Nom du Journaliste : M. Ibou SY
Adresse : Bamako, Mali
Nom de l’invité : Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, économiste spécialisé en stratégie et mutabilité,
Directeur de Afrocentricity Think Tank
Date de l’émission : 19 mars 2022
Sujet : Désinformation sur le Mali, Pourquoi ? Complot contre le Mali ? Une analyse de l’actualité du point des Africains….
ECOUTER UNE VERSION COURTE :
- https://fb.watch/bS96_AgKpw/
- https://www.facebook.com/LeRadarIbouSy/videos/5570207809660774/?extid=NS-UNK-UNK-UNK-AN_GK0T-GK1C
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QUESTIONS ET RÉPONSES
- Ibou SY : La tension entre la Mauritanie et le Mali ? Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Dr. AMAÏZO. Les autorités maliennes ont donné la priorité à la sécurisation du territoire malien, ce qui a été impossible avec les forces françaises depuis 2012 avec l’appui à coup de milliards d’Euros avec les opérations militaires françaises dites Serval et Barkhane et onusiennes, dites Takuba, etc. malgré quelques succès ici et là.
Pourtant en moins de 4 à 5 mois, les Forces armées maliennes ont diversifié leurs partenaires militaires et ont remporté d’importantes victoires. Une vingtaine de villages ont été repris aux terroristes et les populations commencent à retrouver la confiance et à retourner chez eux). Aussi, avec le soutien officiel d’autres partenaires militaires dont la Fédération de Russie, et avec la fin de la corruption, une partie importante du budget de l’Etat a été affecté à l’acquisition d’équipements modernes et innovants assortis de formation par des experts étrangers de haut niveau. Cette nouvelle connaissance cartographique du territoire malien a permis stopper de nombreux attentats et à stopper l’avancée des terroristes-salafistes-djihadistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans[1] (GSIM et JNIM en Arabe) et de de l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS) devenu membre en mars 2019 de l’État islamique en Afrique de l’Ouest.
Rappelons d’une part que le GSIM est une organisation militaire et terroriste, d’idéologie salafiste djihadiste, structurée depuis mars 2017 en plein milieu du conflit sur le sol malien. Il naît de la fusion d’Ansar Dine (un des premiers groupes armés salafiste djihadiste apparu en 2012 qui se sont fondus dans le GSIM), des forces d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) dans le Sahel, de la Katiba Macina ou Front de libération du Macina (FLM)(une unité combattante (katiba) salafiste djihadiste qui qui a émergé en 2015 dans la région de Mopti et la région de Ségou et affiliée à Ansar Dine, puis au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et de la Katiba Al-Mourabitoune (un groupe armé terroriste d’idéologie salafiste djihadiste, suite à la fusion en août 2013 MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest) et des Signataires par le sang).
D’autre part, L’EIGS est une organisation militaire et terroriste d’idéologie salafiste djihadiste, née le 15 mai 2015 d’une scission d’Al-Mourabitoune provoquée par l’allégeance d’un de ses commandants, Adnane Abou Walid al-Sahraoui, à l’État islamique. Abou Bakr al-Baghdadi, « calife » de l’État islamique a reconnu officiellement cette allégeance le 30 octobre 2016.
Une fois les ennemis du Mali clarifiés, revenons aux faits issus de rapports de Human Rights Watch et relayés par des médias : plusieurs ressortissants mauritaniens comme maliens auraient disparus ou seraient morts ou blessés au niveau de la frontière entre la Mauritanie et le Mali dans la zone dite de Lagataye. Insinuer que c’est automatiquement les Forces armées militaires maliens qui auraient commis des exactions relève de l’allégation sans preuves, voire de la théorie du complot. Les autorités mauritaniennes ont demandé des explications. Le Mali les a fournies.
De là à vouloir transformer les formateurs des alliés militaires du Mali en « mercenaires russes » en oubliant l’existence de mercenaires et barbouzes français dans la plupart des coups d’Etat en zone franc en Afrique et que des exactions françaises ont été rapportées et consignées lors des opérations au Mali, il y a un pas qui n’aurait pas dû être franchi, à savoir, avoir oublié de vérifier des informations reposant sur des témoignages, qui sont parfois monnayées.
Néanmoins, la Mauritanie n’est ni membre de la CEDEAO, ni de la Zone franc qu’elle a quitté avec succès en créant sa propre monnaie. Elle n’est pas partie prenante dans les sanctions de l’UEMOA, de la CEDEAO apparemment téléguidées par les autorités françaises et exécutées sur le plan financier par la BCEAO. Rappelons que la Mauritanie est dirigée comme l’Algérie, le Tchad, le Burkina-Faso, la Guinée par des militaires.
