerce intrarégional doivent retrouver leur fonction première. La monnaie ne peut qu’accompagner les échanges. Elle doit assurer son rôle d’intermédiation et d’équivalent général sans devenir une contrainte nouvelle. Les institutions monétaires, elles-aussi, organisées de manière parcellaire entre zones francophones et anglophones, doivent être reconsidérées à la lumière de la recherche d’une efficience collective de l’économie africaine.
A l’instar des expériences de l’Union monétaire européenne, la formation des espaces monétaires africains devrait passer par une période de transition avec des harmonisations et des convergences au niveau sous-régional. Ainsi la monnaie d’une future union monétaire devra servir d’une part, à faire progresser la production et les échanges intra-régionaux, et d’autre part à faciliter, sans manques à gagner, les échanges extrarégionaux. A ce titre, la monnaie de référence dans un premier temps pourrait être celle d’une pondération d’un panier de monnaies basées sur les trois monnaies des principaux partenaires internationaux.
L’inconvénient majeur de la situation actuelle africaine se retrouve dans les contraintes aux échanges avec des coûts relativement élevés pour faire des affaires en Afrique. L’avantage d’évoluer vers des espaces monétaires homogènes et souverains permettra de faire de la monnaie un outil de levier et de robustesse de la croissance économique africaine. Celle-ci a commencé à montrer des signes de pérennisation avec des taux de croissance largement au-dessus de ceux des pays occidentaux. Les modalités de mise en œuvre, outre une véritable volonté collective des responsables politiques et économiques du continent, sont multiples.
A partir de l’expérience de l’Union européenne notamment l’eurozone, il est proposé d’atteindre l’union monétaire par la négociation basée sur des analyses économiques et des volontés de solidarité intrarégionale. L’indépendance de la Banque centrale européenne dans la gestion d’une monnaie commune et unique et la politique monétaire régionale ont été considérées comme une bonne pratique à intégrer dans les approches africaines. Il ne faut pas s’étonner que pour faire respecter la discipline, il a fallu un pacte de stabilité monétaire qui a été largement observé. La question reste posée de la volonté des dirigeants des différents espaces monétaires africains de se surveiller mutuellement pour atteindre ce résultat sur le continent.
Il est proposé d’évoluer vers une seule monnaie dans chacune des sous-régions sur la base d’une convergence monétaire, puis d’une fusion des monnaies disparates en une monnaie commune sur la base d’un régime de taux de change fixe. Le poids des monnaies sera déterminé en fonction du poids économique du pays, calculé sur au moins deux décades avec des possibilités de pondération pour prendre en compte les solidarités intrinsèques à la sous-région. En parallèle et alors que cet espace monétaire sera en voie de stabilisation grâce à des respects de critères de convergence adaptés et reposant sur un système de surveillance mutuelle par les pairs, il importe alors d’adopter un système de taux de change flottant vis-à-vis du monde extérieur pour conserver sa souveraineté monétaire. Afin de préserver les termes de l’échange et assurer une stabilité dans les échanges internationaux, il est proposé d’arrimer la monnaie commune africaine sous-régionale, puis continentale, sur un panier de monnaies composé de l’Euro, du dollar américain et du Yuan chinois. En effet, le volume des échanges avec les pays asiatiques est en forte progression, celui avec les pays d’Amérique latine suivra une progression similaire dans les années à venir et l’Afrique doit anticiper ce changement stratégique.
Les monnaies communes sous-régionales pourront alors converger à terme vers une monnaie commune africaine sans précipitation, ni prudence excessive qui semble caractériser la situation actuelle. Il importe de ne pas imposer de monnaie unique au cours de la période de transition qui peut s’étaler sur une quinzaine d’années puisque les adhésions des pays et les cessions de subsidiarité des autorités monétaires nationales se feront librement, vraisemblablement de manière coordonnée avec un premier groupe de pays, puis graduellement par cercles concentriques avec les autres pays adhérents.
Les institutions monétaires actuelles ne peuvent plus continuer à organiser l’avenir de l’Afrique à partir de considérations suggérées d’ailleurs. Il s’agit de rentrer dans un processus qui va bien au-delà de la simple création monétaire. Il s’agit de créer des espaces monétaires viables qui devraient soutenir une meilleure efficacité dans l’intégration des économies africaines entre elles, avec une priorité au commerce intrarégional. Cette économie de proximité suppose que l’Afrique ne se contente pas d’organiser la création de nouvelles institutions monétaires, prélude à la création d’une banque centrale régionale, et demain continentale, mais se dote aussi d’un véritable instrument d’anticipation au travers d’un Fonds monétaire africain. Celui-ci devra assurer la surveillance mutuelle des pairs et soutenir les déséquilibres de balances de paiements dans le cadre de la solidarité africaine. A défaut, la monnaie commune africaine risque de ne pas voir le jour comme prévu et la banque centrale africaine qui en serait garante risque de rencontrer des difficultés pour s’affranchir de la servitude monétaire. Avec la formation d’unions monétaires fiables et viables, il est question de retrouver une souveraineté monétaire, et donc la liberté d’agir en Afrique au service des populations africaines.
INTRODUCTION : COOPERATION MONETAIRE NON-OPTIMALE EN AFRIQUE
Lorsque l’Afrique n’est pas invitée à participer à la première des conférences (15 novembre 2008) du G20 où pays riches et émergents tentent d’abord d’éponger la dette générée par la crise financière de septembre 2008, les dirigeants africains crient au scandale(1). Mais il n’était nullement question d’aller “quémander” de l’argent au G20. Il était plus question pour les organisateurs du G20 de demander à des pays crédibles, au plan de la monnaie, de contribuer à éponger la dette des excès du néolibéralisme et du non respect des règles prudentielles bancaires. En réalité, l’Afrique collectivement ne dispose pas d’un excédent budgétaire et de réserves conséquentes. Les effets d’entraînement d’un taux de croissance économique de l’Afrique subsaharienne de près de 5 % depuis plusieurs années ne sont pas suffisants pour répondre à une demande de crédit des pays riches qui rentrent en récession en 2009 (voir annexe 4).
L’Afrique doit s’attacher à réorganiser sa crédibilité monétaire en accélérant l’harmonisation et la convergence de la plupart des critères macro-économiques. La coopération entre des Etats africains qualifiés parfois d’Etats défaillants sur le plan économique, d’économies organisées en fonction des recettes instables imposées par les termes de l’échange (voir annexe 6) et une absence de productivité ou encore d’Etats dépendants des variations climatiques est jonchée de contraintes auxquelles s’ajoutent celles posées par des monnaies africaines parcellaires, non-intégrées, image d’une coopération monétaire continentale non optimale.
D’importantes incohérences existent entre d’une part, le niveau continental et sous-régional et d’autre part, le national et le sous-régional. Les définitions des tâches entres les institutions financières et monétaires existantes et celles en création ou à créer ne sont pas toujours clarifiées. Il faut nécessairement revoir les stratégies, les concepts, les méthodologies sur les critères et le calendrier de mise en œuvre, régulièrement mis à l’épreuve par un report systémique. La double ou triple appartenance à des espaces monétaires, outre les incohérences au plan des statistiques, pourrait ne pas poser de problème si les pays s’acquittaient des obligations qu’ils ont souscrites. Les difficultés sur le terrain de laisser les personnes, les biens, les services et le capital circuler librement dans les zones d’intégration reconnues rappellent que l’économie et la monnaie ne sont que les pâles reflets du respect des engagements politiques sur le terrain. A cette défaillance viennent s’ajouter des problèmes intrinsèques de la monnaie et sa gouvernance en Afrique. Le défi de la convergence au niveau continental et sous-régional pose à nouveau le problème de la volonté effective des autorités politiques à faciliter la mise en place d’un vrai processus structuré de coopération et de solidarité productives au service des populations africaines.
Les grandes disparités dans les régimes de change en vigueur sont souvent proportionnellement équivalentes aux différences de niveaux d’influence économique, et par extension de développement, des pays africains. Aucun espace monétaire n’est parvenu rapidement à l’unité monétaire sans sacrifice. L’Union européenne s’est appuyée au départ sur onze des pays les plus disciplinés monétairement et a réussi graduellement et en parallèle avec la structuration et l’harmonisation de son marché unique intérieur, à créer sa monnaie commune et unique ainsi que la Banque centrale européenne émettant l’étalon monétaire Euro. L’Afrique avec 54 Etats ne peut qu’avancer par étapes en créant à partir des expériences diverses, son mode de création du processus de construction d’espaces monétaires viables qui auront vocation, à terme, de devenir des unions monétaires africaines. Leur intégration au niveau continental suppose un réel engagement sur les délégations de pouvoir et le respect de la subsidiarité. C’est à cet apprentissage que les Africains sont appelés à adhérer pour trouver des solutions africaines aux problèmes des Africains au plan monétaire et financier. Le mimétisme institutionnel a conduit à des erreurs probantes. La non-action, synonyme parfois d’avancée prudente, pourrait se révéler trompeuse et marginaliser à nouveau l’Afrique par défaut de propositions innovantes, de discours répétitifs sur les demandes récurrentes d’obtention de l’aide au développement. Avec des pays riches subissant une crise économique sérieuse, une récession qui risque de durer plus longtemps que prévue, l’Afrique se doit de réduire au minimum les contraintes que pose la multiplicité des signes monétaires en Afrique dont l’apport au bien-être des Africains reste bien hypothétique pour ne pas dire mitigé.
En attendant que chaque sous-région puisse avancer effectivement sur les six principales étapes de l’intégration économique optimale(2) (voir annexe 7), il importe de réfléchir sur les options innovatrices qui pourraient permettre de faire avancer l’Afrique vers une union monétaire continentale à terme.
L’Eurozone constitue l’union économique et monétaire la plus importante actuellement au plan mondial. Il est possible d’identifier trois phases au cours d’une période variant entre 37 ans selon que l’on compte à partir de 1971, date de la fin de la convertibilité du dollar, ou 16 ans, avec 1992 comme date de démarrage de l’union monétaire européenne. Les responsables politiques africains ont fixé à 2028, la mise en œuvre effective de l’union économique et monétaire africaine(3). Il existe plusieurs unions économiques en Afrique, toutes à des phases différentes d’avancement ou de planification. L’Union économique et monétaire de la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest existe, celle de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Est (EAC) devrait voir le jour en 2009, celle de la Communauté des Etats de l’Afrique australe (SADC) en 2016…
L’Union monétaire est un espace où plusieurs pays partagent en commun une même et unique devise. La notion d’union économique intègre les politiques économiques alors que l’union monétaire se limite à l’harmonisation des aspects monétaires. On parle aussi pour les unions strictement monétaires de zone monétaire comme la zone franc dans laquelle on retrouve à l’ouest par exemple l’union monétaire ouest-africaine (UMOA), au Centre, la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), toutes deux ayant comme étalon monétaire le CFA arrimé à l’Euro par un taux fixe. En dehors de l’espace francophone, la zone monétaire d’Afrique de l’ouest se propose à l’intérieur de la Communauté économique et de développement des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) de lancer une monnaie commune dénommée Eco en 2009 après deux tentatives de reports de date. Enfin, la COMESA s’est fixé 2025 comme date butoir pour créer son union monétaire.
Il était nécessaire de revoir la notion d’espace monétaire dans le contexte africain, terme qui a été préféré à “union monétaire” et de mettre en exergue quelques avantages et inconvénients pour les pays africains. L’importance des erreurs passées se mesure à l’aune du manque d’innovation dans les propositions africaines et dans le mimétisme institutionnel avec l’Union européenne ; cela semble neutraliser le courage et l’innovation dans le domaine monétaire. Il va de soit que nul ne pourra plus avancer sans les harmonisations et convergences monétaires.
Le profil commercial des pays africains est en train de changer, de manière asymétrique d’ailleurs en faveur des pays asiatiques. Les conséquences sur le choix des monnaies pour arrimer une future monnaie commune seront présentées non sans considérer ce qui a été fait dans l’évolution de l’union économique et monétaire européenne. La question reste posée : est-ce que les économies africaines doivent converger au niveau sous-régional ou continental ou encore en même temps, avant l’adoption d’une monnaie commune africaine ? Faut-il préférer la notion de monnaie commune à celle de monnaie unique ? Que dire des nécessaires harmonisations des politiques sectorielles régionales ou encore des statistiques économiques ? Rien d’autre que leurs absences constitue une véritable contrainte qui freine les analyses éclairées et donc l’agilité et l’anticipation dans les réactions des autorités africaines face aux crises impliquant la monnaie.
