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Nom du Journaliste : M. Ibou SY
Adresse : Bamako, Mali
Nom de l’invité : Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, économiste spécialisé en stratégie et mutabilité,
Directeur de Afrocentricity Think Tank
Date de l’émission : 03 avril 2022, mise en ligne sur Afrocentricity Think Tank, le 4 avril 2022.
Sujet : Evolution de la situation au Mali vers sa souveraineté et la suspension des sanctions de l’UEMOA, de la CEDEAO et de la BCEAO.
ECOUTER L’INTERVIEW :
https://youtu.be/j7tJKOC8wSw
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QUESTIONS ET RÉPONSES
Ibou SY : La Banque du Vatican a transféré 10 millions d’Euros pour acheter des roubles à la Banque centrale de la Fédération de Russie en paiement du gaz fourni par la Russie ? Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Dr. AMAÏZO. A la différence du Franc CFA qui n’est qu’un papier, un certificat de conversion dans la devise européenne qu’est Euro si et uniquement si la France le décide, le Rouble qui est une devise convertible qui, grâce aux sanctions occidentales, est en train d’augmenter son pouvoir libératoire. Pour que la confiance en une monnaie internationale ait lieu, il faut qu’elle puisse servir de :
- Unité de paiement lors des échanges de biens et services ;
- Unité de compte pour servir d’équivalent général dans ces échanges ;
- Unité de réserve de valeur afin de servir à épargner ou investir, mais aussi à éteindre les dettes et les obligations, c’est cela le « pouvoir libératoire » de la monnaie. Pour ce faire, il est préférable que la monnaie en question soit arrimée à une réalité tangible comme l’or ou alors la capacité d’un Etat à honorer ses engagements en toutes circonstances.
Or, le Franc CFA ne remplit pas la 1e des fonctions (unité de paiement en tant qu’équivalent général) car ne pouvant servir directement comme n’importe quelle devise. De plus, le Franc CFA ne remplit pas non plus la 3e fonction (unité de réserve de valeur) car vous ne pouvez vous libérer d’une dette en Franc CFA que si la France autorise la conversion en Euro et décide du taux d’échange.
Dans le cas de la Russie, il faut savoir que les sanctions occidentales ont eu pour effet que le parlement russe a décidé d’arrimer le rouble à l’or. C’est la fin de la suprématie du dollar américain. Il faut rappeler que c’est en 1971 sous le Président Nixon, que l’obligation de l’arrimage du dollar américain à l’or fut supprimée. Le monde était passé le monde des monnaies « flottantes », en fait reposant sur le pouvoir militaire et économique des Etats.
Aussi, lorsque la Russie accepte d’acheter l’or à un taux de 5.000 roubles (₽) le gramme, ce pays rappelle qu’il n’est pas endetté comme les Etats-Unis et peut rembourser en or, ce que les Etats-Unis ne sont pas près de faire. Le taux de marché actuel varie autour de 5.200 Rouble pour un gramme d’or (soit avec 1 Rouble = 7,01 FCFA : 36,452, l’équivalent du salaire minimum mensuel au Togo). Vu la capacité d’or disponible au Mali, chacun peut comprendre que les 2 derniers hélicoptères réceptionnés par le Mali peuvent être payés par un système de compensation à savoir : hélicoptères avec formation contre l’or du Mali, par exemple. Est-ce que l’on est passé par le Franc CFA ? Non ! Est-ce que le Mali est passé par la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest ? Non ! Alors, est-ce que les sanctions de la CEDEAO contre le Peuple malien peut empêcher ce peuple de retrouver sa souveraineté territoriale et économique ? La réponse est encore non !
Vous comprenez pourquoi le Vatican a préféré mettre en exécution un proverbe togolais : il vaut mieux manger une mangue qu’admirer un ananas. La manque étant le rouble convertible en or contre l’ananas qui est le dollar des Etats-Unis qui du fait de l’énorme dette américaine ne pourra jamais être converti en or, donc révèle qu’une partie importante des dollars des Etats-Unis en circulation sont susceptibles de ne jamais trouver de contreparties effectives, ni en or, ni même dans une autre devise dès lors que la Russie, mais aussi la Chine et d’autres pays vont suivre, déciderons d’appliquer le proverbe togolais. La vente de plusieurs autres produits russes (gaz, pétrole, métaux rares, engrais, céréales, etc.) seront vendus par la Russie à tous pays intéressés, avec un rabais significatif, dès lors que le paiement se fera en rouble. Mais la Russie fait des exceptions, puisque l’Allemagne pourra continuer à payer en Euros une partie de sa dépendance énergétique envers la Russie.