Le Mali ne fait pas exception à la prise de contrôle de la souveraineté des pays africains par des militaires. Les coups d’Etat au Burkina Faso, Guinée et au Tchad ne font que confirmer la tendance, même si le rôle d’influence, voire de contrôle, de ces coups d’Etat directement ou indirectement par la France, sont variables selon le niveau de patriotisme et d’ambition panafricaniste des responsables de ces coups d’Etat militaires.
Cela ne doit pas faire oublier qu’il existe aussi des coups d’Etat constitutionnels qui ne sont pas étrangers aux autorités françaises qui, parfois annoncent avant les journalistes, le gagnant d’élections dites démocratiques sur la base de la contre-vérité des urnes comme ce fut le cas au Togo ou ailleurs, ce à plusieurs reprises.
Le Gouvernement malien, suite à une visite de haut niveau auprès du Gouvernement mauritanien, a créé une commission d’enquête conjointe le 8 mars 2022 pour rétablir la vérité des faits.
Les informations qui ont circulées ne sont pas toutes fondées sur des faits probants mais sur des témoignages qui doivent être vérifiées. En effet, avec la théorie du complot contre le gouvernement malien, il n’est pas impossible que certaines personnes soient tout simplement achetées pour dire ce qui leur permet de manger un peu, voire d’arrondir les fins de mois. D’autres malintentionnés, chercheraient simplement à « salir » le Gouvernement malien pour son indépendance et sa volonté de retrouver son indépendance territoriale et sa souveraineté économique. Que chacun reprenne ses esprits et que la transparence soit au rendez-vous dans les conclusions de la commission mixte (Mauritanie-Mali) d’enquête conjointe.
- Ibou SY : Que pensez-vous des informations contenues dans le rapport de Human Rights Watch sur les exactions commises au Mali sur des ressortissants mauritaniens, et plus largement par les forces armées maliennes (FAMA) ? Et la suspension de RFI et France 24 ?
Dr. AMAÏZO. Human Rights Watch (HRW) est une organisation non gouvernementale internationale (ONGI) qui se donne pour mission de défendre les droits de l’homme et le respect de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de l’ONU. Elle a aussi d’autres activités comme la défense de la liberté de la presse, l’abolition de la peine de mort et de la torture mais aussi pour le respect de l’ensemble des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, en particulier dans les domaines de l’éducation et du logement. Elle intervient également dans les conflits, dénonçant entre autres les crimes de guerre ou le trafic d’armes. Human Rights Watch demande l’arrêt des crimes commis par les gouvernements ou les groupes rebelles, dans le cadre de guerres internes y compris dans les guerres civiles.
Chaque année, cette organisation publie un rapport sur l’état des droits de l’homme selon des enquêtes. Mais plusieurs organisations africaines se plaignent de ne pas voir leurs responsables sur le terrain, ou alors dans les hôtels de luxe des capitales africaines. Le siège se trouve à New York, aux États-Unis et les opérations se font dans plus de 60 pays avec des bureaux sur le terrain. Le problème est que ces rapports devraient pouvoir faire une place à la position plus nuancée, voire critique des Etats africains et des organisations de la société civile africaine, notamment de la Diaspora africaine indépendante.
Le financement de cette organisation a souvent été assuré par des milliardaires américains, d’origine hongroise, comme George Soros ou d’autres plus discrets. Aussi, les dirigeants africains gagneraient à s’interroger sur les financements de ces organisations qui affichent des objectifs nobles dans leur statut et tendent à organiser une forme de partialité et de ségrégation dans la dénonciation des violations des droits humains et des droits des peuples. Autrement dit, certains humains et certains peuples mériteraient d’être défendus, d’autres ne seraient que des victimes collatérales de la défense des intérêts des financiers de ces organisations, et accessoirement la défense des intérêts occidentaux dans le monde.
L’organisation est régulièrement critiquée pour ses méthodes (appel à des témoins), sa partialité dans l’analyse qui oublie souvent les crimes commis par les Occidentaux, notamment les crimes économiques de certains des financiers de cette organisation, et souvent les manques de précisions qui permettraient de confirmer les faits évoqués.