Deux chapitres permettront de clarifier les approches que le Continent pourrait adopter pour accélérer l’avènement d’une monnaie commune dans chacune des sous-régions africaines, lesquelles gagneraient à être regroupées, et une monnaie unique au niveau continental.
1. Monnaie : s’arrimer à l’économie réelle ;
2. Espaces monétaires décentralisés : faciliter les échanges.
1. MONNAIE : S’ARRIMER A L’ECONOMIE REELLE
Depuis 1963, il est question pour les institutions de l’Union africaine de faire avancer l’intégration continentale. Pour ce faire la monnaie constitue un outil privilégié. Bien qu’un espace monétaire intégré, considéré comme une union monétaire, peut recéler de nombreuses opportunités pour les acteurs économiques notamment en réduisant le coût du capital, du crédit, des transactions financières et même de la spéculation, il reste vrai que les efforts ne peuvent s’éloigner des préoccupations des populations et donc de l’économie réelle.
Organiser une intégration économique alors que certaines économies de la zone sont très puissantes et influentes comme le Nigéria en Afrique de l’Ouest ou l’Afrique du Sud en Afrique australe tend à décourager plus d’un. En effet, les pays locomotives semblent, au premier abord, profiter plus de l’intégration du fait de leur compétitivité, de l’avantage d’avoir un marché intérieur large disposant d’un pouvoir d’achat important. Mais c’est oublier qu’une intégration est une œuvre collective où discipline monétaire et solidarité doivent retrouver leurs lettres de noblesse dans le cadre de la culture africaine.
Aussi le rythme d’intégration peut diverger d’un espace régional à l’autre et ne doit en aucun cas constituer un handicap. Même la volonté d’aller vers l’unité continentale sans passer par les unités régionales peut sembler intéressante, sauf que cette dynamique là ne se décrète pas, surtout si le secteur privé, les infrastructures et la mise à disposition de l’énergie font défaut et ont régulièrement été marginalisés dans les priorités économiques, que ce soit par les dirigeants politiques eux-mêmes, ou que ce soit par les grandes agences de Bretton-Woods et les agences bilatérales qui avaient d’autres objectifs, et ne semblent pas fondamentalement les avoir changés. Le régional et le continental sont tous deux indispensables et doivent aller de pair. L’asymétrie dans la diversité n’est pas antinomique à la dynamique de l’intégration sauf si la volonté n’y est pas.
C’est en recherchant des économies d’échelle et donc en promouvant les capacités productives endogènes pour un marché intrarégional africain que progressivement l’Afrique pourra bénéficier des opportunités offertes par l’intégration monétaire et régionale. Mais pour faire face aux crises diverses, alimentaires, énergétiques ou financières, l’intégration monétaire doit reposer sur un processus robuste, celui qui permet d’aller vers une union monétaire optimale. Cela ne peut se faire sans une indépendance des banques centrales et une maîtrise de la souveraineté africaine sur l’inflation, le déficit budgétaire et le taux de change.
En filigrane, il faut faire preuve de réalisme sans faire du “surplace”. Bref, il faut arrimer le processus de création d’une monnaie commune à l’économie réelle et servir d’abord l’ensemble de la population dans des conditions de neutralité exemplaires. Pour aider à comprendre le phénomène, deux aspects principaux seront abordés dans cette partie du document :
1.1 Monnaie : servir d’abord une économie réelle ;
1.2 Monnaie commune : quelles monnaies de référence et d’arrimage ?
1.1 MONNAIE : SERVIR D’ABORD UNE ECONOMIE REELLE
Suite à l’une des crises de la finance immatérielle des plus graves depuis les années 30 qui est intervenue au troisième trimestre de 2008 sur les marchés financiers, l’économie réelle mondiale est en train de subir une récession importante. Celle-ci se décline sous forme d’un ralentissement de la croissance mondiale avec des poches de récession dans les pays industrialisés et un affaiblissement de la croissance économique notamment du produit intérieur brut (PIB) dans les pays émergents (annexe 4). En Afrique, les effets collatéraux de la crise financière ont conduit à des replis du PIB dans la plupart des pays africains selon qu’ils sont ou pas exportateurs nets de matières premières dont les cours ont connu une croissance persistante ces dernières années avant des réajustements spectaculaires, comme dans le cas du pétrole passant d’un plafond de 150 $US par baril (à la mi-octobre 2008) à un faux plancher de 50 $ US par baril (à la mi-novembre 2008). Cela n’est pas sans conséquence sur les effets des précédentes crises qui ont touché l’Afrique, notamment celle des produits alimentaires et celle du renchérissement du coût de l’énergie. Du fait des interdépendances, cela a eu des effets directs sur la perte de pouvoir d’achat et l’augmentation de l’inflation (annexe 2).
La volatilité des prix des biens et des services et l’absence d’un véritable développement des capacités productives dans une Afrique prise dans les contraintes des insuffisances des infrastructures et de la faiblesse d’un environnement propice au développement des affaires ont limité les possibilités de progression rapide de l’Afrique. La hausse des matières premières au cours de 2007 n’a pas véritablement favorisé une amélioration des balances de paiements alors que les exportations africaines (3,1 % de la part mondiale) dépassaient les importations (2,6 % de la part mondiale) en 2007(4). L’ajustement s’est souvent opéré avec les ressources intérieures et une réduction des réserves (FMI a, 2008, p.1). De nombreuses balances commerciales et des paiements sur le Continent n’ont pas vu leur déficit se résorber. Les monnaies de paiement, de réserve et de compte, fondement de l’intermédiation, apparaissent alors aussi comme des contraintes additionnelles qui viennent grever les échanges africains, tant intrarégionaux qu’extrarégionaux (annexe 3). Comment contribuer de manière pérenne à la réduction des coûts de transactions occasionnés par la monnaie en Afrique sans pourtant que cela ne devienne un fardeau supplémentaire pour les pays faiblement industrialisés et disposant de capacités d’influence économique insignifiantes au sein de l’architecture financière mondiale ?
Un défi auquel il convient de répondre en posant le problème de la longue marche de l’Afrique vers une union monétaire africaine avec, en résultante, une monnaie unique africaine. Avec plus de 53 Etats membres de l’Union africaine sans compter demain le Maroc, quelles pourraient être les implications pour les pays africains d’opter pour l’avènement d’une union monétaire continentale et une monnaie unique continentale avec les institutions y afférentes comme la Banque centrale africaine, le Fond monétaire africain ou encore une banque d’investissement africaine ? Est-ce que les économies africaines doivent converger avant l’adoption d’une monnaie unique africaine ? Ne faut-il pas procéder d’abord à l’harmonisation des politiques sectorielles, organiser les instruments de mesures statistiques au plan régional et continental afin de faciliter le suivi et l’anticipation des crises ? Bref, la convergence quel que soit le modèle qui va l’inspirer à l’instar de ce qui a été fait dans l’Union européenne, est-elle indispensable pour la création d’une monnaie unique d’abord au niveau sous-régional, puis continental ? Enfin, faut-il continuer à distinguer entre monnaie unique et monnaie commune ? Sur ce dernier point, l’Afrique, que ce soit au plan sous-régional ou au plan continental, devra s’organiser pour qu’il n’y ait pas à terme de différence entre les deux. Pour faciliter la distinction, dans ce texte, la monnaie commune signifiera une monnaie unique au niveau sous-régional alors que la monnaie unique signifiera une monnaie commune et unique au niveau du continent.
L’absence de rigueur des politiques macroéconomiques fondées sur le dogme néolibéral, de la dérégulation et de la non-intervention de l’Etat doublée d’un système d’impunité dans le secteur financier, des assurances et des organisations de notation a contribué à une accumulation exponentielle des déséquilibres sur les marchés financiers. Cette mauvaise gouvernance au niveau de l’économie immatérielle et virtuelle risque d’avoir des effets perturbateurs importants au niveau de l’économique réelle, et plus particulièrement sur les pays africains dépendants des importations des Etats-Unis, de l’Union européenne et du Japon. Les effets pervers se sont fait sentir, entre autres, sur le marché de l’immobilier aux Etats-Unis et celui des produits de base au plan international. Les mécanismes d’équilibre de la “main invisible” n’ont pas fonctionné au point de mettre en danger le système financier mondial. Les mesures draconiennes prises par les autorités américaines et européennes en octobre 2008 ont pris en défaut le dogme libéral. C’est un interventionnisme massif de l’Etat adossé à des prêts auprès des économies disposant d’importantes réserves et disposées(5) à soutenir ces politiques d’ajustement et de retour des prêts interbancaires qui a permis d’éviter la contagion des risques systémiques. Le risque de liquidité levée, c’est le risque de solvabilité qui freine la création monétaire et donc l’octroi de crédit notamment au cours de 2009 (FMI b, 2008). C’est dans ce cadre défavorable que les autorités monétaires africaines sont amenées à opter pour une approche politique ou économique de la convergence de leur monnaie dans un espace géographique limité.
Il faudra cependant tirer des leçons de la crise financière pour l’Afrique et se consacrer à utiliser la dynamique de la monnaie et du crédit pour servir d’abord l’économie réelle.
1.2 MONNAIE COMMUNE : QUELLES MONNAIES DE REFERENCE ET D’ARRIMAGE ?
C’est en 1971 sous la présidence de Richard Nixon, Président des Etats-Unis (1969-1974) que la fin de la convertibilité du dollar en or a eu lieu. L’abandon de la parité fixe pour le système monétaire international, établie depuis la conférence de Bretton-Woods en 1944, s’est traduit par le flottement généralisé des monnaies. Ainsi les taux de change sont devenus flottants et se déterminent selon l’offre et la demande sur le marché des changes. Selon la doctrine libérale, une autorégulation devrait permettre de rétablir l’équilibre sur les marchés mais, très rapidement, ceci s’est avéré infondé et a conduit à l’instabilité monétaire internationale. La monnaie est devenue une simple “marchandise”. Le cours des monnaies varient les unes par rapport aux autres en fonction d’un mélange subtil de bonne gouvernance économique et d’un rapport de force lié à la puissance du pays dont la monnaie se retrouve abondamment comme réserve de change dans le monde.
La baisse de la valeur d’une monnaie ou dépréciation dépendra en principe de l’importance de l’offre sur le marché et à l’inverse, l’appréciation ou la hausse dépendra de sa rareté sur le marché. Il n’y a donc théoriquement plus de dévaluation ou de réévaluation mais des fluctuations. Le rôle des institutions monétaires de régulation, notamment les banques centrales, consiste à intervenir pour limiter les variations trop importantes ou sortantes des limites que se sont fixées les pays qui ont, d’un commun accord, accepté de respecter un certain nombre de règles prudentielles. Ces règles prudentielles tendent à orienter les monnaies ou la monnaie s’il s’agit d’une seule zone monétaire(6) vers une convergence monétaire qui, si elle perdure, peut déclencher la décision collective de se choisir une monnaie commune. Encore faut-il se mettre d’accord sur la valeur de la nouvelle monnaie et le taux de change définitif qui permettra de faire émerger sans coercition une zone monétaire régionale.
Il devenait important alors de se mettre d’accord sur la composition de la monnaie de réserve, connue aussi sous le nom de la monnaie de référence (anchor currency) qui n’est rien d’autre que la quantité de monnaie détenue par les gouvernements dans leur réserve de monnaies internationales. Cette monnaie est souvent aussi l’étalon utilisé pour payer et solder les comptes sur le marché international. Ainsi, le coût de transaction du passage par cet équivalent général monétaire peut sérieusement grever les comptes d’un pays si les fluctuations sont importantes et sont défavorables selon que l’on est acheteur ou vendeur de marchandises ou services sur le marché international. A l’inverse, le pays, détenteur de la monnaie la plus communément détenue dans les réserves internationales des Etats, peut influencer la valeur de la monnaie lors de paiements importants et transmettre tout ou partie des coûts de transaction, voire une partie de la dette objet de la transaction, vers les utilisateurs de cette devise utilisée comme réserve de change lors des opérations de compensations et de couverture des engagements.
Ainsi, il est clair qu’un rapport de force entre les différentes économies va se traduire au niveau de la valeur de la monnaie et de la quantité des réserves d’un pays. Il est souvent difficile pour les économies dont les monnaies et les réserves sont faibles ou non-membres d’une zone de fluctuation monétaire établie, de faire alliance pour participer à une zone monétaire commune. Les variations des taux de change dépendent de deux composantes de la balance des paiements notamment la balance des opérations courantes et la balance des mouvements de capitaux. Une appréciation de la monnaie suppose une balance des paiements excédentaire et une dépréciation de la monnaie suppose une balance des paiements déficitaire.
