C’est depuis 2000 durant le sommet du Caire en Egypte que les relations formalisées entre les blocs de l’Union africaine (UA) et l’Union européenne (UE) se sont institutionnalisées. Aujourd’hui dans le cadre d’une situation post-crise financière de 2008, il est question de trouver les voies et moyens de relancer la croissance économique, la création d’emplois ainsi qu’en filigrane tenter de créer des opportunités nouvelles tirées des synergies UA/UE qui n’ont pas véritablement profité à l’Afrique depuis les années 1960.
Depuis le sommet de 2007 à Lisbonne, Portugal où les Africains avaient fait bloc pour imposer la présence du Président zimbabwéen Robert Mugabe, ce qui avait été accepté à contrecœur par l’Union européenne, les sujets discutés sont pratiquement les mêmes mais le budget affecté pour traiter chacun des dossiers prioritaires reste bien évasif. Pourtant, tous ces sujets à savoir, la bonne gouvernance, la paix, les droits humains, la sécurité alimentaire, le commerce, l’intégration régionale, l’infrastructure, l’énergie, le changement climatique, les migrations, l’emploi, les nouvelles technologies de l’information et de la communication n’ont pas encore trouvé de solutions consensuelles entre les deux grands blocs. Au contraire, il faut bien constater qu’en définitive pour l’Afrique, c’est bien la perte de pouvoir d’achat qui prévaut 1 avec de nombreux dirigeants ne reflétant pas nécessairement la vérité des urnes, et dont la représentativité conduit à des arbitrages inattendus.
1. L’Europe n’investit plus en Afrique et se contente de donner de l’aide sans prévisibilité
Le troisième sommet de l’Union africaine et de l’Union européenne s’est ouvert le 29 novembre et s’est terminé le 30 novembre 2010 à Tripoli en Libye avec la défection de nombreux dirigeants occidentaux qui choisirent d’envoyer à leur place leurs ministres des affaires étrangères. Est-ce à cause des agendas chargés notamment avec la réunion sur le changement climatique à Cancun, Mexique ? Est-ce à cause du Colonel Mouammar Kadhafi ? Ou est-ce encore à cause des velléités portant sur la venue ou non du Président soudanais Omar-El-Béchir ? Le Colonel Kadhafi, dans un très long discours, a rappelé que le partenariat a échoué mais ne propose pas véritablement de nouvelles pistes sauf celles de voir l’Afrique s’en sortir par elle-même. La position libyenne sur l’immigration vient démentir un peu cette stratégie de l’invective.
Plus de 80 chefs d’Etat et de gouvernement étaient présents et sommet après sommet, le résultat est bien maigre, puisque la déclaration finale dite “Déclaration de Tripoli” insiste sur l’importance stratégique pour les deux parties de préserver leur coopération. Autrement dit, les divergences ont été plus importantes que prévues. L’approche de plus en plus décomplexée de l’Afrique permet d’entendre des vérités enfouies. C’est ainsi qu’il n’y a eu aucune avancée notable sur les Accords de partenariats économiques (APE). Pire, le constat est sans appel : les investisseurs de l’Union européenne investissent de moins en moins en Afrique et sont de moins en moins compétitifs, même avec des appuis indirects de leur Etat respectif sur le Chef d’Etat africain qui se prête au jeu non sans en tirer un bénéfice personnel ou pour leur clan. Paradoxalement, face à cette absence, vite “compensée” par les pays émergents dont la Chine, l’UE par la voix du Président de la Commission de l’Union européenne se contente d’affirmer que l’Union européenne verse plus de la moitié de l’aide publique au développement se dirigeant vers l’Afrique. Sauf que lorsque l’on regarde les chiffres, les pays riches ne dépassent pas 0,47 % de leur Produit intérieur brut (PIB) pour ce qui est de leur aide publique au développement en 2010. Alors, l’Union européenne se contente de la gouvernance de la promesse en affirmant que les 0,7 % du PIB seront atteints d’ici 2015 alors que cela aurait dû être fait depuis les années 1960 où les Nations Unies parlaient même à l’époque de 1 % du PIB pour l’aide publique au développement. En définitive, il faut bien constater que les contentieux entre l’Afrique des 53 Etats de l’Union africaine et l’Union européenne des 27 Etats sont bien conflictuels malgré les rapports de force économique asymétriques.
