Directeur du groupe de réflexion, d’action et d’influence « Afrology »
Suite à la réunion du Comité de politique monétaire de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC) le 20 mars 2008 à Yaoundé, le Gouverneur de la BEAC, Philibert Andzembe, a annoncé des excédents de liquidités vis-à-vis des banques commerciales(1).
1. Surliquidité en CEMAC ne rime pas avec bien-être
Le gouverneur de la BEAC estime que cela peut générer un élément de risque par rapport à la stabilité de la monnaie. Plus de 4 000 milliards de CFA sont placés auprès du Trésor français, le fameux compte d’opération qui rassemble tous les profits financiers africains pour les gérer à la place des Africains. Le Franc français est décédé depuis l’avènement de l’Euro mais les autorités africaines préfèrent vivre avec les morts, un Franc français fondu dans l’Euro continue à faire vivre une monnaie connue maintenant sous le vocable CFA Ne dit-on pas que les « morts ne sont pas morts » en Afrique ?
Malgré une amélioration de la croissance économique de 4,1 % en 2007 et une estimation d’environ 6,2 % en 2008, on assiste à une augmentation de l’inflation liée entre autres, ceci paradoxalement, au prix du pétrole et à l’augmentation des biens alimentaires que la zone importe de plus en plus. A l’image de la Banque centrale européenne, la BEAC ne change pas ses principaux taux d’intervention et augmente même le coefficient des réserves obligatoires applicables aux établissements de crédit des pays à forte liquidité. Cette trop grande prudence ne peut permettre de dynamiser la situation dans la zone au profit des petites et moyennes industries et entreprises et de l’artisanat, principaux créateurs d’emplois.
2. Grogne des populations et distribution du pouvoir d’achat bloquée
En réalité, voici une vraie raison de la grogne des citoyens qui réclament un véritable partage des fruits de la croissance. Les populations se retrouvent en fait prises dans le piège du pouvoir d’achat en réduction régulière… Les révoltes du Cameroun et d’autres qui risquent de suivre ici et là pour les mêmes raisons ne sont que des signes annonciateurs d’une économie africaine qui ne se soucie plus de créer des emplois et en impute la faute à la globalisation au lieu de regarder de plus près la mauvaise gouvernance et les choix non générateurs de dynamisme économique, d’innovation, d’agglomération des compétences, de transfert de technologie et d’expertise, de développement industriel et de productivité agricole.
S’il faut rajouter au tableau l’aberration consistant à ouvrir dans la zone deux marchés boursiers régionaux (Douala et Libreville), il faut croire que l’efficacité économique, boursière et financière demeure le dernier des soucis de certains haut-responsables politiques… Justement, est-ce parce qu’il s’agit de responsables politiques et non de responsables économiques que les choix stratégiques sont aussi non performants ? Espérons malgré tout que le marché boursier pourra effectivement devenir une réalité en 2010 si les réformes structurelles en cours ne restent pas lettre morte. Il ne s’agira d’ailleurs pas seulement de faciliter l’accès aux ressources financières pour les Etats mais surtout permettre plus de flexibilité dans le financement des entreprises productives sur le terrain. Alors quel est le problème ?
3. Les autorités politiques veulent-elles véritablement créer une monnaie régionale ?
Comment une zone telle la CEMAC peut-elle avoir une surliquidité indécente et qu’en même temps, il soit possible d’assister aux révoltes de pouvoir d’achat au Cameroun depuis les derniers évènements qui ont trouvé leur apogée à Douala en février 2008(2).
Il y a surliquidité car tous les pays de cette zone sont de fait des pays pétroliers. Avec l’envolée du prix du pétrole, les réserves, ne sachant où s’investir, se sont accumulées auprès des gouvernements, des banques locales(3) et par ricochets auprès de la banque centrale. La croissance prévisible de 2008 en Afrique centrale de 6.2% est justifiée(4) mais n’arrive pas à atteindre les deux chiffres(5)(10% ou plus) car celle-ci n’est pas convertie dans l’industrialisation, ni dans la recherche des gains de productivité, notamment dans le secteur agricole.
Il y aurait une menace sérieuse à l’horizon pour les économies de la zone, même si les réserves de tous les pays de la zone ne sont pas très élevées et les importations se sont accélérées et ont créé une pression inflationniste faisant augmenter la pauvreté et disparaître les classes moyennes, lesquelles ne sont plus le moteur de la croissance économique. Cette menace n’est assurément pas la population, ni son dynamisme mais bien la mauvaise gouvernance qui fait que les surliquidités ne se traduisent pas en épargne pour dynamiser l’investissement productif.