- La balance des opérations courantes se décompose essentiellement en la balance commerciale qui regroupe les importations et les exportations de biens et de la balance des invisibles qui regroupent les importations et les exportations de services. Ainsi, les contraintes au commerce international et intra-africain peuvent influer négativement sur la balance des opérations ;
- La balance des mouvements de capitaux est composée des mouvements de capitaux à long terme notamment les investissements directs ou les prêts et des mouvements de capitaux à court terme. Ainsi les amplitudes des mouvements de capitaux influent directement et rapidement sur le taux de change notamment les mouvements de court terme qui se déplacent en fonction des taux d’intérêt et de la spéculation.
Il suffit par exemple à un Gouvernement d’augmenter ses taux d’intérêts pour voir une partie importante des capitaux se réorienter vers cette économie. En résultante de ces pratiques, la devise réserve de change, le dollar américain $US qui représentait, en 1995, 59 % de la composition des réserves internationales de change, a atteint 70,9 % en 1999 et 63,9 % en 2007, alors que la Livre Sterling(7) (Pound Sterling) est passée pour la même période de 2,1 % à 4,7 %, que le Yen japonais est passé de 6,8 % et 2,9 % et le Franc suisse de 0,3 % à 0,2 %. En comparaison, la monnaie européenne Euro est passée de 17,9 % en 1999 à 26,5 % en 2007(8).
La plupart des importations des pays africains sont facturées en $US ou en Euro. Avec les nouvelles parts de la Chine dans la balance commerciale des pays africains, la monnaie chinoise risque rapidement de prendre un rôle prépondérant dans les réserves de devises des pays africains(9). Ceci, d’autant plus que les échanges, (importations et exportations) entre la Chine et l’Afrique, sont en augmentation rapide (annexe 11). Les monnaies africaines n’ont pas la crédibilité internationale qui leur permettrait d’être considérées comme monnaies à détenir dans les réserves internationales. L’Afrique ne peut que très difficilement influencer la valeur des devises-réserves de change qu’elle détient. Par contre, les pays africains subissent de plein fouet les variations extérieures, ce qui vient grever à la baisse les créances et pousser à la hausse les dettes. Si les pays africains souhaitent un tant soit peu faire bloc pour neutraliser leurs effets négatifs et demain devenir des acteurs et non des sujets monétaires dans l’architecture monétaire globale, ils devront former des blocs ou des zones monétaires dont les règles doivent être définies en interne et non dictées par l’extérieur. Ainsi, les principales zones monétaires existantes en Afrique aujourd’hui (voir annexe 12) peuvent être classées en trois groupes principaux :
- Les pays de la zone CFA (Communauté Financière Africaine) disposant d’un taux de change fixe entre leur monnaie et une monnaie extérieure ;
- Les pays de la zone non CFA(10) disposant d’un taux de change flottant entre leur monnaie et le reste du monde ; et
- Les pays non membres des ces deux zones et disposant d’un taux de change flottant entre leur monnaie et le reste du monde.
En analysant en pourcentage du Produit intérieur brut (PIB), la moyenne annuelle de l’inflation, l’importance de la devise servant de réserve de change, le total de la dette publique et le solde du budget entre 1980 et 2005, soit 25 ans, il apparaît que tous les pays d’Afrique subsaharienne présentaient un solde moyen budgétaire de -5,3 % du PIB. En comparaison, le solde budgétaire de ‑4,1 % pour les pays de la zone CFA (à taux fixe), ‑2,2 % du PIB pour les pays de la zone non CFA (à taux fixe) et -6,2 % du PIB pour les pays africains (à taux flottant, voir annexe 2)(11) témoigne de l’importance du système monétaire choisi.
Il faut en déduire que les pays de la zone non CFA à taux fixe présentent des indicateurs plus proches de la bonne gouvernance. Cela devrait conduire à suggérer que les blocs ou zones monétaires africaines soient calqués sur ce modèle et d’opter pour une zone monétaire non CFA à taux fixe. Cela n’exclut nullement que la zone CFA soit incluse dans cette nouvelle zone. L’inverse serait à déconseiller pour l’inconvénient majeur qui consiste à avoir dans le conseil d’administration des responsables de pays industrialisés non membres de la région. Pour la cohérence et l’homogénéisation de la zone et pour organiser la convergence des critères économiques et financiers, cette proposition présente des avantages certains. En effet, l’harmonisation des politiques sectorielles régionales en sera facilitée. Il va de soit que l’harmonisation et la production en temps réel de statistiques monétaires, financières et économiques doivent nécessairement être prises en compte et des budgets adéquats mis à disposition par les Etats pour permettre l’organisation de l’information sur la zone monétaire.
La zone franc n’est rien d’autre qu’un espace monétaire créé sur la base d’une décision politique. L’Euro, la monnaie de l’Eurozone, est aussi la monnaie d’arrimage du CFA. Avec un Euro fort, le taux de change fixe entre CFA et Euro contribue à décourager les exportations parce que cela force à augmenter le volume des biens exportés sans recevoir en retour le fruit du travail effectué. Cela contribue donc à l’alourdissement du déficit commercial si l’augmentation du volume des exportations ne suit pas. Ainsi “L’accroissement des exportations peut alors, dans certains cas, provoquer une perte de substance pour l’économie nationale(12)“.
Il n’y a pas vraiment de débat sur le fait d’opter pour une monnaie commune ou unique du fait des avantages considérables provenant de :
- la réduction des coûts de transaction,
- les impacts positifs sur l’intégration régionale,
- l’amélioration du commercial intra-africain et les économies d’échelle.
La question reste néanmoins posée de savoir si l’arrimage à une monnaie de référence, à savoir le dollar américain ou l’Euro, reste opportune.
Avec la crise financière de septembre 2008 et la récession aux Etats-Unis, au Japon et en Europe de 2008-2009, la demande étrangère pour les biens africains risque de se ralentir fortement. Les pays de la zone franc exportent principalement des matières premières et peu de produits manufacturés. L’arrimage du CFA à l’Euro tend alors à favoriser les importations et pénalise la production locale, voire annihile les efforts de développement de la capacité productive locale. A l’inverse, si le coût de la main d’œuvre subsaharienne peut paraître compétitif, un Euro fort contribue à renchérir la facture énergétique notamment le pétrole et permet aux pays donateurs d’aide budgétaire de limiter leur contribution effective tout en offrant une valeur artificiellement gonflée en CFA.
Au total et sur le long terme, l’arrimage à une monnaie forte pour des pays africains n’a pas eu d’impacts significatifs sur la réduction du déficit structurel des balances des paiements des pays de l’Afrique au sud du Sahara et à fortiori, des pays de la zone franc. Ainsi, le solde extérieur courant hors dons en pourcentage du PIB de l’Afrique subsaharienne en 2007 était de -3,3 %, légèrement mieux que la moyenne de la période 1997-2002 où ce solde était de -3,7 % avant de passer à 0,5 % en 2007. Ce solde s’est creusé pour les pays importateurs de pétrole passant de -4 % pour la période 1997-2002 à ‑2 % en 2007. Pour la zone franc, la situation s’est améliorée avec un évolution nette de -3,2 % en 1997-2002 à 1,6 % en 2007. Les pays pratiquant un régime de taux de change flottant ont, tout de même, vu ce solde extérieur courant hors dons s’améliorer passant de -3,9 % entre 1997-2002 à 1,5 % en 2006 avant de rechuter à ‑0,1 % en 2007. Il en est de même pour les pays pratiquant un régime de taux de change fixe qui sont passés de -3,1 % entre 1997-2002 à 3,1 % en 2006 avant de chuter à 2,1 % en 2007 (FMI a, 2008, p. 68). Il faut retenir de ces statistiques qu’il serait préférable d’avoir un régime de taux de change fixe à l’intérieur d’un espace ou d’une union monétaire. Paradoxalement, la zone UEMOA a vu son solde budgétaire hors dons dégringoler de ‑4,3 % en 1997-2002 à -5,1 % en 2007. L’absence de pétrole en référence à la zone CEMAC (qui est passée de ‑1,8 % pendant 1997-2002 à 7,9 % en 2007) pose le problème de la capacité d’une union monétaire telle que l’UEMOA d’aller à contre-sens des pays pratiquant un régime de taux de change flottant. La dépendance avec la France mériterait une analyse plus approfondie.
De manière plus générale, le choix unilatéral de l’arrimage du CFA à l’Euro de la zone franc doit être modifié. Sans la dévaluation unilatérale de moitié du franc CFA intervenue à Dakar, au Sénégal, le 11 janvier 1994, ce solde extérieur courant aurait largement été inférieur à sa valeur monétaire de 2007. Ce n’est pas le CFA en soit qui pose problème mais bien la dévaluation unilatérale sans accompagnement des économies. C’est donc bien le mécanisme de gestion de l’élasticité de la parité d’une monnaie dans un espace monétaire donné vis-à-vis de l’extérieur qui doit primer sur les décisions politiques. Ce mécanisme en zone franc fonctionne sur la base d’un rapport de force. Les pays africains concernés semblent avoir été pénalisés lors de cette dévaluation unilatérale et n’ont pas pour autant profiter de l’occasion pour s’assurer que ce phénomène ne se reproduise plus à leurs dépens. Face à une situation de crise aigüe, des dévaluations unilatérales peuvent encore intervenir sans que les intérêts des populations africaines ne soient pris en compte. Sur l’ensemble des régions d’Afrique subsaharienne, seule la CEMAC a pu équilibrer son solde extérieur courant hors dons en 2007 alors qu’il était déficitaire de -7,8 % en 2003. L’Afrique subsaharienne est passée de 2003 à 2007 de -3,9 % à -3,3 %, niveau atteint par les pays avec un régime de taux de change fixe ou flottant (-3,3 % en 2007)(13).
C’est donc bien d’un double problème dont souffre l’Afrique subsaharienne au plan monétaire :
- l’organisation vis-à-vis de l’extérieur d’un mécanisme de gestion de l’élasticité de la parité d’une monnaie dans un espace monétaire donné ; l’instauration d’un panier de monnaies avec des pondérations apparait comme une piste crédible compte tenu de l’asymétrie dans le commerce extérieur des pays africains avec les grands pôles du commerce et de la production mondiale qui sont représentés en termes de monnaie de référence par le dollar américain, l’Euro et le Yuan(14) ;
- l’organisation au sein d’un espace monétaire donné d’un mécanisme de gestion de la convergence de plusieurs monnaies selon des critères de gouvernance économique et des règles de solidarité pour permettre une cohérence interne et un respect mutuel malgré le poids économique différent des pays.
Cette double exigence ne peut être résolue uniquement dans le champ économique. Il va falloir une véritable décision politique autour d’un consensus sous-régional et demain continental. Pour ce qui est de l’organisation monétaire au sein d’un espace monétaire qui devra évoluer vers une union monétaire, puis déboucher sur une monnaie commune, il va de soi que l’ensemble de l’espace devrait au préalable devenir :
- une zone de libre-échange,
- avoir procédé à une harmonisation de la fiscalité et de l’environnement des affaires,
- avoir en commun une stratégie de croissance économique non contradictoire et complémentaire.
Cela suppose de la compétition et de l’innovation. L’évolution des parités entre les monnaies existantes dans l’espace monétaire pourra suivre des variations dont les amplitudes plafond-plancher seront déterminées en fonction de l’histoire des deux dernières décades de l’évolution des balances commerciales, des balances des paiements, des réserves de change et des accords négociés qui interviendront entre les partenaires membres d’un espace monétaire en cours de transformation vers une union monétaire.
L’avènement de la monnaie commune sous-régionale ou continentale et la décision politique qui la sous-tend devraient contribuer à l’évolution des monnaies existantes dans un espace monétaire donné vers un régime de taux fixe et déboucher sur une parité fixe entre les pays membres. Une fois que le respect d’un système de surveillance entre pairs aura permis d’avancer vers le respect des critères de convergence, la monnaie commune pourra effectivement évoluer vers le statut de monnaie unique. Il faudra néanmoins une période transitoire permettant aux différentes monnaies de l’espace d’organiser leur gouvernance économique pour satisfaire les conditionnalités monétaires que les autorités monétaires de l’espace se seront données et respecteront.
Par contre, la valeur de cette monnaie commune et unique devra fonctionner sur la base d’un régime de taux de change flottant avec une période de transition avec un panier de monnaies regroupant les trois principales monnaies servant d’équivalent général aux principales transactions commerciales, monétaires et financières de l’Afrique. Les pondérations seront ajustées en fonction du poids des échanges entre l’espace monétaire et le reste du monde.
