Note de lecture du livre de Sanou Mbaye
Dr. Yves Ekoué Amaïzo
Directeur du groupe de réflexion, d’action, l’influence « Afrology »
Qui peut s’opposer à la démarche de Sanou Mbaye, un panafricain convaincu qui décide d’offrir son expérience et ses nobles idées à la postérité. En effet, puisque l’Afrique des décideurs semble refuser d’intégrer tous ceux qui ne sont pas issus du moule commun formaté dans le consensus des Occidentaux, alors des ouvrages comme ceux de Sanou Mbaye vont continuer à réveiller les consciences. Adhérer à la loi du silence, voire parfois travailler pour les intérêts autres que ceux du continent africains pour obtenir des postes honorifiques, et plus grave œuvrer contre l’intérêt des populations africaines notamment les sans-voix relève non plus du cynisme mais du délit, voire du crime. Non, il ne s’agit pas de l’ouvrage d’un révolté ou d’un excité comme on n’a pu l’entendre ici et là. Il s’agit de l’ouvrage de celui que les Occidentaux comme leurs imitateurs africains n’ont pas pu formater.
Les qualificatifs à l’emporte-pièce de grands économistes africains qui offrent des alternatives et une vision d’une Afrique meilleure doivent même être considérés comme des compliments, quelles que soient leurs origines et leurs significations. Le livre a bien atteint son objectif s’il réussit à faire parler, jaser diront certains, de la nécessité de ne plus rester silencieux sur le sort réservé aux Africains par d’autres Africains dans la mondialisation. En effet, les vérités et les propositions de l’auteur font mal parce qu’elles révèlent la faiblesse des choix actuels des dirigeants africains en économie. Ces choix reposent trop souvent sur un mimétisme qui donne l’impression qu’il n’y a pas de cerveaux africains y compris dans la Diaspora qui peuvent offrir des alternatives opérationnelles. Ne faut-il pas se méfier d’ailleurs de l’autocensure des Africains lorsque cela ne sert qu’à freiner les alternatives. Alors quand cette autocensure est télécommandée par l’Occident, il faut apprendre à en lire les formes nouvelles. C’est à cette tâche importante que s’est attelé Sanou Mbaye, doublement motivé par le retour perpétuel de la mémoire de son feu fils Babou, un panafricaniste émergent qu’un accident de voiture a prématurément ramené à Dieu. Toute la famille a contribué alors à faire de leur soutien moral à l’Auteur une source d’inspiration originale qui rappelle aux vivants que”les morts ne sont pas morts”, ils sont ailleurs…
Le livre de Sanou Mbaye a un autre mérite. Il répond indirectement à toute cette flopée de pseudo-intellectuels qui estiment qu’ils sont les seuls à détenir la vérité sur les Africains, les seuls à pouvoir parler de l’Afrique ou encore les seuls à offrir des solutions aux Africains. Comme la plupart de ces solutions vont contre l’intérêt des Africains et leur mieux-être, on peut se demander s’il s’agit d’ignorance ou tout simplement de défense des intérêts propres. La naïveté de nombreux Africains, prompts à croire à un avenir meilleur, sans se poser la question des moyens pour y parvenir, ni de la volonté réelle de celui ou celle qui propose cet avenir dit meilleur, fait qu’il y a une impression généralisée que l’Afrique tourne sur elle-même sans décoller. Même le Fond monétaire international a tenté récemment (10-11 mars 2009 à Dar-Es-Salaam, Tanzanie) d’amener les dirigeants africains à lui confier la représentation de l’Afrique au G20. Heureusement, les dirigeants africains, anglophones en particulier, ont réussi à mettre le holà en disant non collectivement. Il faut toutefois avouer que les responsables des pays d’Afrique francophone se sont abstenus alors que le oui leur brulait les lèvres. Mais comment peut-on faire vraiment confiance à une institution qui ne fait jamais de mea-culpa et ne reconnait pas elle-même ses erreurs passées dans les orientations stratégiques de l’Afrique ? C’est dans ce contexte qu’il convient de lire le livre-bilan de l’Auteur. Oui, il s’agit souvent d’un bilan car l’essentiel des points exprimés sur la plupart des sujets historiques, d’actualité ou futuristes ont été analysés sur le blog de l’auteur : https://sanoumbaye.afrocentricity.net/