Avec les pressions inflationnistes en augmentation, le pouvoir d’achat va s’amoindrir de plus en plus et les révoltes des populations risquent de s’amplifier. En contrepartie, certains politiciens n’ont pas hésité à faire croire que certains sont en train de s’attaquer à leur pouvoir et vont jusqu’à s’en prendre à la partie de la population qui manifeste spontanément son mécontentement face à la baisse structurelle du pouvoir d’achat. Pourquoi tant d’incompréhensions et de refus d’écouter le peuple ? Pourquoi la stabilité qui devient synonyme de longévité au pouvoir est trop souvent synonyme d’organisation du silence des cimetières et surtout celui des « opposants réels ou virtuels » afin de bloquer toutes les chances d’alternances ? Qui cherche en fait à instrumentaliser par avance ce qui s’est passé au Kenya ? Il ne s’agit là de rien d’autre que de la gouvernance du statu quo où la vérité des urnes est sacrifiée au partage du pouvoir, gagné grâce à des médiations internationales et africaines sur fonds de faux conflits ethniques sanglants qui cachent les pertes structurelles de pouvoir d’achat d’une partie importante de la population kenyane.
Une autre vraie menace pour le franc CFA reste la dévaluation unilatérale. En effet, si les banques demeurent surliquides en Afrique centrale, c’est la zone CFA de l’ouest qui risque d’être forcée à dévaluer et on risque de voire une évolution vers deux zones avec deux taux différents. En fait c’est ce qui se passe actuellement avec des décotes parfois atteignant près de 30% entre les deux zones CFA. Il s’agit, souvent de manière discrète, de perceptions diverses sous forme de commissions ou frais divers de change entre les deux zones. En réalité, les économies de l’Afrique centrale francophone comme celle de l’Afrique de l’ouest en refusant de faire plus d’efforts pour respecter les critères de convergence monétaire ne se donnent pas les moyens de créer les conditions pour créer, sur une base politique, l’avènement d’une monnaie africaine sous-régionale.
Pourquoi le feraient-elles ? Le surplus est recyclé par le compte d’opérations de la zone franc et profite donc indirectement à la France par le biais du trésor français. Le fin droit de véto de la France dans le conseil d’administration des Banques centrales la zone CFA n’a jamais fait l’objet de discussion. Si chacune des banques centrales y trouve son compte, pourquoi faut-il changer un tel arrangement ? On en revient toujours à la priorité donnée aux intérêts étrangers sur les intérêts des populations africaines.
Pour que les surliquidités servent au développement de tous, il faut que les banques locales (souvent contrôlées par un conseil d’administration non-africain) changent leurs méthodes de financement qui se focalisent principalement sur le financement du commerce, du trading et des opérations de court terme… Un transfert à des structures de micro-finance, un meilleur soutien aux capacités productives et surtout une plus grande confiance aux projets de la Diaspora économique auraient pu permettre d’améliorer la situation mais les banques ne se « mouillent » pas et la banque centrale se contente de jouer à l’arbitre tant que ses comptes sont en ordre… Les banques centrales de la zone ne peuvent accompagner l’économie à l’instar de ce que fait la Federal Reserve (Fed), la banque centrale des Etats-Unis. Suivre la position de la banque centrale européenne avec une monnaie « surévaluée » ne profite nullement aux exportations africaines et les rend de moins en moins compétitives tout en augmentant les dépenses en intrants et les coûts des importations, créant ainsi un déficit structurel des balances des paiements, déficit intolérable à terme car générateur de nouvelle crise de la pauvreté et des révoltes du pouvoir d’achat.
4. L’impossible interdépendance entre surplus et infrastructure
Il n’y a en fait pas de véritables initiatives et de dynamique de la création de la valeur ajoutée au profit des populations… Les gouvernants se contentent de gérer les surplus émanant du pétrole ou des matières premières en les plaçant à l’extérieur. Certains ne profitent même pas de cette opportunité pour avoir gagé quelques années plus tôt le prix du baril en dessous de 30 $ des Etats Unis…. alors que le prix du marché évolue aujourd’hui autour de 100 $ US le baril. La différence qui échappe à l’Afrique, n’est surement pas mise de côté pour développer les infrastructures de bien-être au profit des populations africaines. YEA.
(1)Christian LANG, « BEAC : Surliquidité bancaire: menace économique en CEMAC », in le Messager, 25 mars 2008 ; voir http://www.camerounlink.net/fr/news.php?nid=36504
(2)Voir Emeutes au Cameroun : http://www.cameroon-one.com/site/albums/view_pics.php?id=26&op=view
(3)Robert WANDA, « Risques, comportements bancaires et déterminants de la surliquidité », in Cahiers électroniques du CRECCI, IAE – Cahier 24 – 2007, N° ISRN IAE 33/CRECCI-2007-24-FR, Université Montesquieu, Bordeaux, février 2007 ; http://www.iae-bordeaux.fr/documents/cahiers_recherche/CahierCR24.pdf
(4)Le taux de croissance de la zone CEMAC n’était que de 3,2 % en 2006 contre 3,7 % en 2005 ; voir Infos Plus Gabon, Afrique Centrale: BEAC, « Séance inaugurale du comité de politique monétaire », 11 Janvier 2008 ; voir http://fr.allafrica.com/stories/200801110982.html
(5)Sauf pour la Guinée Equatoriale