Une décision politique pourrait permettre de créer immédiatement une monnaie unique continentale ou une monnaie commune au niveau des différentes sous-régions africaines. Mais il ne s’agit pas là de l’approche optimale car elle ne sera ni crédible, ni opérationnelle. Des périodes de transition graduelles sont nécessaires en commençant pas la création d’une monnaie commune sous-régionale. Les autorités africaines devront alors se concentrer sur la formation d’espaces monétaires décentralisés, futures régions d’une Afrique fédérale. L’arrimage des monnaies communes des régions monétaires africaines ne doit plus se faire sur l’alignement sur une seule devise étrangère compte tenu de l’importance de l’environnement changeant et imprévisible et le mouvement général vers la souveraineté économique et monétaire de l’Afrique.
2. ESPACES MONETAIRES DECENTRALISEES : FACILITER LES ECHANGES
Il n’y a qu’une décision politique commune qui permettra d’opter pour un espace monétaire cohérent, solidaire et résistant face au monde extérieur. La solution passe par une monnaie commune dans un espace homogène où la volatilité et le non-respect des critères de convergence ne relèveraient plus de l’irresponsabilité économique.
Il faut se rendre à l’évidence qu’en analysant la moyenne annuelle du taux de change effectif(15), ce sont les pays fonctionnant avec un régime de taux de change fixe qui ont vu ce taux s’apprécier par rapport à l’indice de base (100) en 2000. On peut citer au plan régional, l’Union monétaire ouest-africain (UMOA). En réalité, bien que ceci puisse donner l’impression d’un résultat positif, on a à faire à une vraie distorsion en référence à la moyenne subsaharienne en chute qui passe de 108,5 à 80,7 entre les périodes 1997-2002 et 2008 (annexe 1). Pour la même période, les pays avec un régime à taux de change fixe ont vu ce taux s’apprécier passant respectivement de 102,9 à 112,1. En référence, les pays utilisant un régime à taux de change flottant ont chuté de 101,6 à 73,8. Là encore, c’est plus par rapport à la moyenne de l’Afrique subsaharienne et à la lumière des écarts avec la moyenne subsaharienne qu’il convient d’analyser le taux de change dans l’espace monétaire considéré. Lorsque pour des raisons historiques, la zone UMOA s’aligne sur l’espace européen, les désavantages sont multiples en termes d’augmentation des coûts d’importation et le renchérissement de la dette, ceci d’autant plus que la plupart des matières premières n’est pas payé en Euro mais en dollar américain. Il faut donc se réjouir de la capacité de la région d’Afrique australe (SADC) d’avoir un profil de taux de change similaire et proche de celui de l’Afrique subsaharienne (annexe 1). Ce profil qui colle à la réalité africaine donne plus de chance au respect des critères de convergence monétaire et des adaptations par rapport au marché avec de réelles possibilités d’aller vers une souveraineté monétaire africaine.
Quatre points seront abordés pour saisir la complexité de l’architecture financière africaine laquelle allie discipline monétaire, souveraineté africaine et préservation du pouvoir d’achat des populations :
2.1 L’impératif de la monnaie commune ;
2.2 Espaces monétaires optimaux ?
2.3 Convergence vers un taux de change fixe en interne ;
2.4 Change flottant, panier de monnaies et libre échange.
2.1 L’impératif de la monnaie commune
L’arrimage d’une monnaie sous-régionale à une et unique devise étrangère servant de référence est à proscrire, même si cette devise devait avoir un poids important pendant un certain temps et servir comme référant pour une durée limitée comme réserves de change pour certains pays membres de l’espace monétaire. L’Afrique se doit d’apprendre à se prémunir contre des arbitrages et décisions politiques unilatérales qui lui sont hostiles. Pour ce faire, et pour s’assurer une certaine stabilité, il est suggéré d’opter pour un panier de monnaies. Le poids des monnaies choisies varierait en fonction de l’importance et du niveau des échanges, notamment le volume des exportations et des importations de biens et services de l’espace monétaire africain vers les pays émetteurs des monnaies sélectionnées. L’exemple du Bénin en 2007 sera rappelé. Avec des exportations totales de 38,3 % vers la Chine et des importations totales de 45,4 % en provenance de la Chine, il n’est plus possible pour ce pays de ne pas considérer la monnaie chinoise dans le choix d’un futur panier de monnaies. Pour ce pays, les importations de la France ne sont plus que de 8,3 % et celles des Etats-Unis de 6,6 %(16). Si cette situation devait perdurer, le poids de l’Euro et du dollar américain dans un futur panier de monnaies dans un espace monétaire sous-régional ou continental devrait être revue à la baisse pour réduire les manque-à-gagner et les coûts de transaction inutiles et contre-productifs pour le Bénin, et par extension pour l’Afrique.
Plus globalement au niveau de la zone de l’Union monétaire ouest africaine (UMOA) qui appartient à la zone franc, la productivité et l’efficacité économique des économies de la zone franc apparaissent très mitigées du fait, entre autres, d’un dollar ($US) faible par rapport à l’Euro. Pour les pays de l’UMOA qui importent pour la plupart leur pétrole, le seul avantage d’un dollar affaibli en septembre 2008 est que les factures pétrolières apparaissent aussi réduites alors que les créances perçues en dollar américain servent au paiement des biens importés qui se facturent en Euro. Cette surtaxe liée au paiement de factures libellées en Euro par les pays de la zone franc peut être levée dans le cadre d’une union monétaire reposant sur un panier de monnaie.
L’arrimage du CFA sur l’Euro sur la base d’un taux de change fixe, dont l’élasticité dépend plus du pays le plus économiquement influent que de l’ajustement des marchés, ne peut servir de modèle pour un espace monétaire africain devant évoluer vers une union monétaire, fondement de l’avènement d’une monnaie commune. La monnaie commune pourra devenir une monnaie unique lorsqu’après plusieurs années, les convergences des politiques macroéconomiques auront atteint leur apogée transformant de facto d’ailleurs l’espace monétaire en union monétaire.
Ce n’est pas parce que certaines matières premières sont cotées en dollar américain sur le marché de Chicago ou ailleurs que le paiement doit s’effectuer en cette monnaie. Au contraire, la monnaie de l’espace monétaire africain doit se libeller en une monnaie qui permet de faciliter la réalisation des échanges de biens et services, de l’industrialisation, des infrastructures et des conditions d’efficacité optimale. Le niveau des coûts de transaction doit tendre vers zéro. L’arrimage rigide à une monnaie étrangère unique, de plus surévaluée, est une ineptie économique pour des pays économiquement faibles et dont le pouvoir d’achat de la population reste fragile. Il suffit de rappeler l’évolution du PIB réel par habitant pour l’Afrique subsaharienne qui est passé de 532 $US entre 1997-2002 à 667 $US en 2007. A partir de cette ligne médiane, les pays avec un régime de taux de change fixe sont passés pour la même période de 549 $US à 611 $US, bien en-dessous de la moyenne de l’Afrique subsaharienne, alors que les pays avec un régime de taux de change flottant sont passés de 540 $US à 680 $US, au dessus de la moyenne subsaharienne (FMI a, 2008, voir annexe 8).
Est-ce à dire que les pays avec un taux de change flottant ont plus de capacités de résilience ? Oui, en effet, la zone franc pour les mêmes périodes est passée de 465 $US à 507 $ US et l’UEMOA de 360 $US à 368 $US, alors que la CEMAC, qui comprend de nombreux pays pétroliers, est passée de 708 $US à 820 $US. Le régime de taux de change fixe avec l’extérieur ne permet pas à l’Afrique d’organiser son agilité économique et financière. En rappelant le mauvais score du marché commun de l’Afrique australe de l’Est (COMESA) qui est passé de 259 $US à 332 $US, il faut avoir le courage de rappeler que seule l’homogénéité monétaire au travers des respects des critères de convergence peut conduire à un espace monétaire décentralisé et contribuer à l’amélioration et à la distribution plus équitable des fruits de la croissance économique. La communauté des Etats d’Afrique australe (SADC), avec l’Afrique du sud comme locomotive économique de la sous-région, a vu son PIB réel par habitant passer entre 1997-2002 de 908 $US à 1 108 $US en 2007 alors que la communauté des Etats de l’Afrique de l’Est (EAC-5) a progressé lentement sans atteindre la moyenne subsaharienne en passant pour les mêmes périodes de 305 $US à 385 $US(17).
Il ne faut donc pas s’étonner de la détérioration de la balance commerciale des pays africains, notamment ceux de la zone franc, avec l’Union européenne, notamment la zone euro, justement parce que les avoirs africains sont souvent en dollar américain et les paiements se font en Euro. Avec un différentiel de taux de change fixe qui favorise l’UE, un Euro fort gène considérablement la compétitivité des productions africaines plus particulièrement celles qui sont en concurrence avec les autres pays du monde. Il s’agit notamment des pays émergents qui ne sont pas liés à un taux de change fixe et peuvent donc ajuster leur politique monétaire en fonction de leur politique commerciale et industrielle.
Faut-il rappeler qu’à sa création en 1945, une des missions importantes du Fond monétaire international (FMI) était de promouvoir la stabilité des taux de change fixes. Les monnaies étaient alors arrimées à l’étalon or. Depuis qu’en 1971, sous le Président Nixon, les Etats-Unis ont introduit la fin de la convertibilité du dollar en or, de nombreux pays ont adopté le régime de taux de change flexible, laissant ainsi la valeur de leur monnaie être déterminée par le marché. Certains pays ont préféré, pour des raisons de commodité, choisir une monnaie de référence et ont adossé leur monnaie à cette monnaie de référence. Cela permet d’ailleurs d’influer sur le taux de leur propre monnaie en achetant ou vendant la monnaie de référence sur le marché. Les autorités monétaires africaines, dans le cadre de la sélection de la monnaie d’un espace monétaire africain ou à terme la monnaie commune, devront clairement opter pour l’une ou l’autre de ces options. Il est suggéré, compte tenu de la structure asymétrique des balances de paiement des pays africains au sud du Sahara, d’adopter une forme de régulation de leur politique économique fondée sur la surveillance par les pairs. Il faudra alors opter pour un panier de monnaies de référence dont les variations seront fonction de règles de pondération favorisant les échanges intra-africains et le développement des capacités productives africaines afin de faciliter une insertion dans le commerce mondial dans des conditions de souveraineté affirmée.
La notion d’espace monétaire a été préférée à celle de bloc, de zone ou d’union monétaire pour permettre l’agilité et l’adaptabilité nécessaires au niveau de chacun des espaces monétaires africains et favoriser l’avancement vers la monnaie commune au rythme de chacun. Il est question de décentralisation car l’espace continental ne pourra vraisemblablement pas faire l’objet d’une intégration immédiate. Celle-ci sera graduelle et à géométrie variable avec des “entrées” et “sorties” de pays avant que l’unité monétaire et la convergence continentale ne permettent finalement en 2023, date fixée pour le bon fonctionnement de la banque centrale africaine, soit 2 ans après la date de sa création fixée par les dirigeants africains en 2021, l’avènement d’une monnaie commune continentale.
Considérant que la monnaie unique est l’apanage des espaces monétaires parvenus à la maturité économique, l’Afrique et ses sous-régions devront passer par des étapes transitoires lors de la formation des espaces monétaires décentralisés avant de passer à l’unité continentale. Certaines fonctions de la monnaie comme l’unité de compte pourront, plus rapidement que d’autres fonctions, passer au niveau continental. Mais les fonctions de paiements et de réserve doivent nécessairement relever de la sous-région, au départ tout au moins. Les volets de compensation au niveau continental semblent avoir déjà progressé sur les principes et il suffira d’avoir les outils modernes électroniques et informatiques pour faire avancer cet aspect du dossier.
Il importe de rappeler le cas de l’espace monétaire Euro où tous les pays disposent de la même monnaie, et l’ont accepté comme la monnaie commune et unique. Par contre, pour la plus grande majorité des pays, la monnaie locale est rattachée à une monnaie de référence par un taux de change fixe, c’est le cas des pays francophones et du CFA rattaché à l’Euro ou l’Estonie qui est rattachée à l’Euro par un taux de change fixe. Il s’agit souvent en principe d’une devise reconnue comme un instrument de réserve au plan international. Dans ces deux cas, il s’agit bien de zones monétaires avec une monnaie commune et unique. Il arrive que les deux formes coexistent avec une double circulation monétaire. La monnaie est alors commune mais pas unique et se retrouve souvent dans un système de change parallèle dont la pérennisation est relative car la “bonne” monnaie tend à prendre le dessus sur la “mauvaise” monnaie selon la loi de Gresham(18). Ceci se vérifie régulièrement dans les espaces monétaires où la perte de confiance dans une monnaie, liée à une inflation galopante, ouvre la porte à des marchés parallèles informels. Ce dernier cas est à proscrire comme voie d’organiser la construction d’une union monétaire.