Du coup, pour les Africains, c’est l’indépendance de Human Rights Watch qui est mise en cause. Cette organisation servirait de caution à des propagandes contre les Etats qui sont considérés comme gênant les intérêts occidentaux. Ce n’est pas pour cela que les exactions relevées ne doivent pas faire l’objet d’un contrôle et d’une vérification systématique.
Mais une certaine presse ou des médias qui défendent des positions non africaines relaient souvent sans vérification les analyses. C’est cela qui a créé une certaine confusion, puis conduit à la suspension de Radio France International (RFI) et de France 24, toutes deux considérées par de nombreux africains comme deux médias donnant la priorité à la défense des intérêts français aux dépens de ceux des Peuples africains.
Mais lorsque les médias RT France ou Sputnik France ont été unilatéralement fermés par les autorités françaises, personne ne sait soucier de rappeler que ce sont des journalistes professionnels et éthiques qui faisaient aussi convenablement leur travail. L’amalgame entre la propagande et la certitude que la vérité ne peut venir que la France a pris le dessus. Autrement dit, si les médias sont financés par la Russie, il ne peut s’agir que de « propagande », et si les médias sont financés par la France, il ne peut s’agir que d’une « entrave à la liberté de la presse », jugée d’ailleurs inacceptable par le Président Macron en personne. Pourtant, entre la propagande et le rayonnement de la France en Afrique par les médias français, il y a un pas qui est régulièrement franchi, surtout lorsqu’il s’agit d’éviter de trouver des fautes ou des responsabilités de la France en Afrique, au Mali en particulier. Et pourtant, elles existent et sont peu diffusées.
Un meilleur équilibre entre d’une part, la condescendance des médias et de l’Etat français et occidentaux et d’autre part, le respect de la souveraineté et de la dignité des Africains, et plus particulièrement des responsables africains en rupture avec le néocolonialisme français, pourrait conduire à un retour de la confiance réciproque.
Cela pourrait même contribuer à faire émerger une prise de conscience pour diversifier les médias afin d’évoluer vers une recherche accrue de crédibilité des informations diffusées par des médias non-africains en Afrique sur l’Afrique et les Africains. En effet, trop d’informations sont teintées d’une vision eurocentrique fondée sur une supériorité militaire considérée comme un « acquis ».
Ce sont pourtant les mêmes arguments utilisés pour interdire de diffusion RT France et Sputnik France qui ont été utilisés pour suspendre les médias français au Mali. Les journalistes de ces deux médias sont des professionnels au même que ceux de RFI et de France 24.
La réalité est que certains médias étrangers qui s’adressent aux Africains s’arrogent le droit de parler à la place des Africains. Ces médias non-neutres seront amener à composer de plus en plus avec des autorités africaines panafricaines qui sont en train de renégocier le canevas de fonctionnement et de diffusion de l’information sur les Africaines et Africains pour éviter les dérives et les allégations non vérifiées. Toutefois, les Etats africains devraient prendre conscience que s’ils donnaient plus de priorité aux médias africains locaux ou dans la Diaspora, peut-être que ces malentendus n’auraient pas émergé.
Au Mali, les terroristes-djihadistes ciblent autant des Mauritaniens que des Maliens. Cela doit nous rendre humble et rappeler qu’un journaliste français Olivier Dubois, est encore otage des terroristes-djihadistes au Mali, ce depuis avril 2021. Deux journalistes français de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, ont été kidnappés à Kidal (nord-est du Mali) et ont été retrouvés morts du fait d’individus armés, vraisemblablement des terroristes que combat l’armée malienne. Plusieurs citoyens, journalistes et militaires maliens ont subi des sorts similaires, mais sans que les médias étrangers n’en fassent un grand cas.
La commission mixte Mauritanie-Mali rendra ses conclusions et la vérité devra triompher. La suspension de RFI et France24 finira par prendre fin sur de nouvelles bases de coopération plus respectueuses des autorités maliennes et du Peuple malien.
- Ibou SY : Le Gouvernement de l’Inde a décidé d’acheter pour plus de 3,5 millions de barils de pétrole russe et va payer en monnaie locale (roupies-roubles). L’Iran, une fois les sanctions américaines levées, a annoncé qu’il est prêt à vendre à la Russie avec un mécanisme « roupie-rial ». Autrement dit, est-ce la fin de la dollarisation de l’économie mondiale ?