Les contentieux sont nombreux sur des sujets comme les migrations, le commerce et le climat et l’énergie. Autrement dit, les deux régions semblent avoir oublié de construire leur interdépendance sur les possibilités importantes qu’offrent les opportunités qu’aurait dû offrir un partenariat Afrique-Europe si les priorités de l’Agenda n’étaient pas d’abord et en priorité celles que propose l’Europe. Alors parler de “partenariat d’égal à égal” est une réalité au plan du verbe politique, mais demeure une fiction au plan économique. Il suffit pour un pays notamment francophone d’entendre dans les couloirs que son aide bilatérale risque d’être réduite, voire coupée, pour qu’une forme d’autocensure des dirigeants africains 2 ne viennent transformer le partenariat d’égal à égal en un partenariat où certains sont moins égaux que d’autres.
2. Aide, commerce et retour sur investissement : pour qui ?
Sur le commerce, tant que les négociations tourneront autour d’injonctions européennes d’ouverture totale ou quasi-totale des marchés africains alors que l’Europe ne souhaite pas mettre fin aux subventions diverses à son secteur agricole sans compter les barrières non-tarifaires affectant les produits africains, il est difficile de croire à un consensus acceptable sur les accords de partenariats économiques. En réalité, cette thérapie de choc administrée aux économies africaines essuie une résistance importante. En effet, sur le plan de l’agriculture, sur le plan des capacités productives et de l’industrialisation, l’Etat africain redoute que l’essentiel de ses recettes budgétaires ne soit prélevé sur les importations alors que près des trois quart des importations africaines proviennent de l’Union européenne, bien que cet équilibre tende à pencher vers la Chine. Autrement dit et vu d’un point de vue “afrocentrique”, il est question de supprimer les recettes budgétaires, faciliter l’entrée des produits manufacturés européens en Afrique sans offrir des solutions alternatives en termes de recettes. Il n’est donc pas étonnant que de nombreux Etats se retournent vers les pays disposant d’une indépendance économique comme les pays émergents dont la Chine, le Brésil, l’Inde, etc.
Le vrai problème est que l’Union européenne, pour des raisons qui lui sont propres, ne prend que très rarement en compte les préoccupations africaines dans l’élaboration de ses approches africaines. En fait, une fois que les intérêts européens sont mis en exergue, l’Union européenne se contente d’offrir des compensations notamment au niveau bilatéral, ce qui divisait par le passé l’Afrique. Avec une meilleure organisation des dirigeants africains et un rôle plus fédérateur de l’Union africaine d’Alpha Omar Konaré et de Jean Ping (ex et actuel président de l’UA), les débats sont de plus en plus cristallisés car l’Afrique ne peut continuer à perdre, ce qui se traduit par une perte régulière et continue du pouvoir d’achat et de l’absence de création d’emplois en Afrique. La crise financière de 2008 n’a fait que retarder la possibilité de traduire l’augmentation régulière et pérenne du produit intérieur brut africain en création d’emplois et distribution de salaires.
3. Changement climatique et énergie : l’Afrique refuse de suivre la position de l’Union européenne
Sur le changement climatique, il y a carrément désaccord total. L’Union européenne a tenté sans succès de faire signer une déclaration commune avec l’Europe. Là encore, l’Afrique qui dispose d’un parc industriel des plus faibles dans le monde ne peut venir payer pour les pollueurs. Par ailleurs, le principe de compensation ne peut servir à l’enrichissement de quelques chefs d’Etat africains sous pression de leurs réseaux européens et africains peu épris d’éthique et peu engagés sur les enjeux de la préservation de l’environnement et du climat.