2.2 Espaces monétaires optimaux ?
L’une des premières unions monétaires a été signée en 1865 par Napoléon III entre la France, la Belgique, l’Italie et la Suisse. Chaque monnaie pouvait conserver son nom mais elles étaient toutes définies par rapport à la même parité en or et en argent et avaient donc la même valeur. Ainsi pour l’Afrique, il n’y a pas d’urgence à changer les noms des monnaies existantes comme cela semble être le cas. Avec une définition acceptée d’un panier de monnaies, les monnaies en circulation dans un espace monétaire homogène pourront être arrimées à ce panier de monnaies et donc circuler librement.
La deuxième leçon qu’il convient de retenir est que cette première union monétaire fut dissoute en 1926 après la première guerre mondiale mais qu’en réalité, elle n’avait pas survécu à l’inflation. Pour les espaces monétaires africains, la priorité des priorités restera la maîtrise de l’inflation, garant de la stabilité des taux de change. Il ne s’agit pas pour des pays en développement de fixer un critère de convergence à des niveaux d’inflation trop bas. Cela risquerait de bloquer les flexibilités et les possibilités de dynamisation et de surchauffe positive d’une économie. Le respect de ce critère de base a permis le succès et la pérennisation de l’union économique belgo-luxembourgeoise entre 1921 et 2002 avec une parité fixe entre le franc belge et le franc luxembourgeois.
L’union économique et monétaire, mise en place en Europe au cours de la 2e moitié du 20e siècle, a évolué au gré du développement de l’Union européenne. Le volet monétaire se caractérise par une zone euro et un mécanisme de taux de change européen. La monnaie Euro est commune et unique à tous les membres de la zone Euro. La monnaie du Royaume-Uni (la Livre sterling) ne fait pas partie de la zone Euro. Le taux de change des anciennes monnaies nationales européennes a été déterminé une fois pour toutes sur la base d’un taux de change fixe qui correspondait au poids économique des pays. Il s’agit donc bien d’une décision politique consensuelle fondée sur des considérations économiques qui intégraient la solidarité et la mise à niveau des régions les moins développées (notamment l’Espagne, le Portugal, la Grèce dans les années 80 et les pays de l’Europe de l’Est(19) dans les années 2000). Si les pays d’un même espace monétaire africain acceptaient de se mettre d’accord sur un panier de monnaies, puis de fixer un taux de change flexible par rapport à l’étalon du panier de monnaies, l’avènement d’une union monétaire ne serait plus impossible. Toutefois, c’est bien le volet solidarité qui ne doit pas faire défaut. Cet aspect semble être pris en compte en Afrique australe dans la communauté des Etats de l’Afrique australe (zone SADC) par l’Afrique du sud alors que dans la CEDEAO, il l’est moins par le Nigeria malgré quelques progrès récents au niveau des intentions.
La formation d’un espace monétaire optimal est justement un territoire géographique d’une zone monétaire optimale. Comment savoir si l’établissement d’une monnaie commune et plus tard unique dans un espace profitera à l’ensemble des membres de la zone ? Robert Mundell a proposé une solution qui lui a valu un prix Nobel d’économie en 1960. Ainsi, un espace ne recouvre pas nécessairement un pays. L’espace monétaire peut être à l’intérieur d’un grand pays comme peut rassembler plusieurs pays. L’avantage principal d’une union monétaire réside dans l’accélération des échanges à l’intérieur de l’espace monétaire à condition que cet espace puisse produire la plupart des biens essentiels, sinon l’espace fera un appel d’air pour l’arrivée massive de biens et services extérieurs à l’espace, surtout si ces biens sont produits et sont offerte sur le marché international à des prix compétitifs. Par contre, en intégrant un espace monétaire, le principal désavantage est la perte d’une politique monétaire propre à chaque pays membre.
Les politiques économiques des pays membres ne peuvent être antagonistes dans un même espace, d’où l’importance de l’harmonisation préalable des politiques économiques et financières. En absence d’une volonté de convergence des stratégies et politiques économiques, une monnaie commune devient une entrave aux échanges et peut même conduire à des politiques de protectionnisme national, ce qui est exactement le contraire du résultat recherché. Il faut donc s’assurer du degré d’homogénéisation des économies concernées, de la volonté réelle et non hypocrites de résoudre les crises asymétriques endogènes et exogènes. De plus, il faut s’assurer de l’engagement à faire preuve de solidarité d’un ou de plusieurs pays membres considérés comme des économies locomotives. Enfin en cas de difficulté monétaire importante d’un ou de plusieurs membres, un système préétabli de solidarité avec des règles préalablement définies devrait permettre d’aider au rétablissement du taux de change et de la stabilité dans l’espace monétaire. La création d’un fond monétaire africain décentralisé devient indispensable(20) et devrait garantir le degré d’intégration rapide de l’espace économique et monétaire concerné.
Aussi, dans l’espace peu intégré avec des coûts de transaction élevés, il est préférable d’opter pour la convergence des monnaies et une flexibilité dans le taux de change. Plus les pays décident effectivement d’avancer vers l’intégration régionale et donc économique, plus ils ont intérêt à choisir successivement d’adhérer aux critères qui permettent à un espace monétaire multiforme et sans vision d’aller vers une union monétaire fondée sur l’intégration économique et une monnaie commune (annexe 7). Ainsi, “l’union monétaire serait une fonction croissante de l’intégration économique” (Mundell, 1978). L’économiste prix Nobel Mundell avait prévu la création d’un budget commun à l’ensemble des pays membres de l’espace monétaire permettant de résoudre les éventuels chocs asymétriques sous la forme de transfert de revenus entre l’Etat solvable et l’Etat en difficulté. Ce sera une fonction que le fond monétaire africain pourra remplir.
A partir des travaux de Harrod-Balassa-Samuelson, un effet du même nom est proposé pour expliquer et éventuellement qualifier une zone monétaire optimale. L’effet Harrod-Balassa-Samuelson(21) fait l’hypothèse que le niveau du prix à la consommation est plus élevé dans les pays économiquement plus robustes que dans les pays économiquement moins robustes (c’est le “Penne effect”) et que la productivité et le taux de croissance de la productivité varient plus rapidement dans les pays disposant d’un secteur offrant des biens commercialisables que dans les autres secteurs.
En résultante, le bénéfice attendu de l’union monétaire optimale est une efficience collective dans l’espace monétaire intégré avec une robustesse des économies membres renforcées et fondées sur une répartition des fruits de la croissance plus équitable. L’effet le plus visible est celui de la libre circulation des marchandises, des capitaux et du capital humain au service des populations. Toute entrave à cette liberté est un signe avant-coureur de frilosité décisionnelle des autorités politiques, ce qui tend à mettre en cause la réalité de la volonté d’organiser véritablement un espace monétaire intégré. A ce titre, la zone euro n’est pas considérée comme une union économique et monétaire optimale puisque les mouvements des travailleurs restent particulièrement faibles entre les Etats-membres et soumis à autorisation pour les travailleurs non-membres de la zone. Des efforts restent à faire au niveau d’un véritable fond monétaire européen. La crise financière d’octobre 2008 a en effet révélé les faiblesses de la zone euro. Les actions ponctuelles de sauvetage d’une économie ne peuvent remplacer la fonction principale et d’anticipation d’un fond monétaire régional décentralisé. L’Asie l’a compris et a instauré son fond monétaire asiatique en 2007, et le fond monétaire arabe a été créé en 1976.
En référence à l’expérience des pays de l’Europe de l’Est, économies en transition, ayant rejoint l’Union européenne, il n’y a pas un niveau de taux de change idéal pour converger et assurer la stabilité monétaire, maintenir la compétitivité, promouvoir les réformes structurelles et respecter les critères communs d’un taux minimal d’inflation accepté d’un commun accord (Szapáry, 2001). Il semble que des critères endogènes, discutés dans l’espace monétaire, accepté de manière consensuel puis surveillé par des pairs donneraient des résultats plus probants en termes d’effectivité des réalisations (Frankel, 2004). Alors que les écarts dans le taux d’inflation étaient en 1995 autour de 10 % pour la République Tchèque, 20 % pour la Slovénie et 39% pour l’Estonie, ces écarts ont convergé rapidement pour se situer en 2001 à 5 % pour la République Tchèque, 10 % pour la Slovénie et 6 % pour l’Estonie(22).
En fait, le principe commun à toute économie qui est dans un processus de rattrapage par rapport à une autre est contenu dans ce que les économistes nomment “l’effet Harrod-Balassa-Samuelson (EHBS(23))”. Ces économistes ont constaté que les salaires tendaient à être de moins en moins différents lorsque la croissance de la productivité diffère entre les secteurs d’activités. La croissance de la productivité est plus élevée dans les secteurs des biens commercialisables que dans les secteurs moins facilement commercialisables comme les services. Ceci contribue à faire qu’une croissance plus rapide de la productivité dans le secteur des biens commercialisables pousse les salaires à la hausse, ceci dans tous les secteurs, alors qu’en fait, ce ne sont que les prix des services (biens non commercialisables) liés aux biens commercialisables qui augmenteront aussi. En référence au fait que la croissance de la productivité est plus rapide dans les économies en rattrapage de croissance comme les économies en transition lors de leur intégration à l’Union européenne, l’effet Harrod-Balassa-Samuelson signifie, toutes choses égales par ailleurs, que l’index du prix à la consommation (l’inflation) va augmenter plus rapidement dans les économies en rattrapage que dans celles qui sont déjà avancées (Szapáry, 2001).
Un second point pose problème. Le fait que les économies africaines sont intégrées de manière asymétrique dans l’économie mondiale, la volatilité des flux de capitaux peut se révéler incontrôlable malgré une bonne gouvernance et des fondamentaux économiques de qualité.
Un troisième point réside dans l’élasticité de l’ajustement des prix qui sont hors normes par rapport à l’effet Harrod-Belassa-Samuelson. Les ajustements structurels dans les domaines aussi importants que la télécommunication, l’énergie, l’infrastructure de transport, la santé et l’éducation ouverts à la concurrence et au secteur privé contribuent, dans un premier temps, à des écarts de prix importants. De nombreuses économies africaines ne couvrent que des marchés étroits et sont susceptibles de perdre en termes de productivité dès que des conditions imprévisibles modifient le jeu des acteurs dans ce marché. Cela a un effet direct de détérioration de la balance des paiements et ne contribue pas vraiment à favoriser le respect des critères de convergence monétaire.
Aussi, les critères principaux et secondaires suivants adaptés des travaux de Harrod-Balassa-Samuelson sont à recommander pour les pays africains :
§ Critères principaux :
- L’impératif de la mobilité des facteurs notamment les facteurs de production ;
- L’ouverture économique, avec la flexibilité des prix et des salaires dans un espace concurrentiel assorti d’un environnement juridique et institutionnel opérationnel avec un minimum d’intervention intempestive et injustifiée de l’Etat;
- Une fiscalité de distribution avec une politique fiscale basée sur des transferts fiscauxpermettant de soutenir une politique de stabilisation, elle-même facilitant les transferts de revenus et la résorption des déséquilibres afin d’assurer une augmentation continue du pouvoir d’achat des populations et entretenir ainsi une croissance continue et soutenue.
§ Critères secondaires :
- Homogénéité des stratégies de complémentarité et des politiques économiques à moyen et long-terme ;
- Développement des capacités productives et diversification des productions avec soutien à l’entreprenariat;
- Volonté effective d’appartenance à un ensemble commun décentralisé avec un système de gouvernance fondée sur la subsidiarité;
- Engagement à créer un fond monétaire africain décentralisé qui agirait comme un budget fédéral pour faire face aux chocs asymétriques sous la forme de transferts budgétaires avec pour objectif de faciliter l’harmonisation des niveaux de vie dans l’espace monétaire.
2.3 Convergence vers un taux de change fixe en interne
Au-delà de ces critères-principes, il convient de rappeler les critères de convergence de l’Union européenne connus comme les critères de Maastricht(24), critères qui ont volé en éclats avec la crise financière et la récession économique que cela a entraînée en Europe. Ces critères avaient pour objet de permettre d’intégrer l’Union monétaire et économique de l’UE et de permettre l’adaptation d’une monnaie commune et unique qu’est l’Euro (annexe 13). Quatre principaux critères avaient été retenus dans l’article 121, alinéa 1 du Traité de la communauté européenne. Il s’agit principalement :
- du taux d’inflation qui ne devait pas dépasser de plus de 1,5 % les trois plus bas taux d’inflation des Etats membres de l’Union européenne ;
- des finances du gouvernement avec deux critères interdépendants:
- Le déficit annuel du gouvernement exprimé en ratio à savoir le déficit annuel du gouvernement sur le PIB ne devrait pas excéder 3 % à la fin de l’année fiscale. Les exceptions temporaires sont autorisées ;
- La dette du gouvernement exprimée en ratio de la dette brute du gouvernement sur le PIB qui ne doit pas dépasser 60 % à la fin de l’année fiscale ou tout au moins se rapprocher de ce plafond ;
- du taux de change qui suppose que les nouveaux pays entrant dans l’Union européenne doivent avoir rejoint le mécanisme de taux de change en vigueur sous le système monétaire européen depuis au moins deux ans consécutifs sans que le pays candidat n’ait dévalué sa monnaie au cours de cette période ;
- des taux d’intérêt nominal qui à long terme ne devraient pas dépasser de plus de 2% la moyenne des trois pays européens disposant du taux d’inflation le plus faible.