Dr. AMAÏZO. Le problème posé est double : l’Inde a besoin d’acheter du pétrole et de sécuriser ses approvisionnements sur le court, moyen et long-terme. La Russie lui propose des prix très bas. L’Inde a donc acheté pour 360 000 barils de pétrole à la Russie, quatre fois plus que pour la même période en 2021. Les entreprises publiques Indian Oil Corporation et Hindustan Petroleum Corporation ont pu acquérir plus de 5 millions de barils de brut en provenance de Russie à un prix de 25 $ des Etats-Unis ($EU) le baril. Bradage, prix compétitif et attractif, ou contournement des sanctions occidentales ? C’est selon !
Mais, il n’y a pas de raison que le Gouvernement indien n’accepte pas cette offre, ce d’autant que le Gouvernement indien est dans une logique de non-alignement et de défense de sa souveraineté nationale. Il s’agit du continent asiatique et l’Inde a été colonisé par les Occidentaux (l’Angleterre) et ce n’est pas totalement oublié. Aussi, lorsque l’occasion est offerte de renforcer les liens en partenaires asiatiques contre des potentielles agressions extérieures, cette coopération sud-sud est la bienvenue. Personne ne pourra empêcher l’Inde d’assurer sa sécurité énergétique et militaire.
Il en est de même pour l’Iran où des hauts responsables des Etats-Unis se sont rendus pour en finir avec les sanctions unilatérales américaines afin que l’Iran puisse mettre sur le marché une quantité importante de son stock de pétrole. Cela aura pour conséquence de faciliter l’approvisionnement de l’Union européenne et de faire baisser légèrement le prix du pétrole.
La deuxième partie de votre question porte sur les moyens de paiement, à savoir deux monnaies nationales qui ne sont ni le dollar des Etats-Unis ($EU), ni l’Euro (€) de l’Union européenne. En filigrane, c’est la nouvelle alternative à l’interdiction d’utiliser le système de paiement occidental SWIFT qui semble prendre forme. Le système russe de messagerie financière (PSSA) et le système chinois de paiements internationaux (CIPS) vont trouver des passerelles et des plateformes pour intégrer un projet. En revanche, l’Inde ne disposant pas de système national de communication financière, il est prévu d’unir la plateforme de la Banque centrale russe avec le futur projet d’une système indien indépendante de SWIFT.
Non seulement, les deux pays (Russie-Inde, Russie-Iran) pourront échanger et payer dans leur monnaie respective, mais ils pourront faire jouer les clauses de compensation. Autrement dit, seule la différence sera payée en monnaie locale. Mais si les échanges se font dans un cadre stratégique et de longue durée, il est possible qu’il n’y ait aucun paiement en monnaie, mais que tout le système soit basé sur des compensations mutuelles. Ce serait un véritable moyen de contournement des sanctions occidentales, avec en prime, le développement accéléré des échanges et de l’intégration intra-asiatiques et au-delà. Assurément, cela se fera sans passer par le dollar américain, ce qui signifie indirectement la montée en puissance d’autres devises servant d’équivalent général accepté dans les transactions mondiales mais opérées en bilatéral.
Il existe une réelle volonté de la Russie de revenir à l’étalon-or, ce qui renforcera les relations bilatérales au sein de deux grands blocs (occidentaux et non-occidentaux). Cette tendance vers un monde opérant sur des bases bilatérales à l’intérieur d’ensembles géographiques fondés sur la non-agression économique et commerciale serait un atout pour les pays africains. Car il faut le dire, les sanctions sont des agressions d’un ou de plusieurs Etats occidentaux contre d’autres Etats, jugés plus faibles militairement et économiquement. Si l’une ou l’autre des apriori -faiblesse militaire ou économique – se révèle être une erreur, l’Afrique va assister à un retournement du monde.
Or, avec la puissance militaire russe et sa démonstration journalière avec les missiles hypersoniques d’une très grande précision, il apparaît que la supériorité militaire de l’OTAN et plus largement de l’Occident prompts à imposer des sanctions au lieu de négocier les conditions du « vivre-ensemble » militaire, économique et financier, est en train de subir quelques surprises.
Cela va durablement transformer l’Etat du monde, et fonder un nouvel ordre mondial multipolaire qui ne peut plus être contrôlé par quelques milliardaires privés structurés autour d’un réseau de « mondialistes » très belliqueux. Certains de ces milliardaires mondialistes, qui sont issus autant des élites des partis politiques dits de « droite » comme de la social-démocratie des partis politiques dits de « gauche », ont uni leurs forces pour dominer l’industrie du virus comme l’Ebola ou le Covid-19, de la douleur apaisée par des stupéfiants entraînant des dépendances irréversibles, pour en tirer profit sur le dos des populations et des Etats. Il ne faut donc pas s’étonner que certaines organisations de la société civile, comme au demeurant certains institutions des Nations Unies fonctionnent avec des financements issus de ces réseaux. Les dirigeants africains gagneraient à approfondir les analyses avant de « faire confiance » par mimétisme ou suivisme occidental.