Ibou SY : Que pensez-vous du rapprochement Russie-Chine en termes de paiements internationaux de leurs échanges ?
Dr. AMAÏZO. Cela fait plus de 43 ans que la banque centrale russe se rapprochait de la Chine. En effet, la Chine avait mis en place un système de compensation et même une banque de compensation à en Russie pour traiter les transactions en yuan chinois. Non seulement, cela permettait d’éliminer les risques de changes mais a conduit à une augmentation et une facilitation des échanges entre les deux géants commerciaux. La Russie figure parmi les 4 premiers producteurs et détenteurs d’or dans le monde derrière la Chine, le Japon, les Etats-Unis. Il n’est pas étonnant que la Russie et la Chine s’organisent pour que leur devise respective (Rouble et Yuan) soit adossée à l’or.
Depuis 2017, la Chine a mis en place un système de paiement/compensation contre paiement/Compensation entre le yuan chinois et le rouble russe avec pour objectif principal au départ de réduire les risques de change et d’améliorer l’efficacité de ses opérations de change. Il n’était nullement question de remplacer le dollar américain au départ. Mais le non-respect des engagements monétaires par les Etats-Unis notamment par une politique de dévaluation/évaluation compétitive du dollar américain a conduit à remettre en cause le dollar américain comme une monnaie de réserves, voire de transactions sur le moyen et long-terme. Les sanctions unilatérales des occidentaux envers certains pays ont conduit ces pays à trouver des alternatives pour continuer à fonctionner (Iran, Soudan, Afghanistan, Russie, etc.).
Le système de compensation entre le rouble et le yuan chinois a été élargi à toutes devises qui participeraient au grand programme stratégique chinois dite de « l’initiative de la ceinture et la route de la soie de Chine (China’s Belt and Road initiative) ». La Russie a servi d’opération pilote car la Russie, 2e plus important producteur de pétrole au monde, est récemment devenu la plus grande source de fourniture de pétrole à la Chine, elle-même premier consommateur mondial d’énergie. On peut citer aussi l’Inde, l’Iran, etc.
On est donc en train d’assister au passage d’un monde unipolaire (Etats-Unis avec l’Union européenne et le Japon et Israël) et un monde multipolaire avec des pays comme la Russie et la Chine. Aussi, il est question de s’organiser sans passer ni le dollar des Etats-Unis ($EU), ni l’Euro (€) de l’Union européenne. En filigrane, c’est la nouvelle alternative à l’interdiction d’utiliser le système de paiement occidental SWIFT qui semble prendre forme. Le système russe de messagerie financière (PSSA) et le système chinois de paiements internationaux (CIPS) ont trouvé des passerelles et des plateformes pour organiser leurs échanges à partir de la compensation. L’Inde est en train de mettre en place un système national de communication financière qui sera indépendant du système occidental SWIFT et sera compatible avec les systèmes russes et chinois.
Ibou SY : Le Fonds Qataris pour le Développement vient d’octroyer un prêt de 15 milliards de FCFA (soit 22,8 millions d’Euros) sans intérêts au Mali, suite au passage de Choguel Maïga, le Premier Ministre malien. Est-ce un contournement des sanctions illégales maintenues par les chefs d’Etat de la CEDEAO ? Où ira cet argent ?