Sur l’énergie, et malgré l’accent porté par tous vers les énergies renouvelables, il faut constater que dans les budgets des Etats africains, la part réservée au soutien à l’environnement et à la mise en place progressive d’une énergie propre et respectueuse de l’environnement reste bien faible. Certains acteurs ont même peur que dans le cadre de “compensations” entre les pays du nord et ceux du sud, ces compensations ne viennent tomber dans les mains de régimes qui ne sont pas issus de la vérité des urnes.
4. La migration à sens unique proposée par l’Union européenne
Sur l’immigration, il y a une hypocrisie qu’il va falloir régler. En effet, il est paradoxal que sur ce sujet des plus sensibles, l’Union européenne ne joue absolument pas la carte des négociations entre blocs régionaux. Autrement dit, l’Union européenne refuse de négocier avec l’Union africaine et se contente de trouver des arrangements bilatéraux, soit dans le cadre contesté de l’Union pour la Méditerranée, soit en optant pour des arrangements ponctuels avec les Etats riverains notamment la Libye et le Maroc. C’est ainsi que la contradiction est apparue où le même Colonel Kadhafi exhorte l’Union européenne de s’engager dans des négociations directes avec l’Union africaine alors que sur le sujet controversé et polémique de l’immigration, il affirme que l’Union européenne devrait discuter “directement” avec lui car la Libye demeure un havre de passage privilégié pour les migrants se rendant en Europe. En réalité, cette affirmation n’est pas exacte puisque d’autres pays riverains de la Méditerranée sont régulièrement sollicités et offrent aussi des périodes de transit moins draconiennes pour les migrants illégaux en fermant les yeux sur la participation informelle de ces migrants à l’économie souterraine du pays, ceci avec l’accord du patronat local.
Il convient de rappeler que l’Union européenne considère la Diaspora africaine comme étant la sixième région de l’Afrique. Ainsi les échanges ont aussi porté sur les voies et moyens de mieux accompagner non seulement les flux d’argent de la Diaspora vers les pays africains qui sont souvent plus importants que l’aide publique au développement, les investissements étrangers directs ou même de l’investissement en portefeuille. On peut malgré tout parler d’un consensus minimaliste sur la volonté affichée de l’Union européenne de “soutenir” la Diaspora à investir en Afrique sous la forme de projets. Le problème est que l’Union européenne ne parle pas à proprement dit de “Diaspora” mais d’immigrés qu’il faut “aider” à réaliser des projets dans leur pays d’origine. Donc face à ce quiproquo, il y a lieu d’avoir une clarification. Mais il s’agit là encore d’une forme de gouvernance du futur puisque rien de concret en termes de budget n’a été annoncé. L’Union européenne ne devrait pas oublier que de nombreux acteurs de la Diaspora africaine sont de nationalité européenne et ne peuvent plus être traités comme des immigrés mais comme des “Afro-européens”.
5. L’Union africaine rejette toujours la Cour pénale internationale (CPI)
Sur les accusations contre le Président soudanais, l’Union africaine n’a pas changé sa position. Le Président soudanais a choisi de ne pas prendre part à la dernière minute à ce sommet, sur appel insistant du Colonel Kadhafi afin de répondre discrètement aux pressions européennes, ce qui d’ailleurs a certainement pesé dans le non-déplacement du Président Nicolas Sarkozy. En tout respect des positions antérieures de l’Union africaine, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine a apporté son soutien au Président soudanais en continuant à demander la levée des sanctions contre le Soudan au niveau de la Cour pénale internationale, en attendant la scission vraisemblable du pays suite au référendum d’indépendance de la partie sud.