Comme l’Afrique ne sert fondamentalement que de variables d’ajustement pour l’Occident, il est difficile d’accepter que l’Afrique vole au secours de l’Occident comme pourrait le laisser croire Anne-Cécile Robert. Il n’y a rien de volontaire de la part de l’Afrique dans cette histoire. Pour certains, il s’agit simplement de pillage et de gangstérisme économiques soutenus par des réseaux de décideurs puissants ayant leur relais africains dans les interstices de la démocratie falsifiée. Par contre, il n’est pas évident non plus que la vision de Sanou Mbaye de voir l’Afrique voler au secours de l’Afrique devienne réalité rapidement. En effet, comme il le remarque lui-même, le mal africain n’est pas que l’Afrique ne serait pas rentrée dans l’Histoire, n’en déplaise à quelques apprenti-conseillers de l’Elisée ou de chefs d’Etat africains, mais la “capacité d’auto-nuisance des Africains eux-mêmes” et les conséquences collatérales de l’exploitation coloniale notamment au plan psychologique sont en partie responsables. Sur un autre plan, le mimétisme et la décision collective d’aller vers des options décisionnelles en Afrique où le dénominateur commun est tellement minimaliste que les décideurs africains ne se rendent plus compte qu’ils font plus dans le statuquo ou dans le suivisme quant ils ne jouent pas simplement aux observateurs de circonstance en faisant croire qu’ils sont acteurs de l’Histoire africaine. Il est vrai que mettre d’accord plus de 54 pays africains est une gageure. Mais ce n’est pas impossible si un système de vote démocratique se mettait graduellement en place.
C’est donc contre la soumission des dirigeants africains, leur refus d’éclairer les populations par la transparence dans les informations et la soif des postes honorifiques qui fait que l’on tort le cou à la vérité des urnes au moment les peuples veulent procéder à leur choix. Il est donc clair que pour Sanou Mbaye, la pauvreté n’est pas une fatalité au contraire, elle peut même être auto-entretenue par un système de prêt remboursé par d’autres prêts qui constitue le piège de certaines institutions financières internationales et africaines, agissant alors comme de véritables courroies de transmission d’un vaste système de neutralisation des résistances et des alternatives en Afrique.
Il suffit de constater comment les promesses faites par le G8 à Gleenagles n’arrivent pas à être tenues et mettre en parallèle les nouvelles promesses du G20… Il suffit de voir comment les pratiques commerciales discriminatoires des pays riches tentent d’être institutionnalisées au sein même de l’Organisation mondiale pour le Commerce (OMC) sans que cela ne soulève une volonté des Africains de s’organiser au sein d’une organisation africaine du commerce pour faire converger leur position. Il suffit de voir comment les répartitions des pouvoirs se font au sein des institutions de Bretton Woods pour comprendre la place effective de l’Afrique de 900 millions d’âmes sur l’échiquier mondial. Il suffit de voir comment l’Afrique des dirigeants peut aller jusqu’à adopter des décisions collectives, adoptées par tous les chefs d’Etat, pour mettre en œuvre les moyens de créer la richesse endogène par le développement des capacités productives, la diversification des économies par l’intégration dans les chaînes de valeur et que ces mêmes chefs d’Etat refusent de mettre en œuvre leur propre décision en choisissant de mettre à la tête d’organisations d’appui à la relance, ceux-là même qui travaillent contre l’Afrique. Que de contradictions qu’il n’est plus possible de taire. Sanou Mbaye a eu le courage d’en exhumer quelques unes et pas des plus insignifiantes -il s’agit bien sûr d’un euphémisme. Enfin, il suffit encore de voir comment une monnaie, relique coloniale non convertible qu’est le franc CFA (communauté financière d’Afrique), contribue de plus en plus à limiter les échanges entre les deux grandes zones d’Afrique francophone sans que cela ne pose de problème à des dirigeants africains lesquels ne font pas d’objections au fait que le droit de véto continue à appartenir à un pays qui n’est ni africain, ni de l’espace africain.