Dr. AMAÏZO. La Cour de Justice de l’UEMOA a condamné la décision des chefs d’Etat de l’UEMOA et par extension de la CEDEAO en suspendant l’exécution de sanctions prononcées unilatéralement et illégalement contre le Mali, sur la base d’injonctions venant d’un pays non membre de la CEDEAO mais contrôlant l’UEMOA et la BCEAO. Alors, il ne s’agit plus d’un contournement, mais de l’application de la décision de la Cour de justice. Si les 14 chefs d’Etat de la CEDEAO font semblant de continuer à appliquer les sanctions, il faut que le gouvernement de transition fasse semblant de prendre en compte ses sanctions illégales. Le Mali a bénéficié d’un soutien d’un pays musulman, ami dans le cadre de la finance islamique, et donc sans intérêt. La visite du chef d’Etat de la transition étant prévu dans un avenir proche, il faut s’attendre à ce que d’autres financements et même des dons soient octroyés au Mali par les dirigeants du Qatar.
Rappelons tout de même que sous ce Gouvernement de transition, la corruption multiforme sous les anciens régimes précédents dits démocratiques du Mali est en train de disparaître. De fait, cet argent, comme les autres qui viendront s’y ajouter, servira en priorité à soutenir la création d’emplois décents pour les jeunes et apporter un appui budgétaire pour soutenir les investissements en cours, notamment en partenariat public-privé dans les secteurs comme l’éducation, la santé, les infrastructures, la transformation des produits agricoles, l’augmentation de la valeur ajoutée par l’introduction de technologies et d’industrialisation dans la valorisation des ressources minières et animales.
Ibou SY : une partie majoritaire du Peuple malien est venu présentée une doléance au Président de la Transition. C’est le premier ministre, Choguel Maïga qui a reçu la délégation. Le message principal est que ce soit bien le Peuple malien qui décide du Chronogramme et surtout s’il n’était pas tant de « quitter » la CEDEAO ? votre réaction ?
Dr. AMAÏZO. Je constate que la majorité du Peuple malien, par la voie des « leaders de la manifestation populaire »-, soutient les autorités maliennes et les exhortent à continuer à respecter et mettre en œuvre les propositions du Peuple malien, notamment sur le délai nécessaire pour assurer les réformes de fond et non réversibles qui doivent être menées pour assurer la transition. Par ailleurs, Choguel Maïga, le 1er ministre accepte le principe d’accélération des réformes profondes, notamment d’empêcher la partition du Mali, et la remise en cause de la souveraineté du Peuple malien, mais aussi de créer des organes pour que les élections ne soient pas contestées. Il est donc incompréhensible que les chefs d’Etat de la CEDEAO, sur la base d’une décision sans quorum (sans majorité – seuls 5 chefs de la CEDEAO étaient présents) prennent une décision d’ingérence dans les affaires intérieures du Mali, décision qui n’a pas de valeur juridique.
Par ailleurs, il y a un problème de la légitimité du Président de la Commission de la CEDEAO qui a fini son mandat de 4 ans depuis le 1er mars 2022. Bref, le chronogramme de la transition sera en définitive décidé par le Président de la Transition sur proposition du Peuple malien. Un effort substantiel a été fait pour passer la durée de la transition de 5 ans à 2 ans (24 mois).
L’exigence de 16 mois de la CEDEAO relève de l’abus et de la volonté d’humilier les autorités maliennes surtout que la plupart des chefs d’Etat sont issues de coups d’état militaires ou constitutionnels comme le cas du Togo. Alors la demande du Peuple malien exhortant les autorités maliennes à se retirer de la CEDEAO est légitime et repose sur le constat que le bilan de la CEDEAO, notamment les 4 ans de M. Jean-Claude Brou, est mitigé, sinon mauvais envers le Peuple malien. Certains le considèrent comme un instrument d’un groupe de chefs d’Etat à la solde de la France. La CEDEAO apparaît comme une structure fonctionnant sur des bases illégales et violant les textes juridiques de la CEDEAO. Pour continuer la transition, le Mali a simplement besoin de prendre conseil auprès de la Mauritanie qui a quitté la CEDEAO et la zone franc et s’en porte très bien depuis. La suspension de la CEDEAO par le Mali risque de devenir une solution transitoire pour pouvoir réussir la Transition malienne.
Ibou SY : Il semble que la CEDEAO tarde à nommer son nouveau président de la Commission de la CEDEAO. Vous avez des informations à ce sujet ?