- Ibou SY : On apprend que le Chancelier allemand, Olaf Scholz, a clairement indiqué que l’Allemagne ne pourra pas se passer du pétrole, du gaz, et d’autres produits russes. Est-ce que cela pourrait déboucher sur une scission au sein de l’Union européenne à terme ?
Dr. AMAÏZO. En matière d’énergie, l’Allemagne fonctionne principalement sur le pétrole, le gaz, le charbon et les énergies renouvelables. S’il est possible d’envisager la fin des importations du charbon de la Russie, il sera, par contre, très difficile, voire impossible pour l’Allemagne de stopper dans le court terme les importations de pétrole, de gaz naturel, de céréales notamment pour l’aliment du bétail et des métaux rares. L’urgence consiste à reconstituer les stocks avant l’hiver prochain sinon pour la première fois de leur histoire, il y aura des coupures d’électricité en plein hiver et le chauffage au gaz naturel pourrait ne pas se faire avec le gaz liquéfié proposé par les Etats-Unis.
La réalité est que l’Allemagne ne pourra pas suivre les Etats-Unis dans un embargo total avec la Russie d’autant plus que de nombreux dirigeants allemands occupent des postes de premier plan dans l’industrie énergétique russe : Gazprom (1er) ou Rosneft (3e) en termes de revenus par exemple. Rosneft fait partie de ces grandes entreprises russes contrôlée par l’État et dirigée par l’ancien chancelier allemand, M. Gerhard Schroeder, actuel président de Rosneft. Les liens économiques entre l’Allemagne et la Russie pourraient devenir plus fort que le lien qui unit les pays de l’Union européenne et l’Allemagne si l’Allemagne trouve des débouchés en dehors de l’Union européenne pour ses productions excédentaires.
Les pays comme l’Allemagne ou l’Autriche, qui gèrent mieux les comptes publics en Union européenne et qui disposent d’une marge de manœuvre fiscale et économique, pourraient avoir l’idée de laisser les pays qui gèrent moins bien les comptes de l’Etat, ne plus bénéficier des largesses des pays excédentaires. La France à ce titre n’est pas un bon « élève » et s’est endormie sur l’approche dite du « quoi qu’il en coûte » … Cela a contribué à creuser la dette et le déficit de la balance commerciale et de paiement de la France. Mais la grande astuce des autorités françaises consiste à convaincre les autres partenaires européens dont l’Allemagne pour créer un compte commun de la dette européenne afin d’y transférer l’essentiel de la dette française devenue européenne qu’il faudra payer tôt ou tard un jour… La vérité est que les autorités allemandes qui viennent d’en accepter le principe ne pourront pas pour autant accepter de systématiquement payer pour les pays les moins bien géré en Union européenne.
Aussi, si les intérêts de l’Allemagne divergent trop avec les pays européens trop endettés, la division au sein de l’Union européenne pourrait voir le jour. Rappelons aussi la tentation de retrouver sa souveraineté monétaire pour certains, ce qui explique le départ du Royaume Uni, le fameux Brexit. Cette tendance n’est pas à négliger compte tenu du niveau de taux d’abstention dans les élections en Union européenne couplées avec la montée de l’extrême droite et la propension de ces partis fondés sur un nationalisme primaire de former une grande alliance entre les partis politiques de la droite extrême au niveau national, puis demain au niveau européen, voire mondial…
Aujourd’hui, le sujet n’est pas à l’ordre du jour car au niveau de l’Organisation commune de défense, à savoir l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), la supériorité affichée sur le terrain de l’armement et de l’organisation militaire russes a surpris ceux qui croyaient au « bluff » du Président russe, Vladimir Putin. Si la supériorité militaire est confirmée, certains pays européens choisiront de ne pas s’antagoniser la Fédération de Russie pour éviter des sanctions boomerang de la part de ce pays.
- Ibou Sy. Et les conséquences du conflit entre la Russie et l’OTAN, via l’Ukraine sur l’Afrique pour ce qui est des céréales. Est-ce vrai que l’on va mourir de faim en Afrique ?