L’objectif majeur de ces critères(25) reste le même : maintenir la stabilité des prix dans l’Eurozone(26) même avec l’arrivée des nouveaux Etats membres. Ce point est un vrai défi pour les espaces monétaires africains. Il est question de s’assurer de la qualité et de la durabilité de la stabilité des prix (inflation, notamment le prix à la consommation, se situant avec moins de 1,5 % par rapport à la moyenne des trois meilleurs pays de l’espace). De plus, il importe de s’assurer de la durabilité du processus de convergence avec des taux d’intérêts à long terme qui se maintiennent autour de 2 % par rapport à la moyenne de l’espace monétaire. Enfin, il faudra respecter une fluctuation moyenne autour de 1,5 % par rapport à la parité de référence, ceci pendant au moins deux ans.
Ainsi, la pertinence des critères de Balassa comme grille d’analyse de la viabilité d’une zone monétaire est mise en doute pour les économies africaines. En effet, en l’absence d’un haut degré d’intégration commerciale, en présence de différences économiques importantes, de problèmes structurels d’insuffisance dans les infrastructures de communication et des chocs asymétriques à répétition tant à l’intérieur des espaces monétaires qu’en provenance du marché international, il est difficile pour les économies d’assurer une rigueur économique dans le respect des critères de convergence économiques et monétaires.
On pourrait se risquer à une analyse comparative à partir des critères de Harrod-Belassa-Samuelson entre la zone Euro, la zone franc, la CEDEAO et la SADC pour montrer les difficultés importantes qu’il convient de lever pour atteindre une union monétaire optimale (voir annexe 5). Il faut donc pour l’Afrique opter pour un “second best” négocié et construire graduellement ses propres critères pour rendre pérenne un espace monétaire optimal.
Avec la fin de la convertibilité du dollar en or en 1971, c’est un système de taux de changes avec des fluctuations limitées qui venait en fait de disparaître. Le nouveau système de changes flottants a ouvert la possibilité du fonctionnement d’un système monétaire international avec des fluctuations des taux de changes importants, ce qui est contradictoire avec les objectifs de stabilité de ces taux dans le cadre d’une coopération monétaire. Afin d’assurer l’essor du commerce mondial, c’est pourtant cette coopération, sous la forme d’union monétaire et économique, qui va servir de rempart contre l’émergence d’un système de dérégulation sans garde-fous. Il fallait neutraliser les entraves au commerce dans un espace monétaire. Ainsi, les points suivants ont servi de pilier à l’émergence d’un espace monétaire cohérent :
- limiter la multiplicité des monnaies ;
- se prémunir contre les risques de change pour ne pas augmenter les charges des entreprises et grever inutilement les budgets des Etats et des ménages ; la gestion multidevise avait un coût non négligeable ;
- faciliter les comparaisons des prix, des politiques monétaires et harmoniser les stratégies en évitant les dévaluations dites “compétitives” qui étaient considérées comme des formes de concurrence déloyale entre les agents économiques d’un même espace monétaire ;
- faciliter une intégration optimale des marchés afin d’aller vers le marché unique et la monnaie commune et unique.
Ces trois phases ont donc pris du temps, soit 37 ans selon que l’on compte à partir de 1971, date de la fin de la convertibilité du dollar, ou 16 ans, avec 1992 comme date de démarrage de l’union monétaire européenne. Les responsables politiques africains, eux, ont fixé à 2028 la mise en œuvre effective de l’union économique et monétaire africaine (annexe 13). Il faut en retenir l’impératif de la convergence et de la fixité une fois pour toutes du taux de change dans l’espace monétaire avec la disparition concomitante des monnaies nationales et un engagement à soutenir la subsidiarité et l’indépendance de la Banque centrale européenne par rapport aux Gouvernements nationaux et la Commission de l’Union européenne.
2.4 Change flottant, panier de monnaies et libre échange
L’union économique et monétaire européenne est un modèle dont l’Afrique devra s’inspirer sans tomber dans le mimétisme institutionnel puisque les conditions politiques et économiques de mise en œuvre sont totalement différentes. La mise en place de l’institut monétaire africain de la zone monétaire ouest-africaine(27) créé en 2000 par cinq pays de la région (Gambie, Ghana, Guinée, Nigeria et Sierra-Leone avec le Liberia comme observateur) n’a pas encore permis d’aider à la création de la monnaie commune dénommée ECO(28). En effet, aucun des Etats n’étaient en mesure de se conformer aux critères de convergence retenus du fait des impondérables externes et internes. Les critères ont été assouplis avec une volonté d’aller vers une monnaie unique à l’échelle de la CEDEAO mais les calendriers fixés sur une base politique n’arrivent pas être respectés. L’Eco aurait dû être mis en circulation en juillet 2005 et aurait dû regrouper les monnaies suivantes : le Naira du Nigeria, le Cedi du Ghana, le Franc guinéen de Guinée, la Leone de la Sierra Léone, le Dalasi de la Gambie et le Dollar libérien du Liberia. Face à un retard et à une difficulté à anticiper l’avènement d’un tel évènement, c’est toute la construction de l’espace économique et sa dérivée monétaire qui est remise à plus tard. La crédibilité et la volonté réelle d’avancer vers un espace monétaire sans respect des règles de convergence et des variations importantes en termes de différentiel d’inflation ne sont que quelques unes des contraintes qui ont pu être levées au niveau de l’Union économique et monétaire européenne.
Il y a donc un vrai problème de stratégie et d’adéquation avec le calendrier qui révèle des insuffisances. La méthode politisée d’approche du problème monétaire doit être considérée comme obsolète. Ce sont des équipes d’experts de haut niveau défendant les intérêts de l’Afrique et de ses régions qui peuvent proposer des approches nouvelles pour faire avancer ce dossier. Rien ne sera possible sans un minimum de subsidiarité et de non-interventionnisme des Etats. Le respect des convergences monétaires ne peut être étudié sans une analyse objective de la légitimité des régimes politiques, de la volonté de servir réellement les populations, du taux de corruption et de son influence sur la discipline fiscale et budgétaire des Etats. Bref, il s’agit quelque part d’indiscipline monétaire dont le poids ne peut cacher les contraintes liées aux crises et chocs économiques qui servent trop souvent d’alibis.
On sait que la moyenne annuelle du taux de l’inflation entre 1960 et 2000 pour les pays d’Afrique subsaharienne oscille entre 4 % pour Djibouti et 1036,22 % pour le Congo démocratique (Yehoue, 2005, p. 14) et qu’avec les nouveaux niveaux atteints par le Zimbabwe, le record aura été battu par ce pays en 2008. Le travail de la convergence monétaire ne peut se faire qu’avec des responsables politiques désireux de converger effectivement. L’exemple des pays en transition qui ont rejoint l’UEM (annexe 14) alors que les différentiels en termes de convergence étaient importants au départ prouve que rien n’est impossible si la volonté effective y est. En réalité, la dynamique de la formation d’un espace monétaire sous-régional ou continental repose d’abord sur les mouvements de l’inflation, les échanges et les capacités d’ajustements dynamiques des économies à partir d’institutions robustes et non d’instructions liées à des individus au pouvoir.
Ainsi, l’émergence effective d’espaces monétaires ayant vocation de se transformer en unions monétaires est intimement liée à l’évolution du commerce à l’intérieur d’un espace géographique et la capacité des autorités à contrôler l’inflation. L’Europe occidentale a vu sa part du commerce intrarégional dans le total de son commerce de biens passer de 51 % en 1928 à plus de 70 % en 1993 alors que celle de l’Afrique est passée de 10 % à 9 % pour les mêmes périodes(29) (annexe 3 et 10). La première raison pour former un bloc, un espace ou une union reste un niveau élevé d’échanges et les contraintes qu’il convient d’enlever pour aller vers des zones optimales en termes de fonctionnement. Ce critère de base n’étant pas rempli, les avantages et inconvénients des expériences ou approches passées risquent de ne pas être suffisants pour expliquer les difficultés africaines. S’agissant d’institutions supranationales, la mauvaise volonté des politiciens d’organiser de manière transparente la subsidiarité contribue à donner un poids prépondérant à la politique sur l’économique. Le fait que l’essentiel du commerce africain est en train de quitter les pays européens vers les pays asiatiques pourrait changer la donne et offrir plus de chance à l’émergence d’un panier de monnaies. L’avènement d’une monnaie par région africaine avec un taux de change flottant et un ancrage autour de trois devises à savoir le Dollar, l’Euro et le Yuan est fortement recommandé. L’Union européenne ne peut que servir d’exemple et non de mode de fonctionnement pour le continent. L’Afrique doit apprendre collectivement à devenir responsable monétairement en retrouvant les vertus de la coopération intrarégionale et la discipline monétaire collective.
Au niveau des intentions, il est vrai que la SADC se propose de créer une banque centrale régionale à l’horizon de 2016 et une monnaie commune en 2018. La communauté des Etats de l’Afrique de l’Est (EAC) se propose d’aller vers un marché commun et une union monétaire sans fixer les dates.
L’Union africaine a demandé à l’Association des banques centrales africaines de proposer un calendrier pour l’avènement d’une Banque centrale africaine (BCA) pour une création en 2021(30). Le Fond monétaire africain (FMA) pourrait être considéré comme un instrument transitoire, encore faut-il tomber d’accord sur sa fonction en relation avec l’Institut monétaire africain (IMA). En réalité, il ne devrait pas y avoir de duplication puisque le FMA devrait plus se consacrer à organiser la veille économique et financière tout en assurant des fonctions de soutien pour les déficits de balance de paiements et servir de fond de solidarité, alors que l’IMA devrait véritablement se consacrer à faciliter l’avènement de la BCA et de la monnaie commune, tout en organisant la convergence des parités en interne et l’avènement d’une monnaie commune arrimée sur un panier de monnaies.
Les avancées parcellaires et segmentées entre les différentes régions africaines ne facilitent pas une cohérence continentale. La grande leçon à retenir en 2008 avec la montée en puissance du commerce avec l’Asie et la Chine en particulier, le choix du panier de monnaies pour arrimer une future monnaie régionale ou continentale doit s’appuyer sur l’existence et l’importance des réseaux commerciaux et des flux monétaires qui en découlent. A l’intérieur de l’espace monétaire retenu, l’exemple européen mérite d’être suivi à savoir qu’un taux fixe dépendant du poids économique et des volontés de solidarité dans la zone doit conduire à déterminer un taux fixe de convertibilité définitive des monnaies nationales par rapport à un étalon monétaire arrimé sur un panier de monnaies. Cet étalon monétaire, par contre, ne peut plus continuer à être arrimé dans la zone francophone uniquement sur l’Euro(31) ou dans les zones anglophones sur le Dollar américain. Il est vrai qu’un compromis avait été proposé de choisir les Droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI(32). Mais paradoxalement, les solutions innovatrices et intrinsèquement discutées pour l’Afrique n’ont pas fait l’objet de rapports ou d’études approfondies. Le changement des flux commerciaux avec la Chine devrait ouvrir le champ pour l’investigation, surtout que les échanges de l’Afrique avec les pays émergents, notamment les pays asiatiques, sont en train de complètement modifier le paysage commercial et donc monétaire africain.