Oui, Sanou Mbaye fait parti de cette génération d’économistes africains que l’Histoire retiendra comme les premiers pionniers du non-conformisme et de l’innovation d’une Afrique décidant pour elle et par elle-même. Cette Afrique là rencontre encore beaucoup de résistances provenant des pays occidentaux comme des homologues africains, “adeptes de la ventrologie” et de la trahison pour servir la cause du plus fort. Mais tout ceci est en train d’évoluer. Sanou Mbaye l’a pressenti et l’a écrit.
La fuite des cerveaux pour le développement accéléré de l’Afrique est ce qu’est la fuite des capitaux pour la mauvaise gouvernance économique en Afrique. Une fuite d’eau dans une calebasse remplie signifie, qu’à court terme, il n’y aura plus d’eau. Il en est de même pour l’Afrique. Il faut absolument stopper cette hémorragie et ne pas croire qu’il s’agit d’une fatalité. Faut-il rappeler un proverbe africain qui dit que “lorsque vous mettez votre bras dans une calebasse d’eau, cela ne fait pas de trou”… L’explication première est que le monde a vite fait de vous remplacer comme l’eau qui envahit le champ laissé vide par la pression du bras. Si nul n’est indispensable, aucun Africain ne doit se condamner, de manière volontaire, à servir une cause qui n’est pas la sienne car à côté des joies passagères du moment, c’est un continent que l’on remet en esclavage économique. Malheureusement, trop d’Africains, arrivés à des postes décisionnels, se contentent de gérer le quotidien ou alors de trouer la calebasse pour participer collectivement ou individuellement à la fuite en avant…. En réalité, il s’agit d’une fuite face à leur responsabilité individuelle et collective devant les générations présentes et futures. C’est ce message nouveau dont est porteur Barack Obama lequel semble ne plus reconnaître les régimes où la démocratie est falsifiée, même si cela ne va pas empêcher que le travail de coopération entre Etats perdure.
Alors faut-il un plan d’action pour un développement de l’Afrique comme le suggère Sanou Mbaye ? Faut-il le faire passer par l’Union africaine bien qu’il reconnaisse qu’il va falloir retrouver de nouveaux repères pour redynamiser cette institution laquelle risque de perdre en crédibilité ou de devenir un organe commode d’organisation des positions collectives minimalistes afin de satisfaire celles déjà prises par les pays occidentaux ? Il suffit de voir comment sont financées les principales activités de l’Union africaine pour comprendre la justesse des positions et analyses de l’Auteur.
Sanou Mbaye propose aussi une “confédération panafricaine des producteurs de matières premières”. Outre le fait que cela devrait d’abord se faire au niveau sous-régional, africain avant d’évaluer au niveau global, il faut savoir aussi que trop de pays sont dépendants, pour le budget national, de la vente de ces produits. Donc il faut croire que la force de négociation de cette confédération restera bien limitée mais en maîtrisant les quantités produites, il n’est pas impossible que le développement des capacités productives endogènes prenne la relève. Il s’agit pour l’Afrique de transformer ses produits pour satisfaire un marché africain en croissance. La solution passe nécessairement par l’entreprenariat mais aussi par l’organisation collective. Toutefois, il faut absolument aussi changer les mentalités des dirigeants économiques africains qui continuent de croire qu’il ne faut pas partager la croissance. C’est en distribuant des salaires conséquents pour des emplois décents que la relance par la consommation pourra devenir réalité en Afrique. Bien sûr, la conception du pouvoir africain, patrimoniale, ne pourra pas perdurer. Une véritable stratégie est proposée dans le livre avec un impératif : respecter et préserver l’environnement.