Dr. AMAÏZO. Les sanctions imposées à la Russie ainsi que les contre-sanctions de la Russie aux Occidentaux ont bouleversé les échanges mondiaux au niveau des céréales. L’Afrique est dépendante à environ 30 % des céréales provenant de la Russie et de l’Ukraine, notamment pour le blé. Mais on peut citer la dépendance envers le maïs, orge, colza, d’huile de tournesol et autres semences provenant de ces deux pays exportateurs nets.
Selon la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED[2]), Vingt-cinq (25) pays africains importent plus d’un tiers de leur blé de Russie et d’Ukraine, ce qui révèle le degré de dépendance des pays africains qui rechignent à produire et consommer local. Entre 2018 et 2020, 32 % du total des importations africaines de blé provenait de la Fédération de Russie et 12 % des importations totales de blé africain de l’Ukraine.
Certains pays africains ne sont pas que des consommateurs mais des « revendeurs-réexportateurs » pour s’assurer des marges confortables à une oligarchie au pouvoir. Cela ne fait qu’accentuer la dépendance alimentaire des populations.
Les pays africains qui dépendent du blé russe sont : le Benin à 100 %, le Soudan à 70 %, l’Égypte a 60 % et le République démocratique du Congo (RDC) à plus de 50 %, le Togo à 42 %. D’autres pays dépendent du blé ukrainien : Somalie, à 70 %, le Sénégal à 64 %, la Tunisie à 50 %, la Libye à 40 %. Cette dépendance se retrouve aussi de l’engrais qui risque de voir les coûts décupler et impacter la sécurité alimentaire des pays africains concernés.
Cette crise Russie-Ukraine révèle les erreurs stratégiques passées de certains dirigeants africains qui prônent l’intégration régionale mais qui n’ont fait que très peu pour améliorer : 1/l’accès à l’énergie peu chère, 2/ les infrastructures de communication et d’approvisionnement, 3/ les transports, et 4/ les capacités logistiques et de stockage permettant de croire en une évolution positive vers l’autosuffisance alimentaire. Les effets de cette guerre asymétrique cumulé avec le changement climatique, l’augmentation des prix de certains matières premières, les difficultés d’approvisionnement en produits pétroliers raffinés, les restrictions à l’exportation et des sanctions imposées au Mali et qui auront des répercussions boomerang sur les pays en Afrique de l’ouest, etc. devraient conduire à une crise multiforme en Afrique.
Si c’est l’insécurité alimentaire qui pourrait servir de point de départ, la hausse généralisée des prix (inflation) pourrait conduire à une prise de conscience des injustices et des inégalités au sein pays et immanquablement conduire à de nouvelles crises politiques et donc à des coups d’Etat comme un moyen de retrouver sa souveraineté militaire et économique. L’autosuffisance alimentaire commence par un soutien constant et continue à la production locale africaine.
Or, la plupart des approches politiques africaines privilégient les importations, avec les produits unilatéralement confisqués par les élites au pouvoir et leur famille. Cette bourgeoisie africaine arriviste et peu soucieuse des intérêts du Peuple africain et qui vit des asymétries de marché pourraient connaître une véritable crise car sa marge bénéficiaire pourrait disparaître avec les augmentations des prix des matières premières, mais aussi de la logistique et des transports.
Le risque de crise alimentaire, et plus largement de crise politique, ne devrait devenir une réalité :
- pour les pays importateurs nets de produits raffinés d’hydrocarbures et de céréales ;
- mais aussi pour les pays exportateurs de produits non transformés qui pourraient avoir des difficultés à se faire payer compte tenu du blocage de l’utilisation du système de paiement SWIFT pour la Russie.
Il est vrai que certains cercles de pensée qui ont colonisé l’Afrique ne rêvent que d’une Afrique sans les Africains. Alors dès qu’il y a une possibilité d’annoncer les malheurs d’éradication du Peuple africain, voire de la civilisation africaine, ils ou elles sont aux avant-postes. Mais les Africains sont résilients…et devraient rapidement comprendre que l’avenir de l’Afrique passe par l’économie de proximité. Les premiers [Africains] seront les derniers [Africains], et les derniers [Africains] pourraient être les premiers [Africains], disait quelqu’un… A méditer.
Je vous remercie.
© Afrocentricity Think Tank et Ibou Sy, Journaliste.
Dr. Yves Ekoué AMAÏZO
Directeur Afrocentricity Think Tank
19 mars 2022
© Afrocentricity Think Tank