Dr. AMAÏZO. Le nouveau Président de la Commission de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) n’a pas encore été désigné. L’ivoirien Jean-Claude Brou, parent de Alassane Ouattara, désormais ancien Ministre de l’Industrie de la Côte d’Ivoire, qui avait pris fonction le 1er mars 2018 à Abuja au Nigeria est encore en fonction. La question est de savoir si ses actes engagent la CEDEAO. La réponse est non. La CEDEAO doit clarifier sa position vis-à-vis du Mali.
Ibou SY : Vous souhaitez ajouter un point qui pourrait intéresser les autorités maliennes dans leur combat pour la souveraineté du Peuple malien ?
Dr. AMAÏZO. Oui, je pense qu’il est important que les autorités maliennes puissent prendre en considération le fait que la souveraineté d’un pays comme le Mali passe par trois niveaux que le Gouvernement doit maîtriser. Il s’agit de :
1. De la souveraineté militaire et territoriale. Je pense que le Mali est en train d’engranger des victoires à ce niveau avec la coopération officielle avec les autorités de la Fédération de Russie ;
2. De la souveraineté économique et financière. J’en ai parlé auparavant. Le fait que les sanctions de l’UEMOA, de la CEDEAO et de la BCEAO soient illégales et aient été suspendues par la Cour de justice de l’UEMOA va permettre d’avancer vers des alternatives dans l’utilisation de monnaies et de comptes bancaires libellés en d’autres devises que l’Euro ou le Dollar. Il est entendu que le Franc CFA n’a pas de pouvoir libératoire et n’est pas une monnaie convertible internationalement. On ne peut convertir le Franc CFA uniquement qu’auprès de la France qui peut décider de refuser la conversion, ce qui est une forme de néocolonisation et une dépendance qui bloque la souveraineté monétaire, économique et financière du Mali.
Les possibilités offertes par les partenaires non occidentaux comme la Russie, la Chine voire même l’Inde de payer dans leur devise nationale comme le Rouble russe ou le Yuan chinois vont permettre au Mali de continuer à fonctionner sans que les sanctions de la CEDEAO ne posent de problèmes majeurs. Mais en filigrane, c’est le système de compensation qui devraient permettre au Mali de retrouver sa marge économique en vendant une partie de ses énormes ressources minières dont l’or ou les métaux rares pour assurer son développement, et sa sécurité notamment par l’acquisition d’équipements comme les hélicoptères de combat ou les systèmes de géolocalisation satellitaires, etc.
3. De la souveraineté médiatique, à savoir qu’il y a de la désinformation qui circule sur de nombreux médias au sujet de ce qui se passe réellement au Mali. Donc le Mali devrait chercher à monter un partenariat public-privé pour que les informations fiables et vérifiables fournies par les autorités maliennes et les opérateurs maliens ne sortent pas déformées dans certains médias internationaux hostiles au Peuple malien. A ce titre, je pense qu’il y a des opportunités actuellement pour créer un média avec les partenaires amis du Mali pour diffuser non seulement au Mali, mais sur l’Afrique. Mes activités stratégiques me permettent d’ouvrir quelques contacts à ce sujet. Cela donnera l’occasion d’ailleurs de créer de nouveaux emplois et d’avancer vers la souveraineté médiatique du Mali. En effet, il faut savoir que les victoires de l’armée malienne sur les terroristes-djihadistes sont encore trop souvent présentées par des médias hostiles uniquement comme des massacres de populations civiles. Il faut donc pouvoir apporter des images et des preuves tangibles. La création d’un média africain à partir de l’expérience malien pourrait constituer une étape cruciale dans l’émergence de la souveraineté médiatique du Mali. Je pense que les partenaires comme la Russie, la Chine, le Qatar, et bien d’autres pourraient répondre favorablement à une telle demande. Ainsi, le paysage médiatique international de l’Afrique reflètera mieux la réalité des Africains.
Je vous remercie.
4 avril 2022
© Afrocentricity Think Tank et Ibou Sy, Journaliste.
Dr. Yves Ekoué AMAÏZO
Directeur Afrocentricity Think Tank
4 avril 2022
© Afrocentricity Think Tank