CONCLUSION : ESPACE MONETAIRE, VERS UN EFFET DE LEVIER
En analysant l’évolution du commerce intrarégional africain (annexes 3 et 11) et en soutenant la thèse que ce sont les régions qui ont un flux de commerce intrarégional le plus élevé qui ont aussi la plus grande chance d’être motivées pour respecter les critères de convergence et une discipline monétaire et fiscale, les régions de la CEDEAO et de la SADC devraient pouvoir graduellement adopter une nouvelle stratégie basée sur une monnaie commune régionale arrimée à un panier de monnaies ($US, Euro et Yuan) pouvant fluctuer dans un espace de plus ou moins 3 % par rapport à la moyenne régionale. Il est donc clair que l’union monétaire optimale n’existe pas car il s’agit d’une approche systémique qui ne peut qu’être sub-optimale dans laquelle :
- le choix de l’étalon de référence doit se faire dans le cadre d’une négociation entre les autorités nationales membres de l’espace sous-régional ou continental où la solidarité et la subsidiarité doivent retrouver leur lettres de noblesse ; un régime de taux de change fixe devra permettre une fois pour toutes de fixer le poids économique des pays et amener à des variations d’un étalon devenu régional, en attendant des concordances continentales avant l’avènement d’une monnaie commune continentale;
- les monnaies composant le panier de monnaies servant de monnaie de référence peut faire l’objet d’ajustement avec des pondérations basées sur la réalité des échanges africains avec le monde. C’est aussi cet état de fait qui fera de l’Afrique un interlocuteur crédible et pourrait éviter sa marginalisation des discussions en cours sur l’avènement d’un Bretton-Woods II(33) ; et
- la maladie infantile africaine, consistant à oublier d’introduire de la flexibilité et de l’agilité dans ces processus, doit être circonscrite avec l’admission d’une forme d’élasticité dans les variations externes de la monnaie, réalisée dans le cadre d’un régime de taux de change flottant de l’étalon monétaire commun.
Toute proposition d’une union monétaire en Afrique ne devrait plus reposer sur un mimétisme institutionnel des expériences passées ou venues d’ailleurs mais sur les perspectives de développement d’un marché intrarégional, fondement de la coopération et de l’intégration régionale. Les harmonisations et convergence doivent se faire au niveau sous-régional mais ne peuvent pas se faire en isolation par rapport au processus général de libre circulation des biens, des personnes et du capital. En attendant la levée de l’intangibilité des frontières à terme, une union devrait commencer à prendre corps au niveau monétaire et commercial par la levée des contraintes aux échanges dont notamment : l’amélioration des infrastructures de communication, les barrières tarifaires et non tarifaires formelles ou informelles, la fragmentation et les divergences dans l’environnement institutionnel et juridique et l’absence d’harmonisation effective des stratégies économiques qui reposent encore trop sur un protectionnisme non-dit.
Au lieu de faire des feuilles de route dont les dates butoirs ne sont pas respectées, il serait avisé de se concentrer sur des objectifs stratégiques clairs et des phases d’exécution à portée de main dans la gouvernance économique à savoir : 1. la convergence vers un taux d’inflation bas ; 2. une harmonisation d’une politique fiscale incitative ; 3. des politiques d’ajustements endogènes soutenues par un système de surveillance mutuelle des pairs; 4. la mise en place d’un Fonds monétaire africain décentralisé et continental comme fondement de l’émergence d’une unité et une souveraineté monétaire africaine ; 5. un soutien actif au développement d’un secteur privé productif soubassement d’une politique de croissance économique partagée. En conséquence, la solution proposée ici peut démarrer dans le cadre d’une structure flexible appelée “espace monétaire” où coopération monétaire basée sur une surveillance mutuelle signifierait d’avancer peut-être d’abord avec les pays et les autorités monétaires :
- disposant d’un niveau respectable de réserves ;
- s’engageant à respecter une discipline fiscale, budgétaire et monétaire ;
- réduisant au minimum les financements de type inflationnistes non basés sur une production réelle; et
- ayant une réelle volonté de maîtriser les prix à la consommation et de contrôler l’inflation (voir annexe 9).
En réalité, il faut changer les approches en commençant avec les pays qui sont prêts et qualifiés pour participer à un espace monétaire africain pouvant se décliner en espace décentralisé puis en espace continental. Il est fort probable qu’il y ait quelques retards mais au moins cette fois la stratégie et l’architecture financière et économique ne souffriront plus de remise en cause stratégique. Toutefois, des ajustements systémiques devront avoir lieu face à un environnement imprévisible et changeant.
La feuille de route devra néanmoins comprendre trois grandes étapes à l’instar de l’Union européenne :
1. une période préparatoire ayant pour objectif d’atteindre une réelle et effective convergence économique ;
2. une période de transition où compensation et changes entre les monnaies ne devraient plus rencontrer d’obstacles ;
3. l’adoption d’une nouvelle unité de compte.
Au-delà du problème monétaire, les pays africains devront revoir leur mode de fonctionnement et de réactivité face aux évènements mondiaux. Les situations de viscosité décisionnelle(34) ne peuvent servir les intérêts des citoyens africains si la monnaie, en tant qu’équivalent général et comprenant les fonctions d’unité de paiement, d’unité de compte et d’unité de réserve, n’est pas prise au sérieux en dehors de son rôle de pouvoir. La monnaie doit servir d’effet de levier pour les échanges et la croissance économique partagée.
La crédibilité des autorités politiques et économiques du continent doit aussi se lire en fonction du respect des engagements monétaires de subsidiarité. On peut alors croire à l’avènement d’une monnaie africaine dans un tel contexte. A défaut, il s’agira d’une monnaie de singe(35) dont la crédibilité sera remise en cause au moindre choc financier. Par ailleurs, les ingérences intempestives et discrètes des chefs d’Etat auprès de l’institut central d’émission national comme régional pour s’octroyer des crédits pour éponger des déficits budgétaires liés à des arbitrages maladroits auraient pour conséquence d’exporter les défaillances de l’Etat vers la banque centrale. La conséquence directe se lira sur la valeur et la qualité de la monnaie en circulation qui perdra en crédibilité. On passera alors d’un Etat défaillant économiquement à une banque centrale défaillante usant d’une monnaie affaiblie.
En conséquence, la compétitivité des économies africaines et la capacité des Etats africains à générer des ressources budgétaires saines ne peuvent être dissociées de la nécessité de respecter une certaine indépendance des institutions d’émission monétaire et un certain autocontrôle structuré autour des critères de convergence. L’avènement d’une monnaie commune africaine crédible devra passer par plusieurs étapes avant de devenir à terme une monnaie unique. Paradoxalement, l’accélération du processus devra passer par la levée de l’intangibilité des frontières actuelles, au moins sur le plan de la libre circulation des biens, des services, du capital et des personnes.
Pour attendre cet objectif, l’Afrique doit s’attacher à organiser l’harmonisation et la convergence de certains critères macro-économiques. Les pays avec un déficit chronique et une dette publique importante sont aussi ceux qui ont des difficultés pour organiser d’abord la convergence de leur taux d’inflation (généralement trop élevé) et une discipline fiscale et monétaire(36). La coopération entre des Etats africains, qualifiés parfois d’Etats défaillants sur le plan économique, d’Etats organisés en fonction des recettes instables imposées par les termes de l’échange (voir annexe 6) ou encore d’Etats dépendant des variations climatiques, sont d’autant de contraintes qui peuvent faire croire à un défi impossible à relever. Pourtant, il suffit de s’organiser collectivement et graduellement pour que la monnaie retrouve sa fonction puissante et dynamisante d’effet de levier.YEA.
Bibliographie sélective
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2005 – YEHOUE, Etienne B: On the Pattern of Currency Blocs in Africa, IMF Working Paper WP/05/45, March 2005
7. ANNEXES :
Annexe 1: Taux de change effectifs nominaux, (Moyenne annuelle, indice 2000 = 100)
Source: FMI 2008, Perspectives économiques régionales: Afrique subsaharienne, octobre 2008, Washington, USA, p. 81.
Annexe 2: Afrique subsaharienne : Indicateurs choisis
(Moyenne annuelle 1980-2005, en % du PIB)
Source: Alfredo BALDINI & Marcos Poplawski RIBEIRO, “Fiscal and Monetary Anchors for Price Stability: Evidence from Sub-Saharan Africa”, IMF Working Paper, WP/08/121, May 2008, p. 25.
Annexe 3: Commerce intra-régional en Afrique, 1970-2006, en millions de $US
Source: World Bank, World Development Indicators 2004 et 2008.
Annexe 4: Croissance de pays et régions choisis en 2009, PIB réel en %
Source: FMI, Perspectives économiques régionales: Afrique subsaharienne, 6 novembre 2008, mise à jour, Washington, USA, p. 5.
Annexe 5: Vers un aspect monétaire négocié : union monétaire optimale
Source: Yves Ekoué Amaïzo
Annexe 6: Termes de l’échange : Afrique subsaharienne (ASS), pays avec régime de taux de change fixe et pays avec un régime de taux de change flottant, moyenne annuelle, indice 2000 = 100
Source : FMI 2008, Perspectives économiques régionales: Afrique subsaharienne, octobre 2008, Washington, USA
Annexe 7: Intégration régionale: de la théorie à la pratique
Source: Yves Ekoué Amaïzo
Annexe 8 : PIB réel par habitant, en $ US : de 1997-2002 à 2007
Source : FMI 2008, Perspectives économiques régionales: Afrique subsaharienne, octobre 2008, Washington, USA
Annexe 9 : Croissance du PIB réel, en %; prix à la consommation: 1997-2002 à 2007
Annexe 10 : Commerce intra- et extra- régional de marchandises en 2007, en % de la part mondiale
Annexe 11 : Commerce entre la Chine et l’Afrique
Source : World Trade Organization, International Trade Statistics 2008, p. 205.
Annexe 12 : Quelques unions monétaires en formation en Afrique
Source : FMI, Perspectives économiques régionales – Afrique subsaharienne, octobre 2008, Washington, USA, p. 58.
1. Les pays de la zone CFA (Communauté Financière Africaine) disposant d’un taux de change fixe entre leur monnaie et une monnaie extérieure :
- UEMOA : l’Union économique monétaire ouest-africain avec les pays suivants : Bénin, Burkina-Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo;
- CEMAC : la Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale avec les pays suivants : Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad.
2. Les pays de la zone non CFA(37) disposant d’un taux de change flottant entre leur monnaie et le reste du monde :
- Zone monétaire de l’Afrique de l’ouest (WAMZ, West African Monetary Zone): Gambie, Ghana, Guinée, Nigeria and Sierra Leone, (Liberia a indiqué son intérêt de rejoindre le groupe)
3. Les pays non membres des ces deux zones et disposant d’un taux de change flottant entre leur monnaie et le reste du monde.
- Ces pays ont leur propre monnaie et une banque centrale autonome ainsi qu’une monnaie propre ; on peut citer : Algérie, Djibouti, Egypte, Erythrée, Ethiopie, Lybie, Maroc, Soudan, Tunisie.
Annexe 13 : La formation de l’espace monétaire eurozone : 1990 – 2008
Source : Paul DE GRAUWE 2007, Economics of Monetary Union, 7 Edn, Oxford University Press, USA
Les principaux membres de l’Europe ont mis en route une union économique et monétaire pour neutraliser ces entraves. Mais avec les accords de Bâle en 1972, il a fallu graduellement structurer un “serpent monétaire” entre 1972 et 1978 avec 5 monnaies(38) afin de limiter les fluctuations de change entre les pays membres.
En 1979, le système monétaire européen a succédé au serpent monétaire avec trois principes fondamentaux :
- La création d’un étalon monétaire (l’ECU – European currency unit), défini sur la base d’un panier de monnaies pondérée selon le poids économique(39) ;
- Les banques centrales avaient pour mission de conserver le taux de change de leur monnaie autour d’un taux pivot arrimé à l’ECU ;
- L’obligation faite aux autorités monétaires de coopérer notamment en imposant aux banques centrales de se soutenir mutuellement afin de maintenir et garantir la stabilité des taux de changes. Une structure (le Fond européen de coopération monétaire – FECOM) a été créée pour intervenir sur les marchés en cas de besoin.
En parallèle, l’évolution vers le marché commun gagnait en opérationnalité. En 1986, l’Acte unique européen a consacré le principe de libre circulation des marchandises, des services, des hommes et des capitaux. En 1989, le rapport Delors, du nom du Président français de la Commission de l’époque Jacques Delors, a posé comme principe la fixité définitive des taux de change pour réussir l’union économique et monétaire européen avec une mise en œuvre en trois phases :
1990-1992 : Première phase de l’UEM
Dès le 1er juillet 1990, le principe de l’abolition de toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres fut adopté. Le Comité des gouverneurs des banques centrales des États membres de la Communauté économique européenne a vu sa mission de consultations s’élargir vers celui de la coordination des politiques monétaires afin de réaliser la stabilité des prix. Des modifications institutionnelles du Traité de Rome de 1958 instituant le Communauté économique européenne étaient nécessaires et ont abouti au Traité instituant la Communauté européenne, signé le 7 février 1992 à Maastricht. Dans les annexes du Traité, il faut faire référence au statut sur le système européen des banques centrales, celui de la Banque centrale européenne (BCE) et celui de l’Institut monétaire européen, entrés en vigueur en le 1er novembre 1993.