Aussi, on passe de l’économiste adepte de la croissance qui réduit les inégalités à un écologiste qui se demande s’il ne serait alors pas plus judicieux de devenir pour un court instant juriste. En effet, il est même proposé de mener des actions juridiques collectives des Etats africains contre la dette inique, notamment la dette multilatérale. Les pays d’Amérique latine sont très avancés sur ce terrain mais eux ont, pour la plupart, nationalisé les principales ressources locales à des fins de financement local. Ils se structurent autour d’actions volontaristes et ne s’alignent pas sur les ex-puissances coloniales. Ceci est loin d’être le cas en Afrique. En effet, le parapluie sécuritaire africain, sauf peut-être pour quelques pays comme l’Afrique du Sud, l’Algérie ou la Libye, dépend souvent des pays occidentaux. Ce point mérite d’être rediscuté car sans une forme collective de la sécurisation du continent, il sera difficile pour les Africains de mettre fin à une foultitude de conflits, parfois autoentretenus, qui limitent les capacités d’organisation collective du continent et l’avènement de la paix.
Tout ceci ne peut se faire sans une mutation en profondeur des groupes de puissances. Au plan international, une réforme du système monétaire international sera nécessaire et devra prendre en compte l’Afrique à sa juste valeur, et non sur la base actuelle de sa valeur économique où la dépendance prime sur l’interdépendance. L’arrivée de nouveaux acteurs d’Asie, d’Amérique latine ou du Golfe avec des excédents importants de leurs réserves internationales et de leur compte courant va contribuer à changer la donne. Si l’Afrique continue sa gestion par le mimétisme, de nouveaux conflits risquent rapidement de voir le jour, avec, à terme, une propension de certains dirigeants à vendre les biens africains aux étrangers pour assurer à eux-mêmes et à leur famille, une vie en or aux dépens de la plus grande majorité du peuple Africain. Oui, c’est ce combat qui est en train de prendre corps en Afrique. De nombreux dirigeants risquent d’ici dix ans de perdre leur poste de responsabilité car le peuple, désillusionné, refusera de continuer à y croire, de se faire berner et surtout pourra mieux décider de celui qui devra les mener vers un mieux-être.
Il importe de donner une note critique à ce livre. Le plan Marshall pour le développement de l’Afrique auquel l’Auteur semble croire et adhérer relève encore du mythe. Il faut fondamentalement cesser de croire que des solutions pérennes viendraient de ceux-là mêmes qui ont contribué par leurs décisions, sur plus de cinq siècles, à mener l’Afrique vers son destin actuel, un destin fondé sur “les enjeux mondiaux de puissance”. Oui, l’essentiel du destin des Africains a été fait par des non-Africains et par des Africains qui imitent les non-Africains. Frantz Fanon nous l’avait soufflé depuis…
Avec la transparence et les nouvelles technologies qui permettent la diffusion rapide de l’information et donc de la prise de conscience, le destin des Africains risque d’être déterminé par des populations qui choisiront de plus en plus parmi eux, y compris dans la Diaspora, des personnalités indépendantes, prêtes à offrir un espace de leur vie pour améliorer le sort de leur concitoyens. Le partenariat pourra y contribuer, mais la capacité à dire non collectivement aussi. Sanou Mbaye aura prévenu. Il faut privilégier l’être humain, sinon le sauvage qui privilégie la machine et la productivité sans fin, ne peut être que celui qui le dit des autres. Dans cette perspective, l’Afrique devra voler au secours de ces sauvages-là.
Le livre de Sanou Mbaye aura certainement permis à tous ceux qui croient encore que l’Afrique n’est pas rentrée dans l’histoire occidentale de se persuader des méfaits occasionnés sur ce continent qui dépassent largement l’entendement et des bienfaits dont se targuent certains médias bien peu objectifs. Pour les Africains, il est clair que la stratégie de la neutralité coupable, celle qui consiste à s’aligner sur la position du plus petit dénominateur commun, sans vote et sans transparence, ne pourra plus servir à décider de l’avenir des Africains. C’est donc bien un livre d’information qu’il convient de consommer sans modération pour une prise de conscience accélérée et durable en espérant qu’il contribuera à “réduire de moitié” la pauvreté intellectuelle de certains scribes, trop imbus d’eux-mêmes pour demander la repentance, d’ici à 2015.
YEA.