6. Conclusion : Des inerties tenaces et l’absence de création d’emplois en Afrique
Il faut constater que l’ambiance bien que conviviale reste entachée par des rapports de force asymétriques. Les discussions sont devenues ouvertes, directes et sans complaisance. Le discours du Guide Libyen est là pour en témoigner. C’est une chose de rappeler de grandes vérités, mais c’est une autre de ne pas s’aligner religieusement sur les priorités européennes ou mondiales. Aussi, la vraie question est de savoir si les pays africains doivent continuer à tenter de parler d’une même voix sur les dossiers économiques alors que les positions des Etats et de certaines régions sont différentes en termes de stratégie, de démocratisation, de rapports aux droits humains et de corruption, etc.
En réalité, il y a des inerties que les dirigeants africains responsables devraient prendre à bras le corps à savoir : la difficulté à remplir le contrat social consistant à ce que la croissance du PIB soit visible au niveau de la croissance de la création d’emplois. Actuellement, le dernier rapport de 2010 de la conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED 3) rappelle que l’Afrique du nord avait une croissance moyenne annuelle de 5,6 % du PIB contre une croissance de la création d’emplois de 3,6 % pour la période 2003 et 2009 alors que pour la même période, l’Afrique subsaharienne n’a pas fait mieux avec respectivement 5,6 % de PIB contre 2,9 % pour la création d’emplois. Il faut néanmoins rappeler qu’il n’y a, malgré tout, pas eu de grand progrès au plan de la création d’emplois pour l’Afrique subsaharienne puisqu’entre 1991 et 2002, la croissance moyenne du PIB était de 2,8 % alors que la croissance de la création d’emploi ne fut que de 2,9 %. Paradoxalement, l’Afrique subsaharienne créait plus d’emplois lorsqu’elle créait moins de richesses enregistrées par les statistiques officielles.
En réalité, les effets collatéraux de la corruption et de l’évasion fiscale et les nouvelles relations avec les pays émergents dont la Chine semblent ne pas encore soutenir la création d’emplois pour les Africains. Il serait important que ce point soit discuté lors des prochains sommets et dialogues entre l’Afrique et l’Union européenne. Un thème à intégrer aux journées européennes du développement du 6 et 7 décembre à Bruxelles. Au niveau africain, ces thèmes doivent absolument faire l’objet de positions communes lors du prochain sommet de l’Union africaine en janvier 2011 et déboucher sur un nouvel engagement sur le développement des capacités productives et la création d’emplois 4 tout en préservant l’environnement. Il faut espérer que le 4e Sommet ne viendra pas trouver un nouveau consensus sur les désaccords entre l’UE et l’UA. YEA.
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Autres articles dans cette série
- UNION AFRICAINE – UNION EUROPÉENNE 3e Sommet sans accord ! (2 décembre 2010)
- Fin du sommet UE/UA à Tripoli : Un sommet qui se termine sans accord concret sur les dossiers importants ! (1 décembre 2010)
Notes:
- Yves Ekoué Amaïzo, [intlink id=”4679″ type=”post”]Crise financière mondiale. Des réponses alternatives de l’Afrique[/intlink], éditions Menaibuc, Paris, 2010 (www.amazon.fr ou www.fnac.com ou www.menaibuc.com) ↩
- Yves Ekoué Amaïzo (sous la direction de), [intlink id=”203″ type=”post”]La neutralité coupable : l’autocensure des Africains, un frein aux alternatives ?[/intlink], avec une préface du feu Professeur Abel Goumba et Têtévi Godwin Tété-Adjalogo, éditions Menaibuc, Paris, 2008. ↩
- UNCTAD, Trade Development Report 2010, September 2010, UNCTAD, Geneva, Suisse, p. 101. ↩
- Emission Africa numéro 1 du 1er décembre 2010, [intlink id=”5591″ type=”post”]Le Journal des Auditeurs, 13h30-13h 45 sur le Sommet Union africaine- Union européenne[/intlink], avec la Journaliste Eugénie Diecky. ↩