C’est bien le Traité de Maastricht qui créa l’Union européenne et les conditions du passage à la monnaie unique avec les fameux critères de convergence, conditions d’intégration de l’Union monétaire qui reposent sur les cinq points suivants :
- Le taux d’inflation ne doit pas excéder de plus de 1,5 % celui des trois pays membres ayant les plus faibles taux d’inflation ;
- le déficit budgétaire doit être inférieur à 3 % du PIB ;
- un endettement public inférieur à 60 % du PIB ;
- les taux d’intérêts réels à long terme ne doivent pas excéder de 2 % celui des trois pays membres ayant les plus faibles ;
- pas de dévaluation monétaire dans les deux années précédant l’intégration à l’union monétaire.
1993-1998 : Deuxième phase de l’UEM
Le 1er janvier 1993, c’est l’ouverture effective du marché unique. L’institut monétaire européen (IME) a démarré ses activités le 1er janvier 1994 mais ne faisait pas des interventions de change. Les autorités nationales avaient conservé la prérogative de la conduite de la politique monétaire. Les deux missions principales de consultation de l’IME consistaient à :
- renforcer la coopération entre les banques centrales nationales et la coordination des politiques monétaires ; et à
- assurer la préparation nécessaire à l’instauration du Système européen de banques centrales (SEBC), à la conduite de la politique monétaire unique et à la création d’une monnaie unique, lors de la troisième phase
- structurer les relations entre la zone euro et les autres pays de l’UE.
C’est en 1995 que le Conseil européen a décidé que l’unité monétaire européenne serait l’Euro et débuterait le 1er janvier 1999 selon un calendrier annoncé à l’avance. En décembre 1996, c’est l’IME qui a proposé le nouveau mécanisme du taux de change adopté en juin 1997.
Afin de compléter et de préciser les dispositions du Traité relatives à l’UEM, le Conseil européen a adopté, en juin 1997, le Pacte de stabilité et de croissance a été adopté et porte sur la discipline budgétaire et les engagements des Etats en 1998. Le 2 mai 1998, 11 pays remplissant les conditions pour adopter la monnaie commune et unique le 1er janvier 1999 (Allemagne, l’Autriche, Belgique, l’Espagne, Finlande, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal). Ces pays ont nommé le directoire de la BCE notamment le Président et le vice-Président.
Les ministres des finances des États membres ont adopté la monnaie unique puis avec les gouverneurs des banques centrales nationales des États membres concernés, la Commission européenne et l’IME, ont décidé que les cours-pivots bilatéraux des monnaies des États membres serviront à déterminer les taux de conversion irrévocables de l’Euro.
Le 25 mai 1998, les gouvernements des onze États membres participants ont nommé le Président, le vice-président et les quatre autres membres du directoire de la BCE. Leurs nominations, qui ont pris effet à compter du
Le 1er juin 1998, la BCE a été mise en place et constitue avec les banques centrales nationales des États membres participants l’Eurosystème, qui formule et définit la politique monétaire unique. L’IME, ayant fini sa mission, a été fermée.
1999-2008 : Troisième phase de l’UEM
Le 1er janvier 1999, la mise en œuvre de la fixation irrévocable des taux de change des monnaies par les onze premiers Etats membres de l’Union monétaire et la politique monétaire unique sous la responsabilité de la BCE est effective.
Les marchés financiers utilisent l’Euro dès 1999 dans la zone euro et la monnaie fiduciaire est introduite en 2002. La Grèce a rejoint l’UEM le 1er janvier 2001 et la Slovénie au 1er janvier 2007. Chypre et Malte adoptent l’Euro au 1er janvier 2008.
Notes :
(1) ANONYME 2008, “G20: L’Afrique veut être entendue”, Le Parisien et l’AFP, 16 novembre 2008, <http://www.leparisien.fr/economie/g20-l-afrique-veut-etre-entendue-16-11-2008-311408.php>
(2) De la zone de préférence commerciale à l’intégration économique optimale.
(3) AEC: African Economic Community
(4) WTO, International Trade Statistics 2008, Geneva, Switzerland, p. 10.
(5) Il faut citer la Russie qui a prêté à l’Islande, un Etat devenu défaillant suite à la crise financière, et la Chine qui a permis de sauver les principales banques et sociétés d’assurance ainsi que les fonds islamiques qui fondent leur système sur le “refus de la prise d’intérêt”, qui sont ainsi devenus malgré eux des prêteurs en dernier ressort. Même la Libye a été appelée au secours pour renflouer des banques comme UNICREDIT en Italie.
(6) Bwemba BONG, « Zone monétaire de l’Afrique Noire : Passé, Présent et Futur », voir sur le site Internet <http://www.africamaat.com/article.php3?id_article=243&artsuite=2>
(7) La Livre Sterling était la monnaie de réserve par excellence au cours des 18e et 19e siècles.
(8) Sources : 1995-1999, 2006-2007 IMF: Currency Composition of Official Foreign Exchange Reserves
Sources: 1999-2005, ECB: The Accumulation of Foreign Reserves.
(9) Le Bénin peut servir d’exemple, voir Yves Ekoué Amaïzo, “Bénin, “real Politique” sans discussion”, in Risques Internationaux, numéro 109, novembre 2008; avec 45,4 % du total des importations du Bénin en 2007 provenant de la Chine, le Bénin n’a pas encore compensé son solde commercial négatif (-7 %) avec ce pays. Le Bénin exporte 38,3 % vers la Chine. Les importations de la France ne sont plus que de 8,3% en 2007, soit plus de cinq fois moins qu’entre le Bénin et la Chine, voir EIU, Benin Country report October 2008, p. 4.
(10) Yves Ekoué AMAÏZO, « De la zone franc à la zone euro : de la régionalisation des monnaies africaines », in Revue Nord-Sud XXI, n° 17 (5), 2001, pp. 71 à 123 – voir page 97.
(11) Alfredo BALDINI & Marcos Poplawski RIBEIRO, Fiscal and Monetary Anchors for Price Stability: Evidence from Sub-Saharan Africa, IMF Working Paper, WP/08/121, May 2008, p. 25.
(12) Yao Séraphin PRAO, “le Franc CFA dans l’ornière de la dévaluation”, in L’Info alternative, février 2008, http://www.alterinfo.net/LE-FRANC-CFA-DANS-L-ORNIERE-DE-LA-DEVALUATION_a16873.html et < http://www.mlan.fr/cfadevaluation.htm >
(13) FMI, Perspectives économiques régionales: Afrique subsaharienne, octobre 2008, p. 78
(14) Le “yuan” est la devise nationale de la République populaire de Chine “yuan renminbi” (en chinois “yuan monnaie du peuple”, abrégé en “RMB“). Son symbole latinisé est ¥ (même si l’usage consiste à ne mettre qu’une seule barre sur le Y). En chinois simplifié : 元 et en chinois traditionnel : 圓 et yuán en pinyin ; voir Chine Informations, http://www.chine-informations.com/guide/le-yuan-ou-renminbi-rmb-la-monnaie-chinoise_771.html
(15) FMI 2008, Perspectives économiques régionales: Afrique subsaharienne, octobre 2008, Washington, USA. p. 81.
(16) Economic Intelligence Unit, Benin Country Report, October 2008.
(17) IMF a, op. cit., p. 63.
(18) Cette situation, basée sur une approche empirique de l’économie, apparaît dans des espaces monétaires en période de fortes inflations où les agents économiques préfèrent les monnaies étrangères et évitent la monnaie officielle (légale). Il arrive dans le cas des trocs que des biens réels soient préférés à la monnaie comme le pratiquent les autorités chinoises en Afrique dans le cadre du partenariat “gagnant-gagnant”.
(19) Jeffrey FRANKEL 2004, Real convergence and euro adoption in Central and Eastern Europe : trade and business cycle correlations as endogenous criteria for joining EMU, in Harvard University Working Paper, John F. Kennedy School of Government, Aug. 2004, Cambrigde, Massachussets, USA, 22 pages.
(20) Yves Ekoué AMAÏZO, “Nouvelles institutions financiers africaines: la diversification en marche”, in le Continental, n° 75, Novembre 2008, p. 28.
(21) J. TICA & I. DRUZIC 2006, The Harrod-Balassa-Samuelson Effect: A Survey of Empirical Evidence, FEB Working paper series No. 0 6-0 7, University of Zagreb, Croatia, viewed on <http://web.efzg.hr/RePEc/pdf/Clanak%2006-07.pdf>
(22) György SZAPARY 2001, “Transition Countries’ Choice of Exchange Rate Regime in the Run-Up to EMU Membership”, in Finance & Development, IMF Journal, June 2001, Volume 38, Number 2, viewed 14 November 2008 on <http://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/2001/06/szapary.htm>
(23) Josip TICA & Ivo DRUZIC 2007, The Harood-Balassa-Samuelson Effect: A Survey of Empirical Evidence, FEB Working paper series No. 0 6-0 7, University of Zagreb, Croatia, viewed on <http://web.efzg.hr/RePEc/pdf/Clanak%2006-07.pdf>
(24) A LIPIÑSKA 2008, The Maastricht Convergence Criteria and Optimal Monetary Policy for the EMU Accession Countries, Working Paper European Central Bank ECB, No. 896, May 2008, viewed http://www.ecb.int/pub/pdf/scpwps/ecbwp896.pdf
(25) Ces critères sont inspirés des critères de Maastricht, eux-mêmes en pleine “réforme” du fait de la crise financière, avec l’incapacité de grands pays comme l’Allemagne et la France à respecter ces critères et l’entrée des pays de l’Europe de l’Est dans la zone Euro.
(26) Voir aussi ” La Fondation pour une Histoire de la Civilisation européenne”, 13ème Colloque de la Fondation, 30 nov. -1er décembre 2007, voir :
< http://www.civeurop.org/doc/col/PROGRAMMEprovisoire-13eme-Colloque-de-la-Fondation.pdf>
(27) Paul MASSON and Catherine PATTILLO 2001, Monetary Union in West Africa (ECOWAS), IMF Occasional Paper No. 204, Washington, USA
(28) Falila GBADAMASSI 2003, “Nouvelle monnaie commune en Afrique de l’Ouest : Une devise pour les pays hors de la zone CFA : l’Eco”, in Afrik.com, 30 octobre 2003< http://www.afrik.com/article6735.html>
(29) WORLD TRADE ORGANIZATION, Regionalization and the World Trading System, April 1995, Geneva, Switzerland
(30) Article 19 : Les institutions financières : L’Union africaine est dotée des institutions financières suivantes, dont les statuts sont définis dans des protocoles y afférents : a) la Banque centrale africaine; b) le Fonds monétaire africain; c) la Banque africaine d’investissement ; voir sur l’Internet : Acte constitutif de l’Union africaine : http://www.aidh.org/Biblio/Txt_Afr/Ua_actconstit.htm
(31) Romain VEYRUNE 2007, “Fixed Exchange Rates and the Autonomy of Monetary Policy: The Franc Zone Case”, in IMF Working Paper n° 07/34, IMF Washington, USA
(32) WEST AFRICAN MONETARY INSTITUTE 2003, Preliminary Study Report on Banking Supervision in the WAMZ, 10-11 August 2003, WAMI, Accra, Ghana
(33) Yves Ekoué Amaïzo, “Bretton-Woods II. L’Afrique sous-estimée”, viewed on Afrology Think Tank Editorial, Novembre 2008, < http://www.afrology.com/>
(34) Yves Ekoué Amaïzo, De la dépendance à l’interdépendance. Mondialisation et marginalisation. Une chance pour l’Afrique ?, collection « interdépendance africaine », éditions L’Harmattan, Paris, 1998.
(35) Bwemba-Bong, « Zone monétaire de l’Afrique Noire : Passé, Présent et Futur », voir sur le site : http://www.africamaat.com/article.php3?id_article=243&artsuite=2
(36) Alfredo Baldini & Marcos Poplawski Ribeiro 2008, Fiscal and Monetary Anchors for Price Stability: Evidence from Sub-Saharan Africa, IMF Working Paper, No. WP/08/121, May 2008 (see Annex 2).
(37) Yves Ekoué AMAÏZO, « De la zone franc à la zone euro : de la régionalisation des monnaies africaines », in Revue Nord-Sud XXI, n° 17 (5), 2001, pp. 71 à 123 – voir page 97.
(38) Deutsche Mark, Franc, Florin, Couronne danoise et Franc belge.
(39) A l’époque, le Deutsche mark avait un poids de 32% et le Franc français avec 20% et la Livre sterling avec 